Quand la Commune de Paris éclate en mars 1871, Arthur Rimbaud est dans les Ardennes à Charleville, sa ville natale. Plusieurs contemporains affirment qu’il s’est rendu à Paris et qu’il a intégré la Garde nationale en avril ou en mai 1871. Rien n’est moins sûr. Ses sympathies vont, bien sûr, à la Commune. Plusieurs poèmes le montrent clairement comme Chant de guerre parisien (1871) et Les Mains de Jeanne-Marie (1872?). Le premier a été écrit le 15 mai 1871, moins d’une semaine avant le début de la Semaine sanglante (21-28 mai 1871). On le trouve inséré dans la célèbre Lettre du Voyant qu’il a envoyée le 15 mai 1871 à Paul Demeny (1844-1918). Cette correspondance définit une nouvelle poétique où l’actualité, l’objectivité ont toute leur place. Le poème, parfois difficile et obscur, tire sa force du contraste entre l’atmosphère bucolique et les réalités de la guerre civile.
Les Mains de Jeanne-Marie est un hommage aux Communardes. Rimbaud renouvelle un thème plastique et littéraire classique : l’étude des mains (Théophile Gautier , Germain Nouveau, Paul Verlaine). Le prénom est clairement symbolique. Il renvoie à la sainteté et à la virginité de la mère du Christ, à l’héroïsme de Jeanne d’Arc. On peut y entendre aussi la Marianne républicaine. Cette femme s’oppose à l’aristocrate, à la bigote, à la courtisane. Le manuscrit porte la date de « fév. 1872 », mais il a peut-être été seulement recopié à cette date. La copie autographe par Rimbaud que Verlaine déclarait avoir perdu a été retrouvée et publiée en juin 1919, dans la revue Littérature (n°4), fondée par André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault, alors dadaïstes. Le manuscrit est conservé à la Bibliothèque nationale.
Chant de guerre parisien
Le Printemps est évident, car
Du cœur des Propriétés vertes
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes.
Ô mai ! Quels délirants cul-nus!
Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières,
Écoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanières !
Ils ont schako, sabre et tam-tam
Non la vieille boîte à bougies
Et des yoles qui n’ont jam, jam…
Fendent le lac aux eaux rougies !
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanières
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulières !
Thiers et Picard sont des Éros
Des enleveurs d’héliotropes
Au pétrole ils font des Corots :
Voici hannetonner leurs tropes…
Ils sont familiers du Grand Truc!…
Et couché dans les glaïeuls, Favre
Fait son cillement aqueduc
Et ses reniflements à poivre !
La Grand ville a le pavé chaud
Malgré vos douches de pétrole,
Et décidément, il nous faut
Vous secouer dans votre rôle…
Et les Ruraux qui se prélassent
Dans de longs accroupissements
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements !
Les mains de Jeanne-Marie
Jeanne-Marie a des mains fortes,
Mains sombres que l’été tanna,
Mains pâles comme des mains mortes. –
Sont-ce des mains de Juana ?
Ont-elles pris les crèmes brunes
Sur les mares des voluptés ?
Ont-elles trempé dans les lunes
Aux étangs de sérénités ?
Ont-elles bu des cieux barbares,
Calmes sur les genoux charmants ?
Ont-elles roulé des cigares
Ou trafiqué des diamants ?
Sur les pieds ardents des Madones
Ont-elles fané des fleurs d’or ?
C’est le sang noir des belladones
Qui dans leur paume éclate et dort.
Mains chasseresses des diptères
Dont bombinent les bleuisons
Aurorales, vers les nectaires ?
Mains décanteuses de poisons ?
Oh ! quel Rêve les a saisies
Dans les pandiculations ?
Un rêve inouï des Asies,
Des Khenghavars ou des Sions ?
Ces mains n’ont pas vendu d’oranges,
Ni bruni sur les pieds des dieux :
Ces mains n’ont pas lavé les langes
Des lourds petits enfants sans yeux.
Ce ne sont pas mains de cousine
Ni d’ouvrières aux gros fronts
Que brûle, aux bois puant l’usine,
Un soleil ivre de goudrons.
Ce sont des ployeuses d’échines,
Des mains qui ne font jamais mal,
Plus fatales que des machines,
Plus fortes que tout un cheval !
Remuant comme des fournaises,
Et secouant tous ses frissons,
Leur chair chante des Marseillaises
Et jamais les Eleisons !
Ça serrerait vos cous, ô femmes
Mauvaises, ça broierait vos mains,
Femmes nobles, vos mains infâmes
Pleines de blancs et de carmins.
L’éclat de ces mains amoureuses
Tourne le crâne des brebis !
Dans leurs phalanges savoureuses
Le grand soleil met un rubis !
Une tache de populace
Les brunit comme un sein d’hier ;
Le dos de ces Mains est la place
Qu’en baisa tout Révolté fier !
Elles ont pâli, merveilleuses,
Au grand soleil d’amour chargé,
Sur le bronze des mitrailleuses
A travers Paris insurgé !
Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées,
Á vos poings, Mains où tremblent nos
Lèvres jamais désenivrées,
Crie une chaîne aux clairs anneaux !
Et c’est un Soubresaut étrange
Dans nos êtres, quand, quelquefois,
On veut vous déhâler, Mains d’ange,
En vous faisant saigner les doigts !
De 1965 à 1972, j’ai habité à Vigneux-sur-Seine – 91, 7 rue de la Commune de Paris, dans le grand ensemble HLM Les Briques Rouges (architecte: Paul Chemetov).