Soneto de la dulce queja
Tengo miedo a perder la maravilla
de tus ojos de estatua y el acento
que me pone de noche en la mejilla
la solitaria rosa de tu aliento.
Tengo pena de ser en esta orilla
tronco sin ramas, y lo que más siento
es no tener la flor, pulpa o arcilla,
para el gusano de mi sufrimiento.
Si tú eres el tesoro oculto mío,
si eres mi cruz y mi dolor mojado,
si soy el perro de tu señorío.
No me dejes perder lo que he ganado
y decora las aguas de tu río
con hojas de mi otoño enajenado.
Sonetos del amor oscuro.
Sonnet de la douce plainte
J’ai peur de perdre la merveille
de tes yeux de statue et cet accent
que vient poser la nuit près de ma tempe
la rose solitaire de ton haleine.
Je m’attriste de n’être en cette rive
qu’un tronc sans branche et mon plus grand tourment
est de n’avoir la fleur ou la pulpe ou l’argile
qui nourrirait le ver de ma souffrance.
Si tu es le trésor que je recèle,
ma douce croix et ma douleur noyée,
et si je suis le chien de ton altesse,
ah, garde-moi le bien que j’ai gagné
et prends pour embellir ta rivière
ces feuilles d’un automne désolé.
Traduction: André Belamich.
Sonnets de l’amour obscur. Poésies IV. Poésie Gallimard n°185. 1985.
Une autre traduction:
Sonnet de la douce plainte
J’ai peur de perdre la merveille
de tes yeux de statue, et l’accent
que, pendant la nuit, pose sur ma joue
la rose solitaire de ton haleine.
J’ai peine à n’être en cette rive
qu’un tronc sans branches; et ce qui me désole
est de ne pas avoir la fleur, pulpe ou argile,
pour le ver de ma souffrance.
Et si toi tu es mon trésor occulte,
si tu es ma croix, ma douleur mouillée,
si je suis le chien de ton domaine,
ne me laisse perdre ce que j’ai gagné
et décore les eaux de ton fleuve
avec des feuilles de mon automne désolé.
Traduction : Yves Véquaud. La désillusion du monde. Orphée/La Différence. 1989.
Les sonnets Tengo miedo a perder la maravilla (Soneto de la dulce queja) et El poeta pide a su amor que le escriba ont été publiés en appendice de l’édition de Diván del Tamarit de Rolfe Humphries en 1940. La traduction complète des onze sonnets en français (André Belamich) date de 1981. Leur première publication complète en espagnol est de 1983.
Vicente Aleixandre se souvient de la lecture faite chez lui (Velintonia, 3. Madrid) par le poète des Sonnets de l’amour obscur:
« Su corazón no era ciertamente alegre. Era capaz de toda la alegría del universo; pero su sima profunda, como la de todo gran poeta, no era la de la alegría. Quienes le vieron pasar por la vida como un ave llena de colorido, no le conocieron. Su corazón era como pocos, apasionado, y una capacidad de amor y de sufrimiento ennoblecía cada día más aquella noble frente. Amó mucho, cualidad que algunos superficiales le negaron. Y sufrió por amor, lo que probablemente nadie supo. Recordaré siempre la lectura que me hizo, tiempo antes de partir para Granada, de su última obra lírica, que no habíamos de ver terminada. Me leía sus Sonetos del amor oscuro, prodigio de pasión, de entusiasmo, de felicidad, de tormento, puro y ardiente monumento al amor, en que la primera materia es ya la carne, el corazón, el alma del poeta en trance de destrucción. Sorprendido yo mismo, no pude menos que quedarme mirándo1e y exclamar: “Federico, ¡qué corazón! ¡Cuánto ha tenido que amar, cuánto que sufrir!” Me miró y se sonrió como un niño. Al hablar así no era yo probablemente el que hablaba. Si esa obra no se ha perdido; si, para honor de la poesía española y deleite de las generaciones hasta la consumación de la lengua, se conservan en alguna parte los originales, cuántos habrá que sepan, que aprendan y conozcan la capacidad extraordinaria, la hondura y la capacidad sin par del corazón de su poeta.»,
Federico, 1937.
Jean Cassou
«Heureuse, géniale, miraculeuse, éminemment gracieuse, [la poésie de Federico Garcia Lorca] est aussi tragique. Et c’est là sans doute la raison profonde de son universel succès. Ses pièces sont fascinantes parce qu’elles sont, non seulement tragiques, mais la tragédie même, l’actus tragicus, l’auto sacramental, la représentation, non point d’une circonstance particulière et de ses contingentes conséquences, mais de la Fatalité elle-même et de l’inexorable accomplissement de sa menace : elles sont une algèbre de la Fatalité. Et la moindre des poésies lyriques de Federico Garcia Lorca ou tel moment de celles-ci qui se réduit à un cri, à un soupir, à l’incantatoire évocation d’une chose, nuit, lune, rivière, cheval, femme, cloche, olive, possèdent la même vertu. Laquelle est si puissante que même à travers la traduction (et il faut dire que les traductions françaises ici réunies sont toutes des réussites extraordinaires, fruit de ferveurs diverses, mais également au-dessus de tout éloge) on perçoit le son et la chanson,le ton, le tour, l’évidence du langage original, sa vérité espagnole, sa vérité populaire. Et du même coup se laissent deviner, inhérente au délice, poignante, obscure, terrible, la présence de la passion et, imminente, l’effusion du sang.»