Hervé Le Tellier

Hervé Le Tellier devant sa maison (Hélène Pambrun) . Hameau de La Paillette, à Montjoux (Drôme).

Je viens de terminer Le nom sur le mur d’Hervé Le Tellier (Gallimard, 2024). Je n’avais jamais encore rien lu de cet auteur.
Le Prix Goncourt 2020 a acheté une maison dans le hameau de La Paillette, à Montjoux, tout près de Dieulefit dans la Drôme provençale. Cette bâtisse a longtemps appartenu à une céramiste allemande, Tina, qui a déménagé à Granville. Sur le crépi d’un côté, après que l’ancienne propriétaire a retiré des plaques de céramique, est apparu un nom gravé : André Chaix. Il s’agit d’un jeune maquisard mort pour la France le 23 août 1944 après être tombé dans une embuscade allemande. Son nom figure aussi sur le monument aux morts de la commune. Il avait à peine vingt ans.
L’écrivain a rassemblé des archives, interrogé des gens, mené une enquête pour essayer d’approcher la personnalité du jeune résistant. Il raconte sa courte vie et lui rend hommage.
Des tracts des Francs-Tireurs et Partisans, des photographies, des lettres sont insérées dans le texte. L’auteur mêle à la narration des éléments de réflexion.

Dieulefit, sous l’Occupation, était un village de 3.000 habitants. Plus de 1.500 personnes ont réussi à s’y cacher : des Juifs, des résistants, des artistes, des intellectuels, des orphelins. ils ont trouvé refuge là. Aucun d’eux ne fut dénoncé, aucun d’eux ne fut arrêté. À ce jour, seuls neuf habitants du village – tous décédés – se sont vus décerner le titre de «Juste parmi les nations» par l’institut Yad Vashem. La commune du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), qui a caché plus d’un millier de juifs, compte 90 Justes. Le maire de Dieulefit, Pierre Pizot, était un ancien colonel protestant, fidèle au régime de Vichy. Sa secrétaire, Jeanne Barnier (1918-2002), a pourtant distribué sous l’Occupation plus de tickets de rationnement que le village ne comptait d’habitants. Elle produisait à la chaîne des faux papiers d’identité. Les trois directrices d’un établissement scolaire alternatif, créé en 1929 dans le village, l’École de Beauvallon, (Marguerite Soubeyran – 1894-1980 – , Catherine Krafft – 1899-1982 -, Simone Monnier) ont également joué un rôle actif dans la résistance. Grâce à elles, des centaines d’enfants ont pu être sauvés. En octobre 2014, un mémorial dédié à la résistance civile a été inauguré dans le village.

Dieulefit. Place Jeanne Barnier.

Hervé Le Tellier. Le Monde 8 septembre 2024.

« Dans Le Nom sur le mur, j’avais l’ambition de faire un livre pour le centenaire d’André Chaix, qui correspondait au 80 ème anniversaire du Débarquement et à la campagne des élections européennes. Mais je ne pouvais imaginer que cela coïnciderait aussi avec la dissolution de l’Assemblée nationale, la fracture de la France en trois et le risque d’un Rassemblement national majoritaire. Comme disait Marc Twain, « l’histoire ne se répète pas, mais elle rime ». La montée du RN nous ramène au nazisme et à ses rescapés. On a vu, ces dernières semaines, que ce parti n’avait pas changé de nature, malgré les tentatives de Marine Le Pen d’en repeindre la façade. »

Hervé le Tellier, Le nom sur le mur. Gallimard, 2024. Pages 78-80.

« Cet automne de 1972, alors que je lisais le livre de Primo Levi, un parti était fondé, le 5 octobre exactement, le « Front national ». On parle évidemment du « nouveau », pas du vrai, celui de la Résistance, l’extrême droite ayant toujours aimé brouiller les repères, défaire le sens des mots, et les salir au passage.
On y découvre, libres depuis longtemps, bien des rescapés du radeau nazi : celui qui dépose les statuts, accompagné par un ancien député poujadiste plus présentable que lui et dénommé Jean-Marie Le Pen, s’appelle Pierre Bousquet. Bousquet est l’un de ces trois cents Waffen-SS de la division Charlemagne protégeant jusqu’au bout le bunker d’Hitler à Berlin, en avril 1945, des soldats de l’Armée rouge.
Le premier secrétaire du FN s’appelle, lui, Victor Barthélemy : c’est le numéro deux du PPF, le parti de Doriot, et l’un des créateurs de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, cette fameuse LVF portant uniforme allemand, et qui fusionnera avec la Waffen-SS Charlemagne. Barthélémy, milicien, auxiliaire zélé de la police pendant la rafle du Vél’ d’Hiv, se réfugiera en 1944 dans l’éphémère et sanglante République de Salò de Mussolini, tentera de fonder début 1945 un « maquis blanc » en France. Fait prisonnier, il obtient de passer devant un tribunal militaire, lui, le civil : un bon choix, il fera quelques mois de prison.
N’omettons pas André Dufraisse, cofondateur du FN, lui aussi engagé dans la LVF, puis dans une division blindée allemande sur le front de l’Est. Cela lui valait chez ses amis du Front national le surnom affectueux de « Tonton Panzer ».
On pourrait étirer longtemps la liste de ces anciens nazis français présents à la fondation de l’ancêtre du Rassemblement national : Léon Gaultier, cofondateur du FN, quelques années plus tôt « saint des saints de la Waffen-SS » selon l’expression de Jean Mabire, hagiographe de ce corps d’armée. Roland Gaucher, membre de son comité directeur, qui écrivait en mai 1944 dans Le National populaire, sous son vrai nom de Roland Goguillot, que « la législation antisémite pèche par de grands défauts. Elle n’est pas suffisante, elle n’est pas appliquée ». François Brigneau, premier vice-président du FN, propagandiste raciste et antisémite dans La Fronde, dont le « manifeste » refuse que « des nomades plus ou moins francisés par le Journal officiel [ne] fassent la loi chez nous ». Pierre Gérard, secrétaire général du FN en 1980, et sous Vichy numéro deux de la Direction générale de l’aryanisation économique et directeur de la Propagande du Commissariat général à la question juive.
J’en oublie, mais j’en ai fini.
C’est décidément non, la mansuétude n’est pas mon fort. S’il est écrit sur les monuments aux morts qu’André, Célestin, et beaucoup d’autres, sont « morts pour la France », alors ces gens-là ont vécu contre elle, et ceux qui leur succèdent et perpétuent leurs obsessions aussi.
On ne débat pas de telles idées, on les combat. Parce que la démocratie est une conversation entre gens civilisés, la tolérance prend fin avec l’intolérable. Quiconque sème la haine de l’autre ne mérite pas l’hospitalité d’une discussion. Quiconque veut l’inégalité des hommes n’a pas droit à l’égalité dans l’échange. La formule lapidaire de l’historien et résistant Jean-Pierre Vernant me convient : « On ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages. »

Les Fées de Dieulefit : Marguerite Soubeyran, Catherine Krafft, Simone Monnier.

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