Tal vez porque cantamos embriagados la vida crees que fue con nosotros lo que tú llamas buena. Puedes aproximarte, puedes tocar la herida de amargura y de sangre hasta los bordes llena.
Ganamos la alegría bajo un cielo sombrío,
mientras el desaliento nos prendía en sus redes.
Hemos tenido sueño, hemos tenido frío,
hemos estado solos entre cuatro paredes.
Vivimos…Llena el alma la hermosura más plena;
En países de nieblas también nacen flores.
Después de la amargura y después de la pena
es cuando la vida da sus más bellos colores.
«J’ai jeté un dernier regard sur les montagnes du nord que les brouillards du soir couvraient d’un rideau blanc, sur la vallée du midi, sur l’ensemble du paysage, et je suis retourné à ma chambre solitaire. À une heure du matin, le vent soufflant avec violence, je me suis levé, et j’ai passé le reste de la nuit sur la terrasse. Le ciel était chargé de nuages, la tempête mêlait ses gémissements, dans les colonnes du temple, au bruit de la cascade: on eût cru entendre des voix tristes sortir des soupiraux de l’antre de la Sibylle. La vapeur de la chute de l’eau remontait vers moi du fond du gouffre comme une ombre blanche: c’était une véritable apparition. Je me croyais transporté au bord des grèves ou dans les bruyères de mon Armorique, au milieu d’une nuit d’automne; les souvenirs du toit paternel effaçaient pour moi ceux des foyers de César: chaque homme porte en lui un monde composé de tout ce qu’il a vu et aimé, et où il rentre sans cesse, alors même qu’il parcourt et semble habiter un monde étranger.»
Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
un vêtement qui vous va bien
qui vous va mal
qui vous va à peu près
vous qui passez
animés d’une vie tumultueuse aux artères
et bien collée au squelette
d’un pas alerte sportif lourdaud
rieurs renfrognés, vous êtes beaux
si quelconques
si quelconquement tout le monde
tellement beaux d’être quelconques
diversement
avec cette vie qui vous empêche
de sentir votre buste qui suit la jambe
votre main au chapeau
votre main sur le cœur
la rotule qui roule doucement au genou
comment vous pardonner d’être vivants…
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
comment vous pardonner
ils sont morts tous
vous passez et vous buvez aux terrasses
vous êtes heureux elle vous aime
mauvaise humeur souci d’argent
comment comment
vous pardonner d’être vivants
comment comment
vous ferez-vous pardonner
par ceux-là qui sont morts
pour que vous passiez
bien habillés de tous vos muscles
que vous buviez aux terrasses
que vous soyez plus jeunes chaque printemps
Je vous en supplie faites quelque chose apprenez un pas une danse quelque chose qui vous justifie qui vous donne le droit d’être habillés de votre peau de votre poil apprenez à marcher et à rire parce que ce serait trop bête à la fin que tant soient morts et que vous viviez sans rien faire de votre vie.
Charlotte Delbo est née le 10 août 1913 à Vigneux-sur-Seine. Elle est morte le 1er mars 1985 à Paris. Issue d’une famille d’ouvriers italiens, elle adhère en 1932 aux Jeunesses communistes, puis en 1936 à l’Union des jeunes filles de France fondée par Danielle Casanova. A l’Université ouvrière, elle rencontre en 1934 son futur mari, le militant communiste Georges Dudach, formé à Moscou, qu’elle épouse en 1936. Elle travaille avant la guerre comme assistante du metteur en scène Louis Jouvet. Pendant l’Occupation, après avoir hésité, elle part avec lui et la troupe de l’Athénée en Amérique du Sud en mai 1941. Elle revient à Paris le 15 novembre1941. Elle s’engage alors dans la Résistance avec son mari. Ils font partie du «groupe Politzer», chargé de la publication des Lettres françaises dont Jacques Decour est le rédacteur en chef. Charlotte Delbo est chargée de l’écoute de Radio Londres et de Radio Moscou qu’elle prend en sténo ainsi que de la dactylographie des tracts et revues. Charlotte Delbo et son mari sont arrêtés le 2 mars 1942 au 93 rue de la Faisanderie (16e arrondissement de Paris) par les Brigades spéciales,. Georges Dudach est fusillé au fort du Mont-Valérien le 23 mai 1942, à l’âge de 28 ans. Elle est déportée à Auschwitz par le convoi du 24 janvier 1943 parmi 230 femmes. Elle sera l’une des 49 rescapées de ce convoi. Elle écrira des années plus tard son indispensable trilogie Auschwitz et après. Aucun de nous ne reviendra (1965) Une connaissance inutile (1970) Mesure de nos jours (1971)
De 1965 à 1972, j’ai habité Vigneux-sur-Seine. Charlotte Delbo est enterré dans le même cimetière que mon père et ma seconde mère.
Ô vous qui savez… Ô vous qui savez saviez-vous que la faim fait briller les yeux que la soif les ternit Ô vous qui savez saviez-vous qu’on peut voir sa mère morte et rester sans larmes Ô vous qui savez saviez-vous que le matin on veut mourir que le soir on a peur Ô vous qui savez saviez-vous qu’un jour est plus qu’une année une minute plus qu’une vie Ô vous qui savez saviez-vous que les jambes sont plus vulnérables que les yeux les nerfs plus durs que les os le cœur plus solide que l’acier Saviez-vous que les pierres du chemin ne pleurent pas qu’il n’y a qu’un mot pour l’épouvante qu’un mot pour l’angoisse Saviez-vous que la souffrance n’a pas de limite l’horreur pas de frontière Le saviez-vous Vous qui savez.
Auschwitz et après : Aucun de nous ne reviendra (Editions de Minuit, 1970)
De nombreux écrivains sont nés en Sicile: Empédocle, Giovanni Verga, Luigi Pirandello, Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Salvatore Quasimodo, Elio Vittorini, Vitaliano Brancati, Gesualdo Bufalino, Leonardo Sciascia, Andrea Camilleri, Vincenzo Consolo.
Le jeudi 8 juin 2017, lors de notre voyage en Sicile, nous avons visité les villes du baroque tardif du Val di Noto: Raguse, Modica et Noto, classées au patrimoine mondial de l’Unesco en 2002.
J’avais pensé alors à Quasimodo et à Antonioni.
Salvatore Quasimodo, le poète italien, est né à Modica. Il apparaît brièvement dans le film La Notte (1961) de Michelangelo Antonioni. Ce même metteur en scène a situé une partie de l’intrigue de L’Avventura à Noto (1960).
J’ai relu ces derniers jours quelques poèmes de Quasimodo, auteur bien oublié et même critiqué en Italie, car il reçut le Prix Nobel de littérature en 1959, alors qu’ à la même époque il y avait Giuseppe Ungaretti (1888-1970) ou Eugenio Montale (1896-1981).
Salvatore Quasimodo est né le 20 août 1901 à Modica (Province de Raguse) en Sicile. Il est mort le 14 juin 1968 à Naples.
Le jeune Quasimodo venait d’une famille modeste. Il ne put finir les études d’ingénieur qu’il avait entreprises à Rome où il vécut de 1919 à 1926. Un diplôme de physique en poche, il y exerça plusieurs métiers et publia ses premiers vers. Il apprit alors les langues classiques en autodidacte. En 1929, il rejoignit à Florence sa sœur Rosa et son beau-frère, Elio Vittorini (1908-1966). Il fréquenta les milieux intellectuels de la capitale toscane et collabora à la revue “Solaria”. Sa poésie dite “ermetica” porte la marque de la culture sicilienne traditionnelle, méditerranéenne, avec sa composante arabe.
En 1934, il connut ses premiers succès littéraires à Milan. D’une relation avec la danseuse Maria Cumani, naquit son fils Alessandro en 1939. Au début des années 40, Il remporta un vrai succès avec ses traductions en hendécasylabes des Lyriques grecs. En 1941, le régime fasciste le nomma professeur de littérature italienne au conservatoire Giuseppe Verdi de Milan.
La guerre marqua une rupture. Sa poésie, jusqu’alors influencée par l’hermétisme d’Ungaretti, fut alors envahie par l’histoire, la réalité, la chronique. En 1945, il adhéra au Parti Communiste Italien. Il rêva comme d’autres d’une poésie solidaire qui pût transformer le monde.
Il reçut de nombreux prix littéraires, dont le Viareggio pour La terra impareggiabile (1958), sans réussir jamais à faire l’unanimité parmi les critiques italiens. Il publia Il Poeta e il Politico en 1960, livre-plaidoyer face aux polémiques apparues dans son pays.
Avec Giuseppe Ungaretti et Eugenio Montale, il est l’un des grands poètes italiens du xxe siècle et l’une des grandes figures de l’hermétisme, un “ermetismo” naturel à l’italienne, émergeant des grands mythes ancestraux de son île: une Sicile grecque, immuable. Les thèmes de sa poésie sont la mémoire, l’enfance, l’île. Cette île perdue est reconquise un instant par la vision mélancolique du poète.
Il a aussi traduit les poètes latins (Catulle, Ovide), Molière, Shakespeare et e. e. cummings (1894-1962).
Oeuvres poétiques: Acque e terre. Poesie, Florence, Edizioni di “Solaria”, 1930. Oboe sommerso, Gênes, Edizioni di “Circoli”, 1932. Odore di eucalyptus ed altri versi, Florence, Antico Fattore, 1933. Erato e Apòllìon, Milan, Scheiwiller, 1936. Poesie, Milan, éd. Primi Piani, 1938. Ed è subito sera, Milan-Vérone, A. Mondadori, 1942. Giorno dopo giorno, Milan, A. Mondadori, 1947. La vita non è sogno, Milan, A. Mondadori, 1949. Il falso e vero verde, Milan, Schwarz, 1956. La Terra impareggiabile, Milan, A. Mondadori, 1958. Dare e avere. 1959-1965, Milan, A. Mondadori, 1966.
Ognuno sta solo sul cuor della terra
Traffito da un raggio di sole:
Ed è subito sera.
Acqua e terra, 1930
Et c’est d’un coup le soir
Chacun est seul sur le coeur de la terre Traversé d’un rayon de soleil et c’est, d’un coup, le soir
Traduit de l’italien par Jean Orizet. Revue “Poésie 1, N° 33, Mars 2003” Le Cherche-midi éditeur, 2003.
ISOLA
Io non ho che te
cuore della mia razza.
Di te amore m’attrista,
mia terra, se oscuri profumi
perde la sera d’aranci,
o d’oleandri, sereno,
cammina con rose il torrente
che quasi n’è tocca la foce.
Ma se torno a tue rive
e dolce voce al canto
chiama da strada timorosa
non so se infanzia o amore,
ansia d’altri cieli mi volge,
e mi nascondo nelle perdute cose.
Oboe sommerso, Edizioni di Circoli, Genova, 1932, in Salvatore Quasimodo, Tutte le poesie con uno scritto di Elio Vittorini, Oscar grandi classici, Oscar Mondadori Editore, 1995, pagina 60.
ÎLE
JE N’AI QUE TOI, CŒUR de MA RACE.
L’amour que j’ai de toi m’attriste,
ô ma terre, quand le soir laisse filer
d’obscurs parfums d’oranges,
de lauriers roses et que, serein,
le torrent charrie des roses qu’il emporte
presque jusqu’à l’embouchure.
Mais quand je me tourne vers tes rives
et qu’une douce voix chantante
s’élève d’une rue pour m’appeler craintive
je ne sais si me touche l’enfance ou l’amour
ou l’angoisse d’autres cieux
et je me cache dans les choses perdues.
Et soudain c’est le soir, Librairie Elisabeth Brunet, Rouen, novembre 2005, pp. 116-117. Traduit de l’italien par Patrick Reumaux.