Festival de Cannes 2019. Le nouveau film d’Alain Cavalier Être vivant et le savoir a été présenté en séance spéciale le 18 mai. Il dure 1h20. Sa sortie en salles est prévue le 5 juin. Le titre est tiré de William Faulkner et est déjà cité dans le film La Chamade d’Alain Cavalier (1968) par la voix de Catherine Deneuve. Elle avait alors 25 ans. Alain Cavalier projetait d’adapterle roman d’Emmanuèle Bernheim Tout s’est bien passé (2013), où elle racontait comment son père l’avait chargée d’organiser son suicide assisté. Elle jouerait son propre rôle et lui, celui du mourant . Mais l’écrivaine est morte d’un cancer le 10 mai 2017. Alain Cavalier lui-même, s’exerce au moment où il poussera son dernier souffle. Ce film sur un film qui ne s’est pas fait n’est pas morbide, mais c’est au contraire une constante célébration de la vie.
William Faulkner, Les Palmiers sauvages. 1939. Traduction Maurice Edgar Coindreau revue par François Pitavy. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000.
« – La respectabilité. C’est elle qui est responsable de tout. J’ai compris, il y a déjà quelque temps, que c’est l’oisiveté qui engendre toutes nos vertus, nos qualités les plus supportables (contemplation, égalité d’humeur, paresse, laisser les gens tranquilles) ainsi que la bonne digestion mentale et physique, la sagesse de concentrer son attention sur les plaisirs de la chair (manger, évacuer, forniquer, lézarder au soleil) car il n’y a rien de mieux, rien qui puisse se comparer à cela, rien d’autre en ce monde que de vivre le peu de temps qui nous est accordé, d’être vivant et de le savoir – ah! oui, elle m’a appris cela, elle m’a marqué aussi pour toujours – non rien, absolument rien. Mais ce n’est que tout récemment que j’ai vu avec netteté, que j’ai déduit la conclusion logique, à savoir que c’est une des vertus que nous appelons essentielles (économie, industrie, indépendance) qui engendre tous les vices – fanatisme, suffisance, ingérence, peur et, pire que tout, respectabilité. Nous, par exemple, du fait même que, pour la première fois nous étions solvables, que nous savions à coup sûr d’où viendrait la nourriture du lendemain (ce foutu argent, ce trop d’argent: la nuit nous restions éveillés pour chercher comment le dépenser ; au printemps nous nous serions promenés avec des prospectus de paquebots dans nos poches), j’étais devenu aussi complètement l’esclave, le serf de la respectabilité qu’un -»
Philip Roth a cessé d’écrire en 2012. Il est mort le 22 mai 2018, à quatre-vingt cinq ans. Il est enterré dans le cimetière de Bard College (New York) comme Hannah Arendt. J’achetais tous ses livres. Ce n’est plus possible et cela me manque.
Mais Gallimard vient de publier en Folio un volume regroupant ses essais. Du côté de Portnoy et autres essais (1975, publié en français en 1978) était introuvable. J’ai lu Parlons travail (2001, publié chez Gallimard en 2004). Explications (150 pages) est inédit en français.
Josyane Savigneau me conseille sur Twitter: «Si vous lisez l’anglais achetez le volume 10 de la Library of America.» Mon niveau d’anglais reste encore bien trop insuffisant malheureusement. Je me contenterai donc d’acheter et de lire le Folio que j’ai vu hier à L’Arbre à Lettres, 62 Rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris avant d’aller chercher S. et N. à l’école.
Présentation du livre sur le site Gallimard:
Pourquoi écrire? [Why write?] Traduction de l’anglais (États-Unis) par Lazare Bitoun, Michel et Philippe Jaworski et Josée Kamoun. Collection Folio (n° 6646), Gallimard. Parution : 16-05-2019. 638 pages. 10,80 euros.
Ce volume contient Du côté de Portnoy et autres essais – Parlons travail – Explications.
«Me voilà, sans mes tours de passe-passe, à nu et sans aucun de ces masques qui m’ont donné toute la liberté d’imaginer dont j’avais besoin pour écrire des romans.»
Cette compilation d’essais et d’entretiens a été conçue par Philip Roth comme le chapitre final de son œuvre, celui où le romancier, qui avait publiquement annoncé la fin de sa carrière littéraire, contemple le fruit d’une vie d’écriture et se prépare au jugement dernier. Il y dévoile les coulisses de son travail, revient sur ses controverses et livre de nombreuses anecdotes où le goût de la fiction le dispute à la stricte biographie. Au fil des trois sections du recueil (dont la dernière, Explications, est inédite en France), chaque page démontre l’acuité et la force de persuasion de celui qui fut un des auteurs essentiels du XXe siècle. Et ne vous laissez pas berner par la promesse initiale : la sincérité avouée de Roth n’est pas la moindre de ses ruses…
La parabole du hérisson a été reprise entre autres par Sigmund Freud et Luis Cernuda:
Arthur Schopenhauer,Parerga et Paralipomena (Suppléments et omissions), 1851.
«Par une froide journée d’hiver un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’écarter les uns des autres. Quand le besoin de se réchauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de sorte qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux maux jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendît la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur vie intérieure, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses manières d’être antipathiques et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières. En Angleterre on crie à celui qui ne se tient pas à cette distance: Keep your distance! Par ce moyen le besoin de se réchauffer n’est, à la vérité, satisfait qu’à moitié, mais, en revanche, on ne ressent pas la blessure des piquants. Cependant celui qui possède assez de chaleur intérieure propre préfère rester en dehors de la société pour ne pas éprouver de désagréments, ni en causer. »
Sigmund Freud, Psychologie collective et analyse du moi, 1921, dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1963.
« Un jour d’hiver glacial, les porcs-épics d’un troupeau se serrèrent les uns contre les autres, afin de se protéger contre le froid par la chaleur réciproque. Mais, douloureusement gênés par les piquants, ils ne tardèrent pas à s’écarter de nouveau les uns des autres. Obligés de se rapprocher de nouveau, en raison d’un froid persistant, ils éprouvèrent une fois de plus l’action désagréable des piquants, et ces alternatives de rapprochement et d’éloignement durèrent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé une distance convenable où ils se sentirent à l’abri des maux ».
Luis Cernuda, Introduction à Donde habite el olvido (1932-1933) Publié en 1934.
« Como los erizos, ya sabéis, los hombres un día sintieron su frío. Y quisieron compartirlo. Entonces inventaron el amor. El resultado fue, ya sabéis, como en los erizos. ¿Qué queda de las alegrías y penas del amor cuando éste desaparece? Nada, o peor que nada; queda el recuerdo de un olvido. Y menos mal cuando no lo punza la sombra de aquellas espinas; de aquellas espinas, ya sabéis. Las siguientes páginas son el recuerdo de un olvido.”
Édition de Jean-Marie Guillon et Cécile Vast Première édition Collection Folio histoire (n° 285), Gallimard. Parution : 16-05-2019
L’historien Pierre Laborie est né le 4 janvier 1936 à Bagnac-sur-Célé. Il est décédé à Cahors le 16 mai 2017. Ce fils d’un paysan et d’une postière fait ses études au lycée d’Aurillac avant de devenir professeur de lycée, puis d’école normale à Cahors. Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Toulouse II-Le Mirail et directeur d’études à l’EHESS, c’est un historien spécialiste de l’opinion publique sous le régime de Vichy.
1978-1998 Carrière universitaire à Toulouse.
1980 Résistants, Vichyssois et Autres (CNRS éd.).
1990 L’Opinion française sous Vichy (Seuil).
1998 Directeur d’études à l’EHESS.
2001 Les Français des années troubles (Desclée de Brouwer ; Seuil, 2003).
2011 Le Chagrin et le venin (Bayard).
Epigraphe de Penser l’événement:
“Les mots aident à résister, à refuser, à faire reculer les ensevelissements de la mort.
Pour Jacqueline. En mémoire. Pour mémoire. Janvier 2017.”
(Merci à N.R.)
Présentation du livre sur le site Gallimard:
“L’événement que l’historien Pierre Laborie nous aide à penser est celui, majeur, de Vichy, de l’Occupation et de la Résistance, tel que les Français l’ont vécu au jour le jour, sans savoir ce que seraient les lendemains. Pour ce faire, il convient de se débarrasser au préalable d’innombrables idées fausses induites par les usages politiques et mémoriels de cette période et qui, à force d’être répétées, ont pris valeur d’évidences. Les mots de Pierre Laborie, forgés pour étudier l’opinion publique et les comportements des années 1930 et 1940, appartiennent désormais au langage commun des historiens : ambivalence, mental-émotionnel collectif, penser-double, non-consentement. Ils aident à retrouver les clés, les gestes, les paroles, les masques, les silences, les non-dits, l’implicite des expériences du temps perdu et dispersé des années «troubles». «Il y a des mots qui font vivre», écrivait Paul Éluard. Tel est bien le cas de ceux de Pierre Laborie, convaincu que «l’Histoire s’efforce, au-delà de la fragilité des émotions, de tisser quelques-uns des fils qui transmettent l’expérience pour que l’héritage serve à un dialogue de raison, qui font des fidélités maintenues une volonté de dépassement du néant».
Fernando Aramburu (Saint-Sébastien, 1959), le romancier à succès de Patria (Tusquets 2016, publié en français sous le même titre chez Actes Sud en 2018, traduit par Claude Bleton) après un livre très personnel Autorretrato sin mí (Tusquets, 2018), présente dans Vetas profundas (Tusquets, 2019) 40 poèmes de grands écrivains en langue espagnole. Il s’approche d’eux sans aucune ambition universitaire et nous montre ce qu’ils représentent pour lui. Aramburu s’exprime essentiellement en prose, mais quand il était jeune il a participé dans sa ville natale basque à la fondation du groupe CLOC de Arte y Desarte, qui a édité entre 1978 et 1981 une revue. En début de semaine, j’ai trouvé un exemplaire de son livre chez Gibert. Los justos de Jorge Luis Borges est le premier poème qu’il analyse.
Los justos
Un hombre que cultiva un jardín, como quería Voltaire. El que agradece que en la tierra haya música. El que descubre con placer una etimología. Dos empleados que en un café del Sur juegan un silencioso ajedrez. El ceramista que premedita un color y una forma. Un tipógrafo que compone bien esta página, que tal vez no le agrada. Una mujer y un hombre que leen los tercetos finales de cierto canto. El que acaricia a un animal dormido. El que justifica o quiere justificar un mal que le han hecho. El que agradece que en la tierra haya Stevenson. El que prefiere que los otros tengan razón. Esas personas, que se ignoran, están salvando el mundo.
La cifra, 1981.
Les justes
Un homme qui cultive son jardin, comme le voulait Voltaire.
Celui qui est reconnaissant que sur la terre il y ait de la musique.
Celui qui découvre avec plaisir une étymologie.
Deux employés qui dans un café du Sud jouent un silencieux jeu d’échecs.
Le céramiste qui prémédite une couleur et une forme.
Un typographe qui compose bien cette page, qui peut-être ne lui plaît pas.
Une femme et un homme qui lisent les tercets finaux d’un certain chant.
Celui qui caresse un animal endormi.
Celui qui justifie ou veut justifier un mal qu’on lui a fait.
Celui qui est reconnaissant que sur terre il y ait un Stevenson.
Celui qui préfère que les autres aient raison.
Ces personnes, qui s’ignorent, sont en train de sauver le monde.
J’ai lu pour la troisième fois le petit texte de Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. 1952. Traduit en français par Philippe Bouquet. Actes Sud, 1981.
J’ai toujours beaucoup aimé cet écrivain suédois libertaire depuis la lecture il y a longtemps de L’enfant brûlé (Gallimard, collection « L’Imaginaire », 1981). Merci à C.W. de m’avoir rappelé ce texte.
Trois citations:
« Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier. »
« Personne ne peut énumérer tous les cas où la consolation est une nécessité. Personne ne sait quand tombera le crépuscule et la vie n’est pas un problème qui puisse être résolu en divisant la lumière par l’obscurité et les jours par les nuits, c’est un voyage imprévisible entre des lieux qui n’existent pas. Je peux, par exemple, marcher sur le rivage et ressentir tout à coup le défi effroyable que l’éternité lance à mon existence dans le mouvement perpétuel de la mer et dans la fuite perpétuelle du vent. Que devient alors le temps, si ce n’est une consolation pour le fait que rien de ce qui est humain ne dure – et quelle misérable consolation, qui n’enrichit que les Suisses !. »
« Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? Je suis obligé de répondre : nulle part. Si je veux vivre libre, il faut pour l’instant que je le fasse à l’intérieur de ces formes. Le monde est donc plus fort que moi. A son pouvoir je n’ai rien à opposer que moi-même – mais, d’un autre côté, c’est considérable. Car, tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre, je suis moi aussi une puissance. Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté. Mais ma puissance ne connaîtra plus de bornes le jour où je n’aurai plus que mon silence pour défendre mon inviolabilité, car aucune hache ne peut avoir de prise sur le silence vivant. Telle est ma seule consolation. Je sais que les rechutes dans le désespoir seront nombreuses et profondes, mais le souvenir du miracle de la libération me porte comme une aile vers un but qui me donne le vertige: une consolation qui soit plus qu’une consolation et plus grande qu’une philosophie c’est-à-dire une raison de vivre »
Stig Dagerman (de son vrai nom Stig Halvard Jansson), est né le 5 octobre 1923 à Älvkarleby, en Suède.
Il est abandonné à l’âge de six semaines par sa jeune mère, Helga Andersson, télégraphiste. Il ne la verra qu’une fois à l’âge de 19 ans. Il est élevé par ses grands-parents, des paysans pauvres et austères de la province suédoise de l’Uppland, car son père, Helmer Jansson, est poseur de rails et mineur de tunnels. Stig Dagerman arrive à Stockholm en 1932 pour vivre avec son père, remarié, et finir ses études. A quinze ans en 1938, il vend des journaux sur les bateaux de la Compagnie de Waxholm qui desservent l’archipel de Stockholm. En 1940, ses grands-parents sont assassinés par un dément. Sur les traces de son père, militant anarcho-syndicaliste, il s’inscrit en 1941 au Cercle de la jeunesse syndicaliste de Stockholm.
Il commence sa carrière littéraire d’abord comme journaliste pour des journaux syndicaux. Il sera rédacteur de la section culturelle du journal Abertaren, l’ organe officiel du mouvement syndicaliste suédois. Il prend alors le nom de Dagerman (Dager signifiant en suédois lumière du jour, issue, espoir).
En août 1943, il épouse Annemarie Götze, fille de réfugiés allemands anarcho-syndicalistes, originaires de Leipzig, pour qu’elle puisse rester en Suède. Ils auront deux fils.
En 1945, est publié son premier roman, Le Serpent (Ormen), où apparaît déjà le thème du suicide. Il participe à la petite revue littéraire 40-tal et fréquente les jeunes écrivains suédois (Lars Ahlin, Erik Linegren, Karl Vennberg). En septembre 1946, paraît L’île des condamnés.
D’octobre à décembre 1946, il est envoyé par le journal Expressen en Allemagne pour constater les dégâts des bombardements et témoigner de la misère et de la pauvreté qui y règnent. Le recueil de chroniques Automneallemand (Tysk Höst), dédié à Annemarie, est publié en mai 1947. Sa pièce, Le condamné à mort, est joué à partir du 19 avril 1947 au Théâtre Dramatique de Stockholm. Lors d’un séjour en Bretagne (juillet 1947-février 1948), il écrit L’enfant brûlé, son chef d’oeuvre. Les livres et les succès littéraires se succèdent. Mais à partir de 1949, il se trouve dans l’incapacité d’écrire. En 1950, il fait une tentative de suicide et entre en clinique psychiatrique pour soigner une dépression nerveuse.
Il divorce d’Annemarie Götze en 1950 et vit avec la célèbre actrice Anita Björk (1923-2012), la Mademoiselle Julie du film d’Alf Sjöberg, qu’il épousera en juin 1953. Leur fille Lo est née en 1951. Il ne pense ne plus être à la hauteur des espoirs que le public a mis en lui.
Toujours dépressif, dans la nuit du 3 au 4 novembre 1954, il s’enferme dans son garage, fait tourner le moteur et se laisse asphyxier. Il meurt à trente et un ans dans la banlieue de Stockholm.
Principales oeuvres:
Le Serpent (Ormen, 1945). Denoël, 1966, collection « Les Lettres Nouvelles ». Roman traduit par Carl Gustaf Bjurström et Hervé Coville. Réédité chez Gallimard en 1993 puis 2001.
L’Île des condamnés (De dömdas ö, 1946). Denoël, collection « Les Lettres Nouvelles », 1972. Roman traduit par Jeanne Gauffin. Réédité chez Agone en 2009.
Automne allemand ( Tysk höst, 1947). Actes Sud, 1980. Chroniques traduites par Philippe Bouquet. Livre réédité chez Actes Sud en 1999 puis 2004.
L’Ombre de Mart (Skuggan av Mart, 1948). Presses universitaires de Caen, 1993. Pièce de théâtre traduite par Gunilla Kock de Ribaucourt.
Printemps français (Fransk Vär, 1948). Ludd, 1995. Chroniques traduites par Philippe Bouquet. + Poèmes satiriques.
L’Enfant brûlé (Bränt Barn, 1948). Gallimard, 1956. Roman traduit par Élisabeth Backlund. Réédité chez Gallimard, collection « L’Imaginaire », 1981.
Ennuis de noces (Bröllopsbesvär, 1949). Maurice Nadeau / Papyrus. Roman traduit par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini, 1982. Christian Bourgois, 1990. Réédité chez 10/18, 1993.
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Vårt behov av tröst, 1952). Actes Sud, 1993. Essai traduit par Philippe Bouquet.
Dieu rend visite à Newton (Nattens Lekar, 1947 et Vart behov av tröst, 1955). Denoël, collection « Les Lettres Nouvelles »,1976. Recueil de 9 nouvelles traduites par Élisabeth Backlund et Carl Gustaf Bjurström, Réédition: Dieu rend visite à Newton, Éditions du Chemin de fer, 2009. Nouvelle. Illustrations de Mélanie Delattre-Vogt.
Les Wagons rouges (De röda vagnarna). Maurice Nadeau, 1987. Nouvelles traduites par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini.
Le Froid de la Saint-Jean. Maurice Nadeau, 1988. Nouvelles traduites par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini.
Notre plage nocturne (Vår nattliga badort). Maurice Nadeau, 1988. Recueil de 10 nouvelles traduites par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini.
Quelle ville ressemble au vin ?
Paris.
Tu bois le premier verre.
Il est âpre.
Au second,
il te monte à la tête,
Au troisième,
Impossible de quitter la table:
Garçon, encore une bouteille !
Ensuite, où que tu sois
où que tu ailles
tu es accro de Paris, mon vieux.
Quelle ville
demeure belle même s’il pleut quarante jours durant ?
Paris…
Fils de Hikmet, dans quelle ville
voudrais-tu mourir ?
A Istanbul,
A Moscou,
et aussi à Paris…
A quel moment Paris devient-il laid?
Quand on met à sac les imprimeries,
et qu’on brûle les livres.
Qu’est-ce qui n’est pas seyant pour Paris ?
Les cars noirs aux vitres grillagées.
Dans quelle ville as-tu mangé
le pain le plus pur ?
A Paris.
Les croissants au beurre surtout.
A croire qu’ils sortent
du boulanger à Chehzadébachi.
Ce que tu as le plus aimé à Paris ?
C’est Paris.
A qui as-tu porté des fleurs, camarade ?
Au Mur des Fédérés,
Et aussi à une belle, fine comme la branche.
Parmi les tiens, qui as-tu rencontré à Paris ?
Namik Kemal, Ziya Pacha, Moustafa Suphi,
et puis la jeunesse de ma mère :
elle fait de la peinture,
elle parle français,
elle est la plus belle du monde.
Et puis j’ai rencontré aussi
la jeunesse de Mimi.
Bon; à qui Paris ressemble-t-il ? Au Parisien… Est-ce que tu crois en Paris, fils-de-l’homme ? Je crois en Paris.
Paris, 15 mai 1958
Il neige dans la nuit et autres poèmes, Gallimard, 1999. Choix et traduction Munevver et Guzine Dino.
L’automne déjà!—Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, — loin des gens qui meurent sur les saisons.
L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l’ivresse, les mille amours qui m’ont crucifié! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J’aurais pu y mourir… L’affreuse évocation ! J’exècre la misère.
Et je redoute l’hiver parce que c’est la saison du comfort!
— Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée!
Moi! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre! Paysan!
Suis-je trompé, la charité serait-elle sœur de la mort, pour moi?
Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours?
————
Oui, l’heure nouvelle est au moins très sévère.
Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent,—des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes.—Damnés, si je me vengeais !
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie ! un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, —j’ai vu l’enfer des femmes là-bas;—et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
Le 28 ème Prix Reina Sofía de Poésie Ibéro-américaine, la plus haute récompense du genre dans le monde hispanique, a été décernée hier au poète catalan Joan Margarit, né en 1938 à Sanahuja dans la Province de Lérida. C’est le second auteur en catalan qui obtient ce prix. Le premier fut, en 2000, Pere Gimferrer.
Son père était architecte et sa mère institutrice. Pendant son enfance, sa famille change constamment de domicile. Elle s’installe à Santa Cruz de Tenerife (Canaries) en 1954. Joan Margarit étudie l’architecture à Barcelone où il s’installe définitivement en 1963. Il exerce son métier dans cette ville et est aussi professeur de calcul de structures à l’Ecole Supérieure d’Architecture de l’Université de Barcelone. Il a d’abord publié en castillan. Mais, encouragé par son ami le poète Miquel Martí i Pol (1929-2003), il écrit dans sa langue maternelle à partir de 1978. Il se considère comme un écrivain bilingue. C’est un des poètes catalans les plus lus en Catalogne et dans le reste de la Péninsule. Sa poésie est autobiographique et réaliste.
Cuesta de Atocha
Ens creuem. Ells dos pujen:
la cadira de rodes on s’asseu
encongit, gemegant, un home jove
i el pare, que l’empeny.
Per fer més força, tira els peus enrere i
estira tant com pot cames i braços.
Així, encorbat i tens,
gairebé no pot vèncer la pujada.
Sé el que sent: que es fa vell.
Un maleït instant, en compadir aquest
pare, m’equivoco: encara té el seu fill.
Ara que ja han passat,
contemplo amb un somriure com s’allunyen.
Una dona a un portal em mira amb mala cara.
No sap en quina escena d’amor s’està ficant.
Un hivern fascinant (Proa, 2017)
Cuesta de Atocha
Ellos dos van subiendo y nos cruzamos, en la silla de ruedas, sentado y encogido, solloza un hombre joven. El padre, que la empuja, echa hacia atrás los pies y, para hacer más fuerza, estira cuanto puede las piernas y los brazos. Así, encorvado y tenso, puede vencer apenas la subida. Sé lo que siente: que se ha hecho viejo. Por un maldito instante compadezco a ese padre: un error, puesto que él todavía tiene a su hijo. Esbozo una sonrisa mientras van alejándose. Desde un portal, una mujer me mira con reproche. No comprende en qué escena de amor se está metiendo.
Un asombroso invierno (Visor, 2018).
Primer amor (Joan Margarit)
a José Agustín Goytisolo
En la Girona trista dels set anys,
on els aparadors de la postguerra
tenien un color gris de penúria,
la ganiveteria era un esclat
de llum en els petits miralls d’acer.
Amb el front descansant damunt del vidre,
mirava una navalla, llarga i fina,
bella com una estàtua de marbre.
Com que els de casa no volien armes,
vaig comprar-la en secret i, en caminar,
la sentia, pesant, dins la butxaca.
A vegades l’obria a poc a poc
i sorgia la fulla recta i prima
amb la conventual fredor de l’arma.
Presència callada del perill:
vaig amagar-la, els trenta primers anys,
rere llibres de versos i després
dins un calaix, entre les teves calces
i entre les teves mitges.
Ara, a punt de complir els cinquanta quatre,
torno a mirar-la oberta al meu palmell,
tan perillosa com a la infantesa.
Sensual, freda. Més a prop del coll.
Els motius del llop, 1993.
Primer amor a José Agustín Goytisolo
Triste Girona de mis siete años: en la posguerra los escaparates tenían un color gris de penuria. Y, sin embargo, en la cuchillería, en cada hoja de acero destellaba la luz como si se tratase de pequeños espejos. Descansando la frente en el cristal, miraba una navaja larga y fina, bella como una estatua de mármol. Puesto que en casa no querían armas, fui a comprarla en secreto y, al andar, la sentía, pesada, en mi bolsillo. Cuando, a veces, la abría, muy despacio, surgía, recta y afilada, la hoja con esa conventual frialdad del arma. Silenciosa presencia del peligro: la oculté, los primeros treinta años, tras los libros de versos y, después, en un cajón, metida entre tus bragas y entre tus medias. Hoy, cerca ya de los cincuenta y cuatro, vuelvo a mirarla, abierta en la palma de mi mano, igual de peligrosa que en la infancia. Fría, sensual. Más cerca de mi cuello.
La llibertat
La llibertat és la raó de viure, dèiem, somniadors, d’estudiants. És la raó dels vells, matisem ara, la seva única esperança escèptica. La llibertat és un estrany viatge. Són les places de toros amb cadires damunt la sorra en temps d’eleccions. És el perill, de matinada, al metro, són els diaris al final del dia. La llibertat és fer l’amor als parcs. La llibertat és quan comença l’alba en un dia de vaga general. És morir lliure. Són les guerres mèdiques. Les paraules República i Civil. Un rei sortint en tren cap a l’exili. La llibertat és una llibreria. Anar indocumentat. Són les cançons de la guerra civil. Una forma d’amor, la llibertat.
Els primers freds. Poesía 1975-1995. Proa.
La libertad
Es la razón de nuestra vida,
dijimos, estudiantes soñadores.
La razón de los viejos, matizamos ahora,
su única y escéptica esperanza.
La libertad es un extraño viaje.
Son las plazas de toros con las sillas
sobre la arena en las primeras elecciones.
Es el peligro que, de madrugada,
nos acecha en el metro,
son los periódicos al fin de la jornada.
La libertad es hacer el amor en los parques.
Es el alba de un día de huelga general.
Es morir libre. Son las guerras médicas.
Las palabras República y Civil.
Un rey saliendo en tren hacia el exilio.
La libertad es una librería.
Ir indocumentado.
Las canciones prohibidas.
Una forma de amor, la libertad.
Principaux titres
Cantos para la coral de un hombre solo. Barcelona: Editorial Vicens Vives. 1963. (Con prólogo de Camilo José Cela e ilustraciones de Josep María Subirachs).
Gustave Flaubert publie le 31 mars 1874 La Tentation de saint Antoine chez Georges Charpentier, un nouvel éditeur. Le premier tirage est de deux mille exemplaires. Ils sont vendus en moins de trois semaines. D’autres éditions suivent. Pourtant, la critique est dans l’ensemble très négative. Pendant vingt-sept ans, il avait pensé écrire ce livre. C’est une sorte de poème fantastique construit sur le personnage du célèbre ermite hanté par des visions et tenté par le diable. Il avait vu le tableau attribué à Pieter Brueghel le Jeune en 1845 au Palais Balbi de Gênes. Il accompagnait alors sa sœur Caroline et son mari Emile Hamard lors de leur voyage de noces en Italie.
Cet échec le déprime. Il se sent vidé. Son médecin, le Docteur Hardy, lui conseille de passer une vingtaine de jours dans les Alpes suisses pour se «dénévropathiser». Au début de juillet 1874, il commence son séjour à Kaltbad Rigi où il occupe une petite chambre d’hôtel face au Lac des Quatre-Cantons et aux sommets du Rigi. Il marche, se repose, mais la solitude lui pèse. La présence de touristes allemands ou anglais l’énerve. Il s’ennuie. Il écrit à George Sand le 3 juillet: « Je ne suis pas l’homme de la Nature. Et je ne comprends rien aux pays qui n’ont pas d’histoire. Je donnerais tous les glaciers de la Suisse pour le musée du Vatican. C’est là qu’on rêve.» Le 18 juillet, son ami Edmond Laporte vient le rejoindre et il rentre à Rouen en passant par Dieppe.
À IVAN TOURGUENEFF. Jeudi, 2 juillet 1874. Kaltbad, Rigi, Suisse.
Moi aussi j’ai chaud, et je possède cette supériorité ou infériorité sur vous que je m’embête d’une façon gigantesque. Je suis venu ici pour faire acte d’obéissance, parce qu’on m’a dit que l’air pur des montagnes me dérougirait et me calmerait les nerfs. Ainsi soit-il. Mais jusqu’à présent je ne ressens qu’un immense ennui, dû à la solitude et à l’oisiveté ; et puis, je ne suis pas l’homme de la Nature: «ses merveilles» m’émeuvent moins que celles de l’Art. Elle m’écrase sans me fournir aucune «grande pensée». J’ai envie de lui dire intérieurement: «C’est beau; tout à l’heure je suis sorti de toi; dans quelques minutes j’y rentrerai; laisse-moi tranquille, je demande d’autres distractions.»
Les Alpes, du reste, sont en disproportion avec notre individu. C’est trop grand pour nous être utile. Voilà la troisième fois qu’elles me causent un désagréable effet. J’espère que c’est la dernière. Et puis mes compagnons, mon cher vieux, ces messieurs les étrangers qui habitent l’Hôtel! tous Allemands ou Anglais, munis de bâtons et de lorgnettes. Hier, j’ai été tenté d’embrasser trois veaux que j’ai rencontrés dans un herbage, par humanité et besoin d’expansion.
Mon voyage a mal commencé, car je me suis fait, à Lucerne, extraire une dent par un artiste du lieu. Huit jours avant de partir pour la Suisse j’ai fait une tournée dans l’Orne et le Calvados et j’ai enfin trouvé l’endroit où je gîterai mes deux bonshommes. Il me tarde de me mettre à ce bouquin-là, qui me fait d’avance une peur atroce. (…)
Pour m’occuper, je vais tâcher de creuser deux sujets encore fort obscurs. Mais je me connais, je ne ferai ici absolument rien. Il faudrait avoir vingt-cinq ans et se promener ici avec la bien-aimée. Les chalets se suivant dans l’eau sont des nids à passion. Comme on la serrerait bien contre son coeur au bord des précipices; quelles expansions, couchés sur l’herbe, au bruit des cascades, avec le bleu dans le coeur et sur la tête! Mais tout cela n’est plus à notre usage, mon vieux, et a toujours été fort peu au mien.
Je répète qu’il fait atrocement chaud, les montagnes couvertes de neige au sommet sont éblouissantes. Phoebus darde toutes ses flèches. Messieurs les voyageurs confinés dans leurs chambres dînent et boivent. Ce qu’on boit et ce qu’on mange en Helvétie est effrayant. Partout des buvettes, des «restaurations». Les domestiques de Kaltbad ont des tenues irréprochables: habit noir dès 9 heures du matin; et comme ils sont fort nombreux, il vous semble qu’on est servi par un peuple de notaires, ou par une foule d’invités à un enterrement; on pense au sien, c’est gai.
Écrivez-moi souvent et longuement; vos lettres seront pour moi «la goutte d’eau dans le désert».
Depuis Dieppe le 29 juillet 1874, il écrit encore à Ivan Tourgueniev «Mon séjour (ou plutôt mon oisiveté crasse) au Righi m’a abruti. On ne devrait jamais se reposer, car du moment qu’on ne fait plus rien, on songe à soi, et dès lors on est malade, ou l’on se trouve malade, ce qui est synonyme.»
Il se lance ensuite dans l’écriture de Bouvard et Pécuchet. le projet de ce roman remonte à 1872.