Je reprends un texte de la poétesse péruvienne Blanca Varela déjà publié sur ce blog en juillet 2023. Il s’agit d’ une des grandes figures de la poésie latino-américaine du XX ème siècle
Morir cada día un poco más recortarse las uñas el pelo los deseos aprender a pensar en lo pequeño y en lo inmenso en las estrellas más lejanas e inmóviles en el cielo manchado como un animal que huye en el cielo espantado por mí.
Mourir chaque jour un peu plus couper ses ongles ses cheveux ses désirs apprendre à penser à ce qui est petit et à ce qui est immense aux étoiles les plus lointaines et immobiles dans le ciel taché comme un animal qui fuit dans le ciel effrayé à ma vue
Manuel Altolaguirre. Placa en el jardín vertical y monumento conmemorativo a la Antigua Imprenta Sur en la plaza Pepe Mena, Málaga.
Retour à la poésie de la Génération de 1927 avec Manuel Altolaguirre, un des poètes de Málaga. Il perdit son père (Manuel Altolaguirre Álvarez, juge de première instance, écrivain, directeur du journal El Imparcial ) en 1910, puis sa mère (Concepción Bolín Gómez de Cádiz) en 1926. L’idée de la mort, la perte des êtres chers sont au centre de toute son œuvre.
Antes A mi madre.
Hubiera preferido ser huérfano en la muerte, que me faltaras tú allá, en lo misterioso, no aquí, en lo conocido.
Haberme muerto antes para sentir tu ausencia en los aires difíciles.
Tú, entre grises aceros, por los verdes jardines, junto a la sangre ardiente, continuarías viviendo, personaje continuo de mi sueño de muerto.
Oeuvres. Éditions Gallimard, 2014. Bibliothèque de la Pléiade. P. 1331-1332.
Le texte qui s’appelle Des morts a d’abord été publié avec deux autres proses : Deux mères et Couleur de terre (alors intitulé Chemins) dans la revue Europe n° 955-956, novembre-décembre 2008, p. 30-33, qui a consacré un dossier à Philippe Jaccottet.
Des morts
« …Je pourrais écrire une liste de prénoms et de noms comme on en trace sur des monuments de pierre ou de marbre après les guerres : note bien celui-ci, et n’oublie pas, pour être équitable, pour que la liste soit constamment « à jour », et encore celui-ci du mois dernier, et cet autre, du commencement de la semaine, écris plus vite, parce que tout semble s’accélérer, comme quand la pente se fait plus forte, mais quoi de plus beau qu’une cascade, de plus vivant, de plus lumineux quand le soleil la traverse ? Alors que toutes ces chutes dans le noir…
On n’enterre plus guère, aujourd’hui, on brûle ; non pas à la vue de tous comme en Inde et dans une sorte de fête, mais de façon cachée, furtive – il faut surtout ne pas choquer -, cela glisse sans aucun bruit sur des rails invisibles, l’affaire expédiée en quelques minutes et même la vue de la fumée qui ne peut pas s’élever de là épargnée aux survivants. Le plus souvent, des paroles embarrassées, mises ensemble tant bien que mal, des musiques empruntées ajoutent encore leurs ornements en toc, leurs oripeaux inutiles ; comme on tirerait au plus vite un rideau haillonneux dans un théâtre de fortune, sur une pièce ratée.
…Toutes ces chutes dans le noir, les unes après les autres, et pour nous qui vieillissons, de plus en plus fréquentes et de plus en plus proches. Pendant que les verdures s’accroissent encore, comme en chaque mois de mai qu’on aura vécu.
Que signifie avoir vu cela, puis avoir dit, ou écrit, qu’on l’a vu ? Et l’écrire alors que la glissade, serait-elle même presque indolore, continue, et que la pente s’aggrave ; et quand, avant nous, le même mouvement – qui est celui du temps -, les mêmes successions d’épanouissement, d’usure et de disparition, n’avaient produit aucune parole, comme si tout, alors, pendant des millions d’années, s’était produit dans un monde fermé, alors qu’avec nous commencerait, aurait commencé un entrebâillement, tout de même, en fin de compte, prodigieux ? Une espèce de souffrance, mais aussi de joie, une espèce de combat, d’odyssée inimaginables avant cela ; toutes nos histoires, innombrables, à cause d’un regard enfin ouvert et d’une bouche enfin ouverte pour parler de ce qui commence à être vu.
*
(Un seul poème, pour peu qu’on en fût encore capable, suffirait à annuler ce flot de réflexions vagues et sans doute vaines.)
On ne peut pas porter sur ses épaules tout le fardeau de la douleur du monde. Suffit (?) qu’on n’aggrave pas celui des proches et en soulage une petite part quand cela se peut. Suffit (?) qu’on essaie au moins de porter seul le sien. Mais on peut, mais sûrement on doit porter le non-fardeau des moindres éclaircies encore aperçues, le contre-fardeau des lueurs pour les encore vivants.
C’était tout de même très beau, ce temps où l’on allumait quelques cierges, ou ne fût-ce qu’une seule bougie, dans la chambre du mort ou de la morte ; cela ne les ferait pas revenir à la vie, cela ne les accompagnerait peut-être même pas dans l’inconnaissable où ils venaient de glisser, mais c’était comme attester quelque chose en dépit de leur chute, tout à côté d’eux commençant à se décomposer dans leur boîte cadenassée, quelque chose concernant la lumière que rien ne pouvait faire qu’ils ne l’eussent vue aussi luire quelquefois autour d’eux, quand ils marchaient entre deux rangs de trembles et en tant d’autres occasions – dans l’incompréhensible et miraculeux intervalle entre deux nuits pires que des nuits.) »
Buste de Quevedo. León, Parque de Quevedo. Il se trouve près du Convento de San Marcos, aujourd’hui Parador Nacional, où il fut emprisonné.
Soneto enviado desde su Torre de Juan Abad a don José de Salas (Musa, II, 109)
Desde La Torre
Retirado en la paz de estos desiertos, con pocos, pero doctos libros juntos, vivo en conversación con los difuntos y escucho con mis ojos a los muertos.
Si no siempre entendidos, siempre abiertos, o enmiendan, o secundan mis asuntos, y en músicos, callados contrapuntos al sueño de la vida hablan despiertos.
Las grandes almas que la muerte ausenta, de injurias de los años vengadora, libra, ¡ oh gran don Iosef, docta la emprenta.
En fuga irrevocable huye la hora; pero aquélla el mejor cálculo cuenta que en la lección y estudios nos mejora.
Retiré dans la paix des déserts, Je vis avec de doctes et rares livres dans les mains. Je vis en conversation avec des morts. J’écoute les morts avec les yeux.
De La Torre
Dans ces déserts et leur paix retiré, de rares et doctes livres entre les mains, je vis dans le commerce des défunts, et de mes yeux, j’entends les morts parler.
Sinon compris, sans cesse fréquentés, ils amendent ou fécondent mes desseins ; et par muets contrepoints musiciens au songe de la vie parlent éveillés.
L’imprimerie, oh ! Grand Joseph, nous rend les grands esprits effacés par la mort ; elle venge les injures des ans.
L’heure s’enfuit en fuite sans remords mais il faut la marquer d’un caillou blanc celle qui par l’étude rend plus fort.
Les Furies et les Peines 102 sonnets. NRF Poésie/Gallimard n°463. 2010. Traduction Jacques Ancet.
La Torre de Juan Abad, petit village au sud de la Manche, au nord de la Sierra Morena, où Quevedo avait une maison dans laquelle il venait fuir l’agitation de la Cour. C’est de là qu’il envoie ce sonnet à Josef Antonio González de Salas qui fait le commentaire suivant : « Quelques années avant son dernier emprisonnement (décembre 1639), il m’envoya cet excellent sonnet, depuis La Torre » (1637). Quevedo fut emprisonné quatre ans au couvent de San Marcos de Valladolid dans une cellule humide qui ruina sa santé. il était accusé d’écrire des libelles hostiles au gouvernement du comte-duc d’Olivarès, valido et ministre de Felipe IV, après l’avoir longuement soutenu. L’écrivain était aussi intervenu dans la polémique relative au choix d’un saint patron pour l’Espagne. Ses faveurs s’étaient portées vers Saint Jacques de Compostelle au détriment de sainte Thérèse d’Avila. Il sortit de prison diminué en 1644 et mourut en 1645.
Convento de San Marcos (Juan de Orozco iglesia, Martín de Villarreal fachada – Juan de Badajoz el Mozo claustro y sacristía) 1515-1716 (Photo :CFA). Aujourd’hui luxueux Parador National *****. “Entre juillet 1936 y 1940 camp de concentration pour 6700 prisonniers républicains : 791 fusillés, 1563 tués sommairement, 598 sans précision (exécutés, tués sommairement ou morts dans les camps).
De La Torre
Retiré dans la paix de ces doctes retraites, Avec un rare choix de bons livres anciens, Les morts ont avec moi d’infinis entretiens, Et j’écoute des yeux leurs paroles muettes.
Mal compris quelquefois, mais jamais oubliés, Ils donnent à mes soins le blâme ou l’espérance, Et dans des contrepoints d’harmonieux silence Au songe de la vie ils parlent éveillés.
La docte Imprimerie, ô grand Joseph, délivre Les grandes âmes que la mort tient dans la nuit, Et du temps outrageux les venge par le Livre.
Et si l’heure de l’homme, invincible, s’enfuit, Celle qu’un bon calcul persuade et conduit Par l’étude et par la leçon nous fait mieux vivre.
Dans Los nombres de Feliza (Alfaguara, 2025), la biographie romancée de Juan Gabriel Vásquez, un des personnages évoqués est Jorge Gaitán Durán.
Cet écrivain était un célèbre poète et journaliste colombien. Il faisait partie du groupe des Cuadernícolas avec Fernando Charry Lara, Álvaro Mutis, Rogelio Echavarría, Guillermo Payán Archer, Jaime Ibáñez, Maruja Vieira et Fernando Arbeláez.
Il fonda la revue Mito avec l’essayiste Hernando Valencia Goelkel (1928-2004). Entre mai 1955 et juin 1962, ils publièrent 42 numéros. Cette revue eut une grand influence sur la littérature colombienne. Elle publia, entre autres, des auteurs comme Alfonso Reyes, Gabriel García Márquez (Pas de lettre pour le colonel en 1958), Octavio Paz, Jorge Luis Borges, Julio Cortázar, Eduardo Cote Lamus, Carlos Fuentes, Alejandra Pizarnik.
Jorge Gaitán Durán participa au mouvement de la jeunesse colombienne favorable à la candidature du libéral Jorge Eliécer à la présidence de la République. Ce dernier fut assassiné le 9 avril 1948 à Bogotá.
Il voyagea en Europe en 1950 (France, Italie, Espagne, Belgique, Pays-bas, Union Soviétique) et en l’Asie (Chine). Pendant ces voyages, il rencontra Nazim Hikmet, José Manuel Caballero Bonald, Vicente Aleixandre, Mao Tse Toung. Il épousa Dina Moscovici qu’il connut en Italie. Leur fille, Paula, naquit à Paris en novembre 1952. Le couple divorça en 1958. Jorge Gaitán Durán vécut ensuite avec la sculptrice Feliza Bursztyn (1933-1982)
Ses écrits sur Sade en 1955 firent scandale dans son pays : Sade contemporáneo (Diálogo entre un sacerdote y un moribundo) et Monsieur Le Six – Marqués de Sade (préface de Gilbert Lely).
Il publia les œuvres poétiques suivantes :
1946 Insistencia en la tristeza. 1947 Presencia del hombre. 1951 Asombro. 1959 Amantes. 1962 Si mañana despierto (Anthologie)
Le 21 juin 1962, il mourut à 38 ans dans un accident d’avion. Le vol Air France 117 qui reliait Paris à Santiago via Lisbonne, Santa Maria (Açores), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Bogota et Lima s’écrasa lors de l’atterrissage en Guadeloupe sur le morne du Dos d’Âne à Deshaies. Bilan : 113 morts.
La revue Érudit (Volume 45, numéro 3 (261), septembre 2003, La poesía tiene la palabra) a publié deux poèmes traduits en français de cet auteur.
Se juntan desnudos (Jorge Gaitán Durán)
Dos cuerpos que se juntan desnudos Solos en la ciudad donde habitan los astros Inventan sin reposo al deseo. No se ven cuando se aman, bellos O atroces arden como dos mundos Que una vez cada mil años se cruzan en el cielo. Solo en la palabra, luna inútil, miramos Cómo nuestros cuerpos son cuando se abrazan, Se penetran, escupen, sangran, rocas que se destrozan, Estrellas enemigas, imperios que se afrentan. Se acarician efímeros entre mil soles Que se despedazan, se besan hasta el fondo, Saltan como dos delfines blancos en el día, Pasan como un solo incendio por la noche.
Amantes, 1959.
Unis dans la nudité
Deux corps nus qui s’entrelacent Seuls dans la ville habitée par les astres Sans repos ils inventent le désir. Sans se voir quand ils s’aiment, dans leur beauté Ou dans l’horreur, ils brûlent comme deux mondes Qui traversent le ciel une fois tous les mille ans. Seulement dans le mot, lune inutile, nous voyons Comment sont nos corps lorsqu’ils s’étreignent, Se pénètrent, crachent, saignent, des roches qui se fracassent. Étoiles ennemies, empires qui s’affrontent. Ils se caressent éphémères entre mille soleils Qui se déchirent, s’embrassent jusqu’aux abîmes. Sautent comme des dauphins blancs en plein jour. Ils passent comme un incendie seul au milieu de la nuit.
Amantes (Jorge Gaitan Duran)
Somos como son los que se aman. Al desnudarnos descubrimos dos monstruosos Desconocidos que se estrechan a tientas, Cicatrices con que el rencoroso deseo Señala a los que sin descanso se aman : El tedio, la sospecha que invencible nos ata En su red, como en la falta dos dioses adúlteros. Enamorados como dos locos, Dos astros sanguinarios, dos dinastías Que hambrientas se disputan un reino, Queremos ser justicia, nos acechamos féroces, Nos engañamos, nos inferimos las viles injurias Con que el cielo afrenta a los que se aman. Solo para que mil veces nos incendie El abrazo que en el mundo son los que se aman Mil veces morimos cada dia.
Amantes, 1959.
Amants
Nous sommes comme ceux qui s’aiment. Nous dénudant nous découvrons deux inconnus Monstrueux qui s’étreignent à tâtons. Cicatrices par lesquelles le désir rancunier Révèle ceux qui s’aiment sans repos : L’ennui, le soupçon qui invincible nous attrape Dans son filet, comme dans la faute deux dieux adultères. Amoureux comme deux fous, Deux astres sanguinaires, deux dynasties Qui affamées se disputent un règne, Nous voulons être la justice, nous nous harcelons féroces, Nous nous dupons, nous lançant de viles injures Avec lesquelles le ciel punit ceux qui s’aiment. Seulement pour que mille fois nous enflamme L’étreinte qui dans le monde est à ceux qui s’aiment Mille fois nous mourons chaque jour.
Je viens de terminer la lecture de la biographie romancée de Juan Gabriel Vásquez (Bogotá 1973), Los nombres de Feliza (Alfaguara, 2025). Elle sera publiée en France en 2026.
Je dois recommander aussi la lecture des autres romans et essais de cet auteur colombien : El ruido de las cosas al caer. Alfaguara, 2011. (Le Bruit des choses qui tombent. Seuil 2012 Points n°P3084, 2013.) Las reputaciones. Alfaguara, 2013. (Les Réputations, Seuil 2014 Points n°P4179, 2015.) La forma de las ruinas, Alfaguara, 2015. (Le Corps des ruines. Seuil, 2017. Points, 2018.) Volver la vista atrás. Alfaguara, 2020. (Une rétrospective. Seuil, 2022.) La traducción del mundo. Alfaguara, 2023. (La Traduction du monde, les conférences Weidenfeld. 2022. Seuil, 2025.
«…Nos embarcamos en ese impulso que siempre es imperfecto : la reconstrucción del pasado, ese lugar incómodo que sólo existe mientras lo contamos. » (page19)
« El mundo nos hiere, nos persigue, nos envilece, recordó Feliza: eran las palabras que Jorge le había dicho en otro avión, no llegando a Guadalupe sino alejándose de la isla, cuando los dos creían, como ángeles equivocados, que su destino común era la felicidad. » (page 151)
Juan Gabriel Vásquez.
Plaidoyer pour la fiction, avec Juan Gabriel Vásquez. Le Bookclub. France Culture. Mercredi 19 mars 2025.
” Dans son dernier essai, Juan Gabriel Vásquez défend la capacité du genre romanesque à “traduire” la complexité des vies humaines et à éclairer les zones d’ombre de l’Histoire. En convoquant Zadie Smith, García Márquez, Yourcenar et d’autres, l’auteur colombien livre un plaidoyer pour la fiction. “
Feliza Bursztyn: Datos que posiblemente no sabes de la escultora bogotana
Nació en 1933 en Bogotá y fue criada en una familia de orígen judío. A sus padres nunca les pareció infortunado el hecho de que ella quisiera dedicarse a algo tan liberal como era considerado el arte a mediados del siglo pasado.
En Estados Unidos estudió pintura en el Art Students League de Nueva York, y escultura en la Academie de la Grande Chaumière de París. Allá conoció al artista ruso Ossip Zadkine, con el que aprendió a hacer esculturas en barro y bronce.
Al caer la dictadura de Rojas Pinilla, Feliza regresó a Bogotá para continuar su carrera. Y cuando se dio cuenta de que los talleres de fundición eran escasos y los costos para trabajar el bronce eran altos, le quedaron dos opciones: o se cambiaba de país o trabajaba con los materiales que tuviera a su alcance. Así fue como se le ocurrió usar la chatarra como materia prima para crear esculturas sarcásticas, hermosas, con un alto valor estético, pero también con claras connotaciones agresivas y rudas.
Feliza trabajaba incansablemente. Nunca se supo si se demoraba más recorriendo a pie todas las chatarrerías de la ciudad o construyendo sus obras con lo que allí encontraba. Soldaba sola, usaba abrigos de piel mientras utilizaba los sopletes, destruía algunas obras para armar otras nuevas y su frase de batalla era “mientras los hombres se van de putas, yo me voy de talleres”.
En su selecto grupo de amigos se encontraban Gabriel García Márquez, Álvaro Cepeda Samudio, Marta Traba y Fanny Mickey.
Con Marta Traba se le ocurrió proyectar cortometrajes en sus exposiciones; por su personalidad transgresora fue que usó motores de tocadiscos para crear Las histéricas, esculturas con movimiento que chillan y se sacuden; gracias a su filosofía que consistía en que el espectador también puede aportarle a una obra hizo las Minimáquinas, pequeñas esculturas silenciosas y estáticas con palancas y botones que cambiaban su estructura original.
La tacharon de guerrillera, la detuvieron en una caballeriza y la obligaron a emigrar nuevamente para escapar de una persecución política durante el gobierno de Julio César Turbay Ayala. Al poco tiempo, con 49 años a cuestas, murió de un ataque cardiaco fulminante en un restaurante ruso en París ante la mirada estupefacta de Enrique Santos Calderón, María Teresa Rubino, Pablo Leyva, Mercedes Barcha y Gabriel García Márquez.
“Bursztyn fue importante porque hizo su arte de manera libre y comenzó la apertura de caminos que muchos artistas no se atrevían a recorrer. Se arriesgó a explorar materiales distintos a los clásicos, tenía una mirada diferente dentro del medio y a pesar de que su vida estuvo llena de dramas, siempre lució sonriente. Tal vez por eso su obra no contiene ese humor que genera un chiste, sino más bien un humor con una gran tristeza por debajo”, explicaron Camilo Leyva, Manuela Ochoa y Juan Carlos Osorio en una exposición póstuma de su obra en el Museo Nacional.
Gabriel García Márquez escribió en una columna en El País el 20 de enero de 1982 Los 166 días de Feliza.
El País, 20/01/1982
Los 166 días de Feliza (Gabriel García Márquez)
La escultora colombiana Feliza Bursztyn, exiliada en Francia, se murió de tristeza a las 10.15 de la noche del pasado viernes 8 de enero, en un restaurante de París. El diario El Tiempo, de Bogotá, dio la noticia en primera página en su edición del domingo. Y explicó a sus lectores, en tres líneas, por qué la escultora no estaba en Colombia: “Feliza había viajado hacía dos meses a París en compañía de su esposo, y antes había estado varias semanas en México”. Nada más. Pero al día siguiente apareció una nota editorial firmada con unas iniciales que coinciden con las del director del periódico, Hernando Santos, y en la cual se hacían dos preguntas sobre Feliza Bursztyri: “¿Por qué tuvo que irse? ¿Por qué fue víctima de un exilio incomprensible al cual hubiera podido escapar con dos sencillas palabras?”. Pero la nota no dice cuáles fueron esas palabras mágicas que acaso hubieran prolongado la vida…De méritos tan grandes como sus carcajadas, la amiga más querida de sus amigos de todas partes, que no sólo hubiera dicho dos palabras simples, sino cuantas fueran necesarias para volver al único país donde siempre quiso vivir. Si alguien le hubiera hecho la caridad de decírselas a tiempo, tal vez hubiera podido cumplir su deseo y ejercer su derecho de morirse en su cama de Bogotá, rodeada de sus poetas locos, y no tirada por los suelos en un restaurante tapizado de espejos, ante la tenacidad estéril de seis médicos bomberos que trataban de despertarla y el espanto de su esposo y cuatro amigos que la sabíamos muerta para siempre desde el primer instante.
Nadie sabe mejor que mi familia y yo cómo fue la vida de Feliza Bursztyn, minuto a minuto, en los 166 días de su exilio mortal. En nuestra casa de México, donde vivió casi tres meses desde que salió de Bogotá bajo la protección diplomática de la embajada mexicana, hasta cuando pudo viajar a París, no sólo tuvimos tiempo de sobra para hablar de su drama, sino que sólo pudimos hablar de eso, porque Feliza quedó en una especia de estupor de disco rayado que no le permitía hablar de otra cosa. Infinidad de veces, guiada por mi curiosidad invencible de periodista y escritor, me contó hasta los detalles más ínfimos de su mal recuerdo; llenamos juntos las grietas vacías, tratamos de entender lo incomprensible, ansiosos de tocar fondo en un misterio que no parecía tenerlo. En París, a donde llegamos el pasado octubre con muy pocos días de diferencia, nos seguimos viendo con frecuencia. De modo, que considero como un derecho, e inclusive como un deber de sanidad social, que sea yo quien trate de dar respuesta Pública a las dos preguntas de H. S., aunque sólo sea para que sus Iectores no sucumban también en la peste del olvido.
Feliza Bursztyn tuvo que escapar de Colombia -como hubiera podido hacerlo el protagonista de El proceso, de Franz Kafka- para no ser encarcelada por un delito que nunca le fue revelado. El viernes 24 de julio de 1981 una patrulla de militares al mando de un teniente se presentó a su casa de Bogotá a las cuatro de la madrugada. Todos vestían de civil, con ruanas largas, debajo de las cuales llevaban escondidas las metralletas, y estaban autorizados por una orden de allanamiento de un juez militar. Su comportamiento fue correcto, amable inclusive, y la requisa que hicieron de la casa duró casi cuatro horas, pero fue más ritual que minuciosa. Feliza y su esposo, Pablo Leyva, tuvieron la impresión de que eran unos muchachos inexpertos que no sabían lo que buscaban ni tenían demasiado interés en encontrarlo. Lo único que registraron a fondo fue la cama matrimonial, hasta el extremo de que la desarmaron y la volvieron a armar. “Tal vez buscaban mis polvos perdidos”, comentó más tarde Feliza con su humor bárbaro. Otra cosa que les llamó la atención fue una caja de fotografías que Feliza había llevado de La Habana, pocos días antes, a donde había viajado para asistir a una exposición de sus obras en la Casa de las Américas. Eran las fotos de una exposición colectiva de fotógrafos colombianos que se había realizado en La Habana el año anterior, también bajo el patrocinio de la Embajada de Colombia en Cuba, y con asistencia de sus funcionarios. La Casa de las Américas le había pedido a Feliza el favor de que las devolviera a sus autores, cuyos nombres y direcciones estaban escritos al dorso de cada foto. Los soldados les echaron una ojeada superficial a casi un centenar y pusieron aparte tres, que se llevaron. Feliza, que ni siquiera había tenido tiempo de abrir el paquete, no pudo ver muy bien qué fotos eran, pero le pareció que alguna la había visto publicada en la Prensa de Colombia. También se llevaron una pistola Beretta inservible que un amigo le había regalado a Feliza en 1964, en una época en que vivía sola en Bogotá, pues todavía no se había casado con Pablo Leyva. “No me atreví ni a tocarla nunca”, me dijo Feliza, “por temor de sacarme un ojo”. Fue todo cuanto se llevaron. Es cierto que Feliza no encontró después dos cadenas y tres anillos que había puesto en su mesa de noche antes de dormirse, y que eran las únicas cosas de oro, pero también las que costaban menos en su paraíso de chatarra. Pero siempre insistió, con su buena fe inquebrantable, que no podía suponer algo que no había visto.
Terminada la requisa, Feliza fue llevada, sin su esposo, a las caballerizas de la Brigada de Institutos Militares. Permaneció sentada, sin comer ni beber, durante las once horas del interrogatorio. Le vendaron los ojos y le pegaron en el pecho una banda adhesiva con su número de presidiaria: 5. Ese parche, con ese número, está todavía pegado en la pared de la cocina en su casa de Bogotá . Siempre insistió en que la trataron con mucha corrección, que le pidieron excusas por tener que vendarla, y que ninguna de las incontables preguntas le permitió vislumbrar de qué la acusaban. Se lo preguntó a uno de sus interrogadores invisibles, y éste le dio una respuesta deslumbrante: -Lo vamos a saber ahora por lo que usted nos diga.
Es sorprendente que hubiera resistido aquella prueba con tanta fortaleza, porque Feliza tenía una limitación pulmonar muy seria, debido a las sustancias tóxicas con que trabajaba, y además una lesión de la columna vertebral de la que no se recuperó nunca. Pero no perdió el sentido del humor en ningún momento de aquellas once horas desgraciadas de nuestra historia patria.
Le preguntaron si conocía a algún escritor, y contestó que sí: a Hernando Valencia Goelkel. Le preguntaron si no conocía a otros, y contestó que sí, pero que no los mencionaba porque eran muy malos escritores. Le preguntaron si no temía que la violaran, y contestó que no, porque toda mujer casada está acostumbrada a que la violen todas las noches. Sin embargo, los, distintos interrogadores que nunca pudo ver coincidieron en poner en duda su nacionalidad colombiana. Nunca, en las horas interminables de su exilio, Feliza pareció olvidar que alguien en su propio país le hiciera esa ofensa. “Soy más colombiana que el presidente de la República”, solía decir en sus últimos días. Más aún: mucho antes de que tuviera que abandonar a Colombia, una revista les preguntó a varios artistas colombianos en qué ciudad del mundo querían vivir, y Feliza fue la única que contestó: “En Bogotá”.
Dos días después del interrogatorio, cuando ya se consideraba a salvo de toda sospecha, Feliza fue citada por un juez militar, que la acusó de tener en su casa un arma sin licencia. El juez le mostró la disposición según la cual aquel delito tenía prevista una pena de cinco años de cárcel. Le hizo firmar una notificación, la citó para dos días más tarde y le advirti6que no podía moverse de Bogotá. Dos días después, con todo el dolor de su alma, se asiló en la sede de la Embajada de México.
No es comprensible, pues, que alguien se pregunte ahora por qué se fue Feliza de Colombia.
El mismo Hernando Santos, que fue uno de sus amigos más queridos, tuvo la entereza de llamar por teléfono al ministro de la Defensa, general Camacho Leyva, para interceder en favor de ella, cuando todavía estaba detenida. El general le contestó que no podía hacer nada, porque había contra Feliza una denuncia concreta. Pocos días después, sin embargo, cuando todavía Feliza estaba asilada en la Embajada de México, la Cancillería colombiana dijo, en un comunicado oficial, que no había ningún cargo contra ella, que podía viajar sin salvoconducto a donde quisiera y volver a Colombia con toda libertad. Pero otros días más tarde, el redactor de asuntos militares de El Espectador, de Bogotá, publicó una declaración muy explícita de un alto oficial de las Fuerzas Armadas de Colombia, que nunca se identificó, pero que tampoco ha sido desmentido por nadie. Este militar sin nombre afirmaba tener pruebas de que Feliza Bursztyn era correo, entre los dirigentes cubanos y el M-19, pero que se le había tratado con la mayor consideración por ser mujer y artista. Otras gestiones que amigos de Feliza han hecho después ante autoridades militares han recibido la misma respuesta. Es alarmante, pero ya se sabe: en Colombia, los militares guardan secretos que las autoridades civiles no conocen.
Feliza no estaba en París por placer. Su propósito original era viajar a Estados Unidos, donde viven sus tres hijas, su hermana y su madre, todas ellas de nacionalidad norteamericana. Pero el consulado de Estados Unidos en México, después de consultarlo con el de Bogotá, le negó la visa. Amigos de Feliza le consiguieron entonces, con el Ministerio de Cultura de Francia, una beca de duración indefinida, con un estudio para que siguiera haciendo sus chatarras, y tarjeta de la Seguridad Social para que se vigilara mejor su mala salud. En París la encontró su esposo apenas diez días antes de su muerte, cuando vino de Bogotá a pasar Con ella el último año nuevo de su vida.
La mujer que Pablo Leyva encontró en París no era la misma que había despedido en Bogotá. Estaba atónita y distante, y su risa explosiva y deslenguada se había apagado para siempre. Sin embargo, un examen médico muy completo había establecido que no tenía nada más que un agotamiento general, que es el nombre científico de la tristeza. El viernes 8 de enero, a nuestro regreso de Barcelona, Mercedes y yo los invitamos a cenar, junto con Enrique Santos Calderón y su esposa, María Teresa. Era una noche glacial de este invierno feroz y triste, y había rastros de nieve congelada en la calle, pero todos quisimos irnos caminando hasta un restaurante cercano. Feliza, sentada a mi izquierda, no había acabado de leer la carta para ordenar la cena, cuando inclinó la cabeza sobre la mesa, muy despacio, sin un suspiro, sin una palabra ni una expresión de dolor, y murió en el instante. Se murió sin saber siquiera por qué, ni qué era lo que había, hecho para morirse así, ni cuáles eran las dos palabras sencillas que hubiera podido decir para no haberse muerto tan lejos de su casa.
Untitled, issu de la série Las Histéricas [Les Hystériques], 1968, chutes d’acier inoxydable.Untitled, Minimáquinas [Minimachines], 1973, pièces de métal de machine à écrire.
Un grand poète. Prix Nobel de littérature 2020. Souvenir : je l’ai lue essentiellement pendant le confinement. L’original en anglais, une traduction en français et deux versions en espagnol publiées par Pre-Textos et Visor.
Confession(Louise Glück)
To say I’m without fear— It wouldn’t be true. I’m afraid of sickness, humiliation. Like anyone, I have my dreams. But I’ve learned to hide them, To protect myself From fulfillment: all happiness Attracts the Fates’ anger. They are sisters, savages— In the end they have No emotion but envy.
Ararat.Ecco Press, 1990.
Confession
Dire que je suis sans peur – Ce ne serait pas vrai. J’ai peur de la maladie, de l’humiliation. Comme tout le monde, j’ai mes rêves. Mais j’ai appris à les cacher, A me protéger De l’accomplissement : toute félicité Attire la colère de la destinée. Ce sont des sœurs, des sauvages – En fin de compte, elles n’ont D’autre émotion que la jalousie.
Ararat. Traduction : Stéphane Chabrières.
Confesión
Decir que nada temo sería faltar a la verdad. La enfermedad, la humillación, me atemorizan. Tengo sueños, como cualquiera. Pero aprendí a ocultarlos para protegerme de la plenitud: la felicidad atrae a las Furias. Son hermanas, salvajes, que no tienen sentimientos, sólo envidia.
Ararat. Pre-Textos, 2008. Traduction : Abraham Gragera López.
Confesión
Decir que no tengo miedo… sería faltar a la verdad. Temo a la enfermedad, a la humillación. Tengo sueños, como todos. Pero he aprendido a ocultarlos para protegerme de que se cumplan: la felicidad atrae la ira de las Parcas. Son hermanas, salvajes: en el fondo, no tienen más sentimientos que la envidia.
Ararat. Colección Visor de Poesía. 2021. Traduction Andrés Catalán.
Merci à l’enseignante de ma petite-fille S. qui fait apprendre ce poème à ses élèves de CM2.
Demain
Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir. Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses, Peut gémir : le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille, Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu, Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille Á maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore De la splendeur du jour et de tous ses présents. Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.
État de veille, 1942. in Destinée arbitraire. NRF Poésie/Gallimard n°112. Octobre 1975.
Charlotte Delbo. Paris. Boulevard Arago. Résistantes. Femmes dans la Résistance française. (C215 – Christian Guémy)
J’ai écouté en podcast sur France Culture l’émission de Marie Richeux Le Book Club : Dans la bibliothèque de la pianiste Anne Quéffelec. Elle évoque un passage d’Aucun de nous ne reviendra de Charlotte Delbo.
” Il y a beaucoup de textes de Charlotte Delbo que je ne pourrais pas lire tellement ils sont saisissants. Je n’oserais même pas le faire, parce que j’ai le sentiment qu’on ne peut que les lire en silence avec le texte ou les yeux. “
Il faut lire et relire Charlotte Delbo (Vigneux-sur-Seine, 10 août 1913 – Paris, 1 mars 1985).
Auschwitz et après.
I. Aucun de nous ne reviendra (Éditions Gonthier 1965. Éditions de Minuit, 1970)
II. Une connaissance inutile ( Éditions de Minuit, 1970)
III. Mesure de nos jours ( Éditions de Minuit, 1971)
IV. La mémoire et les jours (Berg International, 1985 . Éditions de Minuit, 1970)
Le convoi du 24 janvier (Éditions de Minuit, 1965)
Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants et autres poèmes (Éditions de Minuit, 2024)
Auschwitz et après. Tome I. Aucun de nous ne reviendra. Éditions de Minuit, 1970. Pages 97-99.
La tulipe
Au loin se dessine une maison. Sous les rafales, elle fait penser à un bateau, en hiver. Un bateau à l’ancre dans un port nordique. Un bateau à l’horizon gris.
Nous allions la tête baissée sous les rafales de neige fondu qui cinglaient au visage, piquaient comme grêle. Á chaque rafale, nous redoutions la suivante et courbions davantage la tête. La rafale s’abattait, giflait, lacérait. Une poignée de gros sel lancée à toute violence en pleine figure. Nous avancions, poussant devant nous une falaise de vent et de neige.
Où allions-nous ?
C’était une direction que n’avions jamais prise. Nous avions tourné avant le ruisseau. La route en remblai longeait un lac. Un grand lac gelé.
Vers quoi allions-nous ? Que pouvions-nous faire par là ? La question que nous posait l’aube à chaque aube. Quel travail nous attend ? Marais, wagonnets, briques, sable. Nous ne pouvions penser ces mots-là sans que le coeur nous manquât.
Nous marchions. Nous interrogions le paysage. Un lac gelé couleur d’acier. Un paysage qui ne répond pas.
La route s’écarte du lac. Le mur de vent et de neige se déplace de côté. C’est là qu’apparaît la maison. Nous marchons moins durement. Nous allons vers une maison.
Elle est au bord de la route. En briques rouges. La cheminée fume. Qui peut habiter cette maison perdue ? Elle se rapproche. On voit des rideaux blancs. Des rideaux de mousseline. Nous disons « mousseline » avec du doux dans la bouche. Et, devant les rideaux, dans l’entre-deux des doubles fenêtres, il y a une tulipe.
Les yeux brillent comme à une apparition. « Vous avez vu ? Vous avez vu ? Une tulipe. » Tous les regards se portent sur la fleur. Ici, dans le désert de glace et de neige, une tulipe. Rose entre deux feuilles pâles. Nous la regardons. Nous oublions la grêle qui cingle. La colonne ralentit. « Weiter », crie le SS. Nos têtes sont encore tournées vers la maison que nous l’avons depuis longtemps dépassée.
Tout le jour nous rêvons à la tulipe. La neige fondue tombait, collait au dos notre veste trempée et raidie. La journée était longue, aussi longue que toutes les journées. Au fond du fossé nous creusions, la tulipe fleurissait dans sa corolle délicate.
Au retour, bien avant d’arriver à la maison du lac, nos yeux la guettaient. Elle était là, sur le fond des rideaux blancs. Coupe rose entre les feuilles pâles. Et pendant l’appel, à des camarades qui n’étaient pas avec nous, nous disions : « Nous avons vu une tulipe. »
Nous ne sommes plus retournées à ce fossé. D’autres ont dû l’achever. Le matin, au croisement d’où partait la route du lac, nous avions un moment d’espoir.
Quand nous avons appris que c’était la maison du SS qui commandait la pêcherie, nous avons haï notre souvenir et cette tendresse qu’ils n’avaient pas encore séchée en nous.
Portrait de W. B. Yeats (John Singer Sargent). 1908. Collection privée.
Nous regardons un peu par hasard une mini-série policière anglaise de Sean Cook, Redemption (2022). C’est aussi un drame familial. Colette Cunningham, enquêtrice au sein de la brigade criminelle de Liverpool, est une femme forte. Elle reçoit un appel inattendu de Dublin. Un corps a été retrouvé. Colette est indiquée comme son parent le plus proche. Elle s’envole pour Dublin afin d’identifier sa fille, Kate, disparue depuis vingt ans. Plein de chagrin et de culpabilité, Colette décide de rester en Irlande pour s’occuper des deux enfants de Kate et de travailler pour la Garda, la police irlandaise. Elle essaie de reconstituer la vérité sur la mort de sa fille. Elle veut résoudre le mystère qui entoure sa mort.
Lors de l’enterrement, Colette lit un poème de W.B. Yeats que sa fille aimait particulièrement :
Au bas des jardins de saules
Au bas des jardins de saules je t’ai rencontrée, mon amour. Tu passais les jardins de saules d’un pied qui est comme neige. Tu me dis de prendre l’amour simplement, ainsi que poussent les feuilles, Mais moi j’étais jeune et fou et je n’ai pas voulu te comprendre.
Dans un champ près de la rivière nous nous sommes tenus, mon amour, Et sur mon épaule penchée tu posas ta main qui est comme neige. Tu me dis de prendre la vie simplement, comme l’herbe pousse sur la levée, Mais moi j’étais jeune et fou et depuis lors je te pleure.
Quarante-cinq poèmes suivis de La Résurrection présentés et traduits par Yves Bonnefoy. Hermann, 1989. NRF Poésie/Gallimard n°273, 2004.
Down by the salley gardens
Down by the salley gardens my love and I did meet ; She passed the salley gardens with little snow-white feet. She bid me take love easy, as the leaves grow on the tree ; But I, being young and foolish, with her would not agree.
In a field by the river my love and I did stand, And on my leaning shoulder she laid her snow-white hand. She bid me take life easy, as the grass grows on the weirs ; But I was young and foolish, and now am full of tears.