En période de confinement, je relis les poèmes de Nicanor Parra, poète chilien. C’est à lui que l’on doit la notion d’antipoésie. Il a publié en 1954 Poemas y antipoemas. Il s’opposait ainsi à la poésie chilienne traditionnelle représentée par Gabriela Mistral, Pablo Neruda, Vicente Huidobro ou Pablo de Rokha. Certains de ses poèmes ont été traduits en anglais par Allen Ginsberg, Lawrence Ferlinghetti et William Carlos Williams. Roberto Bolaño affirmait: “Parra écrit comme s’il allait être électrocuté le lendemain.”
Quelques dates:
5 septembre 1914 : naissance à San Fabián de Alico (Chili).
1954 : Poemas y antipoemas. Santiago, Editorial Nascimiento.
5 février 1967: Suicide de sa soeur, la chanteuse Violeta Parra.
1969: Premio Nacional de Literatura.
1991 : Premio de Literatura Latinoamericana y del Caribe Juan Rulfo.
2006 : Premier tome de ses oeuvres complètes. Obras completas & algo + (1935-1972). Barcelone, Galaxia Gutenberg et Círculo de Lectores.
2011: Second tome de ses oeuvres complètes. Obras completas & algo + (1975-2006). Barcelone, Galaxia Gutenberg et Círculo de Lectores.
1 décembre 2011: Prix Cervantes.
2017 : Poèmes et antipoèmes ( Éditions du Seuil, Paris).
23 janvier 2018 : Mort à La Reina, près de Santiago (Chili).
Soliloquio del individuo
Yo soy el Individuo.
Primero viví en una roca
(Allí grabé algunas figuras).
Luego busqué un lugar más apropiado.
Yo soy el Individuo.
Primero tuve que procurarme alimentos,
Buscar peces, pájaros, buscar leña,
(Ya me preocuparía de los demás asuntos).
Hacer una fogata,
Leña, leña, dónde encontrar un poco de leña,
Algo de leña para hacer una fogata,
Yo soy el Individuo.
Al mismo tiempo me pregunté,
Fui a un abismo lleno de aire;
Me respondió una voz:
Yo soy el Individuo.
Después traté de cambiarme a otra roca,
Allí también grabé figuras,
Grabé un río, búfalos,
Grabé una serpiente,
Yo soy el Individuo.
Pero no. Me aburrí de las cosas que hacía,
El fuego me molestaba,
Quería ver más,
Yo soy el Individuo.
Bajé a un valle regado por un río,
Allí encontré lo que necesitaba,
Encontré un pueblo salvaje,
Una tribu,
Yo soy el Individuo.
Vi que allí se hacían algunas cosas,
Figuras grababan en las rocas,
Hacían fuego, ¡también hacían fuego!
Yo soy el Individuo.
Me preguntaron que de dónde venía.
Contesté que sí, que no tenía planes determinados,
Contesté que no, que de ahí en adelante.
Bien.
Tomé entonces un trozo de piedra que encontré en un río
Y empecé a trabajar con ella,
Empecé a pulirla,
De ella hice una parte de mi propia vida.
Pero esto es demasiado largo.
Corté unos árboles para navegar,
Buscaba peces,
Buscaba diferentes cosas,
(Yo soy el Individuo).
Hasta que me empecé a aburrir nuevamente.
Las tempestades aburren,
Los truenos, los relámpagos,
Yo soy el Individuo.
Bien. Me puse a pensar un poco,
Preguntas estúpidas se me venían a la cabeza.
Falsos problemas.
Entonces empecé a vagar por unos bosques.
Llegué a un árbol y a otro árbol,
Llegué a una fuente,
A una fosa en que se veían algunas ratas:
Aquí vengo yo, dije entonces,
¿Habéis visto por aquí una tribu,
Un pueblo salvaje que hace fuego?
De este modo me desplacé hacia el oeste
Acompañado por otros seres,
O más bien solo.
Para ver hay que creer, me decían,
Yo soy el Individuo.
Formas veía en la obscuridad,
Nubes tal vez,
Tal vez veía nubes, veía relámpagos,
A todo esto habían pasado ya varios días,
Yo me sentía morir;
Inventé unas máquinas,
Construí relojes,
Armas, vehículos,
Yo soy el Individuo.
Apenas tenía tiempo para enterrar a mis muertos,
Apenas tenía tiempo para sembrar,
Yo soy el Individuo.
Años más tarde concebí unas cosas,
Unas formas,
Crucé las fronteras
Y permanecí fijo en una especie de nicho,
En una barca que navegó cuarenta días,
Cuarenta noches,
Yo soy el Individuo.
Luego vinieron unas sequías,
Vinieron unas guerras,
Tipos de color entraron en el valle,
Pero yo debía seguir adelante,
Debía producir.
Produje ciencia, verdades inmutables,
Produje tanagras,
Di a luz libros de miles de páginas,
Se me hinchó la cara,
Construí un fonógrafo,
La máquina de coser,
Empezaron a aparecer los primeros automóviles.
Yo soy el Individuo.
Alguien segregaba planetas,
¡Árboles segregaba!
Pero yo segregaba herramientas,
Muebles, útiles de escritorio,
Yo soy el Individuo.
Se construyeron también ciudades,
Rutas,
Instituciones religiosas pasaron de moda,
Buscaban dicha, buscaban felicidad,
Yo soy el Individuo.
Después me dediqué mejor a viajar,
A practicar, a practicar idiomas,
Idiomas,
Yo soy el Individuo.
Miré por una cerradura,
Sí, miré, qué digo, miré,
Para salir de la duda miré,
Detrás de unas cortinas,
Yo soy el Individuo.
Bien.
Mejor es tal vez que vuelva a ese valle,
A esa roca que me sirvió de hogar,
Y empiece a grabar de nuevo,
De atrás para adelante grabar
El mundo al revés.
Pero no: la vida no tiene sentido.
Poemas y antipoemas, 1954.
Soliloque de l’individu
Je suis l’Individu.
D’abord j’ai vécu dans un rocher
(Là j’ai gravé quelques figures).
Puis j’ai cherché un endroit plus approprié.
Je suis l’Individu.
D’abord il m’ a fallu me procurer des aliments,
Chercher des poissons, des oiseaux, du bois,
(Après je m’occuperais du reste).
Faire du feu,
Du bois, du bois, où trouver un peu de bois,
Un peu de bois pour faire du feu,
Je suis l’Individu.
En même temps je me suis questionné,
C’était comme un abîme plein d’air;
Une voix m’a répondu:
Je suis l’Individu.
Après j’ai cherché à déménager pour un autre rocher,
Là aussi j’ai gravé des figures,
J’ai gravé un fleuve, des buffles,
Je suis l’Individu.
Mais non. j’en ai eu assez des choses que je faisais,
Le feu me dérangeait,
Je voulais voir plus,
Je suis l’Individu.
Je suis descendu dans une vallée arrosée par un fleuve,
Là j’ai trouvé ce dont j’avais besoin,
J’ai trouvé un peuple sauvage,
Une tribu,
Je suis l’Individu.
J’ai vu que là ils faisaient certaines choses,
Ils gravaient des figures sur les rochers,
Ils faisaient du feu, eux aussi ils faisaient du feu!
Je suis l’Individu.
Ils m’ont demandé d’où je venais.
J’ai répondu que oui, que je n’avais pas de plans déterminés,
J’ai répondu que non, et que désormais.
Bien.
Alors j’ai pris un morceau de pierre trouvé dans une rivière
Et je me suis mis à travailler avec,
Je me suis mis à le polir,
J’ai fait de lui une partie de ma vie.
Seulement ça c’est trop long.
J’ai coupé des arbres pour naviguer,
Je cherchais des poissons,
Je cherchais différentes choses,
(Je suis l’Individu).
Sur quoi j’ai recommencé à m’ennuyer.
Les tempêtes c’est ennuyeux,
Les coups de tonnerre, les éclairs,
Je suis l’Individu.
Bien. Je me suis mis à penser un peu.
Des questions stupides me passaient pas la tête.
Des faux problèmes.
Alors j’ai commencé à errer dans des bois.
Je suis arrivé à un arbre puis à un autre arbre,
Je suis arrivé à une source,
Á une fosse où l’on voyait des rats:
Me voilà, j’ai dit,
Vous n n’auriez pas vu une tribu par ici,
Un peuple sauvage qui fait du feu?
C’est comme ça que je me suis déplacé vers l’ouest
Accompagné par d’autres êtres,
Ou plutôt seul.
Pour voir il faut croire, ils me disaient,
Je suis l’Individu.
Je voyais des formes dans l’obscurité,
Peut-être des nuages,
Peut-être que je voyais des nuages, des éclairs,
A tout ça bien des jours avaient passé,
Je me sentais mourir;
J’ai inventé des machines,
J’ai construit des horloges,
Des armes, des véhicules,
Je suis l’Individu.
Á peine si j’avais le temps d’enterrer mes morts,
Á peine si j’avais le temps de semer,
Je suis l’Individu.
Des années plus tard j’ai conçu des choses,
Des formes,
J’ai passé les frontières
Et je me suis fixé dans une espèce de niche,
Dans une barque qui a navigué quarante jours,
Quarante nuits,
Je suis l’Individu.
Ensuite sont venues des sécheresses,
Sont venues des guerres,
Des types de couleur sont entrés dans la vallée,
Mais moi je devais continuer à aller de l’avant,
Je devais produire.
J’ai produit la science, les vérités immuables,
J’ai produit les tanagras,
J’ai donné le jour à des livres qui faisaient des milliers de pages,
Ma tête a enflé,
J’ai construit un phonographe,
La machine à coudre,
Les premières automobiles ont fait leur apparition,
Je suis l’Individu.
Quelqu’un sécrétait les planètes,
Sécrétait les arbres!
Mais moi je sécrétais des outils,
Des meubles, des accessoires de bureau,
Je suis l’Individu.
On a aussi construit des villes,
Des routes,
Les institutions religieuses ont passé de mode,
On cherchait le bonheur, on cherchait la félicité,
Je suis l’Individu.
Ensuite je me suis plutôt consacré à voyager,
Á pratiquer, à pratiquer des langues,
Des langues,
Je suis l’Individu.
J’ai regardé par un trou de serrure,
Si, j’ai regardé, je le dis, regardé,
Pour sortir du doute, j’ai, regardé,
Derrière des rideaux,
Je suis l’Individu.
Bien.
Peut-être vaut-il mieux que je retourne à cette vallée,
Á ce rocher qui m’a servi de foyer,
Et que je recommence à graver,
En marche arrière graver
Le monde à l’envers.
Mais non: la vie n’a pas de sens.
Poèmes et antipoèmes. Editions du Seuil. 2017. Traduit par Bernard Pautrat avec la collaboration de Felipe Tupper.