Vu mardi 17 avril à la Ferme du Buisson (Noisiel):
Razzia (2017) 119 min. Réal.: Nabil Ayouch. Sc: Nabil Ayouch et Maryam Touzani. Dir. Photo: Virginie Surdej. Int: Maryam Touzani, Ariel Worthalter, Abdelilah Rachid, Amine Ennaji, Dounia Binebine.
Much Loved en 2015 avait provoqué des remous dans la société marocaine et avait été interdit de projection pour pornographie. Le réalisateur, franco-marocain né à Sarcelles en 1969, et l’actrice principale, Loubna Abidar, avaient même reçu des menaces de mort. Nabil Ayouch revient aujourd’hui avec Razzia sur les contradictions de la société marocaine. Il choisit un récit choral, un peu comme Alejandro González Iñarritu dans Babel (2006). Il se centre sur le parcours de cinq personnages, tiraillés entre tradition et modernité et soumis au regard pas toujours bienveillant des autres. Il choisit deux périodes essentielles de l’histoire récente du Maroc: 1982 avec l’imposition de l’arabe dans l’enseignement (comme en Algérie et en Tunisie) et 2015 qui connut une vague importante de censure qui s’opposait au désir de liberté de la jeunesse.
La volonté de Nabil Ayouch de représenter la grande diversité de la population du pays fait que le spectateur perd peu à peu le fil de ces histoires. J’ai surtout été touché par l’épisode qui se passe dans un village des montagnes de l’Atlas. Le paysage est d’une très grande beauté. Un maître d’école bienveillant parle à ses jeunes élèves de la lune, du soleil, de l’immensité de l’univers dans leur langue. L’obligation faite d’enseigner en arabe classique que les enfants berbères ne comprennent pas fait disparaître le sens des mots et du monde. Les épisodes qui se déroulent à Casablanca m’ont paru plus confus et convenus, même si on sent bien le dynamisme de cette métropole que le réalisateur présente comme une ville-monde et une ville-tombeau. Le personnage de Maryam Touzani est aussi attachant. Très belle, elle n’a pas honte de son corps malgré les injonctions de son mari égoïste qui la bride. Lors des dernières images, on la voit, enceinte, s’avancer vers l’océan. L’évocation du film de Michael Curtiz Casablanca (1942) rythme aussi le film. Il ne faut pas oublier que ce classique du cinéma américain était déjà un film de résistance.
L’épigraphe du film est: «Heureux ceux qui peuvent agir selon ses désirs.» (Proverbe berbère)
Le film est sorti au Maroc le 14 février 2018 et remporte un grand succès.