
Emilio Prados (1899-1962) écrit ce poème après la guerre civile, au tout début de son exil au Mexique. Il le publie à Mexico dans la revue Litoral qu’il a fondée en 1926 à Malaga avec Manuel Altolaguirre. José Moreno Villa, Juan Rejano et Francisco Giner de los Ríos se joignent à eux pour la faire revivre. La nostalgie de l’Espagne devient un des thèmes centraux des poètes républicains espagnols en exil. La détresse et la douleur apparaissent clairement dans ce poème. Emilio Prados se souvient d’un passé idyllique. Il le recrée à partir d’images successives (la mer, la plage, le parfum des jasmins, les cerisiers en fleur, la paix, les rêves d’amour). Le printemps en Espagne est idéalisé. La fin exprime pourtant la dure réalité vécue par les exilés. Elle est soulignée par le ¡ay!, si profondément andalou.
Cuando era primavera
Cuando era primavera en España:
Frente al mar, los espejos
Rompían sus barandillas
Y el jazmín agrandaba
su diminuta estrella
hasta cumplir el límite
de su aroma en la noche.
Cuando era primavera.
Cuando era primavera en España:
junto a la orilla de los ríos,
las grandes mariposas de la luna
fecundaban los cuerpos desnudos
de las muchachas,
y los nardos crecían silenciosos
dentro del corazón
hasta tapamos la garganta…
Cuando era primavera.
Cuando era primavera en España:
todas las playas convergían en un anillo
y el mar soñaba entonces,
como el ojo de un pez sobre la arena,
frente a un cielo más limpio
que la paz de una nave, sin viento, en su pupila.
Cuando era primavera.
Cuando era primavera en España:
los olivos temblaban
adormecidos bajo la sangre azul del día,
mientras que el sol rodaba
desde la pie! tan limpia de los toros
al terrón en barbecho
recién movido por la lengua caliente de la azada.
Cuando era primavera.
Cuando era primavera en España:
los cerezos en flor
se clavaban de un golpe contra el sueño
y los labios crecían,
como la espuma en celo de una aurora,
hasta dejamos nuestro cuerpo a su espalda,
igual que el agua humilde
de un arroyo que empieza.
Cuando era primavera.
Cuando era primavera en España:
todos los hombres olvidaban su muerte
y se tendían confiados, juntos, sobre la tierra,
hasta olvidarse el tiempo
y el corazón tan débil por el que ardían.
Cuando era primavera.
Cuando era primavera en España:
yo buscaba en el cielo,
yo buscaba
las huellas tan antiguas
de mis primeras lágrimas,
y todas las estrellas levantaban mi cuerpo,
siempre tendido en una misma arena.
al igual que el perfume, tan lento,
nocturno, de las magnolias.
Cuando era primavera.
Pero, ¡ay!, tan sólo
cuando era primavera en España.
Solamente en España
antes, cuando era Primavera!
Penumbras I, 1939-1941.
Número 2 de la etapa mexicana de la revista Litoral. 1944.

Lorsque que c’était le printemps
Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Les miroirs, devant la mer,
Brisaient leurs balustrades
Et le jasmin épanouissait
Son étoile minuscule
Pour que son parfum, dans la nuit,
S’exhale jusqu’à ses limites…
Oui, lorsque c’était le printemps !
Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Près de la berge des rivières,
Les grands papillons de la lune
Fécondaient les corps
Des filles nues
Et les nards croissaient en silence
Dans nos coeurs
Jusqu’à nous obstruer la gorge…
Oui, lorsque c’était le printemps !
Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Les oliviers tremblaient
Ensommeillés sous le sang bleu du jour,
Tandis que le soleil roulait
Du pelage si luisant des taureaux
Vers la parcelle de jachère
Fraîche remuée par la langue brûlante de la houe.
Oui, lorsque c’était le printemps !
Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Les cerisiers en fleur
Se clouaient d’un seul coup contre la terre
Et les lèvres grandissaient,
Comme l’écume en quête avide d’une aurore,
jusqu’à laisser notre corps dans leur dos,
Pareil à l’eau modeste
D’un ruisseau à sa naissance.
Oui, lorsque c’était le printemps !
Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Tous les hommes se dépouillaient de leur mort
Et sûrs d’eus-mêmes, s’étendaient, ensemble, sur la terre,
Jusqu’à en oublier le temps
Et le si faible coeur par lequel ils brûlaient…
Oui, lorsque c’était le printemps !
Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Je cherchais dans le ciel,
Je cherchais
Les traces si anciennes
De mes premières larmes
Et toutes les étoiles soulevaient mon corps
Toujours allongé sur le même sable,
Comme elles soulevaient le parfum nocturne
Et si lent des magnolias…
Oui, lorsque c’était le printemps !
Mais, hélas ! Seulement
Lorsque c’était le printemps en Espagne.
Rien qu’en Espagne,
Avant, et lorsque c’était le printemps !
Traduction Claude Couffon. Le Romancero de la résistance espagnole. Dario Puccini. Tome II. Paris, Petite collection Maspero, 1967. Traduction reprise dans l’ Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade, NRF. Gallimard. 1995.
https://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/03/20/rincon-de-la-sangre-emilio-prados/
https://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/11/05/emilio-prados-1899-1962/
