Mon oncle Joaquín Segura Hernández (1895-1979), militant socialiste d’Elche (Espagne), baptisa ainsi ses enfants: Jaures, Liebknecht, Hilario, Matteotti, Fraternidad, Estrella, Marxina, Ezequiel.
La poétesse uruguayenne Idea Vilariño (1920-2009) était la fille de Leandro Vilariño (1892-1944), anarchiste et poète. Ses frères s’appelaient Numen (1929-2017), Poema, Azul et Alma.
Le poète surréaliste Benjamin Péret (1899-1959) a eu un fils avec la cantatrice brésilienne Elsie Houston. Il s’appelait Geyser et est né le 31 août 1931 à Rio de Janeiro.
André Breton et Jacqueline Lamba ont eu une fille Aube qui est née le 20 décembre 1935.
Échos d’histoire. Des prénoms peu catholiques.
“Parmi les anarchistes rencontrés ou évoqués par l’historien américain Paul Avrich dans les années 1970 , nombreux sont celles et ceux qui portent de jolis prénoms : Anarchia, Ateo, Athos, Ferrer, Freethought (libre pensée), Hyperion, Ideale, Thoreau, Liber et Liberto et Liberty, Lucifer, Marx, Proudhon, Radium, Revolte, Ribelle, Spartaco, Voltaire et Voltairine, la seule un peu connue.
Le militant anarchiste italien Onofrio Gilioli, établi à Fontenay-sous-Bois, avait quant à lui neuf enfants : Rivoluzio (1903-1937), Libero (1905-1927), Siberia (1908-2005), Equo (Egal, 1910-1997), Scintilla (Etincelle, 1912-2004), Protesta (1916-2006), Sovverte (Subversive, 1920-2004), Ribelle (1923-en vie) et Feconda Vendetta (Vengeance féconde, 1926-2008).
Quant au cousin de Louis Bertoni, Mosè, il quitta la Suisse pour fonder une colonie libertaire au Paraguay, avec semble-t-il ses treize enfants, aux noms patriotiques ou militants : Reto Divicone (selon Divico, chef helvète vaincu par Jules César), Arnold da Winkelried, Werner Stauffacher, Walter Fürst (les « trois Suisses » qui auraient fondé la Confédération en 1291 ou en 1307), Guillermo Tell, Vera Zassulich, Sofia Perovskaja, Elvezia Libera (Libre Helvétie), Linneo (Linné), Aristotele…
L’état civil français peut être frileux. Lorsqu’en 1884 Paule Mink et Maxime Negro voulurent prénommer leur fils Lucifer Blanqui Vercingétorix, sans d’ailleurs le déclarer, ils furent sérieusement tancés par le tribunal civil de Montpellier, qui attribua à l’enfant le prénom de son père et condamna ce dernier aux dépens.
D’autres communes semblent plus ouvertes. Aimé Auguste Barthelemi Charpentier eut trois fils à Paris, tous trois militants anarchistes : Spartacus en 1892, Cyvoct Auguste en 1894 (en l’honneur de Cyvoct), Vindex en 1897, figurant sous ces prénoms à l’état civil. La fille de Jean Baptiste Martenot, Vengeance, est née à Dijon en 1891 et morte à Madagascar en 1973 sous son même prénom. À Vienne (Isère) en 1889, Victor Fages aurait prénommé son fils Spies en l’honneur d’un des martyrs de Chicago de 1887.
Les prénoms commémoratifs peuvent être guerriers, Napoléon ou Vercingétorix ou Joffre, parfois simplement connotés : je me souviens d’une rencontre au CIRA de deux visiteurs nés dans les années 1940, Joseph et Benito… Mais Ferrer Lallemand est né trois ans après l’exécution de Francisco Ferrer, et il y aurait eu une trentaine de garçons nés en France entre 1910 et 1912 à porter ce prénom.
C’est la République qui inspire le plus souvent les parents anticléricaux : on trouve dans le Maitron une vingtaine de Voltaire, une douzaine de Danton, deux Robespierre. Et le Dictionnaire international des militants anarchistes raconte que « Pedro Beltran Wells, dont le véritable nom était Auguste Maximilien Robespierre Audoui, avait appelé son fils Auguste, Voltaire, Platon Audoui et ses trois filles Violette Louise Michel, Aurore et Harmonie ». Le calendrier offre des prénoms chantants : le Maitron connaît une dizaine de Germinal, six Floréal, ainsi que Louis, Marceau, Albert, Fructidor Volat, Albert Messidor Crudenaire, Noël, Prairial, Ferdinand Ducastel (qui avait probablement un frère, Noël Républicain). Pas de prêtres, mais des réjouissances : le fils de Lavalette, né à Genève en 1873, fut « baptisé » au vin blanc, au Temple-Unique, du nom de Louis-Michel, en hommage évidemment à Louise Michel ; et on aurait vu Marguerite Tinayre présider la même année « la cérémonie d’un baptême civil et donner aux nouveau-nés les noms de Danton, de Millière et de Flourens ».
On ne rigole pas toujours avec le calendrier. En 1936, André Prudhommeaux découvre que les mairies détiennent des registres des prénoms autorisés et que « la loi vient même de restreindre notablement le champ des fantaisies individuelles » : pas de prénoms à consonance étrangère, ni de noms de fleurs ou tirés de l’histoire, révolutionnaire ou pas ; « les dérogations admises durant la dernière guerre en faveur de braves imbéciles qui désiraient appeler leur fils Joffre ou leur fille Artillerie-Baïonnette-Victoire ont été abolies par un retour complet à la loi du 1er avril 1803 ». Il s’amuse à citer, dans un article de la petite revue Simplement (« Le monopole des prénoms », n° 31, mai-juin 1936), quelques dizaines de noms absurdes et imprononçables. « Le droit d’ignorer l’État n’existant pas, tout nouveau-né doit être présenté à l’état civil, qui l’enregistre et l’affuble d’un nom, d’une nationalité, d’une famille, à peu près comme on marque les veaux ou les moutons des initiales de leur propriétaire. » Deux ans plus tard, Dori et André pourront quand même appeler leur fille Jenny, peut-être grâce à une mère suisse.
En Espagne, les prénoms républicains ou progressistes (Lénine, Trotsky, Durruti, Libertad…) ou encore catalans fleurissent dans les années trente. Déjà le 26 février 1939, un décret oblige les parents à changer l’état civil de leurs enfants dans les registres, sous peine de leur voir attribuer le nom du saint de leur jour de naissance. C’est la victoire de l’imaginaire national catholique. Les enfants d’Espagnols nés en France prennent leur revanche, ils s’appellent Ideal, Frater, Liberto, Everest, Myrtille ou Amapola, joli coquelicot.
D’autres font d’habiles détournements : les sœurs italiennes Ana et Dina apprirent sur le tard que l’on aurait voulu les prénommer Anarchia et Dinamite… Qui dit mieux ?
P.S. du 26 novembre : Les deux fils d’Auguste Gauvin s’appelaient Platon Démosthène et Lucrèce.”
(Le Maitron. Dictionnaire biographique. Mouvement ouvrier. Mouvement social)
Peut-être faudrait-il préciser aux maires qu’au tout début de l’ère chrétienne Lucifer (littéralement “porteur de lumière”) désignait non pas le Diable…mais Jésus-Christ.
Bonjour.
En ce qui concerne Onofrio Gilioli j’ai plaisir à préciser qu’avant même l’arrivée au pouvoir du fascisme il avait, suite au retour-de-manivelle qui débuta à la fin de l’année 1920, été convoqué par le maire du village qui lui demanda de changer ces prénoms… peu catholiques. Mais il opposa un non-recevoir (sur le mode, “ce sont leurs prénoms, moi je les ai choisis, changez-les, vous, si vous y tenez”).
Amusants aussi furent en France les dialogues entre Rivoluzio, devenu chef de chantier, et les poulagas auprès desquels il lui fallait parfois faire renouveler ses papiers. Question : “votre nom” ? Réponse : “Gilioli”. Q.- : “prénom” ? R.- : “Rivoluzio”. Q.- “pardon” ? R.- : “Rivoluzio”. Finalement il en eut assez de s’entendre dire, “vous-vous-foutez-de-notre-gueule, Rivoluzio, c’est pas-un-prénom” et il se fit appeler Robert.
Cordialement