Au Centre Pompidou à Paris ou au Reina Sofía à Madrid, j’aime m’arrêter devant les tableaux du peintre espagnol Manuel Millares.
Il est né à Las Palmas de Gran Canaria (Îles Canaries) le 17 janvier 1926. Autodidacte comme artiste, il est initié au surréalisme en 1948. En 1955, il s’installe dans la péninsule et devient peintre abstrait. En février 1957, Millares et d’autres artistes (Rafael Canogar, Luis Feito, Juana Francés, Antonio Saura, Martín Chirino et le sculpteur Pablo Serrano) fondent le groupe d’avant-garde El Paso. Les marchands Pierre Matisse et Daniel Cordier signent des accords avec lui en 1959. Il acquiert une plus grande renommée dans les années 1960. Il fait une exposition personnelle à la Pierre Matisse Gallery de New York en 1961. En Espagne, son œuvre est représentée par la Galerie Juana Mordó. En 1964, il achète une maison à Cuenca (Communauté autonome de Castilla-La Mancha), devient ami du peintre Fernando Zóbel (1924-1984) et assiste à l’inauguration du Museo de Arte Abstracto Español de cette ville.
Millares est un des peintres espagnols les plus importants de l’après-guerre. Il est réputé pour ses collages créés à l’aide de sacs en toile de jute et les tons sombres de ses tableaux (noir, blanc et rouge). Les toiles de jute sont très ancrées dans la préhistoire des îles Canaries, en particulier dans la culture des autochtones, les Guanches. Les cadavres embaumés de ce peuple préhispanique lui étaient connus grâce au Museo Canario de Las Palmas, fondé en 1879 par le Docteur Gregorio Chil y Naranjo et l’historien et notaire Agustín Millares Torres (1826-1896), son arrière-grand-père, auteur de Historia General de las Islas Canarias ( 10 tomes publiés de 1881 à 1895). Il a réconcilié les formes organiques peintes sur les parois des grottes avec l’automatisme des surréalistes et a combiné tradition et expression directe.
Il est mort à Madrid, le 14 août 1972 à 46 ans.
” Manolo Millares me fut recommandé en 1959 par Françoise Choay. Comme celle de Nevelson, son oeuvre fait appel aux forces de la nuit. Nuit interminable comme la révolte qui couve dans le coeur de son maître, et fait frémir son ascétique visage de l’espoir que tout change dans ce monde imparfait. Ses peintures sont des étendards. Ils sont frappés aux couleurs de l’humiliation de la misère, mais aussi de cette pitié qui veut triompher de l’injustice. Pour faire des tableaux, Millares a été chercher le drap des morts, puisque ce sont les momies aperçues dans les musées des Canaries qui ont été le choc moteur de son inspiration. ” (Daniel Cordier, résistant, compagnon de la Libération, marchand d’art et historien : 8 ans d’agitation, 1956-1964, galerie Daniel Cordier, Paris, 1964)
« L’art espagnol contemporain doit beaucoup à cet artiste qui participa activement, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au renouveau de la peinture contre les doctrines officielles. Millares fut sans doute l’artiste d’avant-garde espagnol le plus connu dans les années 1950. Ses œuvres décrivent le sentiment tragique de la souffrance physique et morale par le pouvoir expressif de la toile, matériau de base du tableau, déformée, nouée, cousue, brûlée, etc. » (Gérard Schurr, Le guidargus de la peinture, Les Éditions de l’Amateur, 1993 )