Colette W. m’a demandé de proposer 10 incipit de livres qui m’ont marqué.
Je commence parJuan Carlos Onetti, Les adieux. Christian Bourgois éditeur. 1985. Traduit par Louis Jolicoeur.
« J’aurais préféré ne voir de l’homme que ses mains, la première fois qu’il entra au bistrot; des mains lentes, hésitantes et maladroites, qui bougeaient sans conviction, longues et pâles, s’excusant de leur nonchalance. Il posa quelques questions et but une bière; debout, à l’extrémité du comptoir – en arrière-plan, les espadrilles, le calendrier, les saucissons blanchis par les années – le visage tourné vers l’extérieur, vers le soleil de fin de journée et les teintes violettes de la montagne, attendant le car qui allait le conduire à l’entrée du vieil hôtel.
J’aurais préféré ne voir que ses mains, il m’aurait suffi de les voir quand je lui donnai la monnaie des cent pesos et que ses doigts serrèrent les billets, tentèrent de les plier, mais abandonnèrent aussitôt, se limitant à en faire une petite boule qu’ils cachèrent avec pudeur dans la poche du veston. Ces gestes secs sur le bois craqué couvert de graisse et de crasse m’auraient suffi pour savoir qu’il n’allait pas guérir, qu’il ne savait absolument pas où trouver la volonté de guérir.»
« Quisiera no haber visto del hombre, la primera vez que entró en el almacén, nada más que las manos; lentas, intimidadas y torpes, moviéndose sin fe, largas y todavía sin tostar, disculpándose por su actuación desinteresada. Hizo algunas preguntas y tomó una botella de cerveza, de pie en el extremo más sombrío del mostrador, vuelta la cara – sobre un fondo de alpargatas, el almanaque, embutidos blanqueados por los años – hacia afuera, hacia el sol del atardecer y la altura violeta de la sierra, mientras esperaba el ómnibus que lo llevaría a los portones del hotel viejo.
Quisiera no haberle visto más que las manos, me hubiera bastado verlas cuando le di el cambio de los cien pesos y los dedos apretaron los billetes, trataron de acomodarlos y, en seguida, resolviéndose, hicieron una pelota achatada y la escondieron con pudor en un bolsillo del saco; me hubieran bastado aquellos movimientos sobre la madera llena de tajos rellenados con grasa y mugre para saber que no iba a curarse, que no conocía nada de donde sacar voluntad para curarse.» Los adioses, 1954.
Plus tard, Léon-Marc L. m’a demandé de conseiller trois livres d’Onetti en particulier. Voici ma réponse:
1) Les adieux. Traduit par Louis Jolicœur, Paris, Christian Bourgois, 1985. Publié ensuite en 10-18.
2) El astillero (1961)
Roman publié en français sous le titre Le Chantier, traduit par Laure Guille-Bataillon, Paris, Stock, 1967 ; nouvelle édition revue et corrigée, Paris, Gallimard, 1984; réédition, Paris, Gallimard,«L’Imaginaire»n° 615, 2011
Un des trois romans de sa trilogie sur Santa María.
3) Les bas-fonds du rêve [Tan triste como elle y otros cuentos para una tumba sin nombre]
Première parution en 1981.Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Laure Bataillon, Claude Couffon et Abel Gerschenfeld Collection L’Imaginaire (n° 630), Gallimard, 2012.
Il y a un conte extraordinaire qui s’appelle Un sueño realizado (1941). Je ne suis pas sûr qu’il soit dans ce recueil en français. Je vérifierai lors d’une prochaine visite en librairie.
Mario Vargas Llosa a publié un très bon livre critique en 2008 El Viaje a la ficción. El mundo de Juan Carlos Onetti. Voyage vers la fiction . Le monde de Juan Carlos Onetti. Trad. de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan. Collection Arcades (n°95), Gallimard 2009.
Le Prix Nobel péruvien n’était pas rancunier. Onetti a passé les dernières années de sa vie à Madrid dans son lit à boire du whisky et à lire des romans policiers. Des écrivains et des journalistes venaient lui rendre visite. Quand on lui demandait pourquoi il était édenté, il répondait en se marrant qu’il avait une dentition parfaite, mais qu’il l’avait prêtée à Mario Vargas Llosa.
Onetti y Mario (Juan Cruz Ruiz) La Opinión A Coruña, 23/11/2008.
“Onetti tenía un profundo afecto por Mario; esos chistes que él contaba de su relación con Vargas Llosa, y que Mario reproduce en este libro (El viaje a la ficción. El mundo de Juan Carlos Onetti, Alfaguara) reflejaban, y es verdad que lo hacían, esto no es hipérbole, yo lo ví, ese profundo afecto; Vargas Llosa, decía Onetti, “está casado con la literatura, y yo tengo la relación de un amante”. Y también reproduce Mario ese otro chascarrillo tan famoso sobre su dentadura: “Yo tengo una dentadura perfecta”, le explicó, desdentado, a una productora de la televisión francesa, “pero se la he prestado a Mario Vargas Llosa”.