J’ai vu samedi dernier au Centre Pompidou dans le cadre de Génération Documentaire (40 ans de cinéma aux Films d’ici) le film de Carmen Castillo Calle Santa Fe (2007). 164 minutes. La réalisatrice chilienne était présente dans la salle ainsi que le journaliste Olivier Duhamel.
Elle a survécu à son compagnon, Miguel Enríquez, chef du parti d’extrême-gauche, le MIR, qui résistait à la répression sanglante de la dictature du Général Pinochet après le coup d’état du 11 septembre 1973. Il a été abattu le 5 octobre 1974, au cours d’un affrontement avec les agents de la Direction de l’intelligence nationale (DINA), au 275 de la rue Santa Fe, à San Miguel, une municipalité de la banlieue sud de Santiago du Chili. Carmen Castillo était enceinte. Elle a été gravement blessée, mais elle a survécu. Un voisin a appelé une ambulance et elle a pu être emmenée à l’hôpital. Quelques semaines plus tard, après une intense campagne de solidarité internationale, elle fut expulsée du pays avec interdiction d’y revenir sous peine de mort.
Le point de départ du film est le voyage de la réalisatrice sur les lieux où elle a vécu dans la clandestinité. Elle se souvient, revient à Santiago, rencontre sa famille aisée et influente, retrouve la rue, la maison où elle et Miguel Enríquez habitaient. Elle retrouve des survivants, des militants du MIR qui évoquent les choix politiques d’alors. Elle s’interroge: tous les actes de résistance valaient-ils la peine? Miguel Enríquez est-il mort pour rien? Valait-il la peine de sacrifier sa famille, ses enfants? Fallait-il que le MIR donne la consigne aux exilés de rentrer lutter au Chili?
Carmen Castillo parcourt le passé: des jours lumineux de l’Unité populaire de Salvador Allende (1970-1973) aux longues années de la dictature, avec tous ceux qui ont résisté à cette époque, mais elle montre aussi les jeunes qui luttent aujourd’hui et qui pensent différemment qu’elle. Elle rêve de faire de la maison de la rue Santa Fe un lieu de mémoire pour les centaines de militants du MIR assassinés par la dictature. Les jeunes semblent trouver cela inutile.
Elle mêle souvenirs personnels, images d’archives, commentaires actuels des témoins de l’époque. Le film est long (164 minutes), mais évite à la fois l’abus de la narration à la première personne et l’accumulation d’archives. Le travail de la monteuse, Eva Feigeles-Aimé, est remarquable.
Le film se termine sur la longue, interminable liste des morts et des disparus.
Le MIR était un parti né le 15 août 1965 qui se réclamait du marxisme et du communisme. Ses militants venaient de différents courants révolutionnaires (trotskystes, guevaristes, chrétiens révolutionnaires, ex-socialistes ou communistes) Il critiquait le parlementarisme et l’électoralisme des partis de gauche traditionnels. Après l’élection de Salvador Allende à la présidence du pays, le MIR soutint le gouvernement de l’Unité Populaire, mais n’y participa pas. La direction en exil du parti décida sa dissolution en 1989, sans débat ni consultation des militants,
On peut penser à la pièce de Bertolt Brecht La vie de Galilée. Dans la Scène 13, Andrea, disciple de Galilée, indigné par le fait que son maître ait abjuré suite à la condamnation de l’Eglise, s’écrie : “Malheureux le pays qui n’a pas de héros!”. Galilée le reprend quelques répliques plus tard: “Malheureux le pays qui a besoin de héros.”
Filmographie
1983: Les murs de Santiago (Los muros de Santiago) Documentaire TV.
1984: Estado de guerra: Nicaragua.
1994: La flaca Alejandra (documentaire TV).
1994-99: Tierras extranjeras. Série de longs métrages pour Arte.
1995: La verdadera historia del Subcomandante Marcos.
1996: Inca de Oro.
1999: El bolero, una educación amorosa.
2000: Viaje con la cumbia por Colombia.
2000: María Félix, la inalcanzable.
2001: El Camino del Inca.
2002: El astrónomo y el indio.
2003: José Saramago, el tiempo de una memoria.
2003: Mísia, la voz del fado.
2004: El país de mi padre.
2007: Rue Santa Fe (Calle Santa Fe) (documentaire).
2010: Pour tout l’or des Andes (El tesoro de América – El oro de Pascua Lama) (documentaire TV).
2011 : Victor Serge, l’insurgé (documentaire France 5 – JEM productions).
2013: L’Espagne de Juan Goytisolo, Manuel Rivas et Bernardo Atxaga (54’). Serie: L’Europe des écrivains.
2015: On est vivants (Aún estamos vivos).
2017: Cuba en suspens (documentaire Arte).