Luis García Montero – Blas de Otero

Madrid, Librería Rafael Alberti. Photo : Lola Larumbe. Jeudi 16 novembre 2023.

Dans la période agité que vit l’Espagne, où des fascistes de tout poil menacent les sièges des partis de gauche et les librairies. Luis García Montero se rappelle dans un article de Infolibre La poesía y las edades de España, publié le 18 novembre, sa rencontre avec le poète Blas de Otero (1916-1979) lors d’un hommage à Federico García Lorca le 5 juin 1976. L’Espagne était encore une dictature. Manuel Fraga Iribarne (1922-2012), fondateur du Parti Populaire en 1989, était encore ministre de l’intérieur, ministre donc de la police et de la censure. Il affirmait sans vergogne: ” La calle es mía. “

https://www.infolibre.es/opinion/columnas/verso-libre/poesia-edades-espana_129_1644844.html?fbclid=IwAR1mNpRUzdEvkJX6tchotIIlF5IK6qQZdxq1tQrryVCVR4LIR3GlsBoBB3Y

La Casa del Pueblo de Cuenca vandalisée.

Luis García Montero fait référence à deux poèmes du poète basque : Noticias de todo el mundo et Nadando y escribiendo en diagonal publiés en 1964 en France.

Noticias de todo el mundo

A los 47 años de mi edad,
da miedo decirlo, soy sólo un poeta español
(dan miedo los años, lo de poeta, y España)
de mediados del siglo XX. Esto es todo.
¿Dinero? Cariño es lo que yo quiero,
dice la copla. ¿Aplausos? Sí, pero no me entero.
¿Salud? Lo suficiente. ¿Fama?
Mala. Pero mucha lana.
Da miedo pensarlo, pero apenas me leen
los analfabetos, ni los obreros, ni los
niños.
Pero ya me leerán. Ahora estoy aprendiendo
a escribir, cambié de clase,
necesitaría una máquina de hacer versos,
perdón, unos versos para la máquina
y un buen jornal para el maquinista,
y, sobre todo, paz,
necesito paz para seguir luchando
contra el miedo,
para brindar en medio de la plaza
y abrir el porvenir de par en par,
para plantar un árbol
en medio del miedo,
para decir “buenos días” sin engañar a nadie,
“buenos días, cartero” y que me entregue una carta
en blanco, de la que vuele una paloma.

Que Trata de España. Ruedo ibérico, 1964.

Blas de Otero. Madrid, Plaza de Alcalá.

Nadando y escribiendo en diagonal

Escribir en España es hablar por no callar
lo que ocurre en la calle, es decir a medias palabras
catedrales enteras de sencillas verdades
olvidadas o calladas y sufridas a fondo,
escribir es sonreír con un puñal hincado en el cuello;
palabras que se abren como verjas enmohecidas
de cementerio, álbumes
de familia española: el niño,
la madre, y el porvenir que te espera
si no cambias las canicas de colores,
las estampinas y los sellos falsos,
y aprendes a escribir torcido
y a caminar derecho hasta el umbral iluminado,
dulces álbumes que algún día te amargarán la vida
si no los guardas en el fondo del mar
donde están las llaves de las desiertas playas amarillas,
yo recuerdo la niñez como un cadáver de niño junto a la orilla,
ahora ya es tarde y temo que las palabras no sirvan
para salvar el pasado por más que braceen incansablemente
hacia otra orilla donde la brisa no derribe los toldos de colores.

Que Trata de España. Ruedo ibérico, 1964.

Obra completa (1935-1977). Barcelona, Editorial Galaxia Gutenberg, 2016.

“Me gusta releer a Blas de Otero. Busco la antología Verso y prosa (1974) que él mismo preparó para la editorial Cátedra. Me detengo en las anotaciones del joven estudiante que al leer “A la inmensa mayoría”, el poema con el que iniciaba Pido la paz y la palabra (1955), recordó otra dedicatoria de Juan Ramón Jiménez, un gran poeta que quiso escribir para “la inmensa minoría”. Y veo subrayados los versos de “En el principio”, en los que se afirma de manera rotunda “me queda la palabra”, después de reconocer que se sufre, se pierde y se tira la vida como un anillo al agua, y después de ver el rostro puro y terrible de la patria. La tinta roja de los subrayados se convierte en canción gracias a la guitarra y la voz de Paco Ibáñez.”

https://www.youtube.com/watch?v=2C4GRwfEaMQ

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/03/16/blas-de-otero-2/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2022/01/31/blas-de-otero/

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/05/24/cesar-vallejo-blas-de-otero/

Blas de Otero

Blas de Otero.

Blas de Otero est né le 15 mars 1916 à Bilbao. Il est mort à Majadahonda (Communauté de Madrid) le 29 juin 1979 à 63 ans. Je me souviens de la poésie sociale espagnole des années 50.

Un poème étudié autrefois avec des élèves de Terminale :

Tañer (Blas de Otero)

Escucho,
estoy oyendo

el reloj de la cárcel
de León.

La campana de la Audiencia
de Soria.

Filo de la madrugada.

…oyendo
tañer
España.

Tintement

J’écoute
j’entends

l’horloge de la prison
de Léon.

La cloche du Tribunal
de Soria.

L’aube se lève.

… j’entends
tinter l’Espagne.

Parler clair. Pierre Seghers éditeur, 1959. Traduction Claude Couffon.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2022/01/31/blas-de-otero/

Le Monde, 3 août 1979

La silhouette ascétique de Blas de Otero

Nous avons reçu ce témoignage de Claude Couffon sur Blas de Otero, le poète espagnol mort le 29 juin (le Monde daté 1er-2 juillet) :

Je l’avais connu à Collioure en 1959. Il était venu d’Espagne avec quelques autres poètes rendre hommage au grand aîné, Antonio Machado, mort vingt ans plus tôt dans le petit port catalan français. Je le revois alors : haute silhouette ascétique sous le soleil primesautier de février, regard interrogateur entre les paupières plissées, sourire mélancolique, voix grave traînant comme un fleuve traîne ses galets bruissants des mots précis et exigeants : paix, liberté, clarté, justice, fraternité.

Quelques jours plus tard, à Paris, il me montra son dernier manuscrit que la censure de son pays venait d’examiner et d’interdire. Des cercles rageurs à l’encre rouge avaient entouré chaque mot, puis chaque vers, puis chaque strophe, puis le poème entier. L’Espagne repoussait un de ses maîtres livres que sa littérature, plus tard, retiendrait : En Castellano. Parler clair. Le poète parlait trop clair pour l’obscurantisme officiel. Je traduisis le manuscrit et le portai à Pierre Seghers, qui le publia, bilingue, dans sa précieuse collection ” Autour du monde “.

En 1963, François Maspero éditait un livre antérieur de Blas de Otero, au titre significatif : Je demande la paix et la parole. Son chef-d’œuvre ! L’ouvrage avait eu plus de chance. Publié en 1955 par une petite maison d’édition d’une ville industrielle proche de Santander, il avait échappé à la censure.

De sa bibliographie, Blas de Otero parlait peu. Né à Bilbao en 1916, il avait étudié chez les jésuites, puis préparé une carrière de droit, qu’il n’exerça pas, et de lettres, qu’il avait abandonnée. Resté en Espagne après la guerre civile, il n’avait plus vécu que par et pour la poésie. Dans ses premiers recueils : Cantique spirituel (1942), Ange férocement humain (1950), Rappel de conscience (1951), il avait d’abord cherché Dieu, à travers de beaux et fervents sonnets. Celui-ci ne lui ayant répondu que par le silence ou la violence, il s’était résolument tourné vers l’homme, l’Espagnol opprimé par la dictature, l’Espagnol solitaire, oublié, qui s’avançait avec angoisse dans le vide et la nuit de sa vie. Exprimer par le poème la souffrance collective d’un peuple bâillonné, bafoué dans sa dignité et dans ses droits les plus élémentaires, mais aussi l’encourager à la résistance, au combat, à l’espoir, devint pendant trente ans l’obsession de Blas de Otero.

Aujourd’hui, son œuvre chante dans toutes les mémoires des Espagnols, qui récitent par cœur nombre de ses poèmes. Demain, elle sera, par son authenticité, un précieux et émouvant témoignage pour qui voudra savoir ce qu’était l’Espagne sous Franco.

Claude Couffon.

https://www.universolorca.com/personaje/couffon-claude/

Blas de Otero

Blas de Otero (Ciriaco Párraga Macorra), 1962.

Samedi, visite hebdomadaire chez Gibert Jeune. Je trouve d’occasion, dans le rayon Livres en langues étrangères, Ancia de Blas de Otero (Visor Libros). Je relis dimanche ces poèmes.

Blas de Otero est né le 15 mars 1916 à Bilbao. Il y passe une partie de son enfance. Il perd très jeune un frère et son père. Pendant la guerre civile, il doit combattre d’abord avec les gudaris au Pays Basque, puis avec les troupes franquistes lors de la campagne de Valence.

Il fait des études supérieures de droit et de lettres, mais son rôle de soutien de famille pèse lourd sur ses épaules. Il souffre d’une forte dépression en 1945 et doit faire un séjour au sanatorium d’Usurbil.

Il gagne sa vie en exerçant de nombreux métiers : conseiller juridique dans la métallurgie, mineur, professeur de droit. Il donne des conférences et des récitals de poésie dans toute l’Espagne. Il réside un temps à Paris (une première fois pour dix mois en 1952, puis pour deux courts séjours en 1959 et 1963), ensuite à La Havane (de 1964 à 1968). Il voyage en 1960 en Union Soviétique et en Chine. Il est mort d’une embolie pulmonaire le 29 juin 1979 à Majadahonda, dans la banlieue de Madrid. Il est enterré au cimetière civil de Madrid.

La première étape de son œuvre est marquée par le catholicisme (Cántico espiritual, 1942). Elle renvoie à la poésie religieuse du Siècle d’Or. Il a été membre de la Fédération des étudiants catholiques de Biscaye.
La seconde étape exprime l’angoisse existentielle de l’homme. (Ángel fieramente humano, 1950. Redoble de conciencia, 1951. Ces deux recueils sont regroupés en 1958 sous le titre de synthèse de Ancia. Il y a ajouté 38 poèmes)
Dans sa troisième étape, il écrit pour l’immense majorité, une poésie sociale et politique. Ses livres sont censurés par le régime franquiste. (Pido la paz y la palabra, 1955. En castellano, 1960. Hacia la inmensa mayoría, 1962. Que trata de España, 1964) Il a rejoint le Parti Communiste d’Espagne en 1952.

Les derniers recueils (Hojas de Madrid con La galerna, 1968-2010. Mientras, 1970. Historias fingidas y verdaderas, 1970) témoignent d’un certain retour à des thèmes plus personnels.

Il a beaucoup utilisé les formes classiques, le sonnet par exemple.

On peut reconnaître dans sa poésie l’influence de fray Luis de León, saint Jean de la Croix, Francisco de Quevedo, Miguel de Unamuno, Antonio Machado, Miguel Hernández et César Vallejo.

Lo eterno (La tierra)

Un mundo como un árbol desgajado.
Una generación desarraigada.
Unos hombres sin más destino que
apuntalar las ruinas.

Rompe el mar
en el mar, como un himen inmenso,
mecen los árboles el silencio verde,
las estrellas crepitan, yo las oigo.

Sólo el hombre está sólo. Es que se sabe
vivo y mortal. Es que se siente huir
– ese río del tiempo hacia la muerte – .

Es que se quiere quedar. Seguir siguiendo,
subir, a contra muerte, hasta lo eterno.
Le da miedo mirar. Cierra los ojos
para dormir el sueño de los vivos.

Pero la muerte, desde dentro, ve.
Pero la muerte, desde dentro, vela.
Pero la muerte, desde dentro, mata.

…El mar – la mar -, como un himen inmenso,
los árboles moviendo el verde aire,
la nieve en llamas de luz en vilo…

Ángel fieramente humano, 1950.

L’éternité

Un monde comme un arbre, arraché.
Toute une génération déracinée.
Des hommes qui n’ont d’autre destin que
d’étayer les ruines.

La mer se brise
dans la mer, comme un immense hymen,
les arbres bercent le silence vert,
les étoiles crépitent, moi je les entends.

Seul l’homme est seul. Parce qu’il sait qu’il est
vivant et mortel. Parce qu’il sent qu’il part
ce fleuve du temps coulant vers la mort

Parce qu’il veut rester. Être, être encore,
gagner, à contre-mort, l’éternité.
Regarder lui fait peur. Il ferme les yeux
pour entrer dans le sommeil des vivants.

Mais la mort, du dedans, le regarde.
Mais la mort, du dedans, le guette.
Mais la mort, du dedans, le tue.

…La mer – les mers – , comme un immense hymen,
les arbres qui soulèvent le vent vert,
la neige en flammes d’une lumière en suspens…

Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade, 1995. NRF Gallimard. Traduction : Evelyne Martín-Hernández.

Tierra

“Quia non conclusit ostia ventris”
Job III, 10.

Humanamente hablando, es un suplicio
ser hombre y soportarlo hasta las heces,
saber que somos luz, y sufrir frío,
humanamente esclavos de la muerte.

Detrás del hombre viene dando gritos
el abismo, delante abre sus hélices
el vértigo, y ahogándose en sí mismo,
en medio de los dos, el miedo crece.

Humanamente hablando, es lo que digo,
no hay forma de morir que no se hiele.
La sombra es brava y vivo es el cuchillo.
Qué hacer, hombre de Dios, sino caerte.

Humanamente en tierra, es lo que elijo.
Caerme horriblemente, para siempre.
Caerme, revertir, no haber nacido
humanamente nunca en ningún vientre.

Redoble de conciencia, 1951.

Terre

Quia non conclusit ostia ventris”
Job III, 10.

Humainement parlant, c’est supplice
d’être homme et de l’être jusqu’à la lie,
de nous savoir lumière et d’avoir froid,
humainement esclaves de la mort.

Derrière l’homme arrive en hurlant
le gouffre, devant s’ouvrent les hélices
du vertige, et, sombrant en elle-même
entre les deux, la peur qui grandit.

Humainement parlant, je le dis bien,
il n’est pas de mort qui ne se glace;
L’ombre est féroce et vif est le couteau.
Et tu ne peux, homme de Dieu, que tomber.

Humainement sur la terre : c’est mon choix.
Tomber horriblement, oui, pour toujours.
Tomber, revenir au néant, n’être né
jamais, humainement, d’aucun ventre.

Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade, 1995. NRF Gallimard. Traduction : Evelyne Martín-Hernández.

En el principio

Si he perdido la vida, el tiempo, todo
lo que tiré, como un anillo, al agua,
si he perdido la voz en la maleza,
me queda la palabra.

Si he sufrido la sed, el hambre, todo
lo que era mío y resultó ser nada,
si he cegado las sombras en silencio,
me queda la palabra.

Si abrí los labios para ver el rostro
puro y terrible de mi patria,
si abrí los labios hasta desgarrármelos
me queda la palabra.

Pido la paz y la palabra, 1955.

Au commencement

Si j’ai perdu la vie, le temps, tout
ce que j’ai jeté, comme une bague, à l’eau,
si j’ai perdu la voix dans son jardin de mauvaises herbes,
il me reste la parole.

Si j’ai souffert de la soif, de la faim, tout
ce qui semblait être moi et finit par n’être rien,
si j’ai moissonné les gerbes d’ombre et de silence,
il me reste la parole.

Si j’ai ouvert les lèvres pour voir la figure
pure et terrible de ma patrie,
si je les ai ouvertes jusqu’à me les déchirer,
il me reste la parole.

Je demande la paix et la parole. François Maspéro, 1963. Traduction: Claude Couffon.

Buste de Blas de Otero (Francisco López Hernández), 2005. Bilbao. Calle Egaña, vers Alameda de Recalde.

Bob Dylan – Blas de Otero -César Vallejo

Bob Dylan.

Bob Dylan (Robert Allen Zimmerman) est né le 24 mai 1941 à Duluth (Minnesota). Prix Nobel de Littérature 2016, il a aujourd’hui 78 ans.

Blas de Otero.

Le poème de Blas de Otero (1916-1979) renvoie à celui du grand poète péruvien César Vallejo (1892-1938).

Tiempo (Blas de Otero)

Hoy es Domingo y por eso
decía César Vallejo por eso
escucho a Bob Dylan me hundo en el fondo del subconsciente buceo
a ojos cerrados y todo aparece diáfano como la armónica de Bob tantos años abatidos
furia del angel fieramente humano contra las altas olas
yo dije España está perdida dentro de su nombre
llamé a la paz con los labios desgarrados
pero hoy es domingo y por eso
me serené como una verónica de Gitanillo de Triana
seccioné mi angustia la guillotiné en despiadados versos
pero hoy es domingo y por eso
a lo lejos ya viene la galerna
la espero a pecho descubierto
pecho como la guitarra de Bob Dylan
porque hoy es domingo y por eso.

Hojas de Madrid con La galerna. Galaxia Gutenberg, Círculo de lectores, Barcelona, 2010.

César Vallejo.

Fue domingo en las claras orejas de mi burro… (César Vallejo)

Fue domingo en las claras orejas de mi burro,
de mi burro peruano en el Perú (Perdonen la tristeza).
Mas hoy ya son las once en mi experiencia personal,
experiencia de un solo ojo, clavado en pleno pecho,
de una sola burrada, clavada en pleno pecho.

Tal de mi tierra veo los cerros retratados,
ricos en burros, hijos de burros, padres hoy de vista,
que tornan ya pintados de creencias,
cerros horizontales de mis penas.

En su estatua, de espada,
Voltaire cruza su capa y mira el zócalo,
pero el sol me penetra y espanta de mis dientes incisivos
un número crecido de cuerpos inorgánicos.

Y entonces sueño en una piedra
verduzca, diecisiete,
peñasco numeral que he olvidado,
sonido de años en el rumor de aguja de mi brazo,
lluvia y sol en Europa, y ¡cómo toso! ¡cómo vivo!
¡cómo me duele el pelo al columbrar los signos semanales!
y cómo, por recodo, mi ciclo microbiano,
quiero decir mi trémulo, patriótico peinado.

Poemas humanos, juillet 1939.