Charlotte Delbo

Après avoir lu les poèmes de Primo Levi, je suis revenu à ceux de Charlotte Delbo. Les Éditions de Minuit ont rassemblé en mars 2024 pour la première fois ses poèmes complets, suivis de dix inédits et d’un entretien avec Claude Prévost (La Nouvelle Critique, juin 1965, numéro 167)

http://leseditionsdeminuit.fr/livre-Pri%C3%A8re_aux_vivants_pour_leur_pardonner_d_%C3%AAtre_vivants-3432-1-1-0-1.html

Dans Mesure de nos jours (1971) Charlotte Delbo écrit : « Les poètes voient au-delà des choses. » Elle est née le 10 août 1913 à Vigneux-sur-Seine (Essonne). Elle est morte le 1er mars 1985 à Paris.

Issue d’une famille d’ouvriers italiens, elle adhère en 1932 aux Jeunesses communistes, puis en 1936 à l’Union des jeunes filles de France, fondée par Danielle Casanova. A l’Université ouvrière, elle rencontre en 1934 son futur mari, le militant communiste Georges Dudach, formé à Moscou. Elle l’épouse en 1936. En 1937, elle devient la secrétaire de Louis Jouvet qui l’engage après la lecture d’un article sur le théâtre qu’elle avait écrit pour Les Cahiers de la Jeunesse, dont Georges Dudach était le rédacteur en chef.

Après avoir hésité, elle part avec la troupe de l’Athénée en Amérique du Sud en mai 1941. Elle revient à Paris le 15 novembre 1941.

Elle s’engage alors dans la Résistance avec son mari. Ils vivent dans la clandestinité. Ils font partie du « groupe Politzer », chargé de la publication des Lettres françaises dont Jacques Decour est le rédacteur en chef. Charlotte Delbo est chargée de l’écoute de Radio Londres et de Radio Moscou qu’elle prend en sténo ainsi que de la dactylographie des tracts et des revues.

En février 1942, de nombreux membres de leur réseau de résistants communistes sont pris en filature. Les arrestations se multiplient à la mi-février : Georges et Maï Politzer, Danielle Casanova, Lucien Dorland, Lucienne Langlois, puis André et Germaine Pican, Jacques Decour…

Charlotte Delbo et son mari sont arrêtés le 2 mars 1942 au 93 rue de la Faisanderie (16e arrondissement de Paris) par les Brigades spéciales de la Police française. Georges Dudach est fusillé au fort du Mont-Valérien le 23 mai 1942, à l’âge de 28 ans. Charlotte Delbo est déportée à Auschwitz par le convoi du 24 janvier 1943 dit « convoi des 31000 » (230 femmes – 1446 hommes). Elle est transférée à Ravensbrück au début de l’année 1944 et libérée en avril 1945 après vingt-sept mois de déportation. Elle sera l’une des 49 rescapées du convoi des 31000.

Elle écrira des années plus tard son indispensable trilogie Auschwitz et après.

Aucun de nous ne reviendra (Éditions Gonthier 1965. Éditions de Minuit, 1970)
Une connaissance inutile ( Éditions de Minuit, 1970)
Mesure de nos jours ( Éditions de Minuit, 1971)

En 1965, elle a publié aussi Le Convoi du 24 janvier (Éditions de Minuit), une compilation de courtes biographies des 230 femmes déportées avec elle.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Convoi_des_31000#:~:text=Le%20convoi%20du%2024%20janvier,op%C3%A9ration%20%C2%AB%20Nuit%20et%20brouillard%20%C2%BB.

Il convient de consulter le Maitron, Dictionnaire biographique Mouvement ouvrier Mouvement social. Notice DUDACH Georges, Paul par Nicole Racine, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 24 janvier 2022.

https://maitron.fr/spip.php?article23192

Georges Dudach, né le 18 septembre 1914 à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), fusillé comme otage le 23 mai 1942 au Mont-Valérien.

J’ai choisi 5 poèmes publiés dans Une connaissance inutile.

Je lui disais mon jeune arbre
Il était beau comme un pin
La première fois que je le vis
Sa peau était si douce
la première fois que je l’étreignis
et toutes les autres fois
si douce
que d’y penser aujourd’hui
me fait comme lorsqu’on ne sent plus sa bouche
Je lui disais mon jeune arbre
lisse et droit
quand je le serrais contre moi
je pensais au vent
à un bouleau ou à un frêne
Quand il me serrait dans ses bras
je ne pensais plus à rien.

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Je l’appelais
mon amoureux du mois de mai
des jours qu’il était enfant
heureux tellement
je le laissais
quand personne ne voyait
être
mon amoureux du mois de mai
même en décembre
enfant et tendre
quand nous marchions enlacés
la forêt était toujours
la forêt de notre enfance
nous n’avions plus de souvenirs séparés
il embrassait mes doigts
ils avaient froid
il disait les mots que disent les amoureux du mois de mai
j’étais seul à entendre
On n’écoute pas ces mots-là
Pourquoi
On écoute le coeur qui bat
On croit pouvoir toute la vie les entendre
ces mots-là tendres
Il y a tant de mois de mai
toute la vie
à deux qui s’aiment.

Alors
ils l’ont fusillé un mois de mai

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Je l’aimais
parce qu’il était beau
c’est une raison futile

Je l’aimais
parce qu’il m’aimait
c’est une raison égoïste

Mais
c’est pour vous
que je cherche des raisons
pour moi, je n’en avais pas
Je l’aimais comme une femme aime un homme
sans mots pour le dire

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Ce point sur la carte
Cette tache noire au centre de l’Europe
cette tache rouge
cette tache de feu cette tache de suie
cette tache de sang cette tache de cendres
pour des millions
un lieu sans nom.
De tous les pays d’Europe
de tous les points de l’horizon
les trains convergeaient
vers l’in-nommé
chargés de millions d’êtres
qui étaient versés là sans savoir où c’était
versés avec leur vie
avec leurs souvenirs
avec leurs petits maux
et leur grand étonnement
avec leur regard qui interrogeait
et qui n’y a vu que du feu,
qui ont brûlé là sans savoir où ils étaient.
Aujourd’hui on sait
Depuis quelques années on sait
On sait que ce point sur la carte
c’est Auschwitz
On sait cela
Et pour le reste on croit savoir

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Yvonne Picard est morte
qui avait de si jolis seins .
Yvonne Blech est morte
qui avait les yeux en amande
et des mains qui disaient si bien .
Mounette est morte
qui avait un si joli teint
une bouche toujours gourmande
et un rire si argentin.
Aurore est morte
qui avait des yeux couleur de mauve.

Tant de beauté tant de jeunesse
tant d’ardeur tant de promesses…
Toutes un courage des temps romains.

Et Yvette aussi est morte
qui n’était ni jolie ni rien
et courageuse comme aucune autre .
Et toi Viva
et moi Charlotte
dans pas longtemps nous serons mortes
nous qui n’avons plus rien de bien.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poeme-du-jour-avec-la-comedie-francaise/poeme-extrait-du-recueil-une-connaissance-inutile-8000028

La poésie de Charlotte Delbo. France Culture, 13 mai 2024.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-book-club/la-poesie-de-charlotte-delbo-6999158

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/04/04/charlotte-delbo-1913-1985/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/tag/charlotte-delbo/

2 réponses sur “Charlotte Delbo”

    1. Merci Michel. Elle est née à Vigneux-sur-Seine où j’ai vécu de 1965 à 1972. Elle est enterrée dans le cimetière de cette ville de l’Essonne. Mon père, Joseph, et ma seconde mère, Pepica, y sont aussi enterrés. Bonne soirée à vous.

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