(Je remercie Nathalie de C. qui sur son blog de griffomane http://patte-de-mouette.fr/ m’ a rappelé l’existence du grand poète de Trieste, Umberto Saba).
J’ai recherché les poèmes qui figurent dans l’ Anthologie bilingue de la poésie italienne, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade. Il y en a trois: Trieste, Mots et Ulysse.
Je me suis souvenu aussi de ce voyage d’avril 2008 en Slovénie et à Trieste sur les pas de Rilke, Joyce, Saba et Svevo. Beauté des côtes dalmates.
PAROLE
Parole,
Dove il cuore dell’uomo si specchiava
Nudo e sorpreso – alle origini ; un angolo
Cerco nel mondo, l’oasi propizia
A detergere voi con il mio pianto
Dalla menzogna che vi acceca. Insieme
Delle memorie spaventose il cumulo
Si scioglierebbe, come neve al sole.
Tutte le poesie, éditées par Arrigo Stara, Mondadori, Milano, 1988, page 431.
MOTS
Mots,
Où le cœur de l’homme se reflétait
Nu et surpris – aux origines ; je cherche
Au monde un coin perdu, l’oasis propice
À vous laver par mes pleurs
Du mensonge qui vous aveugle. Alors
Fondrait aussi la masse des souvenirs
Effrayants, comme neige au soleil.
Traduction de Philippe Renard, in Anthologie bilingue de la poésie italienne, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, pages 1314-1315.
Ulisse
Nella mia giovinezza ho navigato
Lungo le coste dalmate. Isolotti
A fior d’onda emergevano, ove raro
Un uccello sostava intento a prede,
Coperti d’alghe, scivolosi, al sole
Belli come smeraldi. Quando l’alta
Marea e la notte li annullava, vele
Sottovento sbandavano più al largo,
Per fuggirne l’insidia. Oggi il mio regno
E quella terra di nessuno. Il porto
Accende ad altri i suoi lumi; me al largo
Sospinge ancora il non domato spirito,
E della vita il doloroso amore.
Mediterranee. Mondadori editore, Milano, 1946
Ulysse
J’ai navigué dans ma jeunesse
Le long des côtes dalmates. Des îlots
Emergeaient à fleur d’eau, où parfois
S’arrêtait un oiseau guettant sa proie,
Couverts d’algues, glissants, beaux
Au soleil comme des émeraudes. Quand la marée
Haute et la nuit les annulaient, les voiles
Sous le vent dérivaient plus au large,
Pour en fuir l’embûche. Aujourd’hui mon royaume
Est cette terre de personne. Le port
Pour d’autres allume ses feux; l’esprit
Indompté me pousse encore au large,
Et de la vie le douloureux amour.
Traduit de l’italien par Philippe Renard. Anthologie bilingue de la poésie italienne. Editions Gallimard (La Pléiade), 1994. Pages 1314-1315.
TRIESTE
Ho attraversato tutta la città.
Poi ho salita un’erta,
Popolosa in principio, in là deserta,
Chiusa da un muricciolo:
Un cantuccio in cui solo
Siedo; e mi pare che dove esso termina
Termini la città.
Trieste ha una scontrosa
Grazia. Se piace,
E come un ragazzaccio aspro e vorace,
Con gli occhi azzurri e mani troppo grandi
Per regalare un fiore;
Come un amore
Con gelosia.
Da quest’erta ogni chiesa, ogni sua via
Scopro, se mena all’ingombrata spiaggia,
O alla collina cui, sulla sassosa
Cima, una casa, l’ultima, s’aggrappa.
Intorno
Circola ad ogni cosa
Un’aria strana, un’aria tormentosa,
L’aria natia.
La mia città che in ogni parte è viva,
Ha il cantuccio a me fatto, alla mia vita
Pensosa e schiva.
Trieste e una donna, 1910-12, in Il Canzoniere, Einaudi tascabili, Torino, 2004, p. 79.
Trieste
J’ai traversé toute la ville.
Et j’ai gravi une pente,
Populeuse d’abord, plus loin déserte,
Que borne un muret:
Un recoin où solitaire
Je m’assieds et il me semble qu’où il s’arrête
S’arrête la ville.
Trieste a une grâce
Ombrageuse. Elle plaît,
Mais comme un voyou âpre et vorace,
Aux yeux bleus, aux mains trop grandes
Pour offrir une fleur;
Comme un amour
Avec jalousie.
De cette pente, je découvre toutes les églises,
Toutes les rues, qu’elles mènent sur la plage bondée
Ou sur la colline, au sommet pierreux
De laquelle une maison, la dernière, s’aggrippe.
Autour
De toute chose circule
Un air étrange, un air tourmenté,
l’air natal.
Ma ville, de toutes parts vivante,
A pour moi fait ce recoin, pour ma vie
Pensive et recluse.
Traduit de l’italien par Philippe Renard. Anthologie bilingue de la poésie italienne. Editions Gallimard (La Pléiade), 1994. Pages 1312-1313.
Ce “voyou âpre et vorace” aux yeux bleus et aux grandes mains, je le vois ! C’est Ernesto…
Je m’en vais relire la traduction de Jean-Marie Roche, publiée en 1978 aux Editions du Seuil. Je n’ai pas celle de René de Ceccaty de 2010.