Deux poèmes d’Antonio Machado. Merci à la Fundación Española Antonio Machado Soria-Madrid.
LVII. Consejos
I
Este amor que quiere ser acaso pronto será; pero ¿cuándo ha de volver lo que acaba de pasar? Hoy dista mucho de ayer. ¡Ayer es Nunca jamás!
II
Moneda que está en la mano quizá se deba guardar: la monedita del alma se pierde si no se da.
Soledades, 1903.
LVII. Conseils
I
Cet amour qui veut être existera bientôt peut-être ; mais quand donc reviendra ce qui vient de passer ?
Aujourd’hui est très loin d’hier. Hier signifie Plus jamais.
II
Cette pièce au creux de la main peut-être faut-il la garder ; la petite monnaie de l’âme si on ne la donne, est perdue.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies dela guerre. NRF Poésie/Gallimard n°144. 2004.
CXXXVII Parábolas IV Consejos
Sabe esperar, aguarda que la marea fluya – así en la costa un barco – sin que el partir te inquiete. Todo el que aguarda saber que la victoria es suya; porque la vida es larga y el arte es un juguete. Y si la vida es corta y no llega la mar a tu galera, aguardar sin partir y siempre espera, que el arte es largo y, además, no importa.
Campos de Castilla, 1912.
CXXXVII PARABOLES IV Conseils
Il faut savoir attendre, attends le flux de la marée, – comme une barque sur le rivage -, sans que le départ t’inquiète. Quiconque attend sait que la victoire est à lui ; car la vie est longue et l’art est un jouet. Et si la vie est courte et si la mer n’arrive à ta galère attends sans partir et espère toujours, car l’art est long et, d’ailleurs, c’est sans importance.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre. NRF Poésie/Gallimard n°144. 2004.
Je lis le troisième tome du Journal de Rafael Chirbes (Diarios. A ratos perdidos 5 y 6. Anagrama, 2023). Le grand romancier de la crise espagnole est mort le 15 août 2014, à 66 ans, d’un cancer du poumon. Son importance avait été reconnue en Espagne avec la publication de Crematorio (Anagrama, 2007) et de En la orilla (Anagrama, 2007). Ces deux romans ont été publiés en français aux Éditions Rivages (Crémation, 2009 et Sur le rivage, 2015. Traduction de Denise Laroutis).
Il décrit la mort de son jeune chat : “Y aquello de Vallejo, tanto amor y no poder nada contra la muerte, lo que viene a decir ese poema que se dice “Masa”. Pero en el poema, al final, la solidaridad de todos los hombres consigue que el cadáver eche a andar, versión laica del Lázaro de los Evangelios. La gran máquina fraternal del comunismo. Pero eso no es verdad, no hay consuelo.” (pages 73-74)
Je me souviens que ce poème était chanté par Daniel Viglietti (1939-2017) dans son album Canciones para miAmérica, édité en 1968 par Le Chant du Monde (LDX 7-4362).
Le poème est daté du 10 novembre 1937, mais selon certains critiques il a pu être écrit en 1929 ou 1930. Tous les textes de España, aparta de mí este cáliz ont été réécrits. Le recueil a été publié de manière posthume à la fin de la guerre civile espagnole. Vallejo évoque l’agonie de l’Espagne républicaine, mais aussi celle du poète lui-même. On remarque les nombreuses allusions bibliques et la résurrection de Lazare.
Masa
Al fin de la batalla, y muerto el combatiente, vino hacia él un hombre y le dijo: «¡No mueras, te amo tanto!» Pero el cadáver ¡ay! siguió muriendo.
Se le acercaron dos y repitiéronle: «¡No nos dejes! ¡Valor! ¡Vuelve a la vida!» Pero el cadáver ¡ay! siguió muriendo.
Acudieron a él veinte, cien, mil, quinientos mil, clamando «¡Tanto amor y no poder nada contra la muerte!» Pero el cadáver ¡ay! siguió muriendo.
Le rodearon millones de individuos, con un ruego común: «¡Quédate hermano!» Pero el cadáver ¡ay! siguió muriendo.
Entonces todos los hombres de la tierra le rodearon; les vio el cadáver triste, emocionado; incorporóse lentamente, abrazó al primer hombre; echóse a andar…
(10 noviembre 1937)
España, aparta de mí este cáliz. Montserrat, Ediciones Literarias del Comisariado. Ejército del Este, 1939.
Masse
La bataille finie, et mort le combattant, est venu vers lui un homme qui lui a dit : « Ne meurs pas; je t’aime tant ! » Mais le cadavre, hélas ! persista à mourir.
Deux autres hommes vinrent à lui et lui redirent : « Ne nous quitte pas ! Courage! Reviens à la vie ! » Mais le cadavre, hélas ! persista à mourir.
Vingt, cent, mille, cinq cent mille se rendirent près de lui clamant : « Tant d’amour et ne rien pouvoir contre la mort ! » Mais le cadavre, hélas ! persista à mourir.
L’entourèrent des millions d’individus, implorant d’une seule voix : « Reste, frère ! Mais le cadavre, hélas! persista à mourir.
Alors, tous les hommes de la terre l’entourèrent; les vit le cadavre triste, ému ; il se releva lentement, serra dans ses bras le premier homme; se mit à marcher…
Je viens de lire Cinq femmes. Sur la scène intérieure, II de Marcel Cohen. Gallimard, 2023.
Il a publié ces dernières années une trilogie :
Faits ILecture courante à l’usage des grands débutants. Gallimard, 2002
Faits II. Gallimard, 2007.
Faits III. Suite et fin. Gallimard, 2010.
Sur la scène intérieure. Faits. Gallimard, L’un et l’autre, 2013, contient et expose tout ce dont il se souvient, et tout ce que il a pu pu apprendre aussi sur huit membres de sa famille disparus à Auschwitz en 1943 et 1944 : son père Jacques (né le 20 février 1902 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943) ; sa mère Maria (née le 9 octobre 1915 à Istanbul. Convoi n°63 du 17 décembre 1943) ; sa petite soeur Monique (née le 14 mai 1943 à Asnières. Convoi n°63 du 17 décembre 1943) ; ses grands-parents paternels (Mercado, né en 1864 à Istanbul et Sultana, née en 1871 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943) ; deux oncles (Joseph né le 10 août 1895 à Istanbul. Convoi n°59 du 2 septembre 1943. David Salem né le 29 avril 1908 à Constantinople. Convoi n°75 du 30 mai 1944) ; une grand-tante Rebecca (née le 13 avril 1875 à Istanbul. Convoi n° 59 du 2 septembre 1943). Ce “tout” se résume à très peu, et c’est poignant.
Cinq femmes est sous-titré Sur la scène intérieure, II.
Tiphaine Samoyault souligne dans son feuilleton littéraire du Monde ( 19 octobre 2023) : Cinq femmes, de Marcel Cohen (Le Monde, 19 octobre 2023) :
” Ses livres se raccrochent les uns aux autres par une sorte de fidélité, valeur qui, avec la justesse et l’humilité, est au cœur de toute son œuvre : fidélité aux disparus, à celles et ceux dont le souvenir s’efface ou dont les noms ne disent rien à personne ; fidélité aux détails, aux surfaces, aux objets, aux odeurs. La fidélité à soi rassemble toutes les autres et se caractérise par des yeux ouverts à l’intérieur. ”
Alain Finkielkraut l’a reçu dans son émission Répliques sur France Culture le samedi 7 octobre 2023.
La jeunesse de Marcel Cohen a été terrible. Il était orphelin à six ans. Alors que la plus grande partie de sa famille a été exterminée, des femmes l’ont soutenu, l’ont sauvé. Il évoque dans ce livre cinq d’entre elles : Annette, Raymonde, Lily, Mme Gobin, Gabrielle.
Annette Voland qui travaillait comme bonne à tout faire chez les Cohen, cacha le petit Marcel à Messac (Ille-et-Vilaine) où vivait son mari Mathurin Gru jusqu’à la fin de la guerre.
« On tua un jour un cochon provenant d’une ferme dans la cave des Gru, bien que ce fût interdit. Plusieurs inconnus s’affairèrent dans le jardin, la cave et la cuisine avec des mines de conspirateurs : des professionnels de la charcuterie qui officiaient à domicile. Ils étaient pressés d’en finir. Dans le même temps, Annette et quelques femmes s’activèrent longtemps dans la cuisine pour fabriquer boudin et saucisses. Les inconnues repartaient avec des provisions au fond de leur panier, sous un torchon. Je me tenais au loin, mais comment ne pas entendre depuis le fond du jardin les cris du cochon qui n’en finissaient pas ? Les soies, sur la couenne rose du lard conservé dans le saloir en grès de la cave, sont restées synonymes de haut-le-coeur et de frayeur. Des torchons tachés de sang, des tabliers et des couteaux souillés trempaient dans de l’eau chaude savonneuse : une odeur sucrée, écoeurante qui persista longtemps, y compris dans le jardin à l’endroit où l’on jeta l’eau tiède au milieu des mauvaises herbes. » (pages 47-48)
Il cite à la fin du livre un poème d’Eugène Guillevic, le premier poète vivant qu’il ait lu.
” L’un des plus terribles poèmes de Guillevic s’intitule Enfance. il parle du cochon que l’on égorge. (…) C’est la première fois qu’un texte me concernait aussi directement. Guillevic écrit :
” Il faudrait apprendre
Á vivre avec ça.” (page 148)
Enfance (Eugène Guillevic)
Il y avait le cochon qu’on égorge Et ça n’en finissait pas,
Ce cri que le bourg Autrement taisait.
La preuve, c’est que rien, Pendant le cri, N’était changé,
Les murs, ni les gens, Ni les quelques roses.
Tous, à part l’enfant, Ils savaient tous Que c’était ainsi. Il faudrait apprendre A vivre avec ça,
A déboucher Des chemins creux.
*
Elle Pourtant viendrait,
Peut-être au bout D’un chemin creux :
Être l’un à l’autre La mer et la vague,
Et le temps n’est plus Pour moi que ta lèvre.
Allons nous couvrir De la nuit des temps.
*
Mais va donc rester Ce cri par les airs, La terre et la pierre.
Éloge de l’abstraction. Les peintres de l’Académie des beaux-arts dans les collections de la Fondation Gandur pour l’Art.
Pavillon Comtesse de Caen de l’Académie des beaux-arts (Palais de l’Institut de France, 27 quai de Conti, Paris VI). Du 12 octobre au 26 novembre 2023. Du mardi au dimanche de 11 heures à 18 heures. Fermeture de 13 heures 30 à 14 heures. Entrée libre et gratuite.
Les grandes expositions ne manquent cet automne à Paris : Nicolas de Staël – magnifique -, Vincent Van Gogh – ses derniers mois à Auvers-sur-Oise -, Mark Rothko – impressionnante rétrospective du 18 octobre 2023 au 2 avril 2024 à la Fondation Louis Vuitton – . Trois peintres qui se sont suicidés. Elles procurent beaucoup de plaisir, mais il est parfois un peu gâché par la foule qui s’y presse. D’autres expositions, dans des lieux moins fréquentés, permettent de voir ou de revoir les oeuvres de peintres qui ont été sur le devant de la scène artistique dans le Paris de l’après-guerre.
L’Académie des Beaux-Arts présente 25 tableaux de 7 artistes, tous anciens membres de l’Académie des beaux-arts : Jean Bertholle (1909-1996), Chu Teh-Chun 1926-2014), Olivier Debré (1920-1999), Hans Hartung (1904-1989), Georges Mathieu (1921-2012), Antoni Tàpies (1923-2012), Zao Wou-Ki (1920-2013). Elles proviennent de la Fondation Gandur pour l’Art. Parmi ces 7 peintres, mes préférés sont : Hartung, Tàpies et Zao Wou-Ki. Georges Mathieu est le mieux representé avec huit tableaux. C’est celui qui me convainc le moins.
Nous avons pu voir à Paris ces dernières années de belles expositions sur l’abstraction lyrique : L’Envolée lyrique – Paris 1945-1956 du 26 avril au 6 août 2006 au Musée du Luxembourg ; Zao Wou-ki. L’espace est silence du 1 juin 2018 au 6 janvier 2019 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris ; la Donation Zao Wou-Ki au Musée d’Art Moderne de Paris du 14 avril au 01 décembre 2023.
Louise Glück, poétesse américaine et prix Nobel de littérature en 2020, est morte d’un cancer le 13 octobre 2023 à Cambridge (Massachusetts). Elle avait quatre-vingts ans. Elle était née le 22 avril 1943 à New York, au sein d’une famille d’origine hongroise. Elle a été peu traduite en France avant le prix Nobel. Gallimard a publié en 2021 L’iris sauvage (1992) et Nuit de foi et de vertu (2014), puis en 2022 Meadowlands et Averno. J’ai lu ses poèmes à la fin du confinement.
Son dernier recueil, Recueil collectif de recettes d’hiver, sortira le 9 novembre 2023 dans la collection Du Monde entier (Gallimard) en même temps qu’un volume de la collection Poésie/Gallimard : L’iris sauvage – Meadowlands – Averno, avec une préface inédite de sa traductrice Marie Olivier.
« Et le monde passe, tous les mondes, chacun plus beau que le précédent. »
Je retranscris deux poèmes de cette écrivaine majeure de la poésie de langue anglaise.
The Wild Iris
At the end of my suffering there was a door.
Hear me out: that which you call death I remember.
Overhead, noises, branches of the pine shifting. Then nothing. The weak sun flickered over the dry surface.
It is terrible to survive as consciousness buried in the dark earth.
Then it was over: that which you fear, being a soul and unable to speak, ending abruptly, the stiff earth bending a little. And what I took to be birds darting in low shrubs.
You who do not remember passage from the other world I tell you I could speak again: whatever returns from oblivion returns to find a voice:
from the center of my life came a great fountain, deep blue shadows on azure seawater.
The Wild Iris. New York: Ecco Press, 1992.
L’iris sauvage
Au bout de ma douleur il y avait une porte.
Écoute-moi bien : ce que tu appelles la mort, je m’en souviens.
En haut, des bruits, le bruissement des branches de pin. Puis plus rien. Le soleil pâle vacilla sur la surface sèche.
C’est une chose terrible que de survivre comme conscience enterrée dans la terre sombre.
Puis ce fut terminé : ce que tu crains, être une âme et incapable de parler prenant brutalement fin, la terre raide pliant un peu. Et ce que je crus être des oiseaux sautillant dans les petits arbustes.
Toi qui ne te souviens pas du passage depuis l’autre monde je te dis que je pouvais de nouveau parler : tout ce qui revient de l’oubli revient pour trouver une voix :
du centre de ma vie surgit une grande fontaine, ombres bleu foncé sur eau marine azurée.
L’iris sauvage. Gallimard, 2021. Traduction Marie Olivier. Pages 24-25.
Early Darkness
How can you say earth should give me joy? Each thing born is my burden; I cannot succeed with all of you.
And you would like to dictate to me, you would like to tell me who among you is most valuable, who most resembles me. And you hold up as an example the pure life, the detachment you struggle to acheive–
How can you understand me when you cannot understand yourselves? Your memory is not powerful enough, it will not reach back far enough–
Never forget you are my children. You are not suffering because you touched each other but because you were born, because you required life separate from me.
The wild iris. New York: Ecco Press, 1992.
Tombée du jour
Comment peux-tu dire que la terre devrait me procurer de la joie ? Toute chose qui naît est mon fardeau ; je ne peux réussir avec chacun d’entre vous.
Et vous voudriez me tenir tête, vous voudriez me dire lequel d’entre vous a le plus de valeur, lequel me ressemble le plus. Et vous brandissez comme exemple la vie elle-même, le détachement auquel vous vous efforcez de parvenir –
Comment pouvez-vous me comprendre alors que vous ne vous comprenez pas vous-mêmes ? Votre mémoire n’est pas assez puissante, ne remontera pas assez loin –
N’oubliez jamais que vous êtres mes enfants. Ce n’est pas parce que vous vous êtes touchés que vous souffrez, mais parce que vous êtes nés, parce que vous aviez besoin de vivre séparés de moi.
L’iris sauvage. Gallimard, 2021. Traduction Marie Olivier. Pages 112-113.
Garcilaso de la Vega est un poète et un militaire du Siècle d’or espagnol. Il est né à Tolède en 1501 dans une illustre famille. Il apprend le grec, le latin, l’italien, le français, la musique et l’escrime. Il entre en 1520 au service de Charles Quint comme membre de la Garde royale. Il participe à la répression des Comunidades de Castille (1521), à la prise de Fontarabie (1523), aux sièges de Vienne (1529) et de Tunis (1535). Il est nommé membre de l’Ordre de Santiago. En 1525, il épouse Doña Elena de Zúñiga, dame de compagnie de la reine Éléonore, sœur de Charles Quint. Ils auront cinq enfants. 1526 est une année très importante. il reçoit Charles Quint chez lui à Tolède et rencontre à Grenade Doña Isabel Freyre, dame portugaise dont il tombe amoureux. Elle lui inspire poèmes et églogues. Il l’appelle Elisa. Elle épousera en 1529 un autre homme et mourra en couches en 1533. Garcilaso est blessé en octobre 1536 lors d’un assaut contre la forteresse du Muy, près de Fréjus. Il meurt à Nice, où il avait été transporté, le 13 ou le 14 octobre 1536. Il est l’ami et le disciple du poète catalan Juan Boscán (entre 1485 et 1492-1542). Il imite Pétrarque et Virgile et introduit en Espagne le goût italien. On lui doit trente-huit sonnets, deux élégies, une épître, trois églogues et cinq chansons. Ses oeuvres seront publiées avec celles de Boscán en 1543 à Barcelone. C’est le type même du poète de la Renaissance en Espagne. Il y joue un rôle analogue à celui de Ronsard en France. Sa poésie a marqué Góngora, Luis de León, saint Jean de la Croix, Cervantes, Gustavo Adolfo Bécquer, Luis Cernuda, Rafael Alberti, Miguel Hernández entre autres. Pedro Salinas (1891-1951) lui emprunte le titre de son recueil poétique le plus important, La voz a ti debida (1933). Carlos Saura intitulera une de ces films, Elisa vida mía (1977)
¿Quién me dijera, Elisa, vida mía, cuando en aqueste valle al fresco viento andábamos cogiendo tiernas flores, que había de ver, con largo apartamiento, venir el triste y solitario día que diese amargo fin a mis amores? El cielo en mis dolores cargó la mano tanto que a sempiterno llanto y a triste soledad me ha condenado; y lo que siento más es verme atado a la pesada vida y enojosa, solo, desamparado, ciego, sin lumbre en cárcel tenebrosa.
Je connais deux traductions :
Première Églogue de Garcilaso, vers 282 : “¡Quién me dijera, Elisa, vida mía !”. Plainte de Nemoroso.
Qui m’eût dit, Élise, ô ma vie, lorsque dans le vent frais de ce vallon nous marchions en cueillant de tendres fleurs, que je verrais avec une si longue absence venir le triste et solitaire jour qui mettrait une fin amère à mes amours ? Le ciel pour ma douleur eut si lourde la main qu’à des pleurs éternels et à triste solitude il m’a condamné ; et ce qui plus me navre est de me voir lié à cette vie et pesante et fastidieuse, tout seul, abandonné, aveugle, sans lumière, en prison ténébreuse.
Poemas. Poèmes. Bilingue Aubier-Flammarion. 1968. Traduction Paul Verdevoye.
Qui m’aurait dit, Élise, mon amour, lorsque, dans la fraîcheur de ce vallon, à tes côtés cueillais de tendres fleurs, que je verrais, longue séparation, venir le triste et solitaire jour qui mettrait fin amère à mon bonheur. Le ciel pour ma douleur eut une main si dure qu’à sanglots qui perdurent et triste solitude m’a contraint. Et d’être lié plus encore crains à cette fâcheuse et pesante vie, esseulé, sans soutien, dans l’aveugle prison où rien ne luit.
Anthologie bilingue de la poésie espagnole. NRF Gallimard Bibliothèque de la Pléiade. 1995. Traduction Patrice Bonhomme.
Le film de Carlos Saura est interprété par Fernando Rey, Geraldine Chaplin, Ana Torrent. Fernando Rey a obtenu le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes en 1977.
J’ai lu dans Charlie Hebdo du 4 octobre 2023 l’article de Philippe Lançon (Le torrent Neruda) sur le Quarto Gallimard Résidersur la terre. Oeuvres choisies que je conseille à nouveau. Les traductions ont été revues, mais Claude Couffon était un très bon traducteur. Merci à lui pour son travail sur Federico García Lorca et Miguel Hernández particulièrement.
VI
Paz para los crepúsculos que vienen, paz para el puente, paz para el vino, paz para las letras que me buscan y que en mi sangre suben enredando el viejo canto con tierra y amores, paz para la ciudad en la mañana cuando despierta el pan, paz para el río Mississippi, río de las raíces: paz para la camisa de mi hermano, paz en el libro como un sello de aire, paz para el gran koljós de Kíev, paz para las cenizas de estos muertos y de estos otros muertos, paz para el hierro negro de Brooklyn, paz para el cartero de casa en casa como el dia, paz para el coreógrafo que grita con un embudo a las enredaderas, paz para mi mano derecha, que sólo quiere escribir Rosario: paz para el boliviano secreto como una piedra de estaño, paz para que tú te cases, paz para todos los aserraderos de Bío Bío, paz para el corazón desgarrado de España guerrillera: paz para el pequeño Museo de Wyoming en donde lo más dulce es una almohada con un corazón bordado, paz para el panadero y sus amores y paz para la harina: paz para todo el trigo que debe nacer, para todo el amor que buscará follaje, paz para todos los que viven: paz para todas las tierras y las aguas.
Yo aquí me despido, vuelvo a mi casa, en mis sueños, vuelvo a la Patagonia en donde el viento golpea los establos y salpica hielo el Océano. Soy nada más que un poeta: os amo a todos, ando errante por el mundo que amo: en mi patria encarcelan mineros y los soldados mandan a los jueces. Pero yo amo hasta las raíces de mi pequeño país frío. Si tuviera que morir mil veces allí quiero morir: si tuviera que nacer mil veces allí quiero nacer, cerca de la araucaria salvaje, del vendaval del viento sur, de las campanas recién compradas. Que nadie piense en mí. Pensemos en toda la tierra, golpeando con amor en la mesa. No quiero que vuelva la sangre a empapar el pan, los frijoles, la música: quiero que venga conmigo el minero, la niña, el abogado, el marinero, el fabricante de muñecas, que entremos al cine y salgamos a beber el vino más rojo.
Yo no vengo a resolver nada.
Yo vine aquí para cantar
y para que cantes conmigo.
IX Qué despierte el leñador. Canto general. 1950.
VI
Paix pour les crépuscules qui s’avancent, paix pour le pont, paix pour le vin, paix pour les lettres qui me cherchent et montent dans mon sang, y emmêlant le vieux chant et la terre, les amours, paix pour la ville au petit jour quand s’éveille le pain, paix pour le fleuve des racines, pour le Mississippi : paix pour la chemise de mon prochain, paix dans le livre comme un sceau de vent, paix pour Kiev et son grand kolkhoze, paix pour les cendres de ces morts et de ces autres morts, paix pour le fer noir de Brooklyn, paix pour le facteur qui se rend de maison en maison comme le jour, paix pour le chorégraphe qui crie ses paroles dans un entonnoir, aux volubilis, paix pour ma main droite qui ne veut écrire que Rosario : paix pour le Bolivien secret comme une pierre d’étain, paix pour que tu te maries, paix pour toutes les scieries du Bío Bío, paix pour le coeur écartelé de l’Espagne guérillera : paix pour le petit musée du Wyoming où le plus doux est un coussin avec un coeur brodé, paix pour le boulanger et ses amours et paix pour la farine : paix pour tout le blé à naître, pour tout l’amour qui cherchera la frondaison, paix pour tous ceux qui vivent : paix pour toutes les terres et les eaux.
Je prends congé, je rentre chez moi, dedans mes rêves, je retourne à cette Patagonie où le vent frappe les étables et où l’Océan disperse la glace. Je ne suis qu’un poète et je vous aime tous, je vais errant par le monde que j’aime : dans ma patrie on emprisonne les mineurs et le soldat commande au juge. Mais j’aime, moi, jusqu’aux racines de mon petit pays si froid. Si je devais mourir cent fois, c’est là que je veux mourir, si je devais naître cent fois, c’est là aussi que je veux naître, près de l’araucaria sauvage, des bourrasques du vent du sud, des cloches depuis peu acquises. Que personne ne pense à moi. Pensons à toute la terre, frappons amoureusement sur la table. Je ne veux pas revoir le sang imbiber le pain, les haricots noirs, la musique : je veux que viennent avec moi le mineur, la fillette, l’avocat, le marin et le fabricant de poupées, que nous allions au cinéma, que nous sortions boire le plus rouge des vins.
Je ne veux rien résoudre.
Je suis venu ici chanter, je suis venu
afin que tu chantes avec moi.
IX Que s’éveille le bûcheron. Chant général. 1950. Traduction Claude Couffon révisée par Stéphanie Decante.
Carlos Saura, cinéaste espagnol, est mort le 10 février 2023 chez lui à Collado Mediano (Madrid) à 91 ans. Il était né à Huesca (Aragon) le 4 janvier 1932. Il a réalisé dans les années 60 et 70, malgré la censure franquiste, des films qui ont marqué le cinéma de son époque. Il ne voulait pas perdre son temps à écrire ses mémoires, mais la pandémie et le confinement l’ont fait changé d’avis. La maison d’édition Taurus vient de les publier. La mort l’a empêché de les achever. Le livre est intéressant par l’évocation de sa famille, de ses amis et les nombreuses photos tirées de ses archives personnelles. Il a été marié quatre fois et a eu sept enfants. Il évoque bien les arts qui l’ont passionné toute sa vie : la photographie, le cinéma, la peinture, la musique, l’opéra, le théâtre. Il a réalisé une cinquantaine de films. Il a travaillé jusqu’à sa mort. Il préparait un documentaire Las paredes hablan et une série de 6 épisodes de 50 minutes sur Federico García Lorca, Las voces perdidas (Saura busca Lorca), qui sera menée à bien par son fils, Carlos Saura Medrano.
Ce passage est significatif de son état d’esprit à la fin de sa vie :
“Con el estado de ánimo de quien reconoce que la vida ha sido amable, y que sería un desagradecido si no reconociera que hasta ahora los momentos placenteros han superado con creces aquellos otros dominados por la amargura y la desesperación, ahora me encuentro, con 90 años en las espaldas y en otro siglo del que nací, en condiciones de reflexionar sobre la persistencia de ciertas imágenes en la retina. Esas imágenes me han acompañado para recordarme que sí hay una respuesta a las grandes preguntas: ¿de dónde vienes y adónde vas? Vengo de allí, de la guerra. Voy allá, hacia la muerte, y entre medias la vida de cada día”.
Les portraits qu’il fait de Luis Buñuel et de Charlie Chaplin sont remarquables. Voilà les deux lettres que Saura et Buñuel s’échangèrent avant la mort de ce dernier le 29 juillet 1983 à Mexico.
Finales de 1982
Querido Luis:
Cuando a los dieciocho años decidí dedicarme a la fotografía, dejando a un lado mis estudios de ingeniero, de Luis Buñuel solo sabía que estaba prohibido, que era aragonés y que en los años veinte había hecho en Francia algunas películas experimentales. Más tarde, en la antigua Escuela de Cine, tuve le oportunidad de ver Tierra sin pan. Debo reconocer que nunca me he sentido atraído por tus films llamados «surrealistas». Ni Un perro andaluz ni La edad de oro me han apasionado, pero Tierra sin pan me dejó anonadado, no era un documental al uso, no lo era en el sentido que los ingleses daban a los documentales subjetivos de la escuela de Grierson, algunos admirables por otra parte, pero que a mí me aburrían bastante. Tú opinabas. No te quedabas fuera: no eras «objetivo»; participabas de lo que contabas, y un cierto humor siniestro y cruel colaboraba ferozmente a que uno se sintiera profundamente incómodo ante la denuncia que suponía Tierra sin pan. No he querido volver a verla para conservar intacta esa primera impresión. Tierra sin pan es un documento, un ensayo y una obra personal: libre y rigurosa a la vez. Tiene el rigor de una mente científica, que siempre has conservado, mal que te pese, que diría un aragonés. Ese rigor que te llevo a estudiar ciencias, a disciplinar tu vida y a coleccionar armas de fuego tratando de encontrar la bala imposible, esa que no mata. ¿Es Tierra sin pan un punto y aparte en tu fimografía?¿Por qué no seguiste ese camino extraordinario? Más todavía, ¿Por qué ningún cineasta español siguió ese camino? Ya en los años sesenta Bardem y Berlanga habían empezado a romper el duro cascarón que nos oprimía y un soplo de aire fresco animaba nuestros intoxicados pulmones, pero fuiste tú, Luis, el que abriste para mí las puertas y las ventanas hacia mundos hasta entonces solo intuidos. Fue en el Festival de Cannes de 1960 cuando te encontré. ¿Te acuerdas? Yo iba con Los golfos, mi primera película, ilusionado, deslumbrado, intimidado por todo. En aquel festival estaban Buñuel, Antonioni, Fellini y Bergman, entre otros. En París, justo antes de llegar a Cannes, había visto Á bout de souffle, de Godard. Eran momentos de conmoción en el ámbito cinematográfico y los grandes cambios se estaban realizando ya. Allí, Luis, en Cannes 1960, nos conocimos y nació, de nuestras conversaciones con Pedro Portabella, la posibilidad de tu vuelta a España después de más de veinte años de exilio. Allí empezó a fraguarse Viridiana y una amistad que perdurará más allá del tiempo y la distancia. Me parece un poco inútil decirte que eres uno de los más grandes cineastas y prefiriría no repetir que has hecho películas llenas de inteligencia, antirretóricas, llenas de humor – un humor muy especial no apto para todos los públicos, aragonés, no se me ocurre una mejor definición -. Además, eres de los cineastas que han puesto títulos más hermosos a sus películas : Los olvidados, Él, El ángel exterminador, El discreto encanto de la burguesía, LaVía Láctea, El fantasma de la libertad, Ese oscuro objeto del deseo. El último suspiro, especie de película-libro, inclasificable. Cuando a Cervantes le reprochaban que la segunda parte del Quijote era la obra de un viejo, él que apenas tenía sesenta años – aunque para la época eso debía de ser mucho – respondió: «No se escribe con las canas, sino con la inteligencia.». Con la inteligencia y la sensibilidad hiciste entre los cincuenta y los ochenta, películas deslumbrantes por sus poderosas imágenes. Cuánto me inquietan esas imágenes, ese sueño terrible de carne que se desplaza, carnaza sin vida, carne muerta, «carnuza», que dicen en nuestra tierra. Y esas irrupciones de personajes ocasionales que aprecen y desaparecen para contarnos cualquier historia infantil: el pasillo de la casa materna, la luz amarillenta de aquellos años, los armarios gigantescos llenos de misterios con las luminosas puertas acristaladas al final del corredor. Lo hemos soñado juntos, lo vimos y hemos tratado de rescatar esas imágenes del olvido. Bueno, querido Luis, esta carta se alarga demasiado, perdóname que haya dejado todo a medias, ya sabes que nunca me han gustado las obras bien terminadas, bien aderezadas. Solo he tratado de poner en orden alguna imágenes, algunas ideas que se agolpan en mi cabeza. Algún día, quizá, me gustaría escribir sobre ti con más amplitud, con más tiempo, quizá, en otra ocasión.
CARLOS SAURA
8 de enero de 1983
Mi querido Carlos:
Recibí tu carta, que francamente me emocionó. Con el pretexto de hablarme de Tristana muestras la afección y cariño que me tienes y que, como sabes muy bien, no supera el mío. Lástima que no podamos vernos con frecuencia. Haría más larga esta carta, pero por desgracia casi no puedo ya ni leer ni escribir: mi última vejez se ha presentado brutalmente.
José Ángel Valente est né à Orense (Galice) le 25 avril 1929. Après des études de droit à Saint-Jacques de Compostelle et de philologie romane à Madrid (Licence à l’Université Complutense ), il est lecteur à Oxford. Il s’installe en 1958 à Genève et occupe un poste de traducteur à l’Organisation Mondiale de la Santé. Il dirige ensuite un département de l’Unesco à Paris. C’est un poète, essayiste et traducteur (Constantin Cavafis, Paul Celan, John Donne, Edmond Jabès, John Keats, Eugenio Montale, Dylan Thomas entre autres). Á la retraite, il s’installe dans la province d’Almería, poussé par ” l’appel ardent de la lumière ” ( “la irrenunciable llamada de la luz” ) . Il participe à la vie culturelle de la région et à la défense du Parc Naturel Cabo de Gata-Níjar. On peut visiter sa maison ( Casa del Poeta, calle José Ángel Valente n°7 à Almería) Il meurt d’un cancer à Genève le 18 juillet 2000. C’est l’une des grandes voix poétiques de l’Espagne de la seconde partie du XX ème siècle. On le classe habituellement parmi les poètes de la Génération de 1950.
– Prix Príncipe de Asturias de las Letras ( 1988 ).
– Prix Reina Sofía de Poesía Iberoamericana ( 1998 ).
– Prix national de littérature (Poésie) ( 2001 ) à titre posthume pour Fragmentos de un libro futuro.
On peut le lire facilement en français dans les excellentes traductions de Jacques Ancet : Trois leçons de ténèbres – Mandorle – L’Eclat. Poésie/Gallimard n°321. 1998.
J’ai choisi trois textes de ce poète.
El cabo entra en las aguas como el perfil de un muerto o de un durmiente con la cabellera anegada en el mar. El color no es color; es tan sólo la luz. Y la luz sucedía a la luz en láminas de tenue transparencia. El cabo baja hacia las aguas, dibujado perfil por la mano de un dios que aquí encontrara acabamiento, la perfección del sacrificio, delgadez de la línea que engendra un horizonte o el deseo sin fin de lo lejano. El dios y el mar. Y más allá, los dioses y los mares. Siempre. Como las aguas besan las arenas y tan sólo se alejan para volver, regreso a tu cintura, a tus labios mojados por el tiempo, a la luz de tu piel que el viento bajo de la tarde enciende. Territorio, tu cuerpo. El descenso afilado de la piedra hacia el mar, del cabo hacia las aguas. Y el vacío de todo lo creado envolvente, materno, como inmensa morada.
(Cabo de Gata) (4.X.1992)
Fragmentos de un libro futuro, 2000.
Le cap entre dans les eaux comme le profil d’un mort ou d’un dormeur, la chevelure noyée dans la mer. La couleur n’est pas la couleur ; elle n’est que la lumière. Et la lumière succédait à la lumière en lames d’une légère transparence. Le cap descend jusqu’aux eaux, profil tracé par la main d’un dieu qui aurait ici trouvé son terme, la perfection du sacrifice, la pureté de la ligne qui engendre un horizon ou le désir sans fin des lointains. Le dieu et la mer. Et au-delà, les dieux et les mers. Toujours. Comme les eaux déposent un baiser sur le sable et ne s’éloignent que pour revenir, je retourne à ta taille, à tes lèvres humectées par le temps, à l’éclat de ta peau que le vent bas de la soirée fait briller. Territoire, ton corps. La déclinaison tranchante de la pierre vers la mer, du cap vers les eaux. Et le vide de tout le créé enveloppant, maternel, comme une immense demeure.
(Cabo de Gata) (4.X.1992)
Fragments d’un livre futur. Librairie José Corti, Collection Ibériques, 2002. Traduction et préface de Jacques Ancet.
Ha pasado algún tiempo. El tiempo pasa y no deja nada. Lleva, arrastra muchas cosas contigo. El vacío, deja el vacío. Dejarse vaciar por el tiempo como se dejan vaciar los pequeños crustáceos y moluscos por el mar. El tiempo es como el mar. Nos va gastando hasta que somos transparentes. Nos da la transparencia para que el mundo pueda verse a través de nosotros o puedo oírse como oímos el sempiterno rumor del mar en la concavidad de una caracola. El mar, el tiempo, alrededores de lo que no podemos medir y nos contiene.
(Desde del otro costado) (4.IX.1993)
Fragmentos de un libro futuro, 2000.
Un peu de temps a passé. Le temps passe et ne laisse rien. Il emporte, il traîne beaucoup de choses avec lui. Le vide, il laisse le vide. Se laisser vider par le temps comme les petits crustacés et les mollusques se laissent vider par la mer. Le temps est comme la mer. Il nous use jusqu’à être transparents. Il nous donne la transparence pour que le monde puisse se voir à travers nous ou puisse s’entendre comme nous entendons la sempiternelle rumeur de la mer dans le creux d’un coquillage. La mer, le temps, alentours de ce que nous ne pouvons mesurer et qui nous contient.
(Depuis l’autre côté) (4.IX.1993)
Fragments d’un livre futur. José Corti, 2002. Traduction de Jacques Ancet.
El amor está en lo que tendemos
El amor está en lo que tendemos (puentes, palabras).
El amor está en todo lo que izamos (risas, banderas).
Y en lo que combatimos (noche, vacío) por verdadero amor.
El amor está en cuanto levantamos (torres, promesas).
En cuanto recogemos y sembramos (hijos, futuro).
Y en las ruinas de lo que abatimos (desposesión, mentira) por verdadero amor.
Breve son. 1968.
L’amour est dans ce que nous lançons.
L’amour est dans ce que nous lançons (ponts, paroles).
L’amour est dans tout ce que nous hissons (rires, drapeaux).
Et dans ce que nous combattons (nuit, vide) pour le véritable amour.
L’amour est dans tout ce que nous levons (tours, promesses).
Dans tout ce que nous cueillons et semons (enfants, futur).
Et dans les ruines de ce que nous abattons (dépossession, mensonge) pour le véritable amour.
Poésie espagnole. Anthologie 1945-1990. Unesco et Actes Sud, 1995. Traduction Claude de Frayssinet.
Nous avons vu samedi 30 septembre l’exposition Corps à corps, histoire(s) de laphotographie (6 septembre 2023 – 25 mars 2024) au centre Pompidou.
Commissaire de l’exposition : Julie Jones, conservatrice au Cabinet de la Photographie du musée national d’Art moderne — centre Pompidou.
Cette exposition regroupe deux collections photographiques : celle du Musée national d’art moderne et celle du collectionneur français Marin Karmitz.
La collection de photographies du centre Pompidou est devenue l’une des plus importantes au monde. Elle compte plus de 40 000 tirages et 60 000 négatifs. Elle est constituée de grands fonds historiques (Man Ray, Brassaï, Constantin Brancusi, Dora Maar). On peut y trouver de nombreux ensembles des principaux photographes du XX ème siècle et une série importante d’oeuvres contemporaines.
Marin Karmitz, metteur en scène, producteur, distributeur de cinéma a constitué une collection photographique qui montre son intérêt pour la représentation du monde et de ceux qui l’habitent. Il possède 1500 tirages. Il s’agit de grandes figures de l’avant-garde, comme Stanisław Ignacy Witkiewicz (1885-1939), dont Marin Karmitz a récemment donné un ensemble d’œuvres important au centre Pompidou, jusqu’à des figures actuelles, comme SMITH.
On trouve dans cette exposition 515 photographies et documents, réalisés par quelque 120 photographes historiques et contemporains. Elle n’est pas organisée selon les catégories d’étude classiques (le portrait, l’autoportrait, le nu ou la photographie dite humaniste), mais présente sept chapitres : 1) Les premiers visages 2) Automatisme ? 3) Fulgurances 4) Fragments 5) En soi 6) Intérieurs 7) Spectres.
Des artistes très divers comme Paul Strand, Henri Cartier-Bresson, Brassaï, Roman Vishniac, William Klein, Robert Frank, W. Eugene Smith, Lisette Model, Susan Meiselas, Annette Messager, Zanele Muholi, SMITH… sont représentés. On peut découvrir des correspondances entre eux, des obsessions communes.
La première partie m’a surtout intéressé. Une citation d’Emmanuel Levinas a attiré mon attention : « Il y a dans le visage une pauvreté essentielle. La preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps le visage est ce qui nous interdit de tuer. »
J’ai recherché le passage. Il est tiré d’ Éthique et infini. (Entretiens diffusés sur France Culture en février-mars 1981. Dialogues Avec Philippe Nemo). 7 Le visage. Paris, Librairie Arthème Fayard, collection « L’Espace intérieur »1982. Pages 89-92. Biblio essais n°4018, 1984.
« Je ne sais si l’on peut parler de “phénoménologie” du visage, puisque la phénoménologie décrit ce qui apparaît. De même, je me demande si l’on peut parler d’un regard tourné vers le visage, car le regard est connaissance, perception. Je pense plutôt que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas.
Il y a d’abord la droiture même du visage, son expression droite, sans défense. La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue, bien que d’une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle. La preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps le visage est ce qui nous interdit de tuer. (…)
Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu’autrui, dans la rectitude de son visage, n’est pas un personnage dans un contexte. D’ordinaire, on est un « personnage » : on est professeur à la Sorbonne, vice-président du conseil d’État, fils d’untel, tout ce qui est dans le passeport, la manière de se vêtir, de se présenter. Et toute signification, au sens habituel du terme, est relative à un tel contexte : le sens de quelque chose tient dans sa relation à autre chose. Ici, au contraire, le visage est sens à lui seul. Toi, c’est toi. En ce sens, on peut dire que le visage n’est pas « vu ». Il est ce qui ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est l’incontenable, il vous mène au-delà. C’est en cela que la signification du visage le fait sortir de l’être en tant que corrélatif d’un savoir. Au contraire, la vision est recherche d’une adéquation ; elle est ce qui par excellence absorbe l’être. Mais la relation au visage est d’emblée éthique. Le visage est ce qu’on ne peut tuer, ou du moins ce dont le sens consiste à dire : « tu ne tueras point ». Le meurtre, il est vrai, est un fait banal : on peut tuer autrui ; l’exigence éthique n’est pas une nécessité ontologique. L’interdiction de tuer ne rend pas le meurtre impossible, même si l’autorité de l’interdit se maintient dans la mauvaise conscience du mal accompli – malignité du mal. Elle apparaît aussi dans les écitures, auxquelles l’humanité de l’homme est exposée autant qu’elle est engagée dans le monde. Mais à vrai dire l’apparition, dans l’être, de ces « étrangetés éthiques » – humanité de l’homme – est une rupture de l’être. Elle est signifiante, même si l’être se renoue et se reprend. »