José Roig Armengote est né le 26 décembre 1880 à Castellón de la Plana (Espagne).
Il résidait en France depuis 1900 et avait créé, avant la première guerre mondiale, une fabrique de tricot sur machine qui employait une vingtaine d’ouvrières au 13 rue de l’Abreuvoir à Dourdan (Essonne).
Il était franc-maçon (membre de la Grande Loge de France, loge 137, domiciliée 8 rue de Puteaux, Paris XVIIe arrondissement ) et partisan de la Seconde République espagnole, proclamée le 14 avril 1931.
En septembre 1940, il demeurait à Paris au 86 rue Montorgueil (IIe arrondissement). Il participait aux actions de la Croix-Rouge depuis 1939 et faisait partie du groupe de résistance de Noël Riou. En septembre 1940, il recueillit chez lui quatre aviateurs anglais et parvint à les faire passer en zone libre. Il poursuivit son activité clandestine. Dénoncé, il fut arrêté par les autorités allemandes pour « activité au profit d’une puissance étrangère et espionnage ».
Le 4 juillet 1941, le tribunal du Gross Paris, qui siégeait 11bis rue Boissy-d’Anglas (VIIIe arrondissement), le condamna à mort. La Délégation générale pour les territoires occupés (DGTO), informée tardivement de sa condamnation, refusa d’intervenir en sa faveur puisqu’il n’était pas de nationalité française. Elle confia son sort au consulat d’Espagne. Son recours en grâce lui fut refusé.
José Roig a été fusillé le 1 août 1941 à Paris, ou plus vraisemblablement au fort d’Ivry, par les autorités allemandes. Son corps fut transféré le soir même au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine dans le carré des fusillés, division 47, ligne 2, n° 15. Il était le deuxième fusillé enterré à Ivry après Eugène Andrieux. Il fut réinhumé à Bagneux le 19 septembre 1945.
Extrait de l’affiche placardée sur les murs de Paris : «Le nommé ROIG JOSÉ DE PARIS a été condamné à mort pour AIDE A L’ENNEMI par recrutement en faveur de l’armée de l’ex-GÉNÉRAL DE GAULLE. Il A ÉTÉ FUSILLÉ AUJOURD’HUI. Paris, le 1 août 1941. LE TRIBUNAL MILITAIRE».
Il figure parmi les premiers résistants exécutés à Paris. Pourtant, cet Espagnol de naissance ne figure pas sur la liste des martyrs d’Île-de-France auxquels tous les ans la France rend hommage au mont Valérien.
Déclaration de Denis Peschanski le 13 octobre 2023 (Université Paris I Panthéon Sorbonne) :
« Mais une grande découverte s’est faite en marge de ce travail : comme Bruno Roger-Petit, le conseiller mémoire du Président, me demandait de pouvoir retrouver des résistants étrangers afin de les décorer de la Légion d’Honneur, je me montrais circonspect, tant il en restait peu 80 ans après et convaincu qu’ils auraient déjà été honorés, sauf exception. Je pris donc mon bâton de pèlerin et j’ai interrogé les associations. Rien des deux premières. La troisième me dit : notre problème n’est pas là, c’est la reconnaissance par la mention « Mort pour la France ». Je tombe de l’armoire en constatant bientôt que des étrangers et des Français ayant fait exactement la même chose et ayant été fusillés soit comme otages, soit après jugement, n’avaient pas le même sort pour partie d’entre eux. Et je découvrais que, créée en 1915, la mention « Mort pour la France » imposait qu’on fût de nationalité française. Avec la Seconde Guerre mondiale, cela devenait compliqué, alors l’administration a jugé au cas par cas suivant les circonstances et les pressions. Toujours est-il qu’ayant fait remonter l’information, j’eus un accueil positif immédiat, aussi bien de la présidence de la République que du secrétariat d’État aux Anciens combattants. Une première étude portant sur le Mont Valérien, principal lieu d’exécution pendant la guerre, montrait qu’il y avait 185 étrangers sur les quelque 1000 fusillés par les Allemands. La proportion est déjà significative pour illustrer votre première question. Mais sur ces 185, 92 n’avaient pas la mention Mort pour la France. Ils ont obtenu la mention par décision du président le même 18 juin 2023. Et le travail continue bien entendu. »
En 2001, à l’occasion du soixantième anniversaire de sa mort, un square a été nommé en sa mémoire à Meudon (Hauts-de-Seine) où résidait son fils, José Roig, Meudonnais de longue date.
En juillet 2022, le Conseil de Paris vote pour l’apposition d’une plaque en sa mémoire située 86 rue Montorgueil.
Sources :
https://maitron.fr/spip.php?article165698 notice ROIG José par Julien Lucchini, Annie Pennetier, version mise en ligne le 2 octobre 2014, dernière modification le 12 mai 2021.
Semana Santa en Andalucía. Jueves Santo. Semaine Sainte en Andalousie. Jeudi saint.
Camarón de la Isla : La Saeta (introduit par Joan Manuel Serrat). Arrangements exécutés par The Lisbon Simphony Orchestra. Direction : Jesús Bola. Á la guitare, Tomatito, seconde guitare le fils de de Camarón, Luis Monge. 1990.
¿Quién me presta una escalera, para subir al madero, para quitarle los clavos a Jesús el Nazareno?
Saeta popular
¡Oh, la saeta, el cantar al Cristo de los gitanos siempre con sangre en las manos siempre por desenclavar!
¡Cantar del pueblo andaluz que todas las primaveras anda pidiendo escaleras para subir a la cruz.!
¡Cantar de la tierra mía que echa flores al Jesús de la agonía y es la fe de mis mayores!
¡Oh, no eres tú mi cantar ¡No puedo cantar, ni quiero a este Jesús del madero sino al que anduvo en el mar!.
Campos de Castilla. 1912.
CXXX. La Saeta
Qui me prête une échelle pour aller sur la croix, enlever les clous de Jésus le Nazaréen ?
Saeta populaire
Oh ! La saeta le couplet au Christ des gitans, avec toujours aux mains du sang, et toujours sur sa croix cloué!
Oh ! chanson du peuple andalou, qui à chaque printemps, demande des échelles pour monter à la croix !
Chant de ma terre, jetant des fleurs au Christ de l’agonie, qui est la foi de mes ancêtres !
Tu n’es pas le chant de mon coeur ! Je ne veux ni ne peux chanter ce Christ en croix mais celui qui marchait sur la mer.
Champs de Castille, Solitudes, Galeries et autres poèmes et Poésies de la guerre. Traduction Sylvie Léger et Bernard Sesé. Paris, NRF Poésie Gallimard n°144, 1981.
Nous parcourons l’exposition Jean Hélion La prose du monde au Musée d’Art Moderne de Paris vendredi 22 mars. C’est le premier jour. Il y a encore peu de monde. C’est un plaisir de pouvoir regarder tranquillement les oeuvres d’un peintre méconnu.
Du 22 mars au 18 août 2024, on pourra voir la rétrospective de cet artiste. Elle traverse tout le XXème siècle. Jean Hélion (1904-1987) est un des pionniers de l’abstraction. Il l’introduit en Amérique dans les années 1930, avant d’évoluer vers une figuration personnelle au début de la deuxième guerre mondiale.
Proche de Theo van Doesburg et de Piet Mondrian dans un premier temps (groupe Art Concret et collectif Abstraction-Création), il se détourne de l’abstraction en 1939. Il est l’ami de Calder, Arp, Giacometti, mais aussi de Max Ernst, Marcel Duchamp, Victor Brauner.
Il fréquente aussi les écrivains de son époque (Francis Ponge, Raymond Queneau, René Char, André du Bouchet, Alain Jouffroy) qu’ il associe souvent à son parcours artistique.
Je lis une lettre qu’il adresse au poète André du Bouchet au cours de l’été 1952. Pour qui travaille-t-on ?
Il évoque sa collaboration avec René Char pour illustrer, sur la demande d’Yvonne Zervos, 10 poèmes choisis parmi Les Matinaux et réunis, manuscrits, par le poète sous le titre de La Sieste blanche.
” Il n’y a rien que j’aie davantage souhaité, à plusieurs périodes de ma vie que de mêler mes images, étroitement, à des textes que j’admire.”
Il y explique son travail et ses difficultés. Les Éditions Claire Paulhan publient ce mois-ci :
Pour qui travaille-t-on ? Une lettre à André du Bouchet (Été-automne 1952)
Je recherche Divergence, un des poèmes de René Char illustré par l’homme couché qui préoccupait Jean Hélion cet hiver-là. Les références à Arthur Rimbaud et à Une saison en enfer sont nombreuses.
Divergence (René Char)
Le cheval à la tête étroite A condamné son ennemi, Le poète aux talons oisifs, A de plus sévères zéphyrs Que ceux qui courent dans sa voix. La terre ruinée se reprend Bien qu’un fer continu la blesse.
Rentrez aux fermes, gens patients ; Sur les amandiers au printemps Ruissellent vieillesse et jeunesse. La mort sourit au bord du temps Qui lui donne quelque noblesse.
C’est sur les hauteurs de l’été Que le poète se révolte, Et du brasier de la récolte Tire sa torche et sa folie.
La sieste blanche in Les Matinaux 1947-1949. Éditions Gallimard, 1950.
Cuando no sabía aún que yo vivía en unas manos, ellas pasaban sobre mi rostro y mi corazón.
Yo sentía que la noche era dulce como una leche silenciosa. Y grande. Mucho más grande que mi vida. Madre: era tus manos y la noche juntas. Por eso aquella oscuridad me amaba.
No lo recuerdo pero está conmigo. Donde yo existo más, en lo olvidado, están las manos y la noche. A veces, cuando mi cabeza cuelga sobre la tierra y ya no puedo más y está vacío el mundo, alguna vez, sube el olvido aún al corazón. Y me arrodillo a respirar sobre tus manos. Bajo y tú escondes mi rostro; y soy pequeño; y tus manos son grandes; y la noche viene otra vez, viene otra vez. Descanso de ser hombre, descanso de ser hombre.
Blues castellano, 1982
Je tombe sur des mains
Quand je ne savais pas encore que j’habitais dans des mains, elles passaient sur mon visage et sur mon cœur.
Je sentais que la nuit était douce comme un lait silencieux. Et grande. Bien plus grande que ma vie. Mère : C’était tes mains et la nuit ensemble. Voila pourquoi cette obscurité m’aimait.
Je ne me souviens pas mais ça reste avec moi. Là où j’existe le plus, dans l’oublié, se trouvent les mains et la nuit. Parfois, quand ma tête est penchée vers la terre et je n’en peux plus et il est vide le monde, quelque fois, l’oubli remonte encore vers le cœur.
Et je m’agenouille pour respirer sur tes mains. Je descends et tu caches mon visage ; et je suis tout petit ; et tes mains sont grandes ; et la nuit vient encore une fois, vient encore une fois. Je me repose d’être un homme, je me repose d’être un homme.
Blues castillan. Traduction de Jacques Ancet, Éditions José Corti, 2004.
Antonio Gamoneda est né dans les Asturies à Oviedo en 1931. Il vit à León depuis 1934. Son père meurt en 1932. Sa mère l’élève dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Il doit abandonner ses études en 1943 et travailler comme coursier dès 1945. Il a une formation d’autodidacte et a connu l’extrême pauvreté de l’après-guerre et la répression franquiste. Il a obtenu de nombreux prix dont le Prix Cervantès en 2006. Il a publié deux tomes de mémoires: Un armario lleno de sombra (2009) et Lapobreza (2020). Galaxia Gutemberg. Círculo de Lectores.
Principales traductions en français : Poèmes, traduction Roberto San Geroteo, Noire et blanche, numéro spécial, 1995. Livre du froid, traduction et présentation Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, 1996, Antoine Soriano Editeur. 2e éd. 2005. Pierres gravées, Jacques Ancet, Lettres Vives, 1996. Substances, limites, in Nymphea, traduction Jacques Ancet, La Grande Os, 1997. Cahier de mars, traduit par Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 1997. Blues castillan, traduction Roberto San Geroteo, Noire et Blanche, 1998. Froid des limites, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2000. Description du mensonge (extraits), traduction Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 2002. Pétale blessé, traduction Claude Houy, Trames, 2002. Blues castillan, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004. Description du mensonge, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004. Passion du regard, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2004. De l’impossibilité, traduction Amelia Gamoneda, préface Salah Stétié, Fata Morgana, 2004. Clarté sans repos, traduction et présentation Jacques Ancet, Arfuyen, 2006. Cecilia, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2006. Le livre des poisons, traduction Jean-Yves Bériou. Actes Sud, 2009.
Le destin de l’homme se joue partout et tout le temps !
” Parler de l’humanité, c’est parler de soi-même. Dans le procès que l’individu intente perpétuellement à l’humanité, il est lui-même incriminé et la seule chose qui puisse le mettre hors de cause est la mort. Il est significatif qu’il se trouve constamment sur le banc des accusés, même quand il est juge. Personne ne peut prétendre que l’humanité est en train de pourrir sans, tout d’abord, constater les symptômes de la putréfaction sur lui-même, sans avoir lui-même commis de mauvaises actions. En ce domaine, toute observation doit être faite in vivo. Tout être vivant est prisonnier à perpétuité de l’humanité et contribue par sa vie, qu’il veuille ou non, à accroître ou à amoindrir la part de bonheur et de malheur, de grandeur et d’infamie, d’espoir et de désolation, de l’humanité.
C’est pourquoi je puis oser dire que le destin de l’homme se joue partout et tout le temps et qu’il est impossible d’évaluer ce qu’un être humain peut représenter pour un autre. Je crois que la solidarité, la sympathie et l’amour sont les dernières chemises blanches de l’humanité. Plus haut que toutes les vertus, je place cette forme que l’on appelle le pardon. Je crois que la soif humaine de pardon est inextinguible, non pas qu’il existe un péché originel d’origine divine ou diabolique mais parce que, dès l’origine, nous sommes en butte à une impitoyable organisation du monde contre laquelle nous sommes bien plus désarmés que nous pourrions le souhaiter.
Or, ce qu’il y a de tragique dans notre situation c’est que, tout en étant convaincu de l’existence des vertus humaines, je puis néanmoins nourrir des doutes quant à l’aptitude de l’homme à empêcher l’anéantissement du monde que nous redoutons tous. Et ce scepticisme s’explique par le fait que ce n’est pas l’homme qui décide, en définitive, du sort du monde, mais des blocs, des constellations de puissances, des groupes d’États, qui parlent tous une langue différente de celle de l’homme, à savoir celle du pouvoir. Je crois que l’ennemi héréditaire de l’homme est la macro-organisation, parce que celle-ci le prive du sentiment, indispensable à la vie, de sa responsabilité envers ses semblables, réduit le nombre des occasions qu’il a de faire preuve de solidarité et d’amour, et le transforme au contraire en codétenteur d’un pouvoir qui, même s’il paraît, sur le moment, dirigé contre les autres, est en fin de compte dirigé contre lui-même. Car qu’est-ce que le pouvoir si ce n’est le sentiment de n’avoir pas à répondre de ses mauvaises actions sur sa propre vie mais sur celle des autres ?
Si, pour terminer, je devais vous dire ce dont je rêve, comme la plupart de mes semblables, malgré mon impuissance, je dirais ceci : je souhaite que le plus grand nombre de gens possible comprennent qu’il est de leur devoir de se soustraire à l’emprise de ces blocs, de ces Églises, de ces organisations qui détiennent un pouvoir hostile à l’être humain, non pas dans le but de créer de nouvelles communautés, mais afin de réduire le potentiel d’anéantissement dont dispose le pouvoir en ce monde. C’est peut-être la seule chance qu’ait l’être humain de pouvoir un jour se conduire comme un homme parmi les hommes, de pouvoir redevenir la joie et l’ami de ses semblables. “
Publié en 1950 dans les colonnes de l’hebdomadaire Vi (Nous), organe de presse des coopératives suédoises, cet article répond à une enquête sur le thème “Croyons-nous en l’être humain ?” in La Dictature du chagrin, Agone 2001. Traduit du suédois par Philippe Bouquet.
Jeudi 14 mars visite de l’exposition Vera Molnár Parler à l’oeil au Centre Pompidou. Elle est visible du 28 février au 26 août 2024.
Vera Molnár, artiste française d’origine hongroise, est née Veronica Gács à Budapest le 5 janvier 1924. En 1947, elle s’installe à Paris avec son mari François Molnár (1922-1993). Elle est morte il y a peu à Paris, le 7 décembre 2023, dans la chambre de sa maison de retraite du 14e arrondissement.
Elle s’inscrit dans le courant de l’abstraction géométrique. Informaticienne avant l’heure, elle met en place dès 1959 un mode de production qu’elle nomme “Machine imaginaire”, protocole d’élaboration des formes à partir de contraintes mathématiques simples, mais riche d’infinis possibles . En 1961, elle cofonde le Groupe de recherche d’art visuel avec notamment son mari et le plasticien François Morellet (1926-2016). Elle devient en 1968 la première artiste en France à produire des dessins par ordinateur. Elle travaillait à la fin de sa vie à des vitraux pour l’abbaye de Lérins, sur l’île Saint-Honorat, en face de Cannes (Alpes-Maritimes)
Elle a été reconnue tardivement. Elle rappelait avec humour la phrase du peintre français, d’origine russe, Serge Poliakoff (1900-1969) : “La vie d’un peintre, c’est très simple, il n’y a que les soixante premières années qui sont dures.” Malevitch et Mondrian l’ont toujours fascinée. Elle admirait Le Corbusier et Fernand Léger.
Une de ses oeuvres exposées s’appelle OTTWW 1984-2010 (fil noir, clous. Paris, centre Pompidou). Elle a attiré mon attention. Le carton dit ceci : ” Conçue pour un Festival du vent à Caen, cette installation s’inspire d’un poème fameux du poète romantique anglais Percy Bysshe Shelly, Ode to the West Wind (1820), auquel Vera Molnár est attachée. Résultant d’un algorithme créé par l’artiste, les formes angulaires sont issues d’une figure mathématique reprenant la lettre W. Elles se déploient sur le mur à l’aide d’un fil de coton continu passant de clous en clous, comme les feuilles emportées par le souffle du vent évoquées par le poète. “
J’ai relu ce poème qui se trouve dans l‘Anthologie bilingue de la poésie anglaise (Bibliothèque de la Pléiade, NRF, 2005). La plupart des poèmes de Shelley qui y figurent ont été publiées dans une très belle édition en 2006 : Poèmes. Imprimerie Nationale Éditions, collection La Salamandre. Les traductions sont de Robert Ellrodt.
Ode au vent d’ouest (Percy Bysshe Shelley)
I
Ô Vent d’ouest sauvage, âme et souffle de l’automne, Toi qui, par ton invisible présence, chasses Les feuilles mortes, fantômes fuyant un enchanteur,
Jaunes et noires et pâles, et rouges de fièvre, Multitudes frappées de pestilence ! Ô toi Qui transportes jusqu’à leur sombre lit d’hiver
Les semences aillées qui, froides, y reposent, Chacune comme un mort en sa tombe, attendant Que ta Sœur azurée de Printemps sonne enfin
Son clairon sur la terre qui rêve, et menant Les troupeaux des bourgeons délicats paître l’air, Remplisse plaine et monts de couleurs et d’odeurs
Vivantes, sauvage Esprit, qui te meus en tous lieux, Qui détruis et préserves, entends ! Ô entends-moi !
II
Toi dont le flux dans les hauteurs du ciel arrache Les nuages, comme les feuilles sèches de la Terre, Aux branches mêlées du Ciel et de l’Océan,
Messagers de la pluie et l’éclair, tu déploies Á la surface bleue de ta houle aérienne, Tels les cheveux brillants soulevés sur la tête
De quelque Ménade farouche, du bord obscur De l’horizon jusqu’à la hauteur du zénith, Les tresses de la tempête proche. Toi, chant funèbre
De l’an qui meurt, et sur lequel la nuit qui tombe Se referme comme le vaste dôme d’un sépulcre, Surplombé par toute la puissance assemblée
De tes vapeurs, dense atmosphère d’où jailliront La pluie noire et le feu et la grêle, entends-moi !
III
Toi qui sus éveiller de ses rêves d’été La Méditerranée lisse et bleue, assoupie Dans les calmes remous de ses flots cristallins,
Près d’une île de ponce dans la baie de Baïes, Et vis dans leur sommeil palais et tours antiques Trembler dans la lumière plus vive de la vague,
Tout tapissés de mousse et de fleurs azurées, Si douces que les sens à les peindre défaillent ! Toi pour qui l’Atlantique aux flots étales s’ouvre,
Découvrant des abîmes, au plus profond desquels Les floraisons des mers et les bois ruisselants, Feuillage sans sève de l’Océan, reconnaissent
Ta voix, et deviennent soudain gris de frayeur, Et frémissent et se dépouillent, oh, entends-moi !
IV
Si j’étais feuille morte que tu puisses porter, Nuage assez rapide pour voler avec toi, Ou vague palpitant sous ta puissance, soumis
Par ta force à la même impulsion et à peine Moins libre que toi, l’Irréductible ; si j’étais Au moins ce que jeune je fus, et pouvais être
Ton compagnon en tes errances dans le Ciel Comme au temps où dépasser ton vol éthéré Semblait à peine un rêve, je n’aurais avec toi,
Ainsi lutté en t’invoquant dans ma détresse. Oh ! ainsi qu’une vague, une feuille, un nuage, Emporte-moi ! Sur les épines de la vie
Je tombe et saigne ! Le lourd fardeau du temps m’enchaîne, Trop pareil à toi-même : indompté, prompt et fier.
V
Fais donc de moi ta lyre comme l’est la forêt. Qu’importe si mes feuilles tombent comme les siennes ! Le tumulte harmonieux de tes puissants accords
Tirera de nous deux un son grave, automnal, Doux même en sa tristesse. Deviens, âme farouche, Mon âme ! Deviens moi-même, ô toi l’impétueux !
Disperse à travers l’univers mes pensées mortes, Ces feuilles flétries, pour que renaisse la vie, Et par la seule incantation de ce poème
Propage comme à partir d’un âtre inextinguible, Cendres et étincelles, mes mots parmi les hommes Par ma bouche, pour la Terre non encore éveillée,
Sois la trompette d’une prophétie. Ô vent ! Si vient l’Hiver, le Printemps peut-il être loin ?
Poèmes. Imprimerie Nationale Éditions. Collection La Salamandre. 2006. Traduction Robert Ellrodt.
Ode to the West Wind
I
O wild West Wind, thou breath of Autumn’s being, Thou, from whose unseen presence the leaves dead Are driven, like ghosts from an enchanter fleeing,
Yellow, and black, and pale, and hectic red, Pestilence-stricken multitudes: O thou, Who chariotest to their dark wintry bed
The winged seeds, where they lie cold and low, Each like a corpse within its grave, until Thine azure sister of the Spring shall blow
Her clarion o’er the dreaming earth, and fill (Driving sweet buds like flocks to feed in air) With living hues and odours plain and hill:
Wild Spirit, which art moving everywhere; Destroyer and preserver; hear, O hear!
II
Thou on whose stream, ‘mid the steep sky’s commotion, Loose clouds like Earth’s decaying leaves are shed, Shook from the tangled boughs of Heaven and Ocean,
Angels of rain and lightning: there are spread On the blue surface of thine aery surge, Like the bright hair uplifted from the head
Of some fierce Maenad, even from the dim verge Of the horizon to the zenith’s height, The locks of the approaching storm. Thou Dirge
Of the dying year, to which this closing night Will be the dome of a vast sepulchre, Vaulted with all thy congregated might
Of vapours, from whose solid atmosphere Black rain, and fire, and hail will burst: O hear!
III
Thou who didst waken from his summer dreams The blue Mediterranean, where he lay, Lulled by the coil of his crystalline streams,
Beside a pumice isle in Baiae’s bay, And saw in sleep old palaces and towers Quivering within the wave’s intenser day,
All overgrown with azure moss and flowers So sweet, the sense faints picturing them! Thou For whose path the Atlantic’s level powers
Cleave themselves into chasms, while far below The sea-blooms and the oozy woods which wear The sapless foliage of the ocean, know
Thy voice, and suddenly grow grey with fear, And tremble and despoil themselves: O hear!
IV
If I were a dead leaf thou mightest bear; If I were a swift cloud to fly with thee; A wave to pant beneath thy power, and share
The impulse of thy strength, only less free Than thou, O uncontrollable! If even I were as in my boyhood, and could be
The comrade of thy wanderings over Heaven, As then, when to outstrip thy skiey speed Scarce seemed a vision; I would ne’er have striven
As thus with thee in prayer in my sore need. Oh! lift me as a wave, a leaf, a cloud! I fall upon the thorns of life! I bleed!
A heavy weight of hours has chained and bowed One too like thee: tameless, and swift, and proud.
V
Make me thy lyre, even as the forest is: What if my leaves are falling like its own! The tumult of thy mighty harmonies
Will take from both a deep, autumnal tone, Sweet though in sadness. Be thou, Spirit fierce, My spirit! Be thou me, impetuous one!
Drive my dead thoughts over the universe Like withered leaves to quicken a new birth! And, by the incantation of this verse,
Scatter, as from an unextinguished hearth Ashes and sparks, my words among mankind! Be through my lips to unawakened Earth
The trumpet of a prophecy! O Wind, If Winter comes, can Spring be far behind?
Ode écrite à Florence fin 1819. Publiée avec The Sensitive, The Cloud, To a Skylark dans Prometheus Unbound, with Other Poems. Août 1820.
Madrid. 11 mars 2004. 20 ans. 193 morts, 1858 blessés. Ni oubli ni pardon. Madrid. 11 de marzo de 2004. Hace 20 años. 193 muertos, 1858 heridos. Ni olvido ni perdón.
Le grand photographe espagnol Ramón Masats est mort lundi 4 mars 2024 à Madrid. Il avait 92 ans.
Á Madrid, on le considérait comme un catalan et en Catalogne comme un madrilène. Il est pourtant né à Caldas de Montbuy (Province de Barcelone) le 17 mars 1931.
On le connaît surtout pour une photo de 1960 : Seminario de Madrid. Curas jugando al futbol, achetée par le MoMa de New York. Religion et football. Tout un symbole de l’Espagne franquiste d’alors et du national-catholicisme. Son regard et celui d’autres photographes de sa génération comme Gabriel Cualladó (1925–2003) Oriol Maspons (1928-2013), Santiago Ontañón (1930-2008), Carlos Pérez Siquier (1930-2021) Xavier Miserachs (1937-1998) ont su capter la réalité de l’Espagne pendant les interminables années de la dictature.
Ramón Masats n’aimait pas du tout qu’on lui rappelle sa photo la plus célèbre car son œuvre est riche et très variée. On le surnomme parfois le “ Cartier-Bresson espagnol”. Il aurait pu entrer dans l’agence Magnum, mais il manquait d’argent et son père, commerçant à Barcelone, lui avait coupé les vivres.
Il s’est installé définitivement à Madrid en 1957 pour travailler pour la revue La Gaceta ilustrada et pour d’autres organes de presse de l’époque : Mundo Hispánico, Arte y Hogar, Arriba, Ya… “Trabajaba como una mula para poder ser luego un vago”, disait-il.
Il a aussi pris des photos pendant le nombreu tournage de films en Espagne comme Viridiana de Luis Buñuel (1961), Le Cid (1961) et La Chute de l’Empire romain d’Anthony Mann (1964), Les 55 jours de Pékin de Nicholas Ray (1963).
Ses photos se distinguent par l’intérêt qu’il porte aux êtres humains, aux gens simples, mais aussi par son ironie, son humour.
La photoTomelloso (1960) et ses deux portraits du Général Franco sont aussi restés célèbres.
Il a publié de nombreux livres combinant photos et textes.
1962 Neutral Corner sur un gymnase de boxeurs à Madrid (Texte d’Ignacio Aldecoa). Barcelone. Lumen, Collection Palabra e imagen.
1963 Los Sanfermines (Texte de Rafael García Serrano). Espasa-Calpe.
1964 Viejas historias de Castilla La Vieja (Texte de Miguel Delibes). Barcelone, Lumen.
1985 Un paseo por Madrid (Texte de Luis Carandell). Barcelone. Lunwerg Editores.
1989 Andalucía (Texte de José Manuel Caballero Bonald). Barcelone. Lunwerg Editores.
1998 Toro (Texte de Joaquín Vidal). Barcelone. Lunwerg Editores.
2007 Cuenca en la mirada. Barcelone. Lunwerg Editores.
Il a reçu en 2004 le Prix national de Photographie et en 2014 le Prix photoEspaña pour l’ensemble de son œuvre.
On peut voir cette exposition du 27 février au 2 juin 2024 au Musée National Thyssen-Bornemisza de Madrid. Ouverture du mardi au dimanche. Accès gratuit de 21h à 23 h. Commissaire de l’exposition : Leticia de Cos Martín.
Pour la première fois depuis sa création en 1992, le musée madrilène consacre une exposition monographique à une artiste espagnole, Isabel Quintanilla, représentante d’une peinture figurative. Elle regroupe une centaine d’oeuvres qui couvrent l’ensemble de sa carrière. Ces tableaux et dessins n’ont jamais été vus en Espagne puisqu’ils se trouvent essentiellement dans des musées et des collections privées en Allemagne où ce peintre a rencontré un véritable succès dans les années 1970 et 1980 alors qu’en Espagne elle restait méconnue. Elle fait partie d’un groupe de peintres et sculpteurs réalistes qui se sont retrouvés dans les années 1950 à Madrid (Antonio López García 1936, Julio López Hernández 1930-2018, Francisco López Hernández 1932-2017). On les surnomme los realistas madrileños. Mais des femmes peintres comme María Moreno (1933-2020), épouse d’Antonio López, Amalia Avia (1930-2011), Esperanza Parada ( 1928- 2011) faisaient aussi partie de ce groupe. En Février -Mai 2016, l’ exposition Realistas de Madrid au Musée National Thyssen-Bornemisza a permis de les faire mieux connaître.
La technique et la maîtrise d’Isabel Quintanilla ont été acquises durant sa formation et toute une vie de travail. Á partir de 11 ans, elle suit des cours d’art plastique. Á 15 ans, elle entre à l’École Supérieure des Beaux-Arts dont elle sort diplômée en 1959. Elle s’est aussi consacrée à l’enseignement. Elle épouse le sculpteur Francisco López Hernández en 1960.
Isabel Quintanilla peint ses objets personnels, les pièces de ses différents domiciles et ateliers. Le travail sur la lumière est remarquable. La peinture était sa vie et sa vie était la peinture. « Las soledades me emocionan profundamente, ese teléfono solitario, ese sitio donde se trajina y de repente se ha quedado mudo. Eso me emociona tanto que lo quiero intentar pintar. », disait-elle à la fin de sa vie. Elle ne peignait pas plus de 3 ou 4 tableaux par an.
On retient particulièrement le tableau Homenaje a mi madre (1971 Munich, Pinakothek der Moderne) qui représente la machine à coudre de sa mère couturière. Cette activité permit à sa famille de subsister dans les très difficiles conditions de l’après-guerre civile. En effet, son père, José Antonio Quintanilla, ingénieur des mines et commandant de l’armée républicaine, est décédé en 1941 dans la prison de Valdenoceda (Burgos), suite aux mauvais traitements. Cette ancienne usine de farine fut utilisée de 1938 à 1943 par les franquistes. 1600 prisonniers républicains y étaient entassés alors que la capacité maximum était de 300 personnes. Les associations très actives depuis la “loi sur la mémoire historique”, votée le 31 octobre 2007, ont recensé 152 morts dues à la rudesse du climat, aux maladies et à la sous-alimentation. “Ana Faucha, madre de uno de los presos del penal, viajó desde Andalucía hasta Valdenoceda para ver a su hijo por última vez. Tras negarle la entrada en repetidas ocasiones, aparecería muerta una mañana en los alrededores de la cárcel con el paquete de comida entre las manos y cubierta de nieve. Ana Faucha se convertiría en símbolo de las madres de los presos políticos.” Marcos Ana, Decidme cómo es un árbol. Memoria de la prisión y la vida. Barcelona, Umbriel. 2007.