Albert Camus

Albert Camus, 17 octobre 1957.

“Ce n’est pas me réfuter que de réfuter la non-violence. Je n’ai jamais plaidé pour elle. Et c’est une attitude qu’on me prête pour la commodité d’une polémique. Je ne pense qu’il faille répondre aux coups par la bénédiction. Je crois que la violence est inévitable, les années d’occupation me l’ont appris. Pour tout dire, il y a eu, en ce temps-là, de terribles violences qui ne m’ont posé aucun problème. Je ne dirai donc point qu’il faut supprimer toute violence, ce qui serait souhaitable, mais utopique, en effet. Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence, que cette violence lui vienne d’une raison d’État absolue, ou d’une philosophie totalitaire. La violence est à la fois inévitable et injustifiable. Je crois qu’il faut lui garder son caractère exceptionnel et la resserrer dans les limites qu’on peut. Je ne prêche donc ni la non-violence, j’en sais malheureusement l’impossibilité, ni, comme disent les farceurs, la sainteté: je me connais trop pour croire à la vertu toute pure. Mais dans un monde où on s’emploie à justifier la terreur avec des arguments opposés, je pense qu’il faut apporter une limitation à la violence, la cantonner dans certains secteurs quand elle est inévitable, amortir ces effets terrifiants en l’empêchant d’aller jusqu’au bout de sa fureur. J’ai horreur de la violence confortable. J’ai horreur de ceux dont les paroles vont plus loin que les actes. C’est en cela que je me sépare de quelques-uns de nos grands esprits, dont je m’arrêterai de mépriser les appels au meurtre quand ils tiendront eux-mêmes les fusils de l’exécution.”

Deux réponses à d’Astier de la Vigerie in Actuelles. Écrits politiques, 1950. Gallimard-Folio. Première réponse publiée dans Caliban n°16. Mai 1948.

Emmanuel d’Astier de la Vigerie 1900-1969.

Emmanuel d’Astier de la Vigerie, grand résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, fonde en 1941 le mouvement Libération-Sud et le journal Libération, puis devient, en novembre 1943 et jusqu’en septembre 1944, commissaire à l’Intérieur de la France libre. Élu député après-guerre, il est l’un des «compagnons de route» du Parti communiste français, puis devient gaulliste de gauche. Fait unique dans l’ordre de la Libération, ses frères François (1886-1956) et Henri (1897-1952) sont également compagnons de la Libération.

Un grand article de Philippe Lançon sur Camus. Libération 02/01/2010.

https://next.liberation.fr/culture/2010/01/02/camus-cet-etrange-ami_602169

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