Carré 35 (Eric Caravaca)

Vu mardi 20 février au Cinéma L’Epée de Bois, Rue Mouffetard, 75005-Paris Carré 35 d’Eric Caravaca.

Carré 35: Casablanca. Cimetière européen. C’est là qu’est enterrée la sœur aînée du metteur en scène, Christine, morte à l’âge de trois ans (1960-1963), et qu’il n’a pas connue. Ses parents ne lui en ont jamais parlé, n’ont gardé aucune image d’elle: ni photo, ni film. Christine était trisomique et souffrait d’une malformation cardiaque, la maladie bleue, souvent associée à la trisomie. L’ histoire familiale se mêle à celle de la colonisation. Les parents du réalisateur ont vécu au Maroc et en Algérie, au moment de la décolonisation. Le documentariste devient détective et historien, reliant le déni de ses parents face à la perte de leur petite fille et celui la France, face aux crimes commis par l’armée en Afrique du Nord.

Ce documentaire autobiographique est émouvant et dérangeant. Eric Caravaca interroge sa mère, enfermée dans le déni. Il questionne aussi son père, malade, et qui va mourir d’une tumeur au cerveau. Ils ne lui donnent pas la même version. Un cousin viendra lui apporter la confirmation de la trisomie inavouable de Christine: «Tout tourne autour de ça…» Carré 35 parle de la mort, mais aussi de la honte, de la honte d’une femme. On est étonné, choqué par l’attitude de cette personne forte, mais on finit par la comprendre. A cette époque, une femme devait donner de beaux enfants. Un point c’est tout!

Eric Caravaca utilise des images nombreuses et diverses: photos, films de famille (le mariage de ses parents, les bains de mer, l’oncle qui s’est noyé aux Baléares), la maison de Casablanca (hier et aujourd’hui), les images d’archives historiques.

A la fin du film, sa sœur existe à nouveau. La photo a été remise sur la tombe du cimetière de Casablanca. Un documentaire d’une heure sept minutes existe.

Ce film me touche particulièrement. Eric Caravaca a réussi son coup. C’est son histoire, c’est mon histoire: l’Afrique du Nord, la famille d’origine espagnole, les petits secrets, la mort, le cimetière, la guerre. Une seule et même personne entretient la tombe de sa sœur depuis les années soixante: une femme dont la mère est enterrée juste à côté. Lorqu’il parviendra à la contacter au téléphone (elle vit maintenant en Espagne), elle lui dira que sa mère s’est suicidée après avoir perdu toute sa fortune lors d’un tremblement de terre à Agadir, l’année de la naissance de Christine. «Quand j’ai pu joindre cette femme au téléphone, elle m’a dit :« Vous parlez à une miraculée : je suis restée huit heures sous les décombres de ma maison. » Quel symbole ! C’est une femme exhumée qui s’occupe de la tombe d’une petite fille dont l’existence a été ensevelie deux fois : sous la terre et dans l’inconscient… »

Je me souviens du tremblement de terre d’Agadir le 29 février 1960 à 23h40. Il dura 15 secondes. Magnitude: 5,9 sur l’échelle de Richter. Il y eut entre 12 000 et 15 000 morts. Un tiers de la population de la ville. Et 25 000 blessés…

Graffiti retrouvé sur les murs des anciens abattoirs de Casablanca en ruine: «It’s all about memories.»

«Ceux qui ont une mémoire peuvent vivre dans le fragile temps présent. Ceux qui n’en ont pas ne vivent nulle part.» Patricio Guzmán, Nostalgie de la lumière.

https://www.youtube.com/watch?v=f8p7mdNFfMc

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