Léon (Lev) Nicolaïevitch Tolstoï (1828-1910) était le fils du comte Nicolas Ilitch Tolstoï et de la comtesse Marie Nikolaïevna Volkonskaïa. Ils eurent cinq enfants: Serge, Nicolas, mort de tuberculose à Hyères en 1860, Dimitri, mort de la même maladie en 1856, Léon et Marie. Peu de temps après la naissance de Marie, en août 1830, alors que Léon n’avait que dix-huit mois, la comtesse mourut d’une fièvre puerpérale. Jusqu’à huit ans et demi, Léon ne connut que la campagne à Iasnaïa Poliana. Ensuite, sa famille s’installa à Moscou. A la mort subite du père en 1837, les enfants furent confiés successivement à la tutelle de deux tantes.
Iasnaïa Poliana (littéralement, «La clairière aux frênes ») se trouve dans le Gouvernement de Toula. Léon Tolstoï hérita de ce domaine de 380 hectares à la mort de sa mère. La propriété se trouve près de la ville de Toula, à 200 km au sud de Moscou.
A la fin de sa vie, Léon Tolstoï a plusieurs fois formulé la volonté d’être inhumé à Iasnaïa Poliana:
« Qu’il n’y ait aucun rite lors de l’inhumation de mon corps ; un cercueil en bois et que celui qui le veut bien le porte ou transporte à la forêt Stariï Zakaz, au bord du ravin, à l’endroit où se trouvait la baguette verte.» Cette légende, Tolstoï l’a apprise de son frère, Nicolas. A l’âge de douze ans, Nicolas a annoncé qu’il possédait un grand secret: une fois que les hommes l’apprendraient, la vie serait éternelle, sans guerres ni maladies, et tous les hommes deviendraient des «frères fourmis» (selon Léon Tolstoï, en référence à l’idéal des Frères moraves (mouraveï = «fourmi» en russe). Il ne restait qu’à trouver la baguette verte enfouie dans le ravin. C’est là que le secret serait gravé. S’installant sous les chaises couvertes de foulards, les enfants Tolstoï jouaient aux «frères-fourmis». Assis étroitement sous un toit, ils sentaient le bonheur et l’amour et rêvaient à l’arrivée d’une fraternité de fourmis pour tous les hommes. Agé, Léon Tolstoï a dit: « C’était très très bien, et je remercie Dieu d’avoir eu la chance de jouer à ce jeu. Nous l’avons appelé jeu, pourtant, tout est jeu dans l’ univers, sauf cela».
Le 28 octobre 1910, (ancien calendrier; 10 novembre, calendrier grégorien) Léon Tolstoï a quitté Iasnaïa Poliana pour une destination inconnue. Dix jours après son départ, le 7 novembre (20 novembre), il est mort de pneumonie à la petite gare d’Astapovo, gouvernement de Riazan. Le cercueil avec son corps sera transporté à Iasnaïa Poliana où le 9 novembre (22 novembre) se dérouleront ses funérailles civiles. Il sera enterré, comme il le souhaitait, dans la forêt Stariï Zakaz, à l’endroit de la baguette verte. La tombe de Tolstoï est très simple: une colline verte au bord du ravin, ni une pierre, ni même une croix…
Stefan Zweig, Le monde d’hier. Souvenirs d’un Européen. (Publication posthume, 1943) «Ni la crypte de Napoléon sous la coupole de marbre des Invalides, ni le cercueil de Goethe dans le caveau des princes, ni les monuments de l’abbaye de Westminster n’impressionnent autant que cette tombe merveilleusement silencieuse, à l’anonymat touchant, quelque part dans la forêt, environnée par le murmure du vent, et qui ne livre par elle-même nul message, ne profère nulle parole.»
Nathalie Léger, La robe blanche, POL, 2018. « On dit qu’il existe, quelque part au fond d’un creux herbeux de la lointaine forêt Starii Zakaz sur le domaine d’Isnaïa Poliana, une baguette verte sur laquelle est gravé le secret de la souffrance des hommes et la formule qui permet d’effacer le mal en eux pour toujours. Enfants, Tolstoï et ses frères savaient que la baguette était là, au fond du creux du fond de la forêt, rayonnante de toute la force de son énigme et de son rêve immortel. C’est là, dans la forêt, près de la baguette verte, que Tolstoï a demandé à être enterré. Chacun de ses récits est une recherche éperdue de la baguette, la tentative de déchiffrer la formule, de percer le secret.»