Wols 1913 – 1951

Autoportrait (Wols grimaçant). 1940-41.

J’ai vu hier l’exposition Wols Histoires naturelles au Centre Pompidou avec P. On peut la visiter du 4 mars au 25 mai 2020 au 4 ème étage (Galerie d’art graphique).

Je connaissais peu ce peintre. Je savais qu’il avait été proche des surréalistes, qu’il s’agissait d’ «un peintre maudit», mort jeune.

Alfred Otto Wolfgang Schulze est né le 27 mai 1913 à Berlin dans une famille aisée. Il reçoit pendant son enfance à Dresde une éducation où la culture (musique, art, sciences humaines) occupe une grande place. Dilettante, autodidacte, touche-à-tout, il s’initie à la photographie auprès de Genja Jonas (1895-1938) et cotoie les avant-gardes à Berlin, puis à Paris à partir de 1932. Il approche des personnalités proches des surréalistes comme Jean Arp, Alberto Giacometti, Tristan Tzara et Alexander Calder, grâce à sa compagne, couturière de mode d’origine roumaine Gréty Dabija, épouse alors du poète surréaliste Jacques Baron (1905-1986). De 1933 à 1935, ils vivent en Espagne (Barcelone, Majorque, Ibiza).

Il est expulsé d’Espagne. Il revient en France en 1936 et commence à gagner sa vie comme photographe. En 1937, il reçoit une commande pour le Pavillon de l’Elégance et de la Parure à l’exposition universelle de Paris. Il choisit comme nom d’artiste Wols, formé à partir de ses initiales Wolfgang Schulze.

Pendant la «Drôle de guerre», en tant que «ressortissant ennemi» il est enfermé au Stade de Colombes, au camp de Verzon, à Montargis, à Neuvy-sur-Barangeon, aux Milles près d’Aix-en-Provence et à Saint-Nicolas près de Nîmes. Il est libéré après 14 mois d’internement. Il épouse Gréty en octobre 1940. Tous deux se réfugient à Cassis, puis à Dieulefit (Drôme), commune qui hébergea pendant la guerre de nombreux juifs, intellectuels, écrivains et réfractaires au STO. Wols s’y lie d’amitié avec l’écrivain Henri-Pierre Roché, qui deviendra un des premiers collectionneurs de ses aquarelles.

En 1945, il revient à Paris et croise Jean Paulhan, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir. Le 23 mai 1947, une exposition de ses oeuvres est organisée à la galerie René Drouin. Il exposera de 1948 à 1950 à Paris, Milan, New York, puis à la galerie de Pierre Loeb.

Alcoolique, sa santé s’altère. Il décède des suites d’un empoisonnement alimentaire, le 1er septembre 1951, à l’hôtel de Montalembert.

L’exposition du Centre Pompidou est divisée en cinq parties (piéger, transmuer, concentrer, décomposer, éclabousser) qui relient le dessin à ses autres pratiques: l’ecriture, la photographie et la peinture.

Wols est considéré aujourd’hui comme un pionnier de l’abstraction lyrique européenne.

Trois souches dans le vent, 1944. Collection particulière.

«En regardant, il ne faut pas s’obstiner à ce que l’on pourrait faire de ce que l’on voit. Il faut voir ce qui est.»

«[…] Ne pas expliquer les rêves, l’insaisissable pénètre tout, il faut savoir que tout rime…»

«Ne pas faire mais être et croire.»

Il faut «serrer encore l’espace, les mouvements des doigts de la main suffisent pour exprimer le tout.»

«L’image peut avoir une relation avec la nature comme la fugue de Bach au Christ. Alors, ce n’est pas une imitation, mais une création analogue.»

La Grenade bleue, 1948-49. Paris, Centre Pompidou.

Ida Vitale

La Generación del 45 en ocasión de la visita de Juan Ramón Jiménez en 1948. De izquierda a derecha, parados: María Zulema Silva Vila, Manuel Arturo Claps, Carlos Maggi, María Inés Silva Vila, Juan Ramón Jiménez, Idea Vilariño, Emir Rodríguez Monegal, Ángel Rama. Sentados: José Pedro Díaz, Amanda Berenguer, Zenobia Camprubí, Ida Vitale, Elda Lago, Manuel Flores Mora.

Ida Vitale a reçu le 23 avril 2019 à l’Université d’Alcalá de Henares le Prix Cervantes. Elle est née le 2 novembre 1923 à Montevideo. Elle a 95 ans.

Fortuna

Por años, disfrutar del error
y de su enmienda,
haber podido hablar, caminar libre,
no existir mutilada,
no entrar o sí en iglesias,
leer, oír la música querida,
ser en la noche un ser como en el día.

No ser casada en un negocio,
medida en cabras,
sufrir gobierno de parientes
o legal lapidación.
No desfilar ya nunca
y no admitir palabras
que pongan en la sangre
limaduras de hierro.
Descubrir por ti misma
otro ser no previsto
en el puente de la mirada.

Ser humano y mujer, ni más ni menos.

Trema, Pre-Textos, 2005.

Fortune

Se délecter longtemps de l’erreur
et de son amendement,
avoir pu parler, marcher en liberté,
ne pas avoir été mutilée,
ne pas entrer ou entrer dans les églises,
lire, écouter la musique aimée,
être dans la nuit un être comme dans le jour.

Ne pas être mariée dans un commerce,
ni payée avec des chèvres,
souffrir la gouverne de parents
ou une légale lapidation.
Ne plus jamais défiler
et ne pas accepter des mots
qui répandent des limailles
de fer dans le sang.
Découvrir par toi-même
un autre être non prévu
dans le pont du regard.

Être humain et femme, ni plus ni moins.

Ni plus ni moins (Traduction: Silvia Baron Supervielle, François Maspéro) Le Seuil 2016)

À la suite d’une proposition de Clara Zetkin en août 1910, l’Internationale socialiste des femmes célèbre le 19 mars 1911 la première « Journée internationale des droits des femmes » et revendique le droit de vote des femmes, le droit au travail et la fin des discriminations au travail. Depuis, des rassemblements et manifestations ont lieu tous les ans.

Gabriel García Márquez

Mario Vargas Llosa et Gabriel García Márquez. Barcelone. Fin des années 60.

Gabriel García Márquez est né le 6 mars 1927 à Aracataca (Colombie). Il est mort le 17 avril 2014 (à 87 ans) à Mexico. Il a vécu à Paris, en 1956-1957, 9 rue de Montalembert dans le VII ème arrondissement. Depuis 2017, la pointe de l’intersection de la rue de Montalembert avec la rue du Bac porte le nom de l’écrivain colombien.

9 rue de Montalembert. 75007-Paris.

Xavi Ayén, Aquellos años del boom. García Márquez, Vargas Llosa y el grupo de amigos que lo cambiaron todo. Barcelona: RBA editores, 2014. p.76.
« Las cosas eran de ese modo. A veces la gente confundía a unos escritores con otros en las calles. En el aeropuerto de El Prat, por ejemplo, un sonriente desconocido le espetó un día a García Márquez:

– No sé si es usted Cortázar o Vargas Llosa…
El colombiano que estaba intentando conciliar un sueñecito en la sala de espera, se desperezó, abrió un ojo y respondió con semblante serio:

– Los dos.
Nadie imaginaba que, con los años, dos novelistas de aquel grupo, recogerían el Premio Nobel de Literatura: el primero en 1982, y el segundo en 2010.”

Arthur Rimbaud

Portrait de Rimbaud (Fernand Léger) 1948.

Matinée d’ivresse

« Ô mon Bien ! Ô mon Beau! Fanfare atroce où je ne trébuche point! chevalet féerique! Hourra pour l’œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendus à l’ancienne inharmonie. Ô maintenant, nous si digne de ces tortures! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés: cette promesse, cette démence! L’élégance, la science, la violence! On nous a promis d’enterrer dans l’ombre l’arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, – ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, – cela finit par une débandade de parfums.

Rires des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d’ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace.

Petite veille d’ivresse, sainte! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié. Nous t’affirmons, méthode! Nous n’oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours.

Voici le temps des Assassins

Les Illuminations, poèmes en prose ou en vers libres composés entre 1872 et 1875. La première édition des Illuminations était partielle et parut dans cinq livraisons de la revue La Vogue, à Paris, entre mai et juin 1886 (numérotées 5 à 9), avant d’être republiée en volume, tiré à 200 exemplaires la même année, à l’automne, accompagnée d’une notice en préface signée Paul Verlaine, et avec comme nom d’éditeur Publications de La Vogue, suivant un ordre établi par Félix Fénéon. Le recueil a été republié dans son intégralité, à titre posthume, en 1895.

Baruch Spinoza

George Steiner.

Dans son article La esquina Steiner (El País, 02/03/2020), Enrique Vila-Matas évoque George Steiner (1929-2020), spécialiste de littérature comparée, récemment décédé. Le père de celui-ci lui répétait constamment quand il était enfant : “Todo lo excelso es tan difícil como raro” (Baruch Spinoza, Ethique, 1677.

https://elpais.com/cultura/2020/03/02/actualidad/1583153001_386456.html

Je recherche sur Google la phrase exacte. Je remarque que les traductions en français sont très diverses comme souvent. Faut-il suivre Pierre Macherey qui affirme : “Si l’on veut comprendre ce que Spinoza a réellement dit, et en premier lieu en prendre connaissance, il est indispensable de revenir au texte original, et de s’en faire pour soi-même sa propre traduction”. (Introduction à l’Ethique de Spinoza. 5 volumes. PUF, 1994-1998)?

“Sed omnia præclara tam difficilia quam rara funt.»

“Mais toutes les belles choses sont aussi difficiles que rares” (Henri de Boulainvillers, vers 1730)
“Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare” (Emile Saisset, Charpentier, 1842)
“Mais tout ce qui est beau est difficile autant que rare” (Charles Appuhn, Garnier Frères, 1907)
“Mais toutes les choses remarquables sont aussi difficiles qu’elles sont rares” (Raoul Lantzenberg, Flammarion, 1908)
“Mais tout ce qui est excellent est aussi difficile que rare” (André Guérinot, Pelletan-Helleu-Sergent, 1930)
“Mais tout ce qui est très précieux est aussi difficile que rare” (Rolland Caillois, Gallimard, 1954)
“Mais tout ce qui est remarquable est difficile autant que rare” (Bernard Pautrat, Edition bilingue, Points Seuil, 1988)
“Mais tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare” (Robert Misrahi, PUF, 1990)
“Mais tout ce qui est supérieur est difficile autant que rare” (Pascal Severac, Ellipses, 1997)

Baruch Spinoza. Portrait de 1665 tiré de la Herzog August Bibliothek. Wolfenbüttel, Basse-Saxe, en Allemagne.

Unica Zürn 1916 – 1970

Visite hier de l’exposition Unica Zürn avec J. On peut la voir jusqu’au 31 mai 2020 au Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne, 1 rue Cabanis, 75014-Paris. Du mercredi au dimanche de 14h à 19 h.

Cette exposition permet de mieux connaître cette artiste dont l’oeuvre est dispersée à travers le monde. Elle met en valeur surtout sa période de création lorsqu’elle se trouvait à l’hôpital Sainte-Anne. On peut voir 107 dessins, gouaches et aquarelles, plus une trentaine de documents, catalogues, lettres. On remarque la finesse de l’exécution du dessin et le caractère fantastique de l’ imagination d’Unica Zürn.

Unica Zürn

Cette artiste est née le 6 juillet à Berlin-Grunewald dans une famille bourgeoise. Son père et son beau-père furent membres du parti nazi. Elle travaille d’abord comme sténotypiste, puis comme scénariste et auteur de films publicitaires entre 1933 et 1942 pour l’Universum Film AG (UFA), instrument cinématographique du III ème Reich sous le contrôle de Goebbels à Berlin. Elle se marie en 1942 et a deux enfants (Katrin, née le 23 mai 1943, et Christian, né le 11 février 1945). Son frère Horst meurt en août 1944, près de Vitebsk. Elle divorce en 1949 et confie ses enfants à la garde du père. Elle vit d’abord avec le peintre et danseur Alexander Camaro, puis rencontre le peintre Hans Bellmer (1902-1975) en 1953. Elle vit dix ans avec lui dans un petit studio au premier étage du 88 rue Mouffetard àParis. Elle participe au mouvement surréaliste et est proche de Max Ernst, Man Ray, Jean Arp, Roberto Matta, Victor Brauner et Henri Michaux.

Unica Zurn a été internée à sept reprises entre 1960 et 1970 (soit 35 mois en dix ans): d’abord en 1960 à Berlin, puis à Sainte-Anne dans le service du Docteur Jean Delay du 26 septembre 1961 au 23 mars 1963. Elle fait d’autres séjours psychiatriques à La Rochelle, puis à Maison Blanche (Neuilly-sur-Marne) et enfin à la clinique psychiatrique du château de la Chesnaie de Chailles. Elle est aussi soignée par le Docteur Gaston Ferdière comme Antonin Artaud. Le 19 octobre 1970, lors d’une permission de sortie pour quelques jours, elle saute du sixième étage du domicile de Hans Bellmer, 4 rue de la Plaine à Paris.

Il ne faut pas oublier qu’elle a publié aussi deux œuvres de fiction:

  • L’Homme-Jasmin. Traduction Ruth Henry et Robert Valençay, avec une préface d’André Pieyre de Mandiargues, Paris, Gallimard, 1971; réédition Paris, Gallimard, collection «L’Imaginaire», 1999.
  • Sombre printemps. Traduction Ruth Henry et Robert Valençay, Paris, Belfond, 1971. Réédition Paris et Montréal, éditions Écriture, 1997. Collection de poche Motifs, 2003.

«Mon enfance est le bonheur de ma vie.

Ma jeunesse est le malheur de ma vie.»

Antonio Gamoneda

Antonio Gamoneda.

Le journal El País a publié au début du mois de février un entretien avec Antonio Gamoneda, un poète espagnol que j’aime bien.

Né dans les Asturies à Oviedo en 1931, il vit à León depuis 1934. Son père meurt en 1932. Sa mère l’élève dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Il doit abandonner ses études en 1943 et travailler comme coursier dès 1945. Il a une formation d’autodidacte et a connu l’extrême pauvreté de l’après-guerre et la répression franquiste.
Il a obtenu de nombreux prix dont le Prix Cervantes en 2006.
Ces dernières années il a publié deux tomes de mémoires:
Un armario lleno de sombra, Galaxia Gutenberg – Círculo de Lectores, Madrid, 2009.
La pobreza, Galaxia Gutenberg, 2020.

Ses poèmes ont été bien traduits en français, particulièrement par Jacques Ancet et bien édités par José Corti dans sa collection Ibériques.

Principales traductions en français:
Poèmes, traduction Roberto San Geroteo, Noire et blanche, numéro spécial, 1995.
Livre du froid, traduction et présentation Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, 1996, Antoine Soriano Editeur. 2e éd. 2005.
Pierres gravées, Jacques Ancet, Lettres Vives, 1996.
Substances, limites, in Nymphea, traduction Jacques Ancet, La Grande Os, 1997.
Cahier de mars, traduit par Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 1997.
Blues castillan, traduction Roberto San Geroteo, Noire et Blanche, 1998.
Froid des limites, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2000.
Description du mensonge (extraits), traduction Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 2002.
Pétale blessé, traduction Claude Houy, Trames, 2002.
Blues castillan, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004.
Description du mensonge, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004.
Passion du regard, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2004.
De l’impossibilité, traduction Amelia Gamoneda, préface Salah Stétié, Fata Morgana, 2004.
Clarté sans repos, traduction et présentation Jacques Ancet, Arfuyen, 2006.
Cecilia, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2006.
Le livre des poisons, traduction Jean-Yves Bériou. Actes Sud, 2009.

Ses relations avec les autres écrivains espagnols ne sont pas toujours au beau fixe, car il a un caractère ombrageux et a souvent la dent dure quand il parle de poètes reconnus de sa génération tels qu’ Ángel González, Blas de Otero, Gabriel Celaya ou Jaime Gil de Biedma.

El País, 07/02/2020 ENTREVISTA Antonio Gamoneda: “Todo hambriento es un microeconomista” https://elpais.com/cultura/2020/02/07/babelia/1581091598_442947.html

“P. ¿Cuál es el mejor poeta de su generación?
R. Claudio Rodríguez.
P. ¿Y el más sobrevalorado?
R. Jaime Gil de Biedma. Claudio era un monstruo que con 17 años escribió una monstruosidad: Don de la ebriedad. Los dos grandes del siglo XX español son Lorca y él. Y eso que por el medio hay hasta un premio Nobel como Aleixandre. Gil de Biedma era muy inteligente, se dio cuenta de que la cosa no daba para más y dejó de escribir. Como tenía mucha personalidad, en torno a él creció el mito.”

J’ai une certaine prédilection pour son recueil Blues castellano (1961-1966), publié en Espagne seulement en 1982 (Colección AEDA, Gijón, Noega) et en France par José Corti en 2004.

Présentation du recueil par l’auteur:
«J’ai écrit Blues castillan entre 1961 et 1966. Il a été publié tardivement et peu distribué. Il est passé presque inaperçu.

Blues castillan a à voir avec une certaine manière de penser le monde (“nous traversions les croyances” allais-je dire des années plus tard), et, surtout, avec la volonté de transformer en poèmes des événements et des états d’âme qui ont dominé ma vie pendant trente ans. Il comporte le récit de faits devant lesquels – ou dans lesquels – la souffrance est une affaire naturelle; j’y parle à voix basse d’un certain espoir (issu, peut-on supposer, de ces “croyances”) et il est- il m’importe beaucoup de le dire – une forme de consolation.

Blues castillan a des antécédents qui ne sont pas ceux que reconnaissaient mes contemporains. J’ai écris ce livre dominé par deux forces poétiques qui se sont avérées peut-être d’autant plus vigoureuses et actives en moi que, mal connues, à peine pressenties au début, j’ai dû les élaborer à partir de mon ignorance et les faire se développer en moi pour que cette ignorance puisse comporter quelque chose qui fût de l’ordre de la création.

Ces deux forces étaient le poète Turc Nazim Hikmet et les paroles des chants nord-américains à l’origine du jazz : le blues et le spiritual.

J’ai écrit (et traduit) des spirituals en castillan, et j’ai passé dans ma langue Nazim Hikmet. Sans ce travail, je crois que Blues castillan n’aurait jamais existé.»

Hablo con mi madre
Mamá: ahora eres silenciosa como la ropa
del que no está con nosotros.
Te miro el borde blanco de los párpados
y no puedo pensar.

Mamá: quiero olvidar todas las cosas
en el fondo de una respiración que canta.
Pasa tus manos grandes por mi nuca
todos los días para que no vuelva
la soledad.

Yo sé que en cada rostro se ve el mundo.
No busques más en las paredes, madre.
Mira despacio el rostro que tú amas:
mira mi rostro en cada rostro humano.

He sentido tus manos.
Perdido en el fondo de los seres humanos te he sentido
como tú sentías mis manos antes de nacer.

Mamá, no vuelvas más a ocultarme la tierra.
Esta es mi condición.
Y mi esperanza.

Blues castellano 1961-66, 1982.

Je parle avec ma mère
Maman : tu es maintenant silencieuse comme l’habit
de qui nous a quittés.
Je fixe le bord blanc de tes paupières
et je ne peux penser.

Maman : je veux tout oublier
au fond d’une respiration qui chante.
Passe-moi tes grandes mains sur la nuque
tous les jours pour que ne revienne pas
la solitude.

Je sais que sur chaque visage on voit le monde.
Ne va plus chercher sur les murs, maman.
Regarde le visage que tu aimes :
dans chaque visage humain, mon visage.

J’ai senti tes mains.
Perdu au fond des êtres humains je t’ai sentie
comme tu sentais mes mains avant ma naissance.

Maman, ne recommence plus à me cacher la terre.
Telle est ma condition.
Et mon espoir.

Blues castillan, traduction de Jacques Ancet, José Corti, 2004

Angelines
Cuando tengo sus manos en las mías, advierto que son suaves y algo frías, como han sido siempre. También, menos intenso, en una suspensión aparentemente lejana, no aquí, donde está, subiendo hasta mí desde su piel, respiro el perfume que tenía su cuerpo cuando era una niña.
No sé si voy a decir los deseos y las negaciones de Angelines, ni las que fueron mis respuestas. Vivimos juntos. De alguna manera, vivimos el uno en el otro. Nos necesitamos. Somos dos ancianos. Debería bastar.
Debería bastar. Esta perspectiva es también dudosa. Yo no voy a mentir, pero el silencio puede ser una impostura.
La pobreza. Galaxia Gutenberg, 2020.

Juan Eduardo Zúñiga 1919 -2020

Hommage de la Librería Alberti (Madrid) pour le centenaire de Juan Eduardo Zúñiga . (Dessin de Fernando Vicente)

L’écrivain espagnol Juan Eduardo Zúñiga, né le 24 janvier 1919, vient de mourir ce lundi à Madrid. C’était le doyen des Lettres espagnoles puisqu’il avait 101 ans. Selon Luis Mateo Díez, c’était le plus russe des écrivains espagnols. Spécialiste des littératures slaves, il a traduit de nombreux auteurs russes et écrit des essais tels que El anillo de Pushkin. Lectura romántica de escritores y paisajes rusos, (Barcelona: Bruguera, 1983; Alfaguara, 1992), Las inciertas pasiones de Iván Turguéniev (Alfaguara, 1996) ou Desde los bosques nevados (Galaxia Gutenberg, 2010) Il a subi l’influence de Tourgueniev, de Tchekhov et de Panaït Istrati.

Il a très bien recréé l’ambiance de Madrid pendant la guerre dans La trilogía de la Guerra Civil (1980-2003), composée de 34 nouvelles:

  • Largo noviembre de Madrid (1980)
  • La tierra será un paraíso (1989)
  • Capital de la gloria (2003)

Il a obtenu le Prix National des Lettres en 2016 et publié en 2019 son autobiographie, Recuerdos de vida (Galaxia Gutenberg).

Largo noviembre de Madrid (1980). Nouvelle Noviembre, la madre, 1936.

“Pasarán unos años y olvidaremos todo; se borrarán los embudos de las explosiones, se pavimentarán las calles levantadas, se alzarán casas que fueron destruidas. Cuanto vivimos, parecerá un sueño y nos extrañará los pocos recuerdos que guardamos; acaso las fatigas del hambre, el sordo tambor de los bombardeos, les parapetos de adoquines cerrando las calles solitarias…”

Recuerdos de vida. 2019. Galaxia Gutenberg.

«Qué larga es la calle de la vida. Avanzamos por ella y atrás dejamos convertido en olvido cuanto hicimos. Sólo cuando sentimos que el final de la calle se acerca es posible repensar lo sucedido. Sólo cuando creemos que quedan -¿quién lo sabe- dos o tres manzanas que recorrer es posible contemplar el paisaje de lo vivido. Atisbamos entonces en épocas lejanas el mecanismo de lo que fuimos, por casualidades de actos que parecían fugaces y por extrañas coincidencias que se producen como si la mano de nadie las creara.

Qué secreta es la calle de los años. Buscamos en los recuerdos cómo será el futuro: inútil tarea porque sólo se encuentra en las cenizas. Del fabuloso depósito de la memoria surgen ahora fragmentos barrocos, con ese color sepia que es el color de las sombras; detalles efímeros de algo escuchado, entrevisto o leído. Nos esforzamos en penetrarlos y que sean nítidos, para que si contienen un secreto, éste deje de serlo y de inquietar sus sombras.

Estas escenas sueltas, desconectadas en su apariencia, tienen un hilo invisible que las cose, finos tendones y venas las vitalizan.

Aunque lo más aceptable sería no intentar comprender la vida.»

Philip Roth

Philip Roth. 2007. (Ethan Hill)

American Pastoral. 1997. Pastorale américaine. Gallimard, 1999 (Traduction Josée Kamoun). Pages 47-48.
« On lutte contre sa propre superficialité, son manque de profondeur, pour essayer d’arriver devant autrui sans attente irréaliste, sans cargaison de préjugés, d’espoirs, d’arrogance; on ne veut pas faire le tank, on laisse son canon, ses mitrailleuses et son blindage; on arrive devant autrui sans le menacer, on marche pieds nus sur ses dix orteils au lieu d’écraser la pelouse sous ses chenilles; on arrive l’esprit ouvert, pour l’aborder d’égal à égal, d’homme à homme, comme on disait jadis. Et, avec tout ça, on se trompe à tous les coups. Comme si on n’avait pas plus de cervelle qu’un tank. On se trompe avant même de rencontrer les gens, quand on imagine la rencontre avec eux; et puis quand on rentre chez soi, et qu’on raconte la rencontre à quelqu’un d’autre, on se trompe de nouveau. Or, comme la réciproque est généralement vraie, personne n’y voit que du feu, ce n’est qu’illusion, malentendu qui confine à la farce. Pourtant, comment s’y prendre dans cette affaire si importante –les autres– qui se vide de toute la signification que nous lui supposons et sombre dans le ridicule, tant nous sommes mal équipés pour nous représenter le fonctionnement intérieur d’autrui et ses mobiles cachés? Est-ce qu’il faut pour autant que chacun s’en aille de son côté, s’enferme dans sa tour d’ivoire, isolée de tout bruit, comme les écrivains solitaires, et fasse naître les gens à partir des mots, pour postuler ensuite que ces êtres de mots sont plus vrais que les vrais, que nous massacrons tous les jours par notre ignorance? Le fait est que comprendre les autres n’est pas la règle, dans la vie. L’histoire de la vie, c’est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C’est même comme ça qu’on sait qu’on est vivant : on se trompe. Peut-être que le mieux serait de renoncer à avoir tort ou raison sur autrui, et continuer rien que pour la balade. Mais si vous y arrivez, vous… alors vous avez de la chance.»

Citation déjà publiée sur mon blog le 23 mai 2019. Bis repetita.

Antonio Machado

Antonio Machado est mort en exil à Collioure le 22 février 1939, trois jours avant sa mère.

Louis Aragon, Les poètes, 1960

«Machado dort à Collioure
Trois pas suffirent hors d’Espagne
Que le ciel pour lui se fit lourd
Il s’assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours.»

Campo (Antonio Machado)
La tarde está muriendo
como un hogar humilde que se apaga.

Allá, sobre los montes,
quedan algunas brasas.

Y ese árbol roto en el camino blanco
hace llorar de lástima.

¡Dos ramas en el tronco herido, y una
hoja marchita y negra en cada rama!

¿Lloras?… Entre los álamos de oro,
lejos, la sombra del amor te aguarda.

Soledades. Galerías. Otros poemas. 1907

Campagne

Le soir meurt
comme un humble foyer qui s’éteint.

Là-bas, sur les montagnes,
il reste quelques braises.

Et cet arbre brisé sur le chemin tout blanc
fait pleurer de pitié.

Deux branches sur le tronc blessé, et une
feuille fanée et noire sur chaque branche!

Tu pleures?… Entre les peupliers d’or,
au loin, l’ombre de l’amour t’attend.

Champs de Castille, précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de guerre. Collection Poésie/Gallimard (n° 144), Gallimard 1981. Traduit par Sylvie Léger et Bernard Sesé.

Camino entre Espejo de Tera y Rebollar (Provincia de Soria).