Depuis hier soir, je recherche une phrase de Fernando Pessoa qu’ Adrien Gombeaud a citée dans sa critique du beau film de Pedro Almodóvar, La chambre d’à côté (Positif n°767. janvier 2025. pages 6-7). Je l’ai enfin trouvée.
307 « Esthétique du désenchantement Puisque nous ne pouvons tirer de beauté de la vie, cherchons du moins à tirer de la beauté de notre impuissance même à en tirer de la vie. Faisons de notre échec une victoire, quelque chose de positif qui se dresse, au milieu des colonnes, en majesté et en consentement spirituel. Puisque la vie ne nous a rien offert d’autre qu’une cellule de reclus, alors tentons de la décorer, ne serait-ce que de l’ombre de nos songes, dessins et couleurs mêlés, sculptant notre oubli sur l’immobile extériorité des murailles. Comme tous les rêveurs, j’ai toujours senti que ma fonction, c’était de créer. Comme je n’ai jamais su faire aucun effort, ni concrétiser aucune intention, créer a toujours coïncidé pour moi avec le fait de rêver, de vouloir ou de désirer, et d’accomplir un geste, en rêvant seulement le geste que je souhaiterais pouvoir accomplir. »
Gens au soleil (People in the Sun) (Edward Hopper), 1960. Washington, Smithsonian American Art Museum
Le livre de l’intranquillité de Bernardo Soares. p.310. Christian Bourgois éditeur, 1999. Traduction Françoise Laye.
« Estética do desalento Já que não podemos extrair beleza da vida, busquemos ao menos extrair beleza de não poder extrair beleza da vida. Façamos da nossa falência uma vitória, uma coisa positiva e erguida, com colunas, majestade e aquiescência espiritual. Se a vida não nos deu mais do que uma cela de reclusão, façamos por ornamentá-la, ainda que mais não seja, com as sombras dos nossos sonhos, desenhos a cores mistas esculpindo o nosso esquecimento sobre a parada exterioridade dos muros. Como todo o sonhador, senti sempre que o meu mister era criar. Como nunca soube fazer um esforço ou ativar uma intenção, criar coincidiu-me sempre com sonhar, querer ou desejar, e fazer gestos com sonhar os gestos que desejaria poder fazer. »
Livro do Desassossego por Bernardo Soares. Assírio & Alvim. 1998.
Portrait d’Arthur Rimbaud (Jean-Louis Forain). 1872. Dessin au lavis redécouvert par Jean-Jacques Lefrère.
Je relis Rimbaud et je me plonge dans la biographie publiée par le regretté Jean-Jacques Lefrère (1954 – 2015 ). Ce médecin, hématologue, directeur général de l’Institut national de Transfusion sanguine était aussi un spécialiste de Rimbaud, de Lautréamont et de Jules Laforgue. Il a publié Arthur Rimbaud Biographie chez Fayard en 2001. On peut lire aussi cet ouvrage de référence dans la collection Bouquins de Robert Laffont (édition de 2020). Jean-Jacques Lefrère codirigeait la revue par abonnement Histoires littéraires avec l’universitaire canadien Michel Pierssens. Il a réussi à retrouver des photos et des documents inédits de Lautréamont, de Rimbaud, de Laforgue mais aussi de Boris Vian et même des photos de Che Guevara !
Je relis le superbe poème de Rimbaud Larme. Ce texte de mai 1872 se trouve dans le recueil Vers nouveaux.
Larme (Arthur Rimbaud) Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises, Je buvais, accroupi dans quelque bruyère Entourée de tendres bois de noisetiers, Par un brouillard d’après-midi tiède et vert.
Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise, Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert. Que tirais-je à la gourde de colocase ? Quelque liqueur d’or, fade et qui fait suer.
Tel, j’eusse été mauvaise enseigne d’auberge. Puis l’orage changea le ciel, jusqu’au soir. Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches, Des colonnades sous la nuit bleue, des gares.
L’eau des bois se perdait sur des sables vierges, Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares… Or ! tel qu’un pêcheur d’or ou de coquillages, Dire que je n’ai pas eu souci de boire !
Mai 1872.
Vers nouveaux.
On peut remarquer l’utilisation de l’ hendécasyllable (vers de 11 syllabes), ce qui est assez rare dans la poésie française, mais on peut le trouver aussi chez Banville et Verlaine. Rimbaud, poète voyant, est un chercheur d’or, un pêcheur de perles. Mais le texte se termine sur un sentiment d’échec, de frustration.
Après le Bal, le fêtard (Jean-Louis Forain). 1882. Pastel sur papier. Memphis, Dixon Gallery and Gardens.
Le texte de l’autographe de ce poème a été donné au peintre Jean-Louis Forain (1852-1931) qui a 19 ans lorsqu’il rencontre Rimbaud en 1871. Il est surnommé Gavroche par la bande des zutistes. Le Cercle des poètes zutiques a été fondé par Charles Cros à partir de septembre-octobre 1871. Ils se retrouvent dans un local de l’hôtel des Étrangers, à l’angle des rues Racine et de l’École-de-Médecine. Forain héberge Rimbaud rue Campagne-Première de janvier à mars 1872 dans une chambre louée par Verlaine. Il sert aussi de messager entre les deux poètes. C’est un de leurs compagnons de bamboche. Leur intimité a aussi fait jaser. La femme de Verlaine, Mathilde Mauté (1853-1914), dans Mémoiresde mavie, publiés en 1935 après sa mort chez Flammarion, rapporte les propos suivants tenus par son mari : “Quand je vais avec la petite chatte brune, je suis bon, parce que la petite chatte brune est très douce ; quand je vais avec la petite chatte blonde, je suis mauvais, parce que la petite chatte blonde est féroce.” Elle ajoute : “J’ai su que la petite chatte brune, c’était Forain et la petite chatte blonde, Rimbaud.”
Proche d’Edgar Degas, Forain participe plus tard à quatre des huit expositions impressionnistes (1879, 1880, 1881 et 1886). Il se marie en 1891, est nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1893 et devient membre de l’Institut en 1923. Opposé à la Troisième République, il est antidreyfusard comme Edgar Degas, Auguste Renoir, Auguste Rodin, Paul Cézanne ou Paul Valéry. Au plus fort de l’affaire Dreyfus, il crée, avec le dessinateur Caran d’Ache (1858-1909), Psst… !, un journal hebdomadaire satirique qui paraît en 1898 et 1899. Il y publie des caricatures atroces des juges ou d’Emile Zola. Plusieurs sont antisémites. Pendant la guerre de 1914-1918, il est nationaliste et patriotard. Sur la fin de sa vie, il n’évoque qu’avec réticence ses années de jeunesse.
¿Y si el perro, además de ser cancerbero del reino de los muertos, imagen del terror nocturno, símbolo profético del tiempo, criatura en el gran desierto del mundo, alegoría renacentista de la ascensión del espíritu, emblema de la fidelidad y de la melancolía, fuese también, un retrato, una metáfora de un retrato humano, una reflexión sobre nuestra condición y, por qué no, un autorretrato del propio Goya transformado en perro?
Antonio Saura (1930 – 1998)
“De todas formas, la cabeza del perro asomándose, siendo nuestro retrato de soledad, no es otra cosa que el propio Goya contemplando algo que está sucediendo.”
Selon Antonio Saura, Goya est l’auteur de la première définition écrite de la modernité.
“Sus cualidades excepcionales las malogran esos maestros amanerados que siempre ven líneas y jamás cuerpos. Pero ¿dónde encuentran líneas en la naturaleza? Yo no distingo más que cuerpos luminosos y cuerpos oscuros, planos que avanzan y planos que se alejan, relieves y concavidades. Mi ojo no percibe nunca líneas ni detalle, ni se me ocurre contar los pelos de la barba del transeúnte o la botonadura de su abrigo. Esas minucias no distraen mi atención. Y mi pincel no debe ver más ni major que yo.” (Discurso a la Academia)
Madrid. Monumento a Francisco de Goya (Mariano Benlliure) près du Museo del Prado. 1902. (CFA)
Cinq jours dans le Perche et à Chartres. Temps froid, épais brouillard, mais un jour ensoleillé, avec une belle lumière, à Chartres justement.
Nous avons visité une fois encore la cathédrale Notre-Dame. Nous avons marché dans les ruelles de la vieille ville. Nous sommes entrés pour la première fois dans la Chapelle Saint-Piat qui renferme le trésor de la cathédrale. Elle a rouvert le 21 septembre 2024 après 24 ans de recherches et de restauration. Au fond de la cathédrale, un escalier vitré conduit à l’ancienne chapelle du premier étage. Le trésor est visible dans celle-ci et le dépôt lapidaire dans l’ancienne salle capitulaire qui se trouve au rez-de-chaussée. Les deux salles communiquent par un escalier dans la tourelle sud.
Nous y sommes allés surtout pour admirer les quatre nouveaux vitraux de l’artiste coréenne Bang Hai Ja qui remplacent les panneaux précédents qui n’étaient pas décorés. Nous avions découvert cette magnifique artiste au Centre Pompidou en septembre.
Dans le projet que Bang Hai Ja a conçu pour la salle capitulaire, on retrouve le vocabulaire abstrait qu’elle a généralement utilisé, les compositions centrées et aussi les structures circulaires présentes dans les années 1970 comme représentations de l’univers. Face aux souffrances et aux violences du monde qui l’entoure, elle a souhaité insister sur le fait que l’univers est fait de lumière, de couleur et d’énergie. Elle délivre ainsi sur ces quatre panneaux un message de paix et affirme :
« La Lumière est Vie
La Vie est Amour
L’Amour est Joie
La Joie est Paix. »
Les quatre baies (388 x 146 m pour la plus petite ; 426 x 162 m pour les trois autres) ont été mises en place en 2022. L’artiste ne les a jamais vu installés. Elle est décédée le 15 septembre 2022.
Nous avons vu récemment au Musée d’Orsay l’exposition Harriet Backer La musique des couleurs. Elle est visible du 24 septembre 2024 au 12 janvier 2025.
Méconnue en dehors de son pays, Harriet Backer (1845-1932) a été la peintre la plus célèbre en Norvège à la fin du XIXe siècle. À une époque où les femmes n’étaient pas considérées là-bas comme des citoyennes à part entière, elle est devenue une figure importante de la scène artistique de son époque. Pour parfaire sa formation, elle s’est rendue à Munich et à Paris.
L’exposition présente aussi d’autres artistes femmes scandinaves, également formées à travers l’Europe et qui partageaient ses engagements féministes.
Les grands thèmes cette artiste sont les suivants : les intérieurs rustiques, les peintures d’églises traditionnelles norvégiennes, les paysages et les natures mortes. Une large place est laissée aux représentations de scènes musicales. Nombre de ses proches étaient en effet des musiciens reconnus.
Le travail du Musée d’Orsay est remarquable car il propose, en plus de grandes expositions de peintres célèbres (par exemple du 08 octobre 2024 au 19 janvier 2025 Caillebotte Peindre les hommes), des découvertes d’ artistes moins connus mais importants pour comprendre les grandes évolutions de l’art de la seconde moitié du XIXe siècle.
Relevailles, sacristie de l’église de Tatum. 1892. Bergen, KODE Bergen Art Museum.
Un tableau a attiré particulièrement mon attention. Il s’agit de Relevailles, sacristie de l’église de Tatum. 1892. Bergen, KODE Bergen Art Museum.
Les relevailles étaient une cérémonie de l’Église catholique qui avait pour but de réintégrer une jeune mère ayant accouché, n’ayant pu se rendre à l’église pendant sa période de quarantaine, dans le cercle des fidèles et auprès de Dieu. La première mention de ce rituel se trouve dans l’Ancien Testament. Il y est dit qu’à partir de la naissance de son enfant, la mère doit s’éloigner des lieux de culte et ne peut assister aux cérémonies religieuses à cause de son impureté. Dans de nombreuses régions de France, entre interdits et regards peu complaisants, l’accouchement et la messe des relevailles étaient attendus avec hâte. En effet, si la quarantaine était facilement respectée par les plus riches, elle ne l’était pas pour les plus pauvres, notamment dans les milieux ruraux où il y avait un grand besoin de main-d’œuvre. La cérémonie des relevailles a été officiellement abolie en Norvège dès le XVIIIe siècle, mais elle était encore souvent pratiquée à la fin du XIXe siècle, certainement en raison des inquiétudes liées à la mortalité encore très élevée chez les nourrissons et les jeunes mères.
Francisco de Goya a peint aussi entre 1808 et 1812 La misa de parida (La Messe des relevailles). Ce tableau est conservé au Musée des Beaux-Arts d’Agen depuis 1900. Il représente l’intérieur d’une église pendant la messe. Une jeune mère en train d’être purifiée se trouve à genoux près d’un grand cierge derrière le prêtre, lequel est tourné vers l’autel et un crucifix.
La misa de parida (Francisco de Goya). Entre 1808 et 1812.Musée des Beaux-Arts d’Agen.
Belle exposition au Musée Zadkine (100 bis, rue d’Assas 75006 Paris) : Modigliani / Zadkine Une amitié interrompue. (14 novembre 2024 – 30 mars 2025)
Cette exposition s’intéresse à l’amitié artistique qui unit le sculpteur Ossip Zadkine (1888-1967) au peintre Amedeo Modigliani (1884-1920).
Tête de femme. (Amedeo Modigliani). 1911-1913. Calcaire. Paris, Centre Pompidou.
” À travers près de 90 œuvres, peintures, dessins, sculptures mais également documents et photographies d’époque, elle propose de suivre les parcours croisés de Modigliani et Zadkine, dans le contexte mouvementé et fécond du Montparnasse des années 1910 à 1920. Bénéficiant de prêts exceptionnels de grandes institutions – le Centre Pompidou, le musée de l’Orangerie, les musées de Milan, Rouen et Dijon – ainsi que de prêteurs privés, le parcours fait se confronter, comme au temps de leurs débuts artistiques, deux artistes majeurs des avant-gardes, et permet de renouer les fils d’une amitié interrompue. »
Modigliani est arrivé à Paris en 1906, Zadkine en 1909. Ce dernier rencontre le peintre italien en 1913. Leur rencontre se fait sous le signe de la sculpture. Modigliani s’adonne à elle depuis sa rencontre avec Constantin Brâncuși (1876-1957) en 1909. Il l’abandonne vers 1914 du fait notamment de ses problèmes pulmonaires.
La guerre met un terme à l’amitié entre Modigliani et Zadkine. Lors de la mobilisation d’août 1914, le premier veut s’engager, mais sa mauvaise santé empêche son incorporation. Le second participe au sein de la Légion étrangère à la guerreen 1916 et 1917. Il est affecté à une ambulance russe en Champagne. Il est gazé à la fin du mois de novembre, puis évacué et hospitalisé. Il est réformé en octobre 1917. Tous deux se croisent à nouveau brièvement vers 1918. Modigliani meurt prématurément d’une méningite tuberculeuse le 24 janvier 1920. Rapidement, il devient un mythe. Il incarne l’artiste maudit des années folles, abîmé par l’alcool, la drogue et les liaisons orageuses pour noyer son mal-être et son infortune.
Ossip Zadkine lui aura une longue et fructueuse carrière de sculpteur jusqu’à sa mort à Neuilly-sur-Seine le 25 novembre 1967.
Tête d’homme (Ossip Zadkine ). 1918. Pierre. Paris, Musée Zadkine.
Dans l’atelier de Zadkine, à la fin de l’exposition, mon attention a été attirée par l’évocation d’Anna Akhmatova (Odessa, 1889 – Moscou) (nom de naissance : Anna Andreïevna Gorenko .
” Issue d’une famille de lettrés de Tsarkoïe Selo (actuelle ville de Pouchkine) où elle apprend le français, Anna Andreïevna Gorenko écrit des poèmes depuis l’enfance. Toutefois, son père craignant pour la réputation de la famille, elle est obligée de publier sous le pseudonyme d’Anna « Akhmatova ». Elle commence en parallèle des études de droit à Kiev, et y rencontre le poète russe Nikolaï Goumilev, qu’elle épouse en 1910. Le jeune couple part célébrer ses noces à Paris, mais Nikolaï, avide de voyages, délaisse rapidement Anna pour l’Afrique. La poétesse en profite pour voyager seule dans le nord de l’Italie et à Paris. C’est à cette occasion qu’elle rencontre Amadeo Modigliani. Ils partagent leur amour mutuel pour Baudelaire ou encore Mallarmé, et visitent ensemble le Louvre. Le peintre est fasciné, si bien qu’il la portraiture seize fois – malheureusement un seul de ces portraits fut rescapé de la révolution bolchévique. Modigliani réalise aussi quelques dessins d’elle, de mémoire après son départ pour Saint-Petersbourg. Anna Akhmatova y fonde en 1912 le mouvement de l’Acméisme avec Goumilev rentré de voyage et Ossip Mandelstam. Il s’agit d’un courant littéraire qui rompt avec le symbolisme et recherche davantage de concision dans la langue. Elle publie la même année son premier recueil, Le Soir, grand succès qui inspira d’autres femmes à écrire de la poésie. (1) En 1918, elle divorce de Goumilev et rejoint l’historien et critique d’art Nikolaï Pounine avec qui elle vit jusqu’en 1938. Dès 1922, et ce pendant trente ans, son œuvre est interdite de publication par le régime bolchévique qui l’accuse d’incarner la « littérature de la noblesse et des propriétaires fonciers », mais se oeuvres continuent de circuler illégalement. Malgré la terreur stalinienne et la perte de nombreux proches dont Goumilev et Pounine, Anna Akhmatova refusa toujours d’émigrer, ce qu’elle considérait comme de la trahison envers sa culture. Á la mort de Staline, son œuvre est lentement réhabilité, jusqu’à être nommée deux fois pour le Prix Nobel de littérature en 1965 et 1966. C’est aussi à cette période qu’elle rédige ses mémoires, et y relate sa rencontre avec Modigliani. “
(1) Elle aurait ainsi déclaré : « J’ai appris à nos femmes comment parler, mais je ne sais comment les faire taire. »
Ribera Ténèbres et lumière. Paris, Petit Palais. Du 5 novembre 2024 au 23 février 2025.
« Le Petit Palais présente la première rétrospective française jamais consacrée à Jusepe de Ribera (1591-1652), peintre d’origine espagnole qui fit toute sa carrière en Italie, qualifié comme l’héritier terrible du Caravage.
Pour Ribera, toute peinture – qu’il s’agisse d’un mendiant, d’un philosophe ou d’une Pietà – procède de la réalité, qu’il transpose dans son propre langage. La gestuelle est théâtrale, les coloris noirs ou flamboyants, le réalisme cru et le clair-obscur dramatique. Avec une même acuité, il traduit la dignité du quotidien aussi bien que des scènes de torture bouleversantes. Ce ténébrisme extrême lui valut au XIXe siècle une immense notoriété, de Baudelaire à Manet.
Avec plus d’une centaine de peintures, dessins et estampes venus du monde entier, l’exposition retrace pour la première fois l’ensemble de la carrière de Ribera : les intenses années romaines, redécouvertes depuis peu, et l’ambitieuse période napolitaine, à l’origine d’une ascension fulgurante. Il en ressort une évidence : Ribera s’impose comme l’un des interprètes les plus précoces et les plus audacieux de la révolution caravagesque, et au-delà comme l’un des principaux artistes de l’âge baroque. »
On sait que le peintre, fils de cordonnier, est né à Xátiva (Játiva), près de Valence, le 12 janvier 1591. On le surnomme lo Spagnoletto (« l’Espagnolet ») à cause de sa petite taille. On ne sait rien de sa formation. Il a dû arriver à Rome vers 1605-1606. Il séjourne quelques mois à Parme en 1611, puis à Rome en 1613. Il voit la peinture de Guido Reni, d’Annibale Carracci et surtout du Caravage.
Il s’installe définitivement à Naples au cours de l’été 1616 et épouse la même année Caterina Azzolino, fille d’un peintre renommé, Bernardino Azzolino. Il reçoit le soutien du duc d’Osuna (Pedro Téllez-Girón y Velasco) (1574-1624), vice-roi du royaume de Naples de 1616 à 1620, puis de ses successeurs.
On peut dire qu’il n’a jamais connu Le Caravage. Quand celui-ci s’est enfui après l’assassinat de Ranuccio Tomassoni le 28 mai 1606, Rivera avait tout juste 15 ans. Le Caravage allait mourir 4 ans plus tard le 18 juillet 1610 à Porto Ercole. Pourtant l’influence de celui-ci sur Ribera est très grande.
Allégorie de l’odorat. Vers 1615-16. Madrid, Collection Abelló.
Il acquiert une grande réputation en Italie, mais aussi en Espagne. Il peut rencontrer de nombreux artistes de passage, notamment Diego Velázquez qui lui achète plusieurs toiles pour le roi d’Espagne Philippe IV en 1629, puis, à nouveau en 1649, pour le palais de l’Escurial.
Il est mort à Naples le 2 septembre 1652. C’est aussi un grand dessinateur et un grand graveur.
Le Musée du Prado à Madrid prévoit de mieux mettre en valeur à partir du printemps 2025 les dessins et gravures qu’il possède.
En France, sa peinture est très appréciée au XIXe siècle par Manet, Baudelaire et Théophile Gautier… ” C’est une furie de pinceau, une sauvagerie de touche, une ébriété de sang dont on n’ a pas idée. ” (Théophile Gautier, Collection de tableaux espagnols. La Presse 24 septembre 1837).
Ribeira (Théophile Gautier)
Il est des cœurs épris du triste amour du laid. Tu fus un de ceux-là, peintre à la rude brosse Que Naples a salué du nom d’Espagnolet.
Rien ne put amollir ton âpreté féroce, Et le splendide azur du ciel italien N’a laissé nul reflet dans ta peinture atroce.
Chez toi, l’on voit toujours le noir Valencien, Paysan hasardeux, mendiant équivoque, More que le baptême à peine a fait chrétien.
Comme un autre le beau, tu cherches ce qui choque : Les martyrs, les bourreaux, les gitanos, les gueux Étalant un ulcère à côté d’une loque ;
Les vieux au chef branlant, au cuir jaune et rugueux, Versant sur quelque Bible un flot de barbe grise, Voilà ce qui convient à ton pinceau fougueux.
Tu ne dédaignes rien de ce que l’on méprise ; Nul haillon, Ribeira, par toi n’est rebuté : Le vrai, toujours le vrai, c’est ta seule devise !
Et tu sais revêtir d’une étrange beauté Ces trois monstres abjects, effroi de l’art antique, La Douleur, la Misère et la Caducité.
Pour toi, pas d’Apollon, pas de Vénus pudique ; Tu n’admets pas un seul de ces beaux rêves blancs Taillés dans le paros ou dans le pentélique.
Il te faut des sujets sombres et violents Où l’ange des douleurs vide ses noirs calices, Où la hache s’émousse aux billots ruisselants.
Tu sembles enivré par le vin des supplices, Comme un César romain dans sa pourpre insulté, Ou comme un victimaire après vingt sacrifices.
Avec quelle furie et quelle volupté Tu retournes la peau du martyr qu’on écorche, Pour nous en faire voir l’envers ensanglanté !
Aux pieds des patients comme tu mets la torche ! Dans le flanc de Caton comme tu fais crier La plaie, affreuse bouche ouverte comme un porche !
D’où te vient, Ribeira, cet instinct meurtrier ? Quelle dent t’a mordu, qui te donne la rage, Pour tordre ainsi l’espèce humaine et la broyer ?
Que t’a donc fait le monde, et, dans tout ce carnage, Quel ennemi secret de tes coups poursuis-tu ? Pour tant de sang versé quel était donc l’outrage ?
Ce martyr, c’est le corps d’un rival abattu ; Et ce n’est pas toujours au cœur de Prométhée Que fouille l’aigle fauve avec son bec pointu.
De quelle ambition du ciel précipitée, De quel espoir traîné par des coursiers sans frein, Ton âme de démon était-elle agitée ?
Qu’avais-tu donc perdu pour être si chagrin ? De quels amours tournés se composaient tes haines, Et qui jalousais-tu, toi, peintre souverain ?
Les plus grands cœurs, hélas ! ont les plus grandes peines ; Dans la coupe profonde il tient plus de douleurs ; Le ciel se venge ainsi sur les gloires humaines.
Un jour, las de l’horrible et des noires couleurs, Tu voulus peindre aussi des corps blancs comme neige, Des anges souriants, des oiseaux et des fleurs,
Des nymphes dans les bois que le satyre assiège, Des amours endormis sur un sein frémissant, Et tous ces frais motifs chers au moelleux Corrège ;
Mais tu ne sus trouver que du rouge de sang, Et quand du haut des cieux apportant l’auréole, Sur le front de tes saints l’ange de Dieu descend,
J’écoute en podcast Le Book Club de Marie Richeux sur France Culture. Elle nous fait découvrir la bibliothèque de personnalités diverses. (Grande invention les podcasts !). Il s’agit ici de la bibliothèque de l’historien de l’art et philosophe Georges Didi-Huberman. Il nous fait suivre la présence des anges dans les pages de Walter Benjamin, Franz Kafka, Charles Baudelaire et D.H. Lawrence. Vers la fin de l’émission, il lit le poème Réversibilité.
Réversibilité (Charles Baudelaire)
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse, La honte, les remords, les sanglots, les ennuis, Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits Qui compriment le coeur comme un papier qu’on froisse ? Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse ?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine, Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel, Quand la Vengeance bat son infernal rappel, Et de nos facultés se fait le capitaine ? Ange plein de bonté connaissez-vous la haine ?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres, Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard, Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard, Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ? Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides, Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment De lire la secrète horreur du dévouement Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avide ? Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières, David mourant aurait demandé la santé Aux émanations de ton corps enchanté ! Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières, Ange plein de bonheur, de joie et de lumières !
Les Fleurs du mal, 1857.
” Baudelaire avait adressé ce poème, anonymement, le 3 mai 1853, à Mme Sabatier. il lui fait cet envoi de Versailles, où il se trouve alors, avec Philoxène Boyer… Baudelaire a donné comme titre à ce poème un terme emprunté au lexique théologique de Joseph de Maistre. ” (Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade I. Notes.)
Georges Didi-Huberman : “Le titre de ce poème Réversibilité, c’est un mot philosophique, c’est un mot qui nous dit que dans tout désir et dans tout espoir, il y a une inquiétude et une angoisse. Réversibilité, c’est ce mélange. Freud avait ce terme extrêmement fort en disant ce sentiment d’inquiétante étrangeté qu’on a quand on se sent très mal à l’aise. Par exemple, quand on est dans un endroit dont on se dit, qu’on a déjà été là quelque part, c’est-à-dire qu’il y a une familiarité, mais c’est extrêmement angoissant. Freud dit très bien que tout ça, c’est lié à l’angoisse infantile, l’angoisse des enfants.”
Angelus Novus (Paul Klee). 1920. Jérusalem, Musée d’israël. Exposition L’ironie à l’oeuvre 6 avril – 1 août 2016 au centre Pompidou. La photo n’est pas bonne, mais je l’ai prise avec émotion en avril 2016.
La semaine dernière, j’ai découvert à Beaubourg les oeuvres de Bang Hai Ja, peintre que je ne connaissais pas.
Lumière de la terre 2009 – Lumière de l’univers 2009 – Souffle de lumière 2009.
Le Centre Pompidou présente en effet jusqu’au 9 mars 2025 au Niveau 5 (salles 39 et 40) un ensemble de peintures de cette artiste coréenne (Séoul, 1937-Aubenas, 2022). La majeure partie est récemment entrée dans la collection grâce à une donation de sa famille. On peut y voir aussi deux vitrines d’archives et un film documentaire. Bang Hai Ja était une figure singulière dans l’histoire de l’art qui relie la Corée et la France. Elle avait épousé un Français. Elle partageait sa vie entre Paris (où elle s’était installée dès 1961), Séoul et Ajoux en Ardèche. Abstraite, spirituelle, riche des deux cultures auxquelles elle puise (papier traditionnel hanji, pigments naturels…), son œuvre elle-même semble suspendue entre deux mondes. Dans un premier temps, elle s’inscrit dans le courant parisien de l’abstraction gestuelle. mais, elle développe dans son art une dimension spirituelle. L’art doit servir, en particulier dans sa manière de représenter la lumière, à élever l’humanité.
De la lumière à la lumière 2014.
La Galerie Guillaume (32 rue de Penthièvre, 75008) représente l’artiste depuis près de vingt ans en France. Elle avait présentél’exposition Bang Hai Ja, une vie de lumière du 19 juin au 25 juillet 2024. Une nouvelle exposition est visible dans cette galerie jusqu’au 28 septembre 2024 : Hommage à Bang Hai Ja : nouvel accrochage. Elle est accompagnée de photographies de Catherine Chouard et de peintures de Beah Shin. Ouverture du mardi au samedi, de 14h à 19h. Pierre Cabanne, Pierre Courthion, Charles Juliet, Gilbert Lascault, André Sauge, entre autres, ont écrit sur l’oeuvre de l’artiste coréenne.
Galerie Guillaume. 32 rue de Penthièvre, 75008-Paris.
Après vingt-trois ans de fermeture et sept ans de travaux , le trésor de la cathédrale de Chartres a rouvert dans la chapelle Saint-Piat le samedi 21 septembre 2024 à l’occasion des Journées européennes du patrimoine. Le public a pu découvrir un nouveau circuit.
Bang Hai Ja a conçu quatre vitraux pour la salle capitulaire de la chapelle Saint-Piat. Les panneaux précédents n’étaient pas décorés. Á présent, chaque panneau losangé, monté par les ateliers Glasmalerei Peters de Paderborn (Allemagne), est serti d’un cercle de vie aux nuances d’or et d’orange, pulsant différemment à chaque traversée des rayons du soleil. On les découvre après une descente d’escalier en colimaçon, éclairé de minuscules fenêtres grillagées.
Bang Hai Ja avait choisi le thème de la lumière, de l’amour et de la paix pour ses quatre verrières. Elle se souvenait ainsi de sa première impression, à la vue de la cathédrale : « Quand j’étais étudiante aux Beaux-Arts, à Paris, dans les années soixante, j’ai fait le pèlerinage de Chartres. J’ai ressenti un choc et de la joie quand j’ai découvert les vitraux. Dans ce monde violent, je crois que les gens ont soif de beau, de joie et de paix. »
Salle capitulaire de la chapelle Saint-Piat. Cathédrale de Chartres.
Nous avons vu il y a quelques semaines au Musée d’art moderne de Paris l’exposition Présences arabes. Art moderne et décolonisation. Paris 1908-1988. (Du 5 avril au 25 août 2024)
” Le Musée d’Art Moderne de Paris propose de redécouvrir la diversité des modernités arabes au 20ème siècle et de renouveler le regard historique sur des scènes artistiques encore peu connues en Europe. À travers une sélection de plus de 200 œuvres, pour la plupart jamais exposées en France, l’exposition Présences arabes – Art moderne et décolonisation – Paris 1908-1988 met en lumière la relation des artistes arabes avec Paris, tout au long du 20ème siècle. ”
Ce sont surtout les oeuvres de Baya qui ont retenu mon attention. Je connaissais très mal cette artiste malgré l’ exposition Baya, Femmes en leur jardin, qui lui a été consacrée à l’Institut du monde arabe du 8 novembre 2022 au 26 mars 2023, puis au Centre de la Vieille Charité à Marseille du 11 mai au 24 septembre 2023.
J’ai lu le récit d’Alice Kaplan, écrivaine et historienne, spécialiste d’Albert Camus, Baya ou le grand vernissage (Parution : 02/05/2024. Marseille, Le Bruit du Monde). ” Dans ce récit, Alice Kaplan dévoile les rouages du destin extraordinaire de Baya : vouée au statut de bonne à tout faire dans l’Algérie coloniale, l’adolescente sera propulsée au rang de célébrité ; toujours inattendue, éblouissante, elle inspire aujourd’hui encore de nombreux artistes. ” (quatrième de couverture)
Baya ou le grand vernissage (Alice Kaplan). Marseille, Le Bruit du Monde, 2024.
Baya, de son vrai nom Fatima Haddad, est née en 1931 près de Bordj-El-Kiffan (anciennement Fort-de-l’Eau) en Algérie.
Son père, Mohammed Haddad Ben Ali meurt dans un accident en 1937. Sa mère, Bahia Abdi, se remarie avec un commerçant kabyle, mais elle meurt en couches en 1940. La peintre va adopter le nom de sa mère, Baya, comme nom d’artiste.
Orpheline, elle est confiée avec son frère Ali à sa grand-mère. Ils vivent dans le douar Sidi M’Hamed avec un oncle dans une maison surpeuplée au sol en terre battue. Ils trouvent du travail dans la ferme florale d’Henri et Simone Farges. La jeune fille fait la connaissance de Marguerite Caminat (1903-1987), sœur de Simone. Peintre et documentaliste, elle a quitté Toulon avec son mari pour fuir la guerre et vivre chez sa sœur. En octobre ou novembre 1943, elle emmène l’adolescente chez elle à Alger.
Les Rideaux jaunes (Baya). 1947. Gouache et graphite sur papier. Paris, Musée de l’Institut du monde arabe.
Marguerite Caminat l’encourage à s’exprimer par la gouache et le modelage. Elle engage une institutrice à domicile pour lui apprendre à lire et à écrire. Cette femme cultivée est reçue dans le milieu artistique algérois. Elle fait constater en 1947 les traces de mauvais traitements que Baya subit de la part de son oncle, violent et alcoolique, quand elle séjourne chez sa grand-mère. En février le juge (cadi) des orphelins d’Alger lui confie la tutelle de Baya, jusqu’à sa majorité.
Le peintre et sculpteur Jean Peyrissac (1895-1974), ami de Marguerite Caminat, la remarque et la présente à Aimé Maeght, de passage à Alger.
L’ exposition Baya a lieu à Paris le 21 novembre 1947 à la galerie Maeght, 13 rue de Téhéran. Elle présente 149 aquarelles et 10 figurines en terre cuite. La revue de la galerie Derrière le Miroir lui consacre son sixième numéro avec des textes d’André Breton, Jean Peyrissac et Émile Dermenghem. Albert Camus, François Mauriac, Christian Bérard, Georges Braque et Henri Matisse assistent au vernissage. C’est un vrai succès.
Deux mois plus tard, Baya présente trois sculptures à l’Exposition internationale du Surréalisme, galerie Maeght. En février 1948, la rédactrice en chef de Vogue, Edmonde Charles-Roux, lui consacre une double-page avec photos. Enfin à l’été 1948, Baya découvre l’atelier Madoura à Vallauris où travaille Picasso qu’elle rencontre. Jean Dubuffet, qui séjourne plusieurs fois en Algérie à El-Goléa, rend visite à Baya, souhaitant l’inclure dans le courant de l’Art brut.
Le poète Jean Sénac, admirateur de Baya, lui demande d’illustrer des poèmes pour sa revue Soleil en avril 1950.
Á sa majorité, en 1952, Baya est placée par le cadi Chanderli d’Alger, son tuteur légal, à Blida dans la famille d’Ould Rouis Boualem, un enseignant d’arabe au lycée franco-musulman. En 1953, elle devient la seconde épouse du musicien arabo-andalou, El Hadj Mahfoud Mahieddine (1903-1979). Elle a 22 ans, lui 52. Il est déjà le père de huit enfants. Il ne divorce de sa première femme qu’en 1958. Entre 1952 et 1962, Baya ne peint plus. Elle se consacre à sa vie d’épouse et a six enfants entre 1955 et 1970.
Après un long silence, elle renoue en 1963 avec Marguerite Caminat. Mireille Farges, la nièce de Marguerite, a épousé Jean de Maisonseul (1912-1999), ami d’Albert Camus. Après l’Indépendance, il est devenu le directeur du Musée national des Beaux-Arts d’Alger. Il acquiert chez Maeght des peintures de Baya qui rejoignent la collection du Musée. Il négocie aussi avec André Malraux le rapatriement en Algérie de plus de 300 oeuvres qui avaient été expédiées en France à l’indépendance (Monet, Renoir, Gauguin, Pissarro, Degas, Courbet, Delacroix). Le transfert a lieu en 1969.
Mireille et Jean de Maisonseul encouragent Baya à reprendre ses outils de peintre. Jean de Maisonseul organise une exposition consacrée aux artistes algériens lors de la réouverture du musée d’Alger en 1963 . En juillet 1963, une salle entière est consacrée à des gouaches de Baya qui datent des années 1945-1947.
Baya adhère au mouvement Aouchem ( ce qui signifie tatouage), lancé en 1967 par les artistes Denis Martinez et Choukri Mesli.
En 1972 Baya effectue avec son mari le pèlerinage à La Mecque. Elle perd ses premiers soutiens : le 30 août 1973 1973 , le poète Jean Sénac est assassiné à Alger ; en 1975 Jean de Maisonseul prend sa retraite et quitte Alger pour Cuers, dans le Var
Une première exposition rétrospective hors d’Algérie de ses œuvres est organisée en novembre 1982 au musée Cantini de Marseille. Elle est préfacée par Gaston Deferre et Jean de Maisonseul. Le président François Mitterand et le ministre de la culture Jack Lang sont présents pour l’inauguration. Baya, venue de Blida, rend visite à cette occasion à Marguerite Caminat qui depuis sa retraite habite à Cuers près de Mireille et Jean de Maisonseul. Elle meurt là-bas en 1989. Baya continue son travail d’artiste jusqu’à son décès le 9 novembre 1998 à Blida.
Bibliothèque du musée des Beaux Arts d’Alger. Mai 2023.
En 1985, Assia Djebar lui a consacré un article dans Le Nouvel observateur qu’elle termine ainsi : « Baya porte son regard fleur vers le ciel de plénitude où l’attendent Chagall, le douanier Rousseau, un petit nombre d’élus. Elle, la première d’une chaîne de séquestrées, dont le bandeau sur l’œil, d’un coup est tombé. » Cela fait écho à ce qu’elle écrit quelques lignes plus haut : « Nul n’a encore dit à quel point la réclusion de générations de femmes a entraîné une énucléation de l’œil pour toute une descendance ! ».
Derrière le miroir. Galerie Maeght. Exposition Baya.
André Breton. Baya, Derrière le Miroir, Galerie Maeght, Paris. 1947. « Je parle, non comme tant d’autres pour déplorer une fin mais pour promouvoir un début et sur ce début Baya est reine. Le début d’un âge d’émancipation et de concorde, en rupture radicale avec le précédent et dont un des principaux leviers soit pour l’homme l’imprégnation systématique, toujours plus grande, de la nature. (…) Baya dont la mission est de recharger de sens ces beaux mots nostalgiques : ‘l’Arabie heureuse’. Baya, qui tient et ranime le rameau d’or. »
Albert Camus, Lettre au Cadi Benhoura
Novembre 1947
Cher ami
Baya est en de très bonnes mains. Son exposition est un succès et un succès mérité. J’ai beaucoup admiré l’espèce de miracle dont témoigne chacune de ses œuvres. Dans ce Paris noir et apeuré, c’est une joie des yeux et du coeur. J’ai admiré aussi la dignité de son maintien au milieu de la foule des vernissages : c’était la princesse au milieu des barbares. Je vous remercie en tout cas de m’avoir permis de la connaître. Pour le reste, soyez sans inquiétude.
Votre fidèle.
Albert Camus.
Femme au vase fleuri bleu (Baya). 1986. Gouache sur papier. Beyrouth, The Ramzi and Saeda Dalloul Art Foundation.