J’ai vu ces derniers temps à Paris deux très riches expositions de photographies : Corps à corps Histoire(s) de la photographie (Centre Pompidou 6 septembre 2023 – 25 mars 2024) et Noir & blanc : une esthétique de la photographie (BnF 17 octobre 2023 – 21 janvier 2024). Les photographes espagnols y sont très peu représentés. C’est dommage, selon moi.
La photographe catalane Colita (de son vrai nom Isabel Steva Hernández) est décédée le 31 décembre 2023 à 83 ans. C’était une référence du photojournalisme à Barcelone.
Elle est née le 24 août 1940 dans une famille bourgeoise du quartier de l’Eixample (Ensanche). Son père lui offre un appareil photo quand elle a douze ans. Après une scolarité dans une école de religieuses, ses parents l’inscrivent dans un cours de secrétariat. Elle refuse de se marier et part en 1957 à Paris suivre un cours de langue et de civilisation française à la Sorbonne. Ses parents viennent la chercher en 1958 car elle refuse de rentrer.
De retour à Barcelone, elle rencontre les photographes Oriol Maspons (1928-2013) et Xavier Miserachs (1937-1998). Elle se professionnalise en 1961 dans l’atelier de ce dernier, où elle travaille comme secrétaire, mais apprend aussi les techniques de laboratoire. Miserachs lui laisse faire la photographie du film Los Tarantos (1963) de Francesc Rovira-Beleta. Au cours du tournage, elle devient amie avec la chanteuse et danseuse de flamenco Carmen Amaya (1913-1963) et découvre le monde des gitans.
Sa production tourne surtout autour du monde du flamenco, du théâtre, du spectacle. Elle saisit à merveille l’ambiance de la fin des années 1970 dans sa ville ainsi que l’effervescence politique de la transition. Elle est associée au monde culturel catalan : la Discothèque Bocaccio, la Gauche Divine, la Nova Cançó. Elle photographie aussi bien la haute bourgeoisie catalane que les bidonvilles de Somorrostro ou le Barrio Chino.
Elle collabore à des publications telles que Destino, Triunfo, Interviú, Fotogramas, Telexprés, Mundo Diario.
Elle a organisé plus de 40 expositions et publié plus de 30 livres, dont Luces y sombras del flamenco (Lumen, 1975. Texte du romancier et poète José María Caballero Bonald). Ses œuvres font partie des collections des principaux musées espagnols : Museu Nacional d’Art de Catalunya (MNAC) à Barcelone, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid.
Elle a laissé une belle galerie de portraits de célébrités : Gabriel García Márquez, Mario Vargas Llosa, Rafael Alberti, Jaime Gil de Biedma, Ana María Matute, Terenci y Ana María Moix, Joan Miró, Salvador Dalí, Orson Welles, Carmen Amaya, Antonio Gades, Joan Manuel Serrat.
Elle se déclarait féministe, de gauche et athée. En 2014, elle refuse le Prix National de la Photographie, décerné par le Ministère de la culture par opposition à la politique du gouvernement du Parti Populaire dirigé par Mariano Rajoy.
“En 1987, Colita fotografió a un cerdo que era feliz. “Lo tenían en la granja solo para que comiera y cubriera a las hembras, así que era verdaderamente feliz”, recuerda la fotógrafa. Su rostro tremendo y contento (el del cerdo) nos observa desde la foto en blanco y negro, una a la que Colita tiene especial cariño y que suele regalar a sus amigos para que la pongan en la cocina y les alegre el día.” (PHOTOESPAÑA 2015. El cerdo y la ‘gauche divine’. (Sergio C. Fanjul) (El País, 17 juin 2015)