J’ai vu, il y a quelques jours, sur Arte Peppermint frappé, un film espagnol réalisé par Carlos Saura en 1967. Il avait obtenu l’ours d’argent du meilleur réalisateur au festival de Berlin en 1968 et devait être présenté au festival de Cannes en mai 1968. Celui-ci fut interrompu, suite aux événements.
Je me souviens de l’avoir vu à Madrid en 1969. J’avais beaucoup oublié les détails de l’histoire.
Résumé : Julián (José Luis López Vázquez) est radiologue dans une clinique de Cuenca. Il est assisté d’Ana (Geraldine Chaplin), une infirmière brune et timide. Il est invité chez un de ses amis d’enfance, Pablo, un aventurier affairiste qui revient d’Afrique (Alfredo Mayo). Il vient de se marier avec Elena, belle jeune femme blonde (Geraldine Chaplin). Pablo lui sert son cocktail favori, un peppermint frappé. Lorsque Elena apparaît, Julián croit reconnaître en elle une mystérieuse femme qu’il a vue jouer du tambour lors de la Semaine sainte à Calanda. Elle affirme qu’elle ne l’a jamais vu et qu’elle n’est jamais allé à Calanda. Attiré par elle, il fait tout pour la séduire. Frustré, il se reporte sur Ana, son assistante, qui est amoureuse de lui. Il la fait se vêtir, se maquiller, bouger comme Elena. Celle-ci raconte tout à son mari. Lors d’une soirée, ils lui offrent un tambour et récitent un poème d’Antonio Machado pour se moquer de lui. Julián invite le couple dans sa maison de campagne, verse un poison dans le peppermint frappé qu’il leur fait boire. Il place les corps dans leur voiture qu’il pousse dans un précipice. De retour à la maison de campagne, il trouve Ana, vêtue comme la femme de Calanda. Elle a compris ce qui s’est passé.
Le film est dédié à Luis Buñuel. Les tambours de Calanda (Aragon) font référence au metteur en scène aragonais puisqu’il s’agit de sa ville natale. On les entend dès L’Âge d’or (1930). Peppermint frappé a été tourné à Cuenca (Castilla-La Mancha) où a vécu et est mort le frère de Carlos Saura, le grand peintre Antonio Saura (1930-1998). On voit justement son tableau Brigitte Bardot quand les trois personnages visitent le Museo de Arte Abstracto Español de cette ville.
On pense à Belle de jour de Buñuel, à Vertigo d’Alfred Hitchcock, à Blow-up d’Antonioni, à Cul-de-sac de Polanski. Un peu trop de références, peut-être. On entend aussi la magnifique musique du Misteri d’Elx (seconde moitié du XV ème siècle).
José Luis López Vázquez (1922-2009) et Alfredo Mayo (1911-1985) étaient des acteurs de théâtre et de cinéma très célèbres à l’époque franquiste.
Elena lit une première fois le poème Yo voy soñando caminos d’Antonio Machado, que Julián sait par coeur. Elle le lit à nouveau avec son mari Pablo. Cela fait partie de l’ humiliation qui poussera Julián à commettre le double crime.
Poème déjà publié sur ce blog le 13 septembre 2019.
https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/09/13/edgar-morin-antonio-machado/
XI. Yo voy soñando caminos ( Antonio Machado )
Yo voy soñando
caminos
de
la tarde. ¡ Las
colinas
doradas,
los verdes pinos,
las
polvorientas encinas !…
¿Adónde
el camino irá ?
Yo voy cantando, viajero
a lo
largo del sendero…
– La tarde cayendo está
-.
”
En el corazón
tenía
la espina de una pasión
:
logré
arrancármela
un día;
ya no siento el corazón.
”
Y todo el campo un momento
se queda, mudo y sombrío,
meditando. Suena
el viento
en
los álamos
del río.
La tarde más
se oscurece;
y
el camino que serpea
y
débilmente
blanquea,
se
enturbia y desaparece.
Mi cantar vuelve a plañir
:
”
Aguda espina dorada,
quién
te pudiera sentir
En
el corazón
clavada. ”
Soledades (1899-1907)
Poema publicado por primera vez en 1906 en la revista Ateneo con el nombre de Ensueños.
XI
Je
m’en vais rêvant par les chemins
du soir. Les
collines
dorées, les pins verts,
les chênes poussiéreux!
…
Où peut-il aller, ce chemin ?
Je
m’en vais chantant, voyageur
Le long du sentier…
– Le
jour s’incline lentement.
« Dedans mon cœur était
clouée
l’épine d’une passion ;
Un jour j’ai pu me
l’arracher:
Je ne sens plus mon cœur. »
Et
toute la campagne un instant
demeure, muette et sombre,
pour
méditer. Le vent retentit
dans les peupliers de la rivière.
Mais
le soir s’obscurcit encore ;
et le chemin qui tourne,
tourne,
et blanchit doucement,
se trouble et disparaît.
Mon chant recommence à pleurer:
«Épine pointue et dorée,
ah ! si je pouvais te sentir
dedans mon cœur clouée.»
Solitudes, Galeries et autres poèmes (1899-1907. Traduction Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144. 1981.
Pierre Darmangeat a montré les analogies entre ce poème et une poésie de Juan Ramón Jiménez intitulée Tristeza dulce del campo du recueil Pastorales (1903-1905)
Tristeza dulce del campo (Juan Ramón Jiménez)
Tristeza
dulce del campo.
La tarde viene cayendo.
De las praderas
segadas
llega un suave olor a heno.
Los pinares se
han dormido.
Sobre la colina, el cielo
es tiernamente
violeta.
Canta un ruiseñor despierto.
Vengo detrás
de una copla
que había por el sendero,
copla de llanto,
aromada
con el olor de este tiempo;
copla que iba
llorando
no sé qué cariño muerto,
de otras tardes de
setiembre
que olieron también a heno.
Pastorales, 1903-05.