Denis Diderot

Le Panthéon 1757-1790 (Jacques-Germain Soufflot-Jean-Baptiste Rondelet). Paris V.

On peut toujours voir sur la Montagne Sainte-Geneviève (Paris, Ve arrondissement) les portraits graffés de 28 personnalités inhumées ou honorées au Panthéon par l’artiste urbain CR 215 (Christian Guéry). Ils figurent sur le mobilier urbain des rues du V ème arrondissement. Au détour d’une ruelle, sur une façade en briques ou sur le côté d’une boîte aux lettres, surgissent ces fantômes du passé.

Aujourd’hui j’ai croisé Denis Diderot (1713-1784) rue Clotilde, près du Lycée Henri IV et du Panthéon.

Autorité politique -Article de l’Encyclopédie -1751.

” Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes, et dans l’état de nature elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que de la nature. Qu’on examine bien, et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l’autorité. […] »

Entretiens sur “Le Fils naturel” : Dorval et moi », 1757.

«L’homme le plus heureux est celui qui fait le bonheur d’un plus grand nombre d’autres.»

Lettres à Sophie Volland, 1759-1774.

« Sommes nous-faits pour attendre toujours le bonheur, et le bonheur est-il fait pour ne venir jamais? »

Le Neveu de Rameau, 1762-1773. Publié en 1891.

« Pourquoi voyons-nous si fréquemment les dévots si durs, si fâcheux, si insociables? C’est qu’ils se sont imposés une tâche qui ne leur est pas naturelle. Ils souffrent, et quand on souffre, on fait souffrir les autres. »

Jacques le fataliste et son maître, 1765-1784. Publié en 1796.

«Nous croyons conduire le destin, mais c’est toujours lui qui nous mène.»
«On passe les trois quarts de sa vie à vouloir, sans faire.»
«La vérité est souvent froide, commune et plate.»

Supplément au voyage de Bougainville, 1772.
« Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l’ordre. Ordonner, c’est toujours se rendre le maître des autres en les gênant. »

La Religieuse, vers 1780. Publié en 1796.
«Il faut peut-être plus de force d’âme encore pour résister à la solitude qu’à la misère: la misère avilit, la retraite déprave».

Denis Diderot (CR 215-Christian Guéry). Rue Clotilde. Paris V.

Cesare Pavese II 1908-1950

Cesare Pavese a pu écrire aussi certains poèmes plutôt optimistes.

Agonie

J’errerai dans les rues jusqu’à l’épuisement,
je saurai vivre seule et fixer dans les yeux
les visages qui passent tout en restant la même.
Cette fraîcheur qui monte et qui cherche mes veines
est un éveil que jamais au matin je n’avais ressenti
si réel: seulement, je me sens plus forte que mon corps,
et un frisson plus froid accompagne le matin.

Ils sont loin les matins où j’avais vingt ans.
Et demain vingt-et-un: demain je sortirai dans les rues,
j’en revois chaque pierre et les franges de ciel.
Les gens dès demain me verront à nouveau
et je marcherai droite, je pourrai m’arrêter,
me voir dans les vitrines. Les matins de jadis,
j’étais jeune et ne le savais pas, je ne savais pas même
que c’était moi qui passais – une femme, maîtresse
d’elle-même. L’enfant maigre que j’étais
s’est éveillé de pleurs qui ont duré des années:
Maintenant c’est comme si jamais ils n’avaient existé.

Je désire des couleurs et c’est tout. Les couleurs ne pleurent pas,
elles sont comme un éveil: dès demain les couleurs
reviendront. Chaque femme sortira dans la rue,
chaque corps une couleur – et même les enfants.
Ce corps vêtu d’un rouge clair
après tant de pâleur retrouvera sa vie.
Je sentirai glisser les regards près de moi,
je saurai que j’existe en jetant un coup d’œil,
je me verrai dans la foule. Chaque nouveau matin,
je sortirai dans les rues en cherchant les couleurs.

Travailler fatigue (Traduction de Gilles de Van) 1969. NRF Poésie/Gallimard.

Agonia

Girerò per le strade finché non sarò stanca morta
saprò vivere sola e fissare negli occhi
ogni volto che passa e restare la stessa.
Questo fresco che sale a cercarmi le vene
è un risveglio che mai nel mattino ho provato
così vero: soltanto, mi sento più forte
che il mio corpo, e un tremore più freddo
accompagna il mattino.
Son lontani i mattini che avevo vent’anni.

E domani, ventuno: domani uscirò per le strade,
ne ricordo ogni sasso e le strisce di cielo.
Da domani la gente riprende a vedermi
e sarò ritta in piedi e potrò soffermarmi
e specchiarmi in vetrine. I mattini di un tempo,
ero giovane e non lo sapevo, e nemmeno sapevo
di esser io che passavo-una donna, padrona
di se stessa. La magra bambina che fui
si è svegliata da un pianto durato per anni
ora è come quel pianto non fosse mai stato.

E desidero solo colori. I colori non piangono,
sono come un risveglio: domani i colori
torneranno. Ciascuna uscirà per la strada,
ogni corpo un colore-perfino i bambini.
Questo corpo vestito di rosso leggero
dopo tanto pallore riavrà la sua vita.
Sentirò intorno a me scivolare gli sguardi
e saprò d’esser io: gettando un’occhiata,
mi vedrò tra la gente. Ogni nuovo mattino,
uscirò per le strade cercando i colori.

1933.

Lavorare stanca, Florence 1936.

Cesare Pavese.

Cesare Pavese I 1908 – 1950

Cesare Pavese.

Cesare Pavese est né le 9 septembre 1908 à Santo Stefano Belbo (Province de Coni, dans le Piémont). Il partage les premières années de son enfance entre Turin et les collines piémontaises, les Langhe, vallées étroites et difficiles d’accès. C’est aussi la région d’un auteur italien que j’aime beaucoup, Beppe Fenoglio (1922-1963) (La Guerre sur les collinesIl partigiano Johnny, 1968; roman traduit chez Gallimard en 1973) Il a six ans quand son père, modeste greffier auprès du tribunal de Turin, meurt d’une tumeur cérébrale. Il est élevé par une mère seule, autoritaire et puritaine. Il se lie d’amitié au lycée Massimo d’Azeglio de Turin avec Giulio Einaudi (1912-1999), Leone Ginzburg (1909-1944), Massimo Mila (1910-1988). Il étudie la littérature anglaise à Turin et écrit une thèse sur le poète américain Walt Whitman en 1930. Il traduit magnifiquement en italien Moby Dick d’Herman Melville en 1932 et aussi des œuvres de John Dos Passos, Sherwood Anderson, Gertrude Stein, William Faulkner, Daniel Defoe, James Joyce ou Charles Dickens.

Il collabore dès 1930 à la revue La Cultura, éditée par Einaudi. Il publie des articles sur la littérature américaine et en 1936 son recueil de poèmes Travailler fatigue (Laborare stanca), année où il devient professeur d’anglais.

Il s’inscrit de 1932 à 1935 au Parti national fasciste, sous la pression, selon lui, des membres de sa famille. En conformité avec le régime, il est choisi en 1934 comme directeur de la revue La Cultura, qui est devenu la tribune de ses amis de Giustizia e Libertà, groupe anti-fasciste. Pavese est arrêté le 15 mai 1935 pour activités anti-fascistes. Il est exclu du parti et relégué en Calabre à Brancaleone, petit village au bord de la mer Ionenne du 4 août 1935 au 15 mars 1936. A partir de 1936, il devient l’un des principaux collaborateurs de la maison d’édition Einaudi, fondée le 15 novembre 1933. En 1939, il écrit le récit Le Bel Été qui ne paraît qu’en 1949, accompagné de deux autres textes: Le Diable sur les collines et Entre femmes seules. Ce livre obtient le Prix Strega et sera adapté librement au cinéma par Michelangelo Antonioni en 1955 (Femmes entre elles – Le Amiche)

Cesare Pavese adhère au Parti communiste italien en novembre 1945 et écrit régulièrement dans L’ Unità. Il s’établit à Serralunga di Crea (province d’Alexandrie, dans le Piémont), puis à Rome, à Milan et finalement à Turin. Il travaille toujours pour les éditions Einaudi et ne cesse d’écrire durant ces années-là. En 1949 paraît son roman, La Lune et les Feux, souvenir de l’enfance et du monde.
Il connaît un amour malheureux pour l’actrice américaine Doris Dowling (1923-2004), rencontrée à Rome en 1950. Cesare Pavese se suicide dans la nuit du 26 au 27 août 1950, en absorbant une vingtaine de cachets de somnifère dans une chambre de l’hôtel Roma, place Carlo-Felice à Turin, laissant sur sa table un mot: «Je pardonne à tout le monde et à tout le monde, je demande pardon. Ça va? Ne faites pas trop de commérages.» Il laisse aussi un dernier recueil de poèmes, La mort viendra et elle aura tes yeux, lequel se termine par:«Assez de mots. Un acte!». Il allait avoir 42 ans.
Il a aussi tenu un journal intime (1935-1950), paru en 1952, sous le titre Le Métier de vivre. Il l’achève le 18 août 1950 par ces mots: “La chose le plus secrètement redoutée arrive toujours. J’écris: ô Toi, aie pitié. Et puis? Il suffit d’un peu de courage. Plus la douleur est déterminée et précise, plus l’instinct de la vie se débat, et l’idée du suicide tombe. Quand j’y pensais, cela semblait facile. Et pourtant de pauvres petites femmes l’ont fait. Il faut de l’humilité, non de l’orgueil. Tout cela me dégoûte. Pas de paroles. Un geste. Je n’écrirai plus.”
Ce journal permet de mesurer la profondeur et la constance de son état dépressif.

Natalia Ginzburg (1916-1991) écrit dans Portrait d’un ami, publié en 1957, mais repris dans Les petites vertus (Ypsilon. Éditeur, 2018). Voir le blog à la date du 26 décembre 2018:
«Parler avec lui, d’autre part, n’était jamais facile, même lorsqu’il était de bonne humeur; mais un entretien avec lui, même fait de peu de mots, pouvait être plus tonique et stimulant qu’avec quiconque. En sa compagnie, nous devenions bien plus intelligents, nous nous sentions poussés à mettre dans les mots ce que nous avions en nous de meilleur et de plus sérieux, nous rejetions les lieux communs, les idées imprécises, les paroles confuses.»

Gérard de Nerval

Plaque en hommage à Gérard de Nerval, sur la place du même nom. Senlis (Oise).

Fantaisie

Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit:
C’est sous Louis treize; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue… et dont je me souviens!

Odelettes.

La rue de la Vieille Lanterne.Le Suicide de Gérard de Nerval. (Gustave Doré) 1855

Charles Filiger 1863 – 1928

André Cariou, ancien conservateur du Musée des beaux-arts de Quimper, a passé dix années à faire des recherches sur Charles Filiger, peintre maudit de L’Ecole de Pont-Aven. Grâce à ce travail de longue haleine, il a publié en mars 2019: Filiger – Correspondances et sources anciennes aux Éditions Locus Solus. 35 €.

Le Musée des beaux-arts de Quimper ne possédait à l’origine aucune œuvre de Filiger. André Cariou en devint le conservateur en 1984: «Ses tableaux étaient la propriété de sept collectionneurs et grands marchands, à New York et Lausanne. C’était quasiment impossible de rentrer dans le jeu»

Charles Filiger est né à Thann (Haut-Rhin) le 28 novembre 1863. Son père, dessinateur et coloriste, l’inscrit à l’École des arts décoratifs à Paris. Il y arrive vers 1886. Il fréquente l’Académie Colarossi au 10 rue de la Grande-Chaumière. Il expose au Salon des indépendants en 1889 et 1890. Il arrive à Pont-Aven à la Pension Gloanec en 1888. Il s’installe ensuite à l’auberge de Marie Henry au Pouldu. Il y cotoie Paul Gauguin, Meyer de Haan et Paul Sérusier. Grâce à Gauguin, il se fait vite une place dans le milieu symboliste. Mais en 1893, il se retire et vit dans la misère dans une ferme au hameau de Kersulé, à proximité du Pouldu. Le comte Antoine de la Rochefoucault (1862-1959) est un temps son mécène. Il lui verse une rente mensuelle de 150 francs en échange de l’essentiel de sa production. Les critiques d’Alfred Jarry et de Rémy de Gourmont sont élogieuses. Filiger vit en retrait du monde. Il erre misérablement en Bretagne: Rochefort-en-Terre, le Pouldu à nouveau, Malestroit, Gouarec, Guémené-sur-Scorf, Arzano, Trégunc, Plougastel-Daoulas. Il est devenu taciturne et a des crises de mysticisme. Il est alcoolique et se drogue de plus en plus à l’éther. Il peint peu mais des œuvres d’une grande sophistication, empreintes d’une grande religiosité. Il meurt, tout à fait oublié, à Plougastel-Daoulas, le 11 janvier 1928, à 65 ans.

Le conservateur Alain Cariou a commençé à acheter ses œuvres peu à peu. Le musée en posséde dix-sept, dont un magnifique tableau du Pouldu. En 2003, lors la grande vente de la collection d’André Breton, il en achète deux. Il poursuit ses recherches et entre en contact avec la fille d’André Breton, Aube Breton-Elléouët, qui vit à Tréguier. Elle lui remet un gros classeur, le dossier personnel qu’avait constitué André Breton sur Filiger. Il envisageait de lui consacrer un livre. La fille d’André Breton lui donne ensuite une dizaine d’œuvres de Filiger. André Cariou prend sa retraite en 2012 mais ne cesse pas ses recherches.

Paysage du Pouldu. vers 1892. Musée des beaux-arts de Quimper.

L’éditeur Locus Solus (Châteaulin, Finistère) publie aujourd’hui cette somme, fruit de dix ans de travail. La parution de ce beau livre est complétée par une exposition à Paris-VIII, organisée du 27 mars au 22 juin, à la galerie Malingue, au 26 avenue Matignon. André Cariou en est le commissaire. La galerie Malingue présente là près de 80 œuvres de Filiger provenant de collections privées et de musées (Albi, Quimper, Brest, Saint-Germain-en-Laye).

Nous avons visité hier avec grand intérêt cette très belle exposition de ce peintre méconnu dont les œuvres avaient déjà attiré notre attention au Musée de Pont-Aven d’abord, puis lors de l’exposition Le Talisman de Sérusier, une prophétie de la couleur au Musée d’Orsay cet hiver.

Fernando Pessoa

Fernando Pessoa. Hétéronymes.

XXI

Si je pouvais croquer la terre entière
Et lui trouver un goût,
Et si la terre était une chose à croquer,
J’en serais plus heureux un instant…
Mais moi ce n’est pas toujours que je veux être heureux.
Il faut bien être de temps à autre malheureux
Afin de pouvoir être naturel…
Ce n’est pas tous les jours qu’il fait soleil,
Et la pluie, quand elle manque beaucoup, on la demande.
C’est pourquoi je prends le malheur avec le bonheur
Naturellement, comme qui ne s’étonne point
Qu’il y ait montagnes et plaines
Ainsi qu’herbes et rochers…

Ce qu’il faut c’est être naturel et calme
Dans le bonheur comme dans le malheur,
Sentir comme l’on voit,
Penser comme l’on marche,
et, lorsqu’on va mourir, se rappeler que le jour meurt,
Et que le couchant est beau et belle la nuit qui se fait…
Et que si ainsi sont les choses, c’est que les choses sont ainsi.

Daté du 7 mars 1914, publié dans Åtica, 1946

Alberto Caeiro, Le Gardeur de Troupeaux.
Traduction Patrick Quillier et Maria Antonia Câmara Manuel.

Fernando Pessoa. Oeuvre poétiques. Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard.

XXI

Se eu pudesse trincar a terra toda
E sentir-lhe um paladar,
E se a terra fosse uma coisa para trincar
Seria mais feliz um momento…
Mas eu nem sempre quero ser feliz.
É preciso ser de vez em quando infeliz
Para se poder ser natural…

Nem tudo é dias de sol,
E a chuva, quando falta muito, pede-se.
Por isso tomo a infelicidade com a felicidade
Naturalmente, como quem não estranha
Que haja montanhas e planícies
E que haja rochedos e erva…

O que é preciso é ser-se natural e calmo
Na felicidade ou na infelicidade,
Sentir como quem olha,
Pensar como quem anda,
E quando se vai morrer, lembrar-se de que o dia morre,
E que o poente é belo e é bela a noite que fica…
Assim é e assim seja…

Alberto Caeiro, O Guardador de Rebanhos.

Fernando Pessoa

Portrait de Fernando Pessoa (Almada Negreiros) 1964. Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian.

Fernando António Nogueira Pessoa est né le 13 juin 1888 à Lisbonne. Il est mort dans la même ville le 30 novembre 1935 des suites de son alcoolisme.

En bref. Christian Bourgois, 2004. Traduit par Françoise Laye.

«La vie est une hésitation entre une exclamation et une interrogation. Dans le doute, on met un point final.»

«Espérer le meilleur et se préparer au pire: c’est la règle.»

«L’essence du progrès, c’est la décadence. Progresser, c’est mourir parce que vivre, c’est mourir.»

«Travailler avec noblesse, espérer avec sincérité, aimer les hommes avec tendresse – voilà la vraie philosophie.»

«Les esprits analytiques ne voient que les défauts: plus la lentille est forte, plus imparfait nous apparaît l’objet observé. Le détail est toujours fâcheux.»

«La culture ne consiste pas à lire ni à savoir beaucoup, mais à connaître beaucoup.»

«D’abord sois libre; ensuite demande la liberté.»

«La vie est un mal digne d’être savouré.»

«Sois pluriel comme l’univers!»

«Personne ne comprend personne. Tout est hasard, interstices, mais tout se combine parfaitement.»

Pierre Bergounioux

Pierre Bergounioux.

Entendre cet homme est toujours un bonheur!

https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue

Faute d’égalité. Collection Tracts (n° 3), Gallimard. Parution : 21-03-2019
«On attendait d’énergiques initiatives, des changements effectifs, de vrais événements. Ils ne se sont pas produits. Cinq décennies ont passé en vain, à vide, apparemment. Et puis ce qui aurait dû être et demeurait latent, absent fait irruption dans la durée.»

Pierre Bergounioux entreprend ici de saisir les origines et la signification du soulèvement social que la France a vécu ces derniers mois. Il enracine sa réflexion dans l’histoire des nations et des idées occidentales, en vertu de l’axiome selon lequel tout le passé est présent dans les structures objectives et la subjectivité des individus qui font l’histoire. Ainsi se poursuit, jusque dans les formes les plus contemporaines de la contestation, en pleine crise du capitalisme et de la représentation politique, le rêve égalitaire qui nous est propre.

Hôtel du Brésil. Collection Connaissance de l’Inconscient, Série Le principe de plaisir, Gallimard Parution : 23-05-2019
«Si rien n’est plus manifeste que l’inconscient, depuis que Freud a passé, il résidait bien moins en nous, pour moi, pour d’autres, qu’à notre porte, dans les choses qui nous assiégeaient, leur dureté, leur mutisme, la tyrannie qu’elles exerçaient sur nos sentiments, les pensées qu’elles nous inspiraient forcément.»

Pierre Bergounioux s’explique ici sur un certain éloignement, et d’abord géographique, vis-à-vis de la psychanalyse, que le nom de Freud, gravé dans le marbre au-dessus de l’entrée d’un hôtel parisien, confirmera un peu plus tard.
Il raconte comment il a affronté un trouble profond, étroitement localisé, auquel les remèdes qui pouvaient parvenir du dehors – l’apport de Freud, la méthode analytique, le divan – étaient impropres.

Jorge Luis Borges

Jorge Luis Borges.

Nubes I

No habrá una sola cosa que no sea
una nube. Lo son las catedrales
de vasta piedra y bíblicos cristales
que el tiempo allanará. Lo es la Odisea,
que cambia como el mar. Algo hay distinto
cada vez que la abrimos. El reflejo
de tu cara ya es otro en el espejo
y el día es un dudoso laberinto.
Somos los que se van. La numerosa
nube que se deshace en el poniente
es nuestra imagen. Incesantemente
la rosa se convierte en otra rosa.
Eres nube, eres mar, eres olvido.
Eres también aquello que has perdido.

Los conjurados, 1985.

Nuages I

Pas une chose au monde qui ne soit
nuage. Nuages, les cathédrales,
pierre imposante et bibliques verrières,
qu’aplanira le temps. Nuage l’Odyssée,
mouvante, comme la mer, neuve
toujours quand nous l’ouvrons. Le reflet
de ta face est un autre, déjà, dans le miroir
et le jour, un labyrinthe impalpable.
Nous sommes ceux qui partent. Le nuage
nombreux qui s’efface au couchant
est notre nuage. Telle rose
en devient une autre, indéfiniment.
Tu es nuage, tu es mer, tu es oubli.
Tu es aussi ce que tu as perdu.

Les Conjurés, Traduction par Claude Esteban. Oeuvres complètes. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. Tome II.

Nubes II

Por el aire andan plácidas montañas
o cordilleras trágicas de sombra
que oscurecen el día. Se las nombra
nubes. Las formas suelen ser extrañas.
Shakespeare observó una. Parecía
un dragón. Esa nube de una tarde
en su palabra resplandece y arde
y la seguimos viendo todavía.
¿Qué son las nubes? ¿Una arquitectura
del azar? Quizá Dios las necesita
para la ejecución de Su infinita
obra y son hilos de la trama oscura.
Quizá la nube sea no menos vana
que el hombre que la mira en la mañana.

Los conjurados, 1985.

Nuages II

Passent dans l’air de placides montagnes
ou de tragiques massifs d’ombres,
offusquant le jour. On les nomme nuages.
Leurs formes sont étranges,
Shakespeare en observa une, qui ressemblait
à un dragon. Ce nuage d’une soirée
étincelle dans sa parole et flambe encore
et nous ne cessons plus de le voir.
Que sont-ils ces nuages? Architecture
du hasard? Dieu, peut-être, les veut ainsi
pour que Son œuvre infinie s’accomplisse.
Ils sont le fil de quelque trame obscure.
Le nuage, peut-être, est aussi vain
que l’homme qui le voit dans le matin.

Les Conjurés, Traduction par Claude Esteban. Oeuvres complètes. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. Tome II.

Madrid, Círculo de Bellas Artes (Antonio Palacios Ramilo). Terrasse. 1921-1926.

Piedad Bonnett

Piedad Bonnett.

Apelación

Muerte, vieja fisgona, solapada alcahueta,
descarada inquilina de cuerpos aún calientes,
militante secreta de la nada,
boca oscura que a todos nos devoras
y a todos nos trituras
y a todos nos escupes convertidos en polvo:
ya te estoy esperando,
ya vi tu ojo de sangre sonreírme
y me escupió tu rancio aliento el rostro.
Por ti este sol que hace nacer las sombras duele tanto
y el día se hace breve como un gesto;
hace ya muchos días que por dentro te llevo,
que por mí te derramas como un cáncer espeso.
Aquí estoy, dócil presa a tu avidez rendida:
arráncame los ojos con tu mano enlodada, prívame de la herida de la tarde,
del oso embravecido que pinta aquella nube,
de la mancha escarlata del envés de esta hoja.
Devórame la piel,
niégame el humo
que al borde de la noche huele a infancia.
Rompe todas las cuerdas, destruye los violines,
gangrena las gargantas de los pájaros.
Destroza mi estructura hueso a hueso,
conviérteme en arena, en polvo, en nada,
pero déjame, virgen asesina,
la inocente ilusión de la palabra.


De círculo y ceniza, 1989.