Un jour avant l’entrée de l’armée allemande dans Paris, le 13 juin 1940, Walter Benjamin quitte la capitale et se rend à Lourdes où il arrive le 15 juin. Il y reste deux mois. De là, il part à Marseille à la mi-août et finalement arrive à Port-Vendres le 25 septembre 1940 avec l’intention de fuir en Espagne. Arrivé dans la petite commune des Pyrénées-Orientales, il se fait connaître auprès de Hans et Lisa Fittko (née Elizabeth Eckstein 1909-2005), deux Allemands passés dans la résistance au nazisme, qui peuvent lui faire franchir la frontière clandestinement. Walter Benjamin a quarante-huit ans, il souffre de multiples pathologies. Son dos (sciatique chronique), son cœur (myocardite) font qu’il prend de la morphine afin de soulager ses douleurs. Avec deux autres candidats à l’exil, Henny Gurland (1900-1952, femme photographe rencontrée à Marseille et future épouse du psychanalyste Erich Fromm) et son fils José, âgé de seize ans, conduits par Lisa, ils parviennent au bout d’une dizaine d’heures à Portbou. Il y écrit sa toute dernière lettre en français le 25 septembre 1940: «Dans une situation sans issue, je n’ai d’autre choix que d’en finir. C’est dans un petit village dans les Pyrénées où personne ne me connaît que ma vie va s’achever». Dans la soirée du 26 septembre 1940, après avoir franchi la frontière, Walter Benjamin se suicide à l’hôtel Fonda de Francia en absorbant une forte dose de morphine. Il meurt vers 22 heures.
D’après Lisa Fittko, les autorités espagnoles ont avisé les trois fuyards qu’une nouvelle directive du gouvernement espagnol préconisait la reconduite des apatrides en France, ce que Benjamin n’aurait pas supporté. La nouvelle réglementation ne fut toutefois jamais appliquée et était sans doute déjà annulée quand il se donna la mort.
Les papiers contenus dans la serviette en cuir de Benjamin qui incluait, disait-il, un manuscrit «plus important que sa vie», n’ont pas été retrouvés même s’ils ont été répertoriés comme liasse de manuscrit dans la main courante de la police de Portbou. Le philosophe a aussi écrit une lettre d’adieu à Theodor W. Adorno, dictée à sa compagne de fuite Henny Gurland.
Il est enterré dans le cimetière de Portbou (niche n°563) Son corps est jeté à la fosse commune le 24 décembre 1945, une fois le délai de location de l’emplacement de cinq ans dépassé.
Bien que sa dépouille n’ait jamais été retrouvée, un monument funéraire lui est dédié au cimetière de Portbou. Une œuvre commémorative du sculpteur israélien Dani Karavan intitulée Passages a été érigée en 1990-94 en hommage au philosophe dans le petit port catalan.
Son frère cadet qui exerça toujours la médecine à Berlin meurt dans le camp de concentration de Mauthausen le 26 août 1942.
(À l’automne 1942, Hannah Arendt écrit ce poême à la mémoire de Walter Benjamin )
Un jour le crépuscule reviendra,
La nuit tombera des étoiles,
Nous reposerons nos membres disloqués
Près d’ici, loin d’ici.
Dans les ténèbres on entend
Poindre de douces mélodies.
Écoutons bien, perdons nos habitudes,
Brisons enfin les rangs.
Voix lointaines, chagrin proche – :
La voix de chacun des morts,
Qui nous précède, messager envoyé
Pour nous conduire au sommeil.
Sur la libre mort de l’exilé W.B. (Bertolt Brecht)
J’apprends que tu as levé la main sur toi-même
Devançant ainsi le bourreau.
Après huit ans d’exil passés à observer le monde de l’ennemi
Rejeté à la fin vers une frontière infranchissable
Tu as franchi, me dit-on, une frontière infranchissable.
Des empires s’écroulent. Les chefs de bande
Paradent en jouant les hommes d’État. Les peuples
Disparaissent, invisibles sous les armements.
Ainsi l’avenir est dans la nuit et les forces des bons
Sont chétives. Tout cela tu le vis
Quand tu détruisis ton corps torturable.
1941. Poèmes VI. 1941-47.
A Walter Benjamin, qui se suicida alors qu’il fuyait devant Hitler (Bertolt Brecht)
Fatiguer l’adversaire était ta tactique préférée
Lors des parties d’échecs à l’ombre du poirier
L’ennemi qui t’a fait quitter tous tes papiers
Par des gens comme nous ne se laisse pas fatiguer.