La lecture du roman d’Ersi Sotiropoulos Ce qui reste de la nuit, Stock, 2016, m’ a remis en mémoire les poèmes de Constantin Cavafy, particulièrement La ville. La traduction de Dominique Grandmont me paraît plus satisfaisante que celle de Marguerite Yourcenar, la première et la plus connue.
Le poète grec a fait un bref séjour de trois jours à Paris en juin 1897 avec son frère John.
La Ville
Tu as dit: «J’irai par une autre terre, j’irai par une autre mer.
Il se trouvera bien une autre ville, meilleure que celle-ci.
Chaque effort que je fais est condamné d’avance;
et mon cœur—tel un mort—y gît enseveli.
Jusqu’à quand mon esprit va-t-il endurer ce marasme?
Où que mes yeux se tournent, où que se pose mon regard,
je vois se profiler ici les noirs décombres de ma vie
dont après tant d’années je n’ai fait que ruines et gâchis».
Tu ne trouveras pas d’autres lieux, tu ne trouveras pas d’autres mers.
La ville te suivra partout. Tu traîneras
dans les mêmes rues. Et tu vieilliras dans les mêmes quartiers;
c’est dans ces mêmes maisons que blanchiront tes cheveux.
Toujours à cette ville tu aboutiras. Et pour ailleurs—n’y compte pas—
il n’y a plus pour toi ni chemin ni navire.
Pas d’autre vie: en la ruinant ici,
dans ce coin perdu, tu l’as gâchée sur toute la terre.
Traduction Dominique Grandmont, En attendant les barbares et autres poèmes, Gallimard, 2008.
Poème lu par Guillaume Gallienne.