Joseph Conrad ( de son vrai nom Józef Teodor Konrad Korzeniowski) est né le 3 décembre 1857 à Berditchev (Ukraine, alors Empire russe). Il est mort le 3 août 1924 à Bishopsbourne (Angleterre). Ce Polonais est un des écrivains majeurs en langue anglaise du XX ème siècle.
Youth. 1898. Jeunesse. Traduit par G. Jean-Aubry Gallimard Paris, 1925.
«And
we all nodded at him: the man of finance, the man of accounts, the
man of law, we all nodded at him over the polished table that like a
still sheet of brown water reflected our faces, lined, wrinkled; our
faces marked by toil, by deceptions, by success, by love; our weary
eyes looking still, looking always, looking anxiously for something
out of life, that while it is expected is already gone—has passed
unseen, in a sigh, in a flash—together with the youth, with the
strength, with the romance of illusions.»
«Et tous nous l’approuvions: l’homme de finance, l’homme de chiffres, l’homme de loi, tous nous l’approuvions, par-dessus la table polie, qui comme une immobile nappe d’eau brune, réfléchissait nos visages sillonnés et ridés, nos visages marqués par le travail, par les déceptions, par le succès, par l’amour, et nos yeux las cherchant encore, cherchant toujours, cherchant avidement à arracher à la vie ce quelque chose qui, alors qu’on l’attend encore, s’est déjà dissipé – a passé à notre insu, dans un soupir, dans un éclair -avec la jeunesse, avec la force, avec la séduction romanesque des illusions.»
Printemps: vendredi 20 mars 2020. Équinoxe à 04:49:36.
« J’en étais là de mes pensées lorsque sans que rien en eût décelé les approches, le printemps entra dans le monde. C’était un soir, vers cinq heures, un samedi: tout à coup, c’en est fait, chaque chose baigne dans une autre lumière et pourtant il fait encore assez froid, on ne pourrait dire ce qui vient de se passer. Toujours est-il que le tour des pensées ne saurait rester le même; elles suivent à la déroute une préoccupation impérieuse. On vient d’ouvrir le couvercle de la boîte. Je ne suis plus maître tellement j’éprouve ma liberté. Il est inutile de rien entreprendre. Je ne mènerai plus rien au-delà de son amorce tant qu’il fera ce temps de paradis. Je suis le ludion de mes sens et du hasard. Je suis comme un joueur assis à la roulette, ne venez pas lui parler de placer son argent dans les pétroles. Il vous rirait au nez. Je suis à la roulette de mon corps et je joue sur le rouge. Tout me distrait indéfiniment, sauf de ma distraction même. Un sentiment comme de noblesse me pousse à préférer cet abandon et je ne saurais entendre les reproches que vous me faites. Au lieu de vous occuper de la conduite des hommes, regardez plutôt passer les femmes.” Le Paysan de Paris. 1926.
Miquel Martí i Pol est né le 19 mars 1929 à Roda de Ter, en Catalogne.
Solstici
Reconduïm-la a poc a poc, la vida,
a poc a poc i amb molta confiança,
no pas pels vells topants ni per dreceres
grandiloqüents, sinó pel discretíssim
camí del fer i desfer de cada dia.
Reconduïm-la amb dubtes i projectes,
i amb turpituds, anhels i defallences,
humanament, entre brogit i angoixes,
pel gorg dels anys que ens correspon de viure.
En solitud, però no solitaris,
reconduïm la vida amb la certesa
que cap esforç no cau en terra eixorca.
Dia vindrà que algú beurà a mans plenes
l’aigua de llum que brolli de les pedres
d’aquest temps nou que ara esculpim nosaltres.
L’àmbit de tots els àmbits. 1981.
Solsticio
Reconduzcamos poco a poco, la vida,
poco a poco y con mucha confianza,
no por los viejos senderos ni por atajos
grandilocuentes, sino por el discretísimo
camino del hacer y deshacer de cada día.
Reconduzcámola con dudas y proyectos,
y con torpezas, anhelos y desfallecimientos,
humanamente, entre ruido y angustias,
por la cuenca de los años que nos corresponde vivir.
En soledad, pero no solitarios,
reconduzcamos la vida con la certeza
de que ningún esfuerzo cae en tierra estéril.
Llegará el día en que alguien beberá a manos llenas
el agua de luz que brote de las piedras
de este tiempo nuevo que ahora esculpimos.
Solstice
Reconduisons peu à peu la vie,
peu à peu, mais avec toute la confiance,
non par les vieilles allées et les sentiers
grandiloquents mais en prenant le discret
chemin du faire et défaire quotidiens.
Reconduisons-la avec doutes et projets,
turpitudes, aspirations et défaillances;
humainement, entre vacarme et angoisses,
par le goulot des années qu’il nous reste à vivre.
Dans la solitude, mais non pas solitaires,
reconduisons la vie, avec la certitude
qu’aucun effort ne peut finir dans le désert.
Un jour viendra quelqu’un boira à pleines mains
l’eau de lumière qui sourdra des pierres
de ce temps nouveau que nous sculptons.
Joie de la parole. Traduction: Patrick Gifreu. Orphée La Différence. 1993.
Paris, capitale du XIXe siècle : Le Livre des passages. Le Cerf (30/05/1997)
«Nous éprouvons de l’ennui lorsque nous ne savons pas ce que nous attendons. Si nous le savons ou croyons le savoir, ce n’est presque toujours rien d’autre que l’expression de notre médiocrité ou de la confusion de notre esprit. L’ennui est le seuil des grandes entreprises.»
Résumé
Conçu tout d’abord, entre 1927 et 1929, comme une « féerie dialectique » proche, par l’inspiration, des déambulations surréalistes de Breton et surtout d’Aragon, le projet d’essai sur les passages parisiens changea de nature lorsque Walter Benjamin le reprit en 1934. C’était désormais à un livre que travaillait l’exilé allemand réfugié sous l’architecture de fer de la Bibliothèque nationale, à une oeuvre qui devait être non seulement une «histoire sociale de Paris au XIXe siècle», comme l’annonçait l’Institut de recherche sociale d’Adorno et d’Horkheimer, mais une tentative d’interprétation globale du XIXe siècle et de son équivoque modernité.
« Chaque époque rêve la suivante» disait Michelet. Benjamin nous offre, pour déchiffrer les figures équivoques du rêve propre au XIXe siècle, des catégories aussi originales que fécondes qu’il appartient au lecteur d’associer et de combiner: l’ennui, l’oisiveté, la construction en fer, les expositions universelles, la mode, le collectionneur, l’intérieur, le miroir, le joueur, les passages, etc. Elles lui permettent de montrer l’émergence de formes de construction, de communication et de transport dans les villes, dont le XXe siècle a pu seul mesurer la portée politique, en même temps qu’elles lui servent à dégager, au commencement même de ces techniques de masse, une fragile aspiration utopique et une promesse oubliée de liberté. C’est cette ambivalence qui fait des Passages, même sous leur forme fragmentaire, un extraordinaire hommage critique au Paris du XIXe siècle, à son architecture et à ses écrivains.
Ya que la vida del hombre no es sino una acción a distancia,
Un poco de espuma que brilla en el interior de un vaso;
Ya que los árboles no son sino muebles que se agitan:
No son sino sillas y mesas en movimiento perpetuo;
Ya que nosotros mismos no somos más que seres
(Como el Dios mismo no es otra cosa que Dios)
Ya que no hablamos para ser escuchados
Sino para que los demás hablen
Y el eco es anterior a las voces que lo producen;
Ya que ni siquiera tenemos el consuelo de un caos
En el jardín que bosteza y que llena de aire,
Un rompecabezas que es preciso resolver antes de morir
Para poder resucitar después tranquilamente
Cuando se ha usado en exceso de la mujer;
Ya que también existe un cielo en el infierno,
Dejad que yo también haga algunas cosas:
Yo quiero hacer un ruido con los pies
Y quiero que mi alma encuentre su cuerpo.
Poemas y antipoemas, 1954.
Solo de piano
Puisque la vie d’un homme n’est qu’une action à distance, Un peu d’écume qui brille à l’intérieur d’un verre; Puisque les arbres ne sont rien que des meubles qui bougent: Rien que des tables, des chaises en mouvement perpétuel; Puisque nous-mêmes nous ne sommes plus que des êtres (Comme le dieu lui-même n’est pas autre chose que dieu); Puisque nous ne parlons plus pour être écoutés Mais pour que les autres parlent Et que l’écho est antérieur aux voix qui le produisent; Puisque nous n’avons même pas la consolation d’un chaos Dans le jardin qui bâille et qui se remplit d’air, Un casse-tête qu’il faut résoudre avant de mourir Pour pouvoir ensuite tranquillement ressusciter Quand on a usé de la femme à l’excès; Puisqu’il y a aussi un ciel en enfer, Permettez que je fasse moi aussi deux trois choses :
Je veux faire du bruit avec les pieds
Et je veux que mon âme trouve son corps.
(Traduction Bernard Pautrat)
Piano Solo
Since man’s life is nothing but a bit of action at a distance, A bit of foam shining inside a glass; Since trees are nothing but moving trees; Nothing but chairs and tables in perpetual motion; Since we ourselves are nothing but beings (As the godhead itself is nothing but God); Now that we do not speak solely to be heard But so that others may speak And the echo precede the voice that produces it; Since we do not even have the consolation of a chaos In the garden that yawns and fills with air, A puzzle that we must solve before our death So that we may nonchalantly resuscitate later on When we have led woman to excess; Since there is also a heaven in hell, Permit me to propose a few things
I wish to make a noise with my feet
I want my soul to find its proper body.
En période de confinement, je relis les poèmes de Nicanor Parra, poète chilien. C’est à lui que l’on doit la notion d’antipoésie. Il a publié en 1954 Poemas y antipoemas. Il s’opposait ainsi à la poésie chilienne traditionnelle représentée par Gabriela Mistral, Pablo Neruda, Vicente Huidobro ou Pablo de Rokha. Certains de ses poèmes ont été traduits en anglais par Allen Ginsberg, Lawrence Ferlinghetti et William Carlos Williams. Roberto Bolaño affirmait: “Parra écrit comme s’il allait être électrocuté le lendemain.”
Quelques dates: 5 septembre 1914 : naissance à San Fabián de Alico (Chili).
1954 : Poemas y antipoemas. Santiago, Editorial Nascimiento.
5 février 1967: Suicide de sa soeur, la chanteuse Violeta Parra.
1969: Premio Nacional de Literatura.
1991 : Premio de Literatura Latinoamericana y del Caribe Juan Rulfo.
2006 : Premier tome de ses oeuvres complètes. Obras completas & algo + (1935-1972). Barcelone, Galaxia Gutenberg et Círculo de Lectores.
2011: Second tome de ses oeuvres complètes. Obras completas & algo + (1975-2006). Barcelone, Galaxia Gutenberg et Círculo de Lectores.
1 décembre 2011: Prix Cervantes.
2017 : Poèmes et antipoèmes ( Éditions du Seuil, Paris).
23 janvier 2018 : Mort à La Reina, près de Santiago (Chili).
Soliloquio del individuo
Yo soy el Individuo. Primero viví en una roca (Allí grabé algunas figuras). Luego busqué un lugar más apropiado. Yo soy el Individuo. Primero tuve que procurarme alimentos, Buscar peces, pájaros, buscar leña, (Ya me preocuparía de los demás asuntos). Hacer una fogata, Leña, leña, dónde encontrar un poco de leña, Algo de leña para hacer una fogata, Yo soy el Individuo. Al mismo tiempo me pregunté, Fui a un abismo lleno de aire; Me respondió una voz: Yo soy el Individuo. Después traté de cambiarme a otra roca, Allí también grabé figuras, Grabé un río, búfalos, Grabé una serpiente, Yo soy el Individuo. Pero no. Me aburrí de las cosas que hacía, El fuego me molestaba, Quería ver más, Yo soy el Individuo. Bajé a un valle regado por un río, Allí encontré lo que necesitaba, Encontré un pueblo salvaje, Una tribu, Yo soy el Individuo. Vi que allí se hacían algunas cosas, Figuras grababan en las rocas, Hacían fuego, ¡también hacían fuego! Yo soy el Individuo. Me preguntaron que de dónde venía. Contesté que sí, que no tenía planes determinados, Contesté que no, que de ahí en adelante. Bien. Tomé entonces un trozo de piedra que encontré en un río Y empecé a trabajar con ella, Empecé a pulirla, De ella hice una parte de mi propia vida. Pero esto es demasiado largo. Corté unos árboles para navegar, Buscaba peces, Buscaba diferentes cosas, (Yo soy el Individuo). Hasta que me empecé a aburrir nuevamente. Las tempestades aburren, Los truenos, los relámpagos, Yo soy el Individuo. Bien. Me puse a pensar un poco, Preguntas estúpidas se me venían a la cabeza. Falsos problemas. Entonces empecé a vagar por unos bosques. Llegué a un árbol y a otro árbol, Llegué a una fuente, A una fosa en que se veían algunas ratas: Aquí vengo yo, dije entonces, ¿Habéis visto por aquí una tribu, Un pueblo salvaje que hace fuego? De este modo me desplacé hacia el oeste Acompañado por otros seres, O más bien solo. Para ver hay que creer, me decían, Yo soy el Individuo. Formas veía en la obscuridad, Nubes tal vez, Tal vez veía nubes, veía relámpagos, A todo esto habían pasado ya varios días, Yo me sentía morir; Inventé unas máquinas, Construí relojes, Armas, vehículos, Yo soy el Individuo. Apenas tenía tiempo para enterrar a mis muertos, Apenas tenía tiempo para sembrar, Yo soy el Individuo. Años más tarde concebí unas cosas, Unas formas, Crucé las fronteras Y permanecí fijo en una especie de nicho, En una barca que navegó cuarenta días, Cuarenta noches, Yo soy el Individuo. Luego vinieron unas sequías, Vinieron unas guerras, Tipos de color entraron en el valle, Pero yo debía seguir adelante, Debía producir. Produje ciencia, verdades inmutables, Produje tanagras, Di a luz libros de miles de páginas, Se me hinchó la cara, Construí un fonógrafo, La máquina de coser, Empezaron a aparecer los primeros automóviles. Yo soy el Individuo. Alguien segregaba planetas, ¡Árboles segregaba! Pero yo segregaba herramientas, Muebles, útiles de escritorio, Yo soy el Individuo. Se construyeron también ciudades, Rutas, Instituciones religiosas pasaron de moda, Buscaban dicha, buscaban felicidad, Yo soy el Individuo. Después me dediqué mejor a viajar, A practicar, a practicar idiomas, Idiomas, Yo soy el Individuo. Miré por una cerradura, Sí, miré, qué digo, miré, Para salir de la duda miré, Detrás de unas cortinas, Yo soy el Individuo. Bien. Mejor es tal vez que vuelva a ese valle, A esa roca que me sirvió de hogar, Y empiece a grabar de nuevo, De atrás para adelante grabar El mundo al revés. Pero no: la vida no tiene sentido.
Poemas y antipoemas, 1954.
Soliloque de l’individu
Je suis l’Individu. D’abord j’ai vécu dans un rocher (Là j’ai gravé quelques figures). Puis j’ai cherché un endroit plus approprié. Je suis l’Individu. D’abord il m’ a fallu me procurer des aliments, Chercher des poissons, des oiseaux, du bois, (Après je m’occuperais du reste). Faire du feu, Du bois, du bois, où trouver un peu de bois, Un peu de bois pour faire du feu, Je suis l’Individu. En même temps je me suis questionné, C’était comme un abîme plein d’air; Une voix m’a répondu: Je suis l’Individu. Après j’ai cherché à déménager pour un autre rocher, Là aussi j’ai gravé des figures, J’ai gravé un fleuve, des buffles, Je suis l’Individu. Mais non. j’en ai eu assez des choses que je faisais, Le feu me dérangeait, Je voulais voir plus, Je suis l’Individu. Je suis descendu dans une vallée arrosée par un fleuve, Là j’ai trouvé ce dont j’avais besoin, J’ai trouvé un peuple sauvage, Une tribu, Je suis l’Individu. J’ai vu que là ils faisaient certaines choses, Ils gravaient des figures sur les rochers, Ils faisaient du feu, eux aussi ils faisaient du feu! Je suis l’Individu. Ils m’ont demandé d’où je venais. J’ai répondu que oui, que je n’avais pas de plans déterminés, J’ai répondu que non, et que désormais. Bien. Alors j’ai pris un morceau de pierre trouvé dans une rivière Et je me suis mis à travailler avec, Je me suis mis à le polir, J’ai fait de lui une partie de ma vie. Seulement ça c’est trop long. J’ai coupé des arbres pour naviguer, Je cherchais des poissons, Je cherchais différentes choses, (Je suis l’Individu). Sur quoi j’ai recommencé à m’ennuyer. Les tempêtes c’est ennuyeux, Les coups de tonnerre, les éclairs, Je suis l’Individu. Bien. Je me suis mis à penser un peu. Des questions stupides me passaient pas la tête. Des faux problèmes. Alors j’ai commencé à errer dans des bois. Je suis arrivé à un arbre puis à un autre arbre, Je suis arrivé à une source, Á une fosse où l’on voyait des rats: Me voilà, j’ai dit, Vous n n’auriez pas vu une tribu par ici, Un peuple sauvage qui fait du feu? C’est comme ça que je me suis déplacé vers l’ouest Accompagné par d’autres êtres, Ou plutôt seul. Pour voir il faut croire, ils me disaient, Je suis l’Individu. Je voyais des formes dans l’obscurité, Peut-être des nuages, Peut-être que je voyais des nuages, des éclairs, A tout ça bien des jours avaient passé, Je me sentais mourir; J’ai inventé des machines, J’ai construit des horloges, Des armes, des véhicules, Je suis l’Individu. Á peine si j’avais le temps d’enterrer mes morts, Á peine si j’avais le temps de semer, Je suis l’Individu. Des années plus tard j’ai conçu des choses, Des formes, J’ai passé les frontières Et je me suis fixé dans une espèce de niche, Dans une barque qui a navigué quarante jours, Quarante nuits, Je suis l’Individu. Ensuite sont venues des sécheresses, Sont venues des guerres, Des types de couleur sont entrés dans la vallée, Mais moi je devais continuer à aller de l’avant, Je devais produire. J’ai produit la science, les vérités immuables, J’ai produit les tanagras, J’ai donné le jour à des livres qui faisaient des milliers de pages, Ma tête a enflé, J’ai construit un phonographe, La machine à coudre, Les premières automobiles ont fait leur apparition, Je suis l’Individu. Quelqu’un sécrétait les planètes, Sécrétait les arbres! Mais moi je sécrétais des outils, Des meubles, des accessoires de bureau, Je suis l’Individu. On a aussi construit des villes, Des routes, Les institutions religieuses ont passé de mode, On cherchait le bonheur, on cherchait la félicité, Je suis l’Individu. Ensuite je me suis plutôt consacré à voyager, Á pratiquer, à pratiquer des langues, Des langues, Je suis l’Individu. J’ai regardé par un trou de serrure, Si, j’ai regardé, je le dis, regardé, Pour sortir du doute, j’ai, regardé, Derrière des rideaux, Je suis l’Individu. Bien. Peut-être vaut-il mieux que je retourne à cette vallée, Á ce rocher qui m’a servi de foyer, Et que je recommence à graver, En marche arrière graver Le monde à l’envers. Mais non: la vie n’a pas de sens.
Poèmes et antipoèmes. Editions du Seuil. 2017. Traduit par Bernard Pautrat avec la collaboration de Felipe Tupper.
No quedará en la noche una estrella. No quedará la noche. Moriré y conmigo la suma Del intolerable universo. Borraré las pirámides, las medallas, Los continentes y las caras. Borraré la acumulación del pasado. Haré polvo la historia, polvo el polvo. Estoy mirando el último poniente. Oigo el último pájaro. Lego la nada a nadie.
La rosa profunda, 1975.
Le suicidaire
Aucune étoile ne restera dans la nuit Ni la nuit ne restera. Je mourrai et avec moi mourra la somme de l’intolérable univers J’effacerai les pyramides, les médailles, les continents, les visages. J’effacerai l’accumulation du passé. Je réduirai en poussière l’histoire, en poussière la poussière. Je regarde le dernier coucher de soleil. J’entends le dernier oiseau. Je lègue le néant à personne.
Traduction Roger Caillois, Treize poèmes, éd. Fata Morgana. 1978.
L’immense poète péruvien César Vallejo est né le 16 mars 1892 à Santiago de Chuco. Il est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris.
Espergesia
Yo nací un día que Dios estuvo enfermo.
Todos saben que vivo, que soy malo; y no saben del Diciembre de ese Enero. Pues yo nací un día que Dios estuvo enfermo.
Hay un vacío en mi aire metafísico que nadie ha de palpar: el claustro de un silencio que habló a flor de fuego.
Yo nací un día que Dios estuvo enfermo.
Hermano, escucha, escucha…… Bueno. Y que no me vaya sin llevar diciembres, sin dejar eneros. Pues yo nací un día que Dios estuvo enfermo.
Todos saben que vivo, que mastico. Y no saben porqué en mi verso chirrían, oscuro sinsabor de féretro, luyidos vientos desenroscados de la Esfinge preguntona del Desierto.
Todos saben… Y no saben que la Luz es tísica, y la Sombra gorda…… Y no saben que el Misterio sintetiza…… que él es la joroba musical y triste que a distancia denuncia el paso meridiano de las lindes a las Lindes.
Yo nací un día que Dios estuvo enfermo, grave.
Los heraldos negros, 1918.
Espergesia: Término de retórica. Explicación de lo que se ha adelantado en un discurso.
Vespergenèse
Je suis né un jour
où Dieu était malade.
Tous savent que je vis,
que je suis mauvais: mais ils ne savent rien
du décembre de ce janvier.
Car je suis né
un jour où Dieu était malade.
Il est un vide
dans mon air métaphysique
que personne ne palpera:
le cloître d’un silence
qui parla à fleur de feu.
Je suis né un jour
où Dieu était malade.
Mon frère, écoute, écoute….
Bon. Et que je ne parte pas
sans emporter de décembres,
sans laisser de janviers.
Car je suis né un jour
où Dieu était malade.
Tous savent que je vis,
que je mastique… Mais ils ne savent pas
pourquoi dans mon vers grincent,
obscur déboire de cercueil,
des vents lyissés
décrochés du Sphinx
indiscret du désert.
Tous savent… Et ne savent pas
que la Lumière est phtisique,
et l’Ombre grosse…
Mais ils ne savent pas que le Mystère synthétise…
qu’il est la bosse
musicale et triste qui à distance annonce
le passage méridien des lisières aux Lisières.
Je suis né un jour
où Dieu était malade,
gravement.
Les hérauts noirs –Poésie complète 1919-1937. Flammarion, 2009 – Traduit par Nicole Réda-Euvremer.
Lundi 9 mars 2020, José Jiménez Lozano est décédé à Valladolid des suites d’une crise cardiaque à l’âge de 89 ans. Il était né à Langa (Ávila) le 13 mai 1930. Il était l’auteur d’une centaine d’écrits (romans, essais, nouvelles et recueils de poèmes) et avait mené une importante carrière de journaliste (particulièrement au journal El Norte de Castilla de 1958 à 1995). Il avait obtenu le Prix Cervantes, le Nobel des Lettres Hispaniques, en 2002.
José Jiménez Lozano y Gurutze Galparsoro Una estación holandesa Conversación. Anthropos. 2003.
” Y por lo que respecta a los pequeños y grandes fenómenos de la naturaleza, le diré esto. Las leyes físicas que rigen la erupción de un volcán son las mismas que hacen que un puchero de leche puesto al fuego se rebose. El volcán nos impresiona o aterroriza, llegado el caso, pero la leche que rebosa y hace un río nos hace soñar con el Edén y la Tierra Prometida, nos cuenta una historia de hombre en todo caso. Como nos la cuenta una simple taza de café. En sí mismo ya es una bebida admirable, y su aroma es como el resumen del mundo, pero el café-estancia, el Café con mayúsculas, es un locus de civilidad y libertad. No tiene usted más que pensar sinoque, cuando los nazis se apoderaron de Viena y los comunistas de Praga, lo primero que hicieron fue acabar con los cafés tradicionales. Un café encarna el espíritu de lo mejor de Europa: la conversación, la lectura de periódicos y libros, la escritura de una carta o de un poema o de una novela, la crica política, la discusión, el no hacer nada porque a uno no le da la real gana, los rostros y las manos de las gentes, los aromas maravillosos mismo del propio café, y a veces del chocolate, la vainilla, las pastas y pasteles, el tabaco y luego el ruido de la cafetera, los platos y las tazas, las cucharillas y los vidios. No hay lugares parecidos ni por asomo. Cuando se sale al fin de ellos, se tiene la sensación de como si se hubiera arreglado un poco el mundo, y como si se hubiera encontrado cómplices para hacerlo.”
Le grain de maïs rouge (1999), Les sandales d’argent (1999) et Le monde est une fable (2000) ont été traduits par Claude Bleton chez Flammarion.
“Para ser escritor hay que guardar mucho silencio” (La boda de Ángela, 1993)
“Escribir no es más que hablar ponderadamente, pensando”
“Narrar es no decir más que lo que se sabe, sin adornarlo ni inventar”
“Estoy contento de la esencialidad que creo que hay en mis cuentos: la fidelidad absoluta a lo que sabía, la desnudez de toda literatura y barroquismo. La pura verdad”.
Il a reçu en 2017 du Pape François la croix Pro Ecclesia et Pontifice, la plus haute distinction que le Pape concède à un laïc. Il fut un des artisans de la série d’expositions Las edades del hombre. Quand il a reçu cette médaille, il a cité François Mauriac: “No hay novelistas católicos, si lo sabré yo que soy uno de ellos”.
(Je remercie le poète et traducteur espagnol Jorge Riechmann qui m’a rappelé le texte de José Jiménez Lozano cité en premier).
Lettres à Felice Bauer. Traduction Marthe Robert. Gallimard, 1972.
Nuit du 14 au 15 janvier 1915
«Chérie, j’ai écrit si longtemps qu’une fois de plus la nuit est très avancée, chaque fois vers deux heures du matin le savant chinois me revient à l’esprit. Malheureusement, malheureusement ce n’est pas ce n’est pas mon ami qui me réveille, mais la lettre que je veux lui écrire. Tu m’as écrit un jour que tu voudrais être assise auprès de moi tandis que je travaille; figure-toi, dans ces conditions, je ne pourrais pas travailler (même autrement je ne peux déjà pas beaucoup), mais là alors je ne pourrais plus du tout travailler. Car écrire signifie s’ouvrir jusqu’à la démesure; l’effusion du coeur et le don de soi le plus extrêmes par quoi un être croit déjà se perdre dans ses rapports avec les autres êtres, et devant lesquels par conséquent il reculera tant qu’il sera conscient – car chacun veut vivre aussi longtemps qu’il sera vivant, cette effusion et ce don de soi sont pour la littérature loin d’être suffisants. Ce qui passe de cette couche superficielle dans l’écriture – quand il n’y a pas moyen de faire autrement et que les sources profondes sont muettes – cela est nul et s’effondre à l’instant même où un sentiment plus vrai vient ébranler ce sol supérieur. C’est pourquoi on n’est jamais assez seul lorsqu’on écrit, c’est pourquoi lorsqu’on écrit il n’y a jamais assez de silence autour de vous, la nuit est encore trop peu la nuit. C’est pourquoi on ne dispose jamais d’assez de temps, car les chemins sont longs, on s’égare facilement, quelque fois même on prend peur, et même sans contrainte ni tentation on a déjà envie de rebrousser chemin (une envie qui se paie toujours très cher plus tard), combien plus encore si la plus chère des bouches vous donnait inopinément un baiser! J’ai souvent pensé que la meilleure façon de vivre pour moi serait de m’installer avec une lampe et ce qu’il faut pour écrire au coeur d’une vaste cave isolée. On m’apporterait mes repas, et on les déposerait toujours très loin de ma place, derrière la porte la plus extérieure de la cave. Aller chercher mon repas en robe de chambre en passant sous toutes les voûtes serait mon unique promenade. Puis je retournerais à ma table, je mangerais avec ferveur et me remettrais aussitôt à travailler. Que n’écrirais-je pas alors! De quelles profondeurs ne saurais-je pas le tirer! Sans effort! Car la concentration extrême ne connaît pas l’effort. Sauf que je ne pourrais peut-être pas le faire longtemps, et qu’au premier échec, inévitable même dans de pareilles conditions, je serais contraint de me réfugier dans un accès grandiose de folie. Qu’en dis-tu, chérie? Ne te dérobe pas à l’habitant de la cave!
Franz
Felice Bauer est née le 18 novembre 1887 à Neustadt, en Haute-Silésie. Elle est morte le 15 octobre 1960 à Rye (Etat de New York, Etats Unis) à 72 ans.
Franz Kafka la rencontre chez Max Brod à Berlin le 13 août 1912. Elle est secrétaire dactylographe d’une firme de dictaphones. Il commence à lui écrire le 20 septembre suivant. C’est une femme moderne, résolue et efficace. Elle est forte, lui maladif et d’une maigreur extrême. Il lui écrit pendant cinq ans. Il trouve l’énergie de créer en dix heures, une nuit, La Sentence (précédemment traduit par Le Verdict) et en quinze nuits La Métamorphose. Kafka est jaloux, possessif. Il veut la soumettre à sa volonté et a peur de la perdre. Leur relation est compliquée par l’éloignement géographique, leurs familles et l’état de santé de Franz. Il ne veut pas être père, mais se fiance deux fois avec elle. Le 1 juin 1914 ont lieu les premières fiançailles officielles. L’engagement est rompu quelques semaines plus tard le 12 juillet 1914. C’est “son procès”. Les Bauer et aussi Felice deviennent une menace. Il doit les éloigner, sinon son œuvre littéraire est mise en danger. Néanmoins, la correspondance reprend entre eux deux. En juillet 1917, ils se fiancent à nouveau. Kafka rompt à nouveau en décembre. Il continue à lui écrire et la revoit plusieurs fois. Dans la nuit du 9 au 10 août 1917, il a une hémoptysie violente. Le 4 septembre, une tuberculose pulmonaire est diagnostiquée. Tout mariage est maintenant impossible. En décembre, il retrouve Felice à Prague et rompt définitivement avec elle.
Felice Bauer épouse en 1919 Moritz Marasse (1873–1950), un employé de banque. Ils ont deux enfants Heinz (1920-2012) et Ursula (1921–1966). La famille s’exile en Suisse en 1931, puis aux Etats-Unis en 1936. Felice ouvre là-bas un magasin pour vendre les tricots qu’elle et sa soeur Else créent. Malheureusement, son entreprise peine à subvenir à ses besoins. Elle a conservé plus cinq cents lettres de Franz Kafka qu’elle vend pour cinq mille dollars à l’éditeur new-yorkais Salman Schocken en 1955, car elle en a besoin pour payer des soins médicaux coûteux. Les Lettes à Felice sont publiées en 1967.