Il faut relire la lettre que Federico García Lorca envoie à son jeune ami colombien Jorge Zalamea (1905-1969) à l’automne de 1928. Il lui dédie le Poème de la solea (Poema del cante jondo, 1931). Jorge Zalamea est un écrivain et diplomate colombien, traducteur de Saint-John Perse en espagnol. À partir de 1928, il passe une période en Espagne et fait la connaissance des poètes de la Génération de 1927. La correspondance que Federico lui adresse (cinq lettres et un fragment de lettre) est exceptionnellement révélatrice. Elle a été publiée primitivement dans la Revista de las Indias, Bogotá, 1937. n°5.
Le premier Romancero gitano a été publié à la fin du mois de juillet 1928 et a obtenu rapidement un grand succès en Espagne, puis dans le monde hispanique. Au début août, García Lorca revient à Grenade. Mais, ses amis Salvador Dalí et Luis Buñuel critiquent vertement ce recueil. Rapidement, García Lorca s’éloigne de cette thématique traditionnelle et populaire. Il se tourne vers le pôle opposé (Odes et Poèmes en prose). Il traverse alors aussi grave une grande crise sentimentale (rupture avec le sculpteur Emilio Aladrén, 1906-1944) qu’il ne surmontera qu’un an plus tard en partant aux États-Unis et à Cuba.
Lettre de Federico García Lorca à Jorge Zalamea
[Grenade, automne 1928]
gallo
Mon cher Jorge :
Enfin j’ai reçu ta lettre. Je t’en avais écrit une, que j’ai déchirée.
Tu as dû passer un mauvais été. Heureusement voici qu’on entre dans l’automne qui me rend la vie. Moi aussi j’ai été très malheureux. Très. Il faut avoir la somme de joie que Dieu m’a donnée pour ne pas succomber sous la foule de conflits qui m’ont assailli dernièrement. Mais Dieu ne m’abandonne jamais. J’ai beaucoup travaillé et je continue. Après avoir construit mes Odes, où je mets tant d’ardeur, je boucle ce cycle de poésie pour faire autre chose ensuite. En ce moment, j’écris une poésie à S’OUVRIR LES VEINES, une poésie ÉVADÉE de la réalité, empreinte d’une émotion où se reflète mon amour – et ma dérision – des choses. Amour de la mort. Amour. Mon coeur. C’est ainsi.
Toute la journée j’ai une activité poétique d’usine. Après quoi je me jette dans l’humain, dans l’andalou pur, dans la bacchanale de chair et de rire. L’Andalousie est incroyable. Orient sans venin. Occident sans action. Chaque jour m’apporte de nouvelles surprises. La belle chair du Sud te remercie après que tu l’as piétinée.
Malgré tout, je ne suis pas bien, je ne suis pas heureux. Aujourd’hui il fait à Grenade un jour gris de PREMIERE QUALITÉ. De la propriété de San Vicente (ma mère s’appelle Vicenta) où j’habite, parmi des figuiers magnifiques et d’immenses noyers vigoureux, je vois le plus beau panorama de montagnes d’Europe pour la transparence de l’air.
Comme tu le vois, mon cher ami, je t’écris sur le papier de gallo, parce que nous allons relancer la revue ; nous sommes en train de composer le troisième numéro.
Je crois qu’il sera très bien.
Au revoir, cher Jorge. Reçois une affectueuse accolade de
FEDERICO
Sois joyeux ! C’est une nécessité, un devoir que d’être joyeux. Je te le dis, moi qui traverse une des périodes les plus tristes et les plus pénibles de ma vie.
Écris-moi.
Carta de Federico García Lorca a Jorge Zalamea
[Granada, septiembre 1928]
gallo
Mi querido Jorge:
Por fin he recibido tu carta. Ya te había escrito una y la he roto.
Has debido pasar un mal verano. Ya afortunadamente entra el otoño, que me da la vida. Yo también lo he pasado muy mal. Muy mal. Se necesita tener la cantidad de alegría que Dios me ha dado para no sucumbir ante la cantidad de conflictos que me han asaltado últimamente. Pero Dios no me abandona nunca. He trabajado mucho y estoy trabajando. Después de construir mis Odas, en las que tengo tanta ilusión, cierro este ciclo de poesía para hacer otra cosa. Ahora hago una poesía de abrirse las venas, una poesía evadida ya de la realidad con una emoción donde se refleja todo mi amor por las cosas y mi guasa por las cosas. Amor de morir y burla de morir. Amor. Mi corazón. Así es.
Todo el día tengo una actividad poética de fábrica. Y luego me lanzo a lo del hombre, a lo del andaluz puro, a la bacanal de carne y de risa. Andalucía es increíble. Oriente sin veneno, Occidente sin acción. Todos los días llevo sorpresas nuevas. La bella carne del Sur te da las gracias después de haberla pisoteado.
A pesar de todo, yo no estoy bien, ni soy feliz. Hoy hace un día gris en Granada de primera calidad. Desde la Huerta de San Vicente (mi madre se llama Vicenta) donde vivo, entre magníficas higueras y nogales corpulentos, veo el panorama de sierras más bello (por el aire) de Europa.
Como ves, mi querido amigo, te escribo en el papel de gallo, porque ahora hemos reanudado la revista y estamos componiendo el tercer número.
Creo que será precioso.
Adiós, Jorge. Recibe un abrazo cariñoso de
Federico
¡Que estés alegre! Hay necesidad de ser alegre, el deber de ser alegre. Te lo digo yo, que estoy pasando uno de los momentos más tristes y desagradables de mi vida.
Escríbeme.