« Un philosophe traînait toujours là où des enfants jouaient. Et quand il voyait un garçon qui avait une toupie, il était tout à coup aux aguets. Dès que la toupie se mettait à tourner, le philosophe la suivait pour l’attraper. Peu lui importait que les enfants se mettent à crier et essayent de le tenir à distance de leur jouet , il était heureux tant qu’il pouvait saisir la toupie encore en train de tourner, heureux juste un instant, car déjà il la jetait par terre et s’en allait. Il croyait en effet que la connaissance de chaque petite chose, ainsi par exemple une toupie en train de tourner, suffisait pour connaître la totalité. C’est pour cela qu’ il ne s’occupait pas des grands problèmes, du temps perdu à ses yeux : si la plus petite chose était vraiment connue, alors tout était connu, c’est pourquoi il ne s’occupait que de la toupie qui tournait. Et à chaque fois que les enfants se préparaient à faire tourner la toupie, il avait l’espoir que cela allait marcher cette fois-ci, et quand la toupie se mettait à tourner, il se mettait à espérer en courant essoufflé après elle qu’il atteindrait la connaissance. Mais quand il avait le stupide morceau de bois dans la main, il était dégoûté, et les cris des enfants qu’il n’avait pas entendus jusqu’alors, et qui lui arrivaient tout à coup dans les oreilles, le chassaient de là, chancelant comme une toupie sous des coups de fouet maladroits. »
(Le cavalier au seau à charbon et autres histoires fantastiques. Traduction : Laurent Margantin, Odradek éditions, 2016)