Ana Merino (Madrid, 1971) vient de publier son deuxième roman, Amigo. Le premier, El mapa de los afectos, avait obtenu le Prix Nadal en 2020.
Il y a deux ans, Ana Merino, professeure à l’Université de Iowa, est invitée à consulter les archives de Joaquín Amigo, conservées par sa petite fille María à Madrid. Cet écrivain participa avec son ami Federico García Lorca et Manuel de Falla aux réunions de El Rinconcillo, un cercle littéraire qui se réunissait au Café Alameda de Grenade au début des années 20. Il fut aussi un des animateurs avec Federico de la revue littéraire, gallo, qui publia deux numéros en février et en avril 1928. Il assista aussi avec d’autres amis à la lecture que fit Federico García Lorca de sa pièce, Yerma, à la Huerta de San Vicente, la maison de campagne de la famille du poète, à l’été 1934. Celui-ci lui dédia le poème Dos marinos en la orilla de Canciones 1921-1924.
Joaquín Amigo Aguado (Grenade 1899 – Ronda, 1936) avait suivi les cours de José Ortega y Gasset. Catholique pratiquant et d’idéologie conservatrice, il était professeur de philosophie au lycée Giner de los Ríos de Ronda. Au cours de la Guerre Civile, des miliciens des comités révolutionnaires de la ville pour se venger de la répression nationaliste l’arrêtèrent le 24 août et le jetèrent du Puente Nuevo (98 mètres au-dessus des gorges du Guadalevín) le 27 août 1936, neuf jours après l’assassinat de son ami Federico García Lorca à Viznar. On n’a jamais retrouvé les corps des deux amis.
Ana Merino a pu étudier les archives de Joaquín Amigo à partir du 25 juin 2020. Elle a trouvé des lettres inédites de Federico García Lorca, des cartes postales de Federico et de Salvador Dalí, envoyées de Cadaqués. Elle a tiré de ses recherches un roman qui met en valeur l’amitié entre les deux hommes. Dans une des lettres retrouvées, García Lorca dit à Joaquín Amigo : «Saluda a los amigos, ya sean ingratos o sean amigos míos de verdad. Basta que sean de Granada para que yo los quiera. No hay nada en el mundo como Granada» Le roman fait revivre aussi le poète Luis Rosales (1910 – 1992). Federico García Lorca se réfugia dans la maison familiale de celui-ci, calle Angulo à Grenade, entre le 9 et le 16 août avant d’être arrêté et assassiné. Le poète et critique Felix Grande (1937 – 2014), de famille et de convictions républicaines, publia en 1987 La calumnia. De cómo a Luis Rosales, por defender a Federico García Lorca, lo persiguieron hasta la muerte (Mondadori). Il défendait Luis Rosales, poète et phalangiste comme ses frères, accusé à tort par certains exilés républicains d’avoir livré son ami aux bourreaux.
Dos marinos en la orilla
A Joaquín Amigo
I
Se trajo en el corazón
un pez del Mar de la China.
A veces se ve cruzar
diminuto por sus ojos.
Olvida siendo marino
los bares y las naranjas.
Mira al agua.
II
Tenía la lengua de jabón.
Lavó sus palabras y se calló.
Mundo plano, mar rizado,
cien estrellas y su barco.
Vio los balcones del Papa
y los pechos dorados de las cubanas.
Mira al agua.
Canciones 1921-1924.
Deux marins au bord de l’eau.
I
Il rapportait en son cœur
un poisson des Mers de Chine.
Parfois on le voit passer
minuscule dans ses yeux.
Il oublie la Marine
et les bars et les oranges.
Il regarde l’eau.
II
D’une langue de savon
il lava ses mots et se tut.
Monde uni, mer frisée
cent étoiles, son navire.
Il a vu les balcons du Pape
et les seins dorés des Cubaines.
Il regarde l’eau.
Poésies, tome II. Collection Poésie/Gallimard n° 2. 1966. Traduction : André Belamich et Pierre Darmangeat.