Antonio Gamoneda est né dans les Asturies à Oviedo en 1931. Il vit à León depuis 1934. Son père meurt en 1932. Sa mère l’élève dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Il doit abandonner ses études en 1943 et travailler comme coursier dès 1945. Il a une formation d’autodidacte et a connu l’extrême pauvreté de l’après-guerre et la répression franquiste.
Il a obtenu de nombreux prix dont le Prix Cervantès en 2006.
Malos recuerdos
La vergüenza es un sentimiento revolucionario
Karl Marx
Llevo colgados de mi corazón
los ojos de una perra y, más abajo,
una carta de madre campesina.
Cuando yo tenía doce años,
algunos días, al anochecer,
llevábamos al sótano a una perra
sucia y pequeña.
Con un cable le dábamos y luego
con las astillas y los hierros. (Era
así. Era así.
Ella gemía,
se arrastraba pidiendo, se orinaba,
y nosotros la colgábamos para pegar mejor).
Aquella perra iba con nosotros
a las praderas y los cuestos. Era
veloz y nos amaba.
Cuando yo tenía quince años,
un día, no sé cómo, llegó a mí
un sobre con la carta de un soldado.
Le escribía su madre. No recuerdo:
«¿Cuándo vienes? Tu hermana no me habla.
No te puedo mandar ningún dinero…»
Y, en el sobre, doblados, cinco sellos
y papel de fumar para su hijo.
«Tu madre que te quiere.»
No recuerdo
el nombre de la madre del soldado.
Aquella carta no llegó a su destino:
yo robé al soldado su papel de fumar
y rompí las palabras que decían
el nombre de su madre.
Mi vergüenza es tan grande como mi cuerpo,
pero aunque tuviese el tamaño de la tierra
no podría volver y despegar
el cable de aquel vientre ni enviar
la carta del soldado.
Blues castellano, Gijón, Noega, 1982.
Mauvais souvenirs
La honte est un sentiment révolutionnaire
Karl Marx
Je porte à mon coeur pendus
les yeux d’une chienne et, plus bas,
une lettre de mère paysanne.
Quand j’avais douze ans,
un jour, à la tombée de la nuit,
nous emmenâmes à la cave une chienne
sale et petite.
Avec un câble nous la maltraitâmes et aussi
avec des échardes et des fers. (C’était
ainsi. C’était ainsi.
Elle gémissait,
elle se traînait suppliante, elle urinait,
et nous la pendions pour mieux la maltraiter).
Cette chienne venait avec nous
aux pâturages et sur les coteaux. Elle courait
vite et nous aimait.
Quand j’avais quinze ans,
un jour, je ne sais pas comment, parvint à moi
une enveloppe avec une lettre pour un soldat.
Sa mère lui écrivait. Je ne sais plus:
“Quand reviens-tu ? Ta soeur ne me parle pas.
Je ne puis t’envoyer d’argent… “
Et, dans l’enveloppe, il y avait, cinq timbres pliés
et du papier à cigarettes pour son fils.
“Ta mère qui t’aime.”
Je ne me souviens pas
du nom de la mère du soldat.
Cette lettre n’est pas arrivée à sa destination :
j’ai volé au soldat son papier à cigarettes
et j’ai déchiré les mots qui disaient
le nom de la mère.
Ma honte est aussi grande que mon corps,
mais serait-elle aussi vaste que la terre
je ne pourrais pas retourner pour détacher
le câble de ce ventre ni envoyer
la lettre au soldat.
Blues castillan. José Corti, 2004. Traduction Jacques Ancet.
Existían tus manos
Existían tus manos
Un día el mundo se quedó en silencio;
los árboles, arriba, eran hondos y majestuosos,
y nosotros sentíamos bajo nuestra piel
el movimiento de la tierra.
Tus manos fueron suaves en las mías
y yo sentí la gravedad y la luz
y que vivías en mi corazón.
Todo era verdad bajo los árboles,
todo era verdad. Yo comprendía
todas las cosas como se comprende
un fruto con la boca, una luz con los ojos.
Exentos I in Edad (Poesia 1947-1986). Cátedra, Madrid. 1987.
Il existait tes mains…
Il existait tes mains.
Un jour le monde devint silencieux ;
les arbres, là-haut, étaient profonds et majestueux,
et nous sentions sous notre peau
le mouvement de la terre.
Tes mains furent douces dans les miennes
et j’ai senti en même temps la gravité et la lumière,
et que tu vivais dans mon cœur.
Tout était vérité sous les arbres,
tout était vérité. Je comprenais
toutes choses comme on comprend
un fruit avec la bouche, une lumière avec les yeux.
Poésie espagnole, Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud /Editions Unesco, 1995. Traduction Claude de Frayssinet.