Elisabeth de Fontenay dans Gaspard de la nuit. Autobiographie de mon frère. (Stock, 2018 (Prix Femina essai). Folio n°6754. Janvier 2020.) cite aussi un beau texte de Louis Althusser de 1964:
«Quel est l’objet de la psychanalyse? (…) Les effets prolongés dans l’adulte survivant, de l’extraordinaire aventure qui, de la naissance à la liquidation de l’Oedipe, transforme un petit animal engendré par un homme et une femme, en petit enfant humain (…). Que ce petit être biologique survive, au lieu de se survivre enfant des bois devenu petit de loups ou d’ours (…)., telle est l’épreuve que tous les hommes, adultes, ont surmontée: ils sont à jamais amnésiques, les témoins, et bien souvent les victimes de cette victoire, portant au plus sourd, c’est à dire au plus criant d’eux-mêmes, les blessures, infirmités et courbatures de ce combat pour la vie ou pour la mort humaine. Certains, la plupart, en sont sortis à peu près indemnes – ou du moins tiennent à haute voix, à bien le faire savoir; beaucoup de ces anciens combattants en restent marqués pour la vie; certains mourront, un peu plus tard, de leur combat, les vieilles blessures soudain rouvertes, dans l’explosion psychotique, dans la folie, (…) d’autres, plus nombreux, le plus «normalement» du monde, sous le déguisement d’une «défaillance organique». (…) La psychanalyse, en ses seuls survivants, s’occupe (…) de la seule guerre sans mémoire ni mémoriaux, que l’humanité feint de n’avoir jamais livrée, celle qu’elle pense avoir toujours gagnée d’avance, tout simplement parce qu’elle n’est que de lui avoir survécu, de vivre et s’enfanter comme culture dans la culture humaine: guerre qui, à chaque instant, se livre en chacun de ses rejetons, qui ont, projetés, déjetés, rejetés, chacun pour soi dans la solitude et contre la mort, à parcourir la longue marche forcée, qui, de larves mammifères, fait des enfants humains des sujets.»
Ecrits sur la psychanalyse, Freud et Lacan. Stock-Imec, 1993.