J’ai lu avec intérêt le livre de souvenirs de la romancière et poète uruguayenne Cristina Peri Rossi Julio Cortázar y Cris. (Ediciones Cálamo, 2014). Elle rend hommage à Julio Cortázar qu’elle rencontra en 1974. Ils vécurent à Paris et Barcelone une relation intense d’amitié amoureuse jusqu’à la mort de l’écrivain argentin à l’hôpital saint-Lazare le 12 février 1984. Celui-ci écrivit Quince poemas de amor a Cris, publiés en 1984 dans Salvo el crepúsculo (Alfaguara, 1984). Ce livre a été édité en français sous le titre Crépuscule d’automne. Traduction: Silvia Baron Supervielle. Paris, José Corti, 2010.
Quelques citations:
«No me gusta viajar, me gustan las personas»
«La provincia literatura es la provincia vida, son el mismo país.»
«Desde entonces pienso que tendríamos que conservar la voz de nuestros seres queridos como conservamos las fotografías o los objetos fetiche.»
«El tiempo real es el pasado, el tiempo inmediato es el pasado.»
«¿Quién que lee no es un melancólico, quién que escribe no lo es?»
«Lo cierto es que ni a vos ni a mí nos atraía mucho la cala, aunque nos gustaba mirar el mar; más bien nos repelía la arena, ese lugar donde se crían bichos conchudos.»
«-¿Sabés una cosa? A los pocos días de la muerte de Carol, levanté el teléfono y escuché un mensaje grabado. Era de Onetti. Decía: «El de arriba es un Hijo de Puta.»
«Los paranoicos son los únicos que comprenden el misterio de la vida.»
Texte lu à la Maison de l’Améerique Latine en espagnol par Julio Cortázar et en français Laure Bataillon un soir des années 80 après la mort de Carol Dunlop.
Las líneas de la mano (Julio Cortázar)
“De una carta tirada sobre la mesa sale una línea que corre por la plancha de pino y baja por una pata. Basta mirar bien para descubrir que la línea continúa por el piso de parqué, remonta el muro, entra en una lámina que reproduce un cuadro de Boucher, dibuja la espalda de una mujer reclinada en un diván y por fin escapa de la habitación por el techo y desciende en la cadena del pararrayos hasta la calle. Ahí es difícil seguirla a causa del tránsito, pero con atención se la verá subir por la rueda del autobús estacionado en la esquina y que lleva al puerto. Allí baja por la media de nilón cristal de la pasajera más rubia, entra en el territorio hostil de las aduanas, rampa y repta y zigzaguea hasta el muelle mayor y allí (pero es difícil verla, solo las ratas la siguen para trepar a bordo) sube al barco de turbinas sonoras, corre por las planchas de la cubierta de primera clase, salva con dificultad la escotilla mayor y en una cabina, donde un hombre triste bebe coñac y escucha la sirena de partida, remonta por la costura del pantalón, por el chaleco de punto, se desliza hasta el codo y con un último esfuerzo se guarece en la palma de la mano derecha, que en ese instante empieza a cerrarse sobre la culata de una pistola.”
Historias de cronopios y de famas, 1962.
Les lignes de la main
D’une lettre jetée sur la table s’échappe une ligne qui court sur la veine d’une planche et descend le long d’un pied. Si l’on regarde attentivement, on s’aperçoit qu’à terre la ligne suit les lames du parquet, remonte le long du mur, entre dans une gravure de Boucher, dessine l’épaule d’une femme allongée sur un divan et enfin s’échappe de la pièce par le toit pour redescendre dans la rue par le câble du paratonnerre. Là il est difficile de la suivre à cause du trafic mais si l’on s’en donne la peine, on la verra remonter sur la roue d’un autobus arrêté qui va au port… Elle monte sur le bateau aux sonores turbines, glisse sur les planches du pont de première classe, franchit avec difficulté la grande écoutille et, dans une cabine où un homme triste boit du cognac, elle remonte la couture de son pantalon, gagne son pull-over, se glisse jusqu’au coude et, dans un dernier effort, se blottit dans la paume de sa main droite qui juste à cet instant saisit un revolver.
Cronopes et fameux, Gallimard, Collection du Monde entier, 1977. Traduction: Laure Guille-Bataillon. Folio n° 2435, 1992.
Édition hongroise. Institut Cervantes de Budapest.
Albert Camus dans son bureau au journal Combat. 1945.
« Au milieu des cris qui redoublaient de force et de durée, qui se répercutaient longuement jusqu’au pied de la terrasse, à mesure que les gerbes multicolores s’élevaient plus nombreuses dans le ciel, le docteur Rieux décida alors de rédiger le récit qui s’achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l’injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses, à admirer que de choses à mépriser.
Mais il savait cependant que cette chronique ne pouvait pas être celle de la victoire définitive. Elle ne pouvait être que le témoignage de ce qu’il avait fallu accomplir et que, sans doute, devraient accomplir encore, contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements personnels, tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d’admettre les fléaux, s’efforcent cependant d’être des médecins.
Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.»
J’ai terminé de lire hier soir le récit de Ricardo Menéndez Salmón No entres dócilmente en esa noche quieta (Seix Barral, 2020). Ce livre m’ a déçu par son ton froid et distancié. J’avais pourtant aimé certains des livres précédents de cet auteur, particulièrement la trilogie du mal (La ofensa, Derrumbe et El corrector). C’est un livre autobiographique qui évoque la figure de son père malade, auprès duquel il a grandi et souffert. Ce père est décédé à l’hôpital de la Croix Rouge de Gijón le 12 juin 2015 après 33 ans de maladie. Je n’ai pas retrouvé la compréhension et la tendresse dont fait preuve Manuel Vilas dans Ordesa (Alfaguara, 2018). Il s’agit plutôt d’un règlement de comptes. Le titre évoque le célèbre poème de Dylan Thomas (1914-1953). Dans le film Interstellar de Christopher Nolan (2014), le professeur Brand (Michael Caine) et le Dr. Mann (Matt Damon) récitent des passages de ce poème à différents moments du film. Il est également utilisé comme thème des différentes luttes entreprises par Cooper (Matthew McConaughey).
Oeuvres:
La filosofía en invierno, KRK Ediciones, 1999 (réédition en 2007).
Panóptico, KRK ediciones, 2001.
Los arrebatados, Ediciones Trea, 2003.
Los caballos azules, Ediciones Trea, 2005.
La noche feroz, KRK Ediciones 2006. Réédition Seix Barral, 2011.
La ofensa, Seix Barral, 2007.
Gritar, Lengua de Trapo, Madrid, 2007. Réédition 2012.
Derrumbe. Seix Barral, 2008.
El corrector, Seix Barral, 2009.
La luz es más antigua que el amor, Seix Barral, 2010.
Medusa, Seix Barral, 2012.
Niños en el tiempo, Seix Barral, 2014.
El Sistema, Seix Barral, 2016.
Homo Lubitz, Seix Barral, 2018.
No entres dócilmente en esa noche quieta, Seix Barral, 2020.
Traductions en français: – La philosophie en hiver, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2011. Traduction de Delphine Valentin. – L’offense, Actes Sud, Arlés, 2009. Traduction d’ Aleksandar Grujicic et Elisabeth Beyer. – Débâcle, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2015. Traduction de Jean-Marie Saint-Lu. – Le correcteur, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2011. Traduction de Delphine Valentin. – La lumière est plus ancienne que l’amour, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2012. Traduction de Delphine Valentin. – Medusa , Éditions Jacqueline Chambon, París, 2013. Traduction de Jean-Marie Saint-Lu. – Enfants dans le temps, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2016. Traduction de Jean-Marie Saint-Lu. – L’Île Réalité, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2018. Traduction de Jean-Marie Saint-Lu.
Do not go gentle into that good night (Dylan Thomas). 1951.
Do not go gentle into that good night, Old age should burn and rave at close of day; Rage, rage against the dying of the light.
Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.
Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.
Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieve it on its way,
Do not go gentle into that good night.
Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay
Rage, rage against the dying of the light.
And you, my father, there on the sad height,
Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du jour ;
Rager, s’enrager contre la mort de la lumière.
Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l’obscur est mérité,
Parce que leurs paroles n’ont fourché nul éclair ils
N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.
Les hommes bons, passée la dernière vague, criant combien clairs
Leurs actes frêles auraient pu danser en un verre baie
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.
Les hommes violents qui prient et chantèrent le soleil en plein vol,
Et apprenant, trop tard, qu’ils l’ont affligé dans sa course,
N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.
Les hommes graves, près de mourir, qui voient de vue aveuglante
Que leurs yeux aveugles pourraient briller comme météores et s’égayer,
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.
Et toi, mon père, ici sur la triste élévation
Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes violentes, je t’en prie.
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la mort de la lumière.
Vision et Prière. Poésie/Gallimard, 1991. Traduit de l’anglais par Alain Suied.
NOUVELLES 1888-1896 (TOME III DES ŒUVRES COMPLÈTES) de Henry James. Traduites de l’anglais par Jean Pavans. Éditions de La Différence. 2008.
Henry James écrit la nouvelle Entre deux âges (The Middle Years) alors qu’il a 50 ans. Elle est publiée par la revue Scribner’s Magazine en 1893.
Le «pauvre Dencombe», un célèbre écrivain vieillissant, est en convalescence sur la côte anglaise, près de Bournemouth. Son éditeur lui envoie son dernier livre qui vient tout juste d’être imprimé. Il s’intitule The Middle Years. Il n’est pas content de ce qu’il relit. Il corrige encore le texte et envisage avec effroi la fin de sa vie. En se promenant, il croise un jeune homme qui tient à la main ce même livre qu’un ami critique vient de lui envoyer. Le jeune Hugh est médecin et fait devant l’écrivain, qu’il ne reconnaît pas, un éloge enthousiaste et sincère. Il accompagne une riche et excentrique comtesse anglaise qui séjourne avec sa dame de compagnie, Miss Vernham, dans le même hôtel que Dencombe. Le jeune médecin délaisse la comtesse pour s’occuper de l’écrivain souffrant. Elle meurt peu après et ne laisse rien en héritage au jeune homme alors qu’elle lui en avait fait un moment la promesse. Le doute mystique de l’écrivain habité par la foi en son art sacré est pathétiquement exprimé par Dencombe mourant dans les bras du docteur Hugh.
Quelques extraits du texte:
«It came over him in the long, quiet hours that only with The Middle Years had he taken his flight; only on that day, visited by soundless processions, had he recognised his kingdom. He had had a revelation of his range. What he dreaded was the idea that his reputation should stand on the unfinished. It was not with his past but with his future that it should properly be concerned. Illness and age rose before him like spectres with pitiless eyes: how was he to bribe such fates to give him the second chance? He had had the one chance that all men have – he had the chance of life.»
Page 684. « Et cet élan, il se convainquit, durant ces longues heures solitaires, qu’il l’avait pris seulement avec Entre deux âges: c’était seulement ce jour-là que, visité par des processions silencieuses, il avait reconnu son royaume. Il avait eu la révélation de son registre. Ce qu’il redoutait, c’était que sa réputation pût s’établir sur une expérience inachevée. C’était, non pas sur son passé, mais sur son avenir, que sa réputation devait se fonder. L’âge et la maladie se dressaient devant lui comme des spectres aux yeux impitoyables: comment pourrait-il les soudoyer afin d’obtenir une deuxième chance? Il avait eu l’unique chance qu’ont tous les êtres humains: il avait eu la chance de venir au monde.»
«…It isn’t till we are old that we begin to tell ourselves we’re not!»
«He recovered himself, however, to explain, lucidly enough, that if he, ungraciously, knew nothing of such a balm, it was doubtless because he had wasted inestimable years. He had followed literature from the first, but he had taken a life-time to get alongside of her. Only today, at last, had he begun to see, so that what he had hitherto done was a movement without of direction. He had ripened too late and was so clumsily constituted that he had had to teach himself by mistakes.»
Page 685 « C’est seulement quand on est vieux, qu’on commence à se dire qu’on ne l’est pas.»
«Il se ressaisit, cependant, pour expliquer, assez lucidement, que si lui, malheureusement, ignorait une pareille consolation, c’était sans doute parce qu’il avait gâché des années inestimables. Il avait suivi la littérature dès le début, mais il lui avait fallu toute une vie pour la rattraper. Seulement aujourd’hui, enfin, il s’était mis à voir, et ce qu’il avait fait jusqu’à présent n’était que des tâtonnements désorientés. Il avait mûri trop tard; il s’était si mal constitué qu’il n’avait pu s’instruire qu’en faisant des erreurs.»
«Two days later Dencombe observed to him, by way of the feeblest of jokes, that there would now be no question whatever of a second chance. At this the young man stared; then he exclaimed: «Why, it has come to pass – it has come to pass! The second chance has been the public’s – the chance to find the point of view, to pick up the pearl!»
«Oh, the pearl!» por Dencombe uneasily sighed. A smile as cold as a winter sunset flickered on his drawn lips as he added: «The pearl is the unwritten – the pearl is the unalloyed, the rest, the lost!»
Page 690. «Deux jours plus tard, Dencombe lui déclara, en guise de très faible plaisanterie, qu’il pouvait absolument ne plus être question d’une quelconque deuxième chance. Le jeune homme écarquilla les yeux; puis il s’écria: «Quoi, elle a déjà eu lieu…elle a déjà eu lieu! La deuxième chance a été celle du public…la chance de comprendre le point de vue, de saisir la perle! “Oh, la perle!” soupira avec peine le pauvre Descombe. Un sourire froid comme un crépuscule d’hiver joua sur ses lèvres crispées quand il ajouta: «La perle est ce qui n’est pas écrit…La perle est ce qui n’ a pas été agrégé, c’est le reste, c’est ce qui est perdu!»
” Not my glory – what there is of it! It is glory – to have been tested, to have had out little quality and cast our little spell. The thing is to have made somebody care. You happen to be crazy, or course, but that doesn’t affect the law.» «You’re a great success!» said Doctor Hugh, putting into his young voice the ring of a marriage-bell. Dencombe lay taking this in; then he gathered strength to speak once more. A second chance—that’s the delusion. There never was to be but one. We work in the dark–we do what we can—we give what we have. Our doubt is our passion and our passion is our task. The rest is the madness of art”. «If you,ve doubted, if you’ve despaired, you’ve always done it,» his visitor subtly argued. «We’ve done something or other,» Dencombe conceded. «Something or other is everything. It’s the feasible. It’s you!» «Comforter!» poor Dencombe ironically sighed. «But it’s true,» insited his friend. «It’s true. It’s frustration that doesn’t count.» «Frustration’s only life,» said Doctor Hugh. «Yes, it’s what passes.» Poor Dencombe was barely audible, but he had marked with the words the virtual end of his first and only chance.»
Page 691 « – Pas ma gloire, en effet…pour ce qu’elle est! C’est de la gloire, que d’avoir été compris, que d’avoir opéré un charme. L’essentiel, c’est d’avoir attiré l’intérêt de quelqu’un. Vous êtes fou, bien sûr, mais cela ne contredit pas la loi.
– Vous avez magnifiquement réussi!» dit le docteur Hugh en mettant dans sa voix juvénile des échos de carillon de mariage. Dencombe entendit cela sans bouger; puis il rassembla ses forces pour parler encore. «Une deuxième chance…voilà l’illusion! Il n’y en a jamais qu’une seule. Nous travaillons dans les ténèbres, nous faisons ce que nous pouvons, nous donnons ce que nous avons. Notre doute est notre passion, et notre passion est notre devoir. Le reste est la folie de l’art.
– Si vous avez douté, si vous avez désespéré, vous avez toujours fait quelque chose, argua subtilement son visiteur.
– Nous faisons toujours une chose ou une autre, concéda Dencombe.
– Une chose ou une autre est tout! C’est ce qui est faisable. C’est vous!
– Optimiste! Soupira ironiquement le pauvre Dencombe.
– Mais c’est vrai, insista son ami.
– C’est vrai. Ce qui ne compte pas c’est la frustration.
– La frustration n’est que la vie, dit le docteur Hugh.
– Oui, et c’est ce qui se passe.» Le pauvre Dencombe était à peine audible; mais il avait marqué avec ces paroles la fin effective de sa première et unique chance.»
On trouve aussi une autre traduction (Les Années médianes) dans le tome III des Nouvelles complètes 1888-1898. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2011. Traduction de François Piquet.
Philip Roth.
Philip Roth parle de cette nouvelle dans son roman The Ghost Writer (1979), L’écrivain des ombres, Gallimard 1981. Premier tome du cycle Nathan Zuckerman. Cf. Zuckerman enchaîné. Traduction: Henri Robillot et Jean-Pierre Carasso. Folio n°1877. 1987. Nathan Zuckerman, un jeune écrivain prometteur des années 1950, est victime du jugement de sa famille juive qui trouve que ses nouvelles ne décrivent pas la communauté sous son meilleur jour, mais qu’au contraire, elles tendent à inciter à l’antisémitisme. Le protagoniste décide donc de rendre visite à son idole littéraire, E. I. Lonoff, en quête de reconnaissance. Toute l’histoire se déroule en 24 heures, chez ce grand écrivain, où Zuckerman rencontre Amy Bellette, une jeune femme qui pourrait être la maîtresse de Lonoff, et qu’il s’imaginera être Anne Frank. Cette œuvre met en avant les tensions entre l’écriture et les conventions.
«Je lus entièrement deux fois de suite la nouvelle, cherchant à découvrir ce que je pouvais sur le doute qui est la passion de l’écrivain, la passion qui est son devoir et la folie – quelle idée – de l’art.»
Léon Edel, le grand spécialiste d’Henry James, a écrit une magnifique biographie de cet auteur: Henry James, une vie. Traduction André Müller, Paris, Seuil, 1990. Édition originale New York, Harper & Row, 1985.
Sevilla. Jardines del Alcázar. Lado oeste desde un balcón de la galería del Grutesco.
Nous devions aller à Séville en mars. Voyage annulé pour cause de confinement. Dommage! Juan Ramón Jiménez, dans son Diario de un poeta recién casado (1917) s’exprimait ainsi:
“En la primavera universal, suele el Paraíso descender hasta Sevilla”
Évocation nostalgique d’une fontaine des jardins de l’Alcázar où le poète Luis Cernuda (1902-1963) venait quand il était jeune. Il vivait alors en exil à Glasgow, ville qu’il détestait.
Jardín antiguo
Ir de nuevo al jardín cerrado, Que tras los arcos de la tapia, Entre magnolios, limoneros, Guarda el encanto de las aguas.
Oír de nuevo en el silencio,
Vivo de trinos y de hojas,
El susurro tibio del aire
Donde las almas viejas flotan.
Ver otra vez el cielo hondo
A lo lejos, la torre esbelta
Tal flor de luz sobre las palmas:
Las cosas todas siempre bellas.
Sentir otra vez, como entonces,
La espina aguda del deseo,
Mientras la juventud pasada
Vuelve. Sueño de un dios sin tiempo.
Glasgow, 13 de septiembre de 1939.
Las nubes, 1937-1940.
Jardin ancien
Revenir à ce jardin clos,
Qui derrière les arcs du mur,
Parmi magnolias, citronniers,
Garde l’enchantement des eaux.
Entendre encor dans le silence,
Vivant de trilles et de feuilles,
Le tiède murmure de l’air
Où flottent des âmes anciennes,
Voir de nouveau le ciel profond
Dans le lointain, la tour svelte
Fleur de lumière sur les palmes:
Toutes les choses toujours belles.
Sentir de nouveau, comme alors,
L’épine acérée du désir,
Tandis que la jeunesse enfuie
Revient. Songe d’un dieu sans temps.
Les nuages 1937-1940. Traduction de Jacques Ancet.
Alcalá de Henares. Museo Casa Natal de Cervantes. Calle Mayor, 48. Don Qujote y Sancho Panza (Pedro Requejo Novoa).
L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche. Deuxième partie. Traduction Louis Viardot. 1836.
CHAPITRE LVIII.
Comment tant d’aventures vinrent à pleuvoir sur Don Quichotte, qu’elles ne se donnaient point de relâche les unes aux autres.
” Quand Don Quichotte se vit en rase campagne, libre et débarrassé des poursuites amoureuses d’Altisidore, il lui sembla qu’il était dans son centre, et que les esprits vitaux se renouvelaient en lui pour continuer et poursuivre son œuvre de chevalerie. Il se tourna vers Sancho, et lui dit: – La liberté, Sancho, est un des dons les plus précieux que le ciel ait faits aux hommes. Rien ne l’égale, ni les trésors que la terre enferme en son sein, ni ceux que la mer recèle en ses abîmes. Pour la liberté, aussi bien que pour l’honneur, on peut et l’on doit aventurer la vie; au contraire, l’esclavage est le plus grand mal qui puisse atteindre les hommes. Je te dis cela, Sancho, parce que tu as bien vu l’abondance et les délices dont nous jouissions dans ce château que nous venons de quitter. Eh bien! au milieu de ces mets exquis et de ces boissons glacées, il me semblait que j’avais à souffrir les misères de la faim, parce que je n’en jouissais pas avec la même liberté que s’ils m’eussent appartenu; car l’obligation de reconnaître les bienfaits et les grâces qu’on reçoit sont comme des entraves qui ne laissent pas l’esprit s’exercer librement. Heureux celui à qui le ciel donne un morceau de pain sans qu’il soit tenu d’en savoir gré à d’autres qu’au ciel même!”
El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha II . Segunda parte. 1615.
CAPÍTULO LVIII
Que trata de cómo menudearon sobre don Quijote aventuras tantas, que no se daban vagar unas a otras
” Cuando don Quijote se vio en la campaña rasa, libre y desembarazado de los requiebros de Altisidora, le pareció que estaba en su centro y que los espíritus se le renovaban para proseguir de nuevo el asumpto de sus caballerías, y volviéndose a Sancho le dijo: – La libertad, Sancho, es uno de los más preciosos dones que a los hombres dieron los cielos; con ella no pueden igualarse los tesoros que encierra la tierra ni el mar encubre; por la libertad así como por la honra se puede y debe aventurar la vida, y, por el contrario, el cautiverio es el mayor mal que puede venir a los hombres. Digo esto, Sancho, porque bien has visto el regalo, la abundancia que en este castillo que dejamos hemos tenido; pues en mitad de aquellos banquetes sazonados y de aquellas bebidas de nieve me parecía a mí que estaba metido entre las estrechezas de la hambre, porque no lo gozaba con la libertad que lo gozara si fueran míos, que las obligaciones de las recompensas de los beneficios y mercedes recebidas son ataduras que no dejan campear al ánimo libre. ¡Venturoso aquel a quien el cielo dio un pedazo de pan sin que le quede obligación de agradecerlo a otro que al mismo cielo!”
Madrid. Calle Atocha, 87. Placa colocada con motivo del tercer centenario del Quijote. Lugar donde estaba la imprenta donde se imprimió la primera parte de Don Qujote. 1604-1605.
Atteint du Covid-19 et hospitalisé à l’hôpital universitaire central des Asturies à Oviedo depuis le 29 février, l’écrivain chilien Luis Sepúlveda est décédé hier 16 avril, à l’âge de 70 ans. Il est né le 4 octobre 1949 à Ovalle, au nord de Santiago. Militant communiste comme son père, il est emprisonné deux ans et demi pendant la dictature d’Augusto Pinochet. Son roman le plus célèbre était Un viejo que leía novelas de amor, publié en 1992 en français sous le titre Le Vieux qui lisait des romans d’amour (Traduction: François Maspéro) Paris, Métaillé, Collection « Bibliothèque hispano-américaine ». A partir de 1982, il s’installe en Europe et collabore à différents journaux, d’abord en Allemagne et en France . Il s’installe à Gijón (Asturies) en 1996.
Il évoquait très bien les grands auteurs latinoaméricains como Cortázar ou Borges.
“Par exemple, lorsqu’il évoque Julio Cortázar. A 20 ans, Sepúlveda gagne un prix de poésie au Chili. Ça lui permet d’assister à un colloque où sont venus de grands écrivains latino-américains, dont Cortázar: «J’avais préparé un discours en son hommage. On m’a présenté comme une “jeune promesse de la littérature”. Il s’est approché et m’a dit : “Un conseil, ne te laisse jamais traiter de jeune promesse de la littérature.”» En 1979, Cortázar arrive au Nicaragua, en pleine guerre civile. Sepúlveda travaille pour le journal sandiniste Barricada, que l’autre visite : «Au moment où il entrait, il y a eu une alerte à la bombe. Cortázar m’a dit : “C’est bien toi, la jeune promesse de la littérature ?” Et il a fallu partir pour nous protéger.» Quelques années avant la mort de l’Argentin, il le croise dans un dîner à Paris: «J’espérais enfin pouvoir parler avec lui, mais il y avait trop de monde. Au milieu du repas, je vais pisser. Il entre après moi et, face à l’urinoir, me dit : “Alors, on parle ou non ?” Je suis allé chez lui avec une bouteille de Rémy Martin et une cartouche de Gitanes. On n’a plus cessé de parler.» Cortázar lui donne une préface pour un recueil de nouvelles en disant: «Ça peut être une malédiction pour toi. On risque de dire : “Les nouvelles sont nulles, mais la préface vaut le coup.”»
Luis Sepúlveda, retraite réussie (Philippe Lançon) Libération, 16/04/2020.
No recuerdo con precisión cuándo fue, pero eso ya no importa, sin embargo mantengo muy fijo en la memoria un caleidoscopio de imágenes que primero me muestran la ciudad de Colonia, el horrible esperpento gótico del Domm, la célebre catedral, luego un tranvía y en él yo mismo, maldiciendo la humedad y buscando ansiosamente la página de lectura interrumpida en una obra titulada El Libro de los seres imaginarios, para leer por enésima vez la historia del Goofus Bird, aquel ser que en cada lectura me devuelve una imagen de mí mismo y me incluye gustosamente en los bestiarios de Cortázar o de Zötl. Las siguientes imágenes perfilan otro edificio atroz, el de la radio exterior alemana, y enseguida me veo y escucho caminando por sus tétricos pasillos en los que, en las pocas oportunidades que visité la radio, me extravié inexorablemente. De pronto, me enfrento a una invención dantesca, a un artilugio llamado Pater Noster, una suerte de Banda de Moebius que transporta personas de piso en piso. Pater Noster: dos paralelepípedos en el muro, uno sube y el otro baja. En algún piso, yo, con una terrible duda, ¿qué ocurre si subo hasta la última planta y no salto fuera del agujero? ¿Descenderé cabeza abajo en medio de dramáticos esfuerzos para no romperme el cuello? Ahí estoy, frente al artilugio que no cesa de pasar, hacia abajo o hacia arriba, y de improviso, en el hueco móvil, veo pasar la figura inconfundible, serena, casi transparente de Borges.
Corro dos pisos escaleras abajo para llegar antes que el Pater Noster, toco una mano del ilustre ciego y le digo: «Borges, de un paso adelante cuando yo se lo diga». Borges tiene la mano fría y algo sudada. Huele sutilmente a cierta agua de colonia que me retrae a la infancia. No aprieto su mano, pero me convenzo de que sus huesos son frágiles. Bajamos, y entre el piso que dejamos arriba y el que insinua más abajo, Borges dice casi en un susurro: «¿Qué infernal aparato es éste?». No le pregunto cómo entró al Pater Noster. Simplemente lo acompaño a la sala de grabación donde lo esperan con inquietud y nerviosismo. Allí, tampoco digo dónde lo he encontrado, y Borges tampoco menciona el incidente. Al despedirme, Borges alza la cabeza y me veo retratado en sus ojos más aptos para ver los portentos de la imaginación que los frutos de la vanalidad. «¿Cómo se llama?» pregunta, y yo quiero inventar un nombre islandés que sea sinónimo de casualidad, pero repito una vez más el mío, tan fácilmente olvidable por todos los burócratas del mundo.
No volví a verlo nunca más, pero el caleidoscopio ordena sus cristales y finalmente me muestra su tumba en Ginebra, donde he estado solo y en silencio, deseando fervientemente despertar, o sumirme en un sueño del que a veces me siento injustamente arrebatado. Un sueño libre de caleidoscopios, y de su irritante costumbre de deformar el presente.
Hommage à la Seconde République espagnole proclamée le 14 avril 1931. ¡Salud y República!
Segovia. Statue d’ Antonio Machado. Plaza Mayor devant le Teatro Juan Bravo,
Lo
que hubiera dicho Mairena el 14 de abril de 1937
Hoy hace seis años que fue proclamada la segunda República española. Yo no diré que esta República lleve seis años de vida, porque, entre la disolución de las ya inmortales Cortes Constituyentes y el triunfo en las urnas del Frente Popular, hay muchos días sombríos de restauración picaresca, que no me atrevo a llamar republicanos. De modo que, para entendernos, diré que hoy evocamos la fecha en que fue proclamada la segunda gloriosa República española. Y que la evocamos en las horas trágicas y heroicas de una tercera República, no menos gloriosa, que tiene también su fecha conmemorativa- 16 de febrero- y cuyo porvenir nos inquieta y nos apasiona.
Vivimos hoy, 14 de abril de 1937, tan ahincados en el presente y tan ansiosamente asomados a la atalaya del porvenir que, al volver por un momento nuestros ojos a lo pasado, nos aparece aquel día de 1931, súbitamente, como imagen salida, nueva y extraña, de una encantada caja de sorpresas. ¡Aquellas horas, Dios mío, tejidas todas ellas con el más puro lino de la esperanza, cuando unos pocos viejos republicanos izamos la bandera tricolor en el Ayuntamiento de Segovia!… Recordemos, acerquemos otra vez aquellas horas a nuestro corazón. Con las primeras hojas de los chopos y las últimas flores de los almendros, la primavera traía a nuestra República de la mano. La naturaleza y la historia parecían fundirse en una clara leyenda anticipada, o en un romance infantil.
La primavera ha venido del brazo de un capitán. Cantad, niñas, en corro: ¡Viva Fermín Galán¡
Florecía la sangre de los héroes de Jaca, y el nombre abrileño del capitán muerto y enterrado bajo las nieves del invierno era evocado por una canción que yo oí cantar o soñé que cantaban los niños en aquellas horas.
La primavera ha venido y don Alfonso se va. Muchos duques le acompañan hasta cerca de la mar. Las cigüeñas de las torres quisieran verlo embarcar…
Y la canción seguía, monótona y gentil. Fue aquél un día de júbilo en Segovia. Pronto supimos que lo fue en toda España. Un día de paz, que asombró al mundo entero. Alguien, sin embargo, echó de menos el crimen profético de un loco, que hubiera eliminado a un traidor. Pero nada hay, amigos, que sea perfecto en este mundo.
ANTONIO
MACHADO
Juan de Mairena.
Max Aub. Peinture murale dans un collège de Valence.
Max Aub, Campo de los almendros , 1968.
“Estos que ves ahora deshechos, maltrechos, furiosos, aplanados, sin afeitar, sin lavar, cochinos, sucios, cansados, mordiéndose, hechos un asco, destrozados, son, sin embargo, no lo olvides nunca pase lo que pase, son lo mejor de España, los únicos que, de verdad, se han alzado, sin nada, con sus manos, contra el fascismo, contra los militares, contra los poderosos, por la sola justicia; cada uno a su modo, a su manera, como han podido, sin que les importara su comodidad, su familia, su dinero. Estos que ves, españoles rotos, derrotados, hacinados, heridos, soñolientos, medio muertos, esperanzados todavía en escapar, son, no lo olvides, lo mejor del mundo. No es hermoso. Pero es lo mejor del mundo. No lo olvides nunca, hijo, no lo olvides.”
Max Aub. Le Labyrinthe magique: I. Campo Cerrado, I. Campo Abierto III. Campo de sangre, IV. Campo francés, V. Campo del moro, VI. Campo de los almendros. Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet. Les Fondeurs de Brique.
Voir l’article de Philippe Lançon dans Libération du 9 juillet 2009: 1936, AUB DU PEUPLE.
De la serie de hechos inexplicables que son el universo o el tiempo, la dedicatoria de un libro no es, por cierto, el menos arcano. Se la define como un don, un regalo. Salvo en el caso de la indiferente moneda que la caridad cristiana deja caer en la palma del pobre, todo regalo verdadero es recíproco. El que da no se priva de lo que da. Dar y recibir son lo mismo.
Como todos los actos del universo, la dedicatoria de un libro es un acto mágico. También cabría definirla como el modo más grato y más sensible de pronunciar un nombre. Yo pronuncio ahora su nombre, María Kodama. Cuántas mañanas, cuántos mares, cuántos jardines del Oriente y del Occidente, cuánto Virgilio.
J.L.B
Buenos Aires, 17 de mayo de 1981.
María Kodama. Jorge Luis Borges.
Shinto
Cuando nos anonada la desdicha, durante un segundo nos salvan las aventuras ínfimas de la atención o de la memoria: el sabor de una fruta, el sabor del agua, esa cara que un sueño nos devuelve, los primeros jazmines de noviembre, el anhelo infinito de la brújula, un libro que creíamos perdido, el pulso de un hexámetro, la breve llave que nos abre una casa, el olor de una biblioteca o del sándalo, el nombre antiguo de una calle, los colores de un mapa, una etimología imprevista, la lisura de la uña limada, la fecha que buscábamos, contar las doce campanadas oscuras, un brusco dolor físico.
Ocho millones son las divinidades del Shinto
que viajan por la tierra, secretas.
Esos modestos númenes nos tocan,
nos tocan y nos dejan.
La cifra, 1981
Shinto
Quand le malheur nous accable,
voici que, l’espace d’une seconde, nous sauvent
les aventures infimes
de l’attention ou de la mémoire:
le goût d’un fruit, le goût de l’eau,
ce visage que nous rend un rêve,
les premiers jasmins de novembre,
l’attirance infinie de la boussole,
un livre que nous pensions avoir perdu,
le battement d’un hexamètre,
cette petite clef qui nous ouvre une maison,
l’odeur du santal ou d’une bibliothèque,
le nom ancien d’une rue,
la couleur d’une mappemonde,
une étymologie insolite,
le poli d’un ongle qu’on a limé,
la date que nous cherchions,
compter les douze coups de l’obscur,
une brusque douleur physique.
Huit millions, les divinités du Shinto
qui voyagent, secrètement, sur la terre.
Ces dieux modestes nous frôlent,
nous frôlent puis s’éloignent.
Les Conjurés, précédé de Le Chiffre, traduit de l’espagnol par Claude Esteban, Gallimard, 1988, p. 69.
Nostalgia del presente
En aquel preciso momento el hombre se dijo: Qué no daría yo por la dicha de estar a tu lado en Islandia bajo el gran día inmóvil y de compartir el ahora como se comparte la música o el sabor de la fruta. En aquel preciso momento el hombre estaba junto a ella en Islandia.
La cifra, 1981.
Nostalgia del presente
Á cet instant précis l’homme se dit: Que ne donnerais-je pour la joie d’être en Islande à tes côtés sous le grand jour immobile et de partager le présent comme on partage la musique ou la saveur d’un fruit. Á cet instant précis l’homme était près d’elle en Islande
Le chiffre, 1981. Traduit par Silvia Baron Supervielle.
Je me souviens de Francis Ponge, d’une conférence de ce poète (ou anti-poète comme Nicanor Parra), peut-être en 1969. Sa poésie était bien loin de notre goût d’alors pour le surréalisme.
J’aimerais pouvoir aller à Paris chez Gibert et acheter la Correspondance Albert Camus- Francis Ponge (1941-1957), publiée en 2013 chez Gallimard. Albert Camus et Francis Ponge se sont rencontrés pour la première fois à Lyon le 17 janvier 1943, en compagnie de leur ami commun, le journaliste résistant, Pascal Pia. Le Parti pris des choses a paru en 1942, tiré à 1 300 exemplaires dans la collection «Métamorphoses» de la NRF, en même temps que L’Étranger (19 mai 1942). Les deux hommes s’écrivent beaucoup entre 1943 et 1945. Ils s’éloignent après 1944 à cause de divergences politiques (l’engagement communiste de Ponge) et/ou personnelles (par exemple, l’amitié entre Camus et Char).
Francis Ponge demande à Albert Camus début mars 1943 s’il connaît l’Ode à Salvador Dalí de Federico García Lorca. Il la décrit comme «un exemple de camaraderie dans l’offensive intellectuelle». Francis Ponge a lu avec grand intérêt le manuscrit du Mythe de Sisyphe dès août 1941. Ce texte sera publié en octobre 1942 par Gallimard. Il taquine Camus et propose même d’ «imaginer Sisyphe paresseux»! Camus s’est inspiré de ses conversations avec Ponge pour développer les arguments des incroyants dans La Peste.
J’ai retrouvé un texte de Ponge que j’aime particulièrement La robe des choses
La robe des choses
Une fois, si les objets perdent pour vous leur goût, observez alors, de parti pris, les insidieuses modifications apportées à leur surface par les sensationnels événements de la lumière et du vent selon la fuite des nuages, selon que tel ou tel groupe des ampoules du jour s’éteint ou s’allume, ces continuels frémissements de nappes, ces vibrations, ces buées, ces haleines, ces jeux de souffles, de pets légers.
Aimez ces compagnies de moustiques à l’abri des oiseaux sous des arbres proportionnés à votre taille, et leurs évolutions à votre hauteur.
Soyez émus de ces grandioses quoique délicats, de ces extraordinairement dramatiques quoique ordinairement inaperçus événements sensationnels, et changements à vue.
Mais l’explication par le soleil et le vent, constamment présente à votre esprit, vous prive de surprises et de merveilles. Sous-bois, aucun de ces événements ne vous fait arrêter votre marche, ne vous plonge dans la stupéfaction de l’attention dramatique, tandis que l’apparition de la plus banale forme aussitôt vous saisit, l’irruption d’un oiseau par exemple.
Apprenez donc à considérer simplement le jour, c’est-à-dire, au-dessus des terres et de leurs objets, ces milliers d’ampoules ou fioles suspendues à un firmament, mais à toutes hauteurs et à toutes places, de sorte qu’au lieu de le montrer elles le dissimulent. Et suivant les volontés ou caprices de quelque puissant souffleur en scène, ou peut-être les coups de vent, ceux que l’on sent aux joues et ceux que l’on ne sent pas, elles s’éteignent ou se rallument, et revêtent le spectateur en même temps que le spectacle de robes changeant selon l’heure et le lieu.