Federico García Lorca avec ses neveux, Manuel (1932-2013) et Vicenta (Tica) Fernández-Montesinos. Huerta de San Vicente (Grenade). Été 1935. (Eduardo Blanco Amor 1897-1979)
Víctor Fernández a publié le 9 octobre dans le journal La Razón un article où Il évoque la nièce de Federico García Lorca, Tica Fernández-Montesinos dont j’ai déjà parlé dans ce blog (15 décembre 2020).
Tica Fernández-Montesinos: “Claro que me gustaría llevar flores a la tumba de mi tío Federico García Lorca” Hija de Manuel Fernández-Montesinos y Concha García Lorca, habla de sus recuerdos alrededor del autor de “Poeta en Nueva York”
Vicenta (Tica) Fernández-Montesinos García est née à Grenade en décembre 1930. Federico García Lorca, son oncle, a choisi son prénom : elle s’appelle Vicenta comme sa grand-mère.
Tica est la fille aînée de Manuel Fernández-Montesinos Lustau, médecin et maire socialiste de Grenade en 1935, fusillé le 16 août 1936 contre les murs du cimetière de Grenade, et de Concha García Lorca, la sœur du poète. Le même jour, a las cinco de la tarde, des hommes en armes, menés par l’ancien député de droite de Grenade (CEDA), Ramón Ruiz Alonso, arrêtèrent Federico, au domicile de la famille du poète phalangiste, Luis Rosales, calle Angulo n°5. Peu de temps après, il était assassiné quelque part entre Víznar et Alfacar.
Elle eut une petite enfance heureuse dans la maison de campagne de la famille, la Huerta de San Vicente. Mais, elle souffrit d’une très forte otite qui la laissa partiellement sourde. Son l’oncle Federico l’adorait. Il la faisait rire, lui apprit à chanter et à danser. « Fui para tíoFederico la hija que no tendría. » dit-elle.
Le mois d’août 1936 bouleversa la vie de cette famille aisée de la Vega de Grenade. Elle avait cinq ans et sept mois quand les fascistes assassinèrent son père et son oncle.
Ses grands-parents et sa mère durent s’exiler à New York. Ils y arrivèrent le 30 juillet 1940. Quand il partit de Bilbao à bord du Marqués de Comillas, son grand-père Federico García Rodríguez dit: “No quiero volver a ver este jodío país en mi vida”. Il mourut le 15 septembre 1945 à 86 ans.
Tica fit des études de philologie anglaise dans de prestigieux établissements libéraux des États-Unis et revint en 1952 à Madrid. Elle travailla pour la maison d’édition Aguilar qui employaient de nombreux anciens républicains. Elle se maria avec le peintre de Séville Antonio de Casas puis divorça, eut deux fils (Miguel, Claudio) et sept petits-enfants.
En 2011, elle a publié ses souvenirs Notas deshilvanadas de una niña que perdió la guerra (Comares) et en 2017 la suite El sonido del agua en las acequias (Dauro) .
Elle a aujourd’hui 91 ans, bientôt 92, et vit dans une maison de retraite dans les environs de Madrid. Víctor Fernández nous dit qu’elle est la dernière personne encore en vie à avoir connu de près le poète.
« Claro que me gustaría llevarle flores a mi tío a su tumba. Pero no tengo con quién. No sé dónde está. Eso es un misterio. Es el misterio. ». Elle ajoute : « Me gustaría llevarle flores a mi tío Federico ».
Abans em concentrava escoltant el pensament enmig de qualsevol estrèpit. Ara, m’és tan difícil. No estic cansat de viure: estic cansat de les veus que al voltant ressonen buides. Però sé on continua l’alegria: si no m’he perdut mai cap paradís, no em perdré ara el més auster, aquest on al poema ja no hi queda gairebé rastre de literatura. Reconec aquest lloc, l’he buscat sempre. L’últim refugi, el de la soledat.
Es perd el senyal. Barcelona, Proa, 2012. Col lecció “Óssa menor”
Retiradas
Antes, incluso en medio de un estrépito, podía concentrarme en un poema. Ahora me resulta más difícil. No estoy cansado de vivir: lo estoy de tantas voces que a mi alrededor resuenan huecas. Sé dónde continúa la alegría: si nunca me he perdido un paraíso, no iré a perderme ahora el más austero, ese donde el poema no le queda apenas rastro de literatura. Reconozco el lugar, es el mismo de siempre. El último refugio, el de la soledad.
Todos los poemas (1975-2015). Austral, 2018.
Le poète Joan Margarit est né le 11 mai 1938 à Sanaüja (Lérida) en Catalogne. il est mort le 16 février 2021 à Sant Just Desvern dans sa maison de la banlieue de Barcelone. Architecte, professeur et poète, il écrivait principalement en catalan. Il a obtenu le Prix Cervantès, le Prix Nobel des langues castillanes en 2019.
«Soy un poeta catalán, pero también castellano, coño» avait-il affirmé en 2019 en déposant ses archives à l’Instituto Cervantes de Madrid.
Madrid. Instituto Cervantes. Calle de Alcalá n°49. Edificio de las Cariátides (o antiguo Banco Español del Río de la Plata) (Antonio Palacios Ramilo-Joaquín Otamendi) 1911-1918.
Antonio Machado. Miranda de Ebro (Castilla y León).
Le grand poète espagnol Antonio Machado est né le 26 juillet 1875 à Séville. Il quitte l’Andalousie avec ses parents le 8 septembre 1883. Il a été formé à Madrid à partir de 1883 par l’Institution libre d’enseignement (La Institución Libre de Enseñanza), célèbre tentative pédagogique moderne et laïque qui a profondément marqué l’Espagne de la fin du XIX ème siècle et du début du XX ème. En 1907, Antonio Machado obtient une place de professeur de français à Soria. Il y rencontre Leonor Izquierdo Cuevas, avec laquelle il se marie le 30 juillet 1909. Il a 34 ans, Leonor 15 seulement. Elle meurt de tuberculose le 1 août 1912. Très affecté, le poète quitte Soria pour ne jamais y retourner. Il obtient sa mutation à Baeza, dans la province de Jaén (Andalousie), où il reste jusqu’en 1919. Entre 1919 et 1932, il est professeur de français à Ségovie, près de Madrid. En 1931, avec ses amis progressistes il proclame la République dans cette ville de Castille et hisse le drapeau républicain sur l’hôtel de ville au son de La Marseillaise. Á partir de 1932, il réside à Madrid. Lorsqu’éclate la Guerre civile en juillet 1936, Antonio Machado est à Madrid. Il met sa plume au service de la République. Il écrit un poème qui évoque l’exécution de Federico Garcia Lorca (El crimen fue en Granada). En novembre 1936, il est évacué avec sa mère, Ana Ruiz, et deux de ses frères, Joaquin et José, à Valence, puis en 1938 à Barcelone. Le 22 janvier 1939, ils sont contraints de fuir vers la France. Arrivé à Collioure, à quelques kilomètres de la frontière, Antonio Machado meurt épuisé le 22 février 1939, trois jours avant sa mère. Il est enterré à Collioure, tandis que la tombe de Leonor se trouve à Soria (Cementerio del Espino).
Gerardo Diego disait d’Antonio Machado : « Hablaba en verso y vivía en poesía »
Leonor Izquierdo le jour de son mariage le 30 juillet 1909.
CXXVII. Otro viaje
Ya en los campos de Jaén, amanece. Corre el tren por sus brillantes rieles, devorando matorrales, alcaceles, terraplenes, pedregales, olivares, caseríos, praderas y cardizales, montes y valles sombríos. Tras la turbia ventanilla, pasa la devanadera del campo de primavera. La luz en el techo brilla de mi vagón de tercera. Entre nubarrones blancos, oro y grana; la niebla de la mañana huyendo por los barrancos. ¡Este insomne sueño mío! ¡Este frío de un amanecer en vela!… Resonante, jadeante, marcha el tren. El campo vuela. Enfrente de mí, un señor sobre su manta dormido; un fraile y un cazador —el perro a sus pies tendido—. Yo contemplo mi equipaje, mi viejo saco de cuero; y recuerdo otro viaje hacia las tierras del Duero. Otro viaje de ayer por la tierra castellana —¡pinos del amanecer entre Almazán y Quintana!— ¡Y alegría de un viajar en compañía! ¡Y la unión que ha roto la muerte un día! ¡Mano fría que aprietas mi corazón! Tren, camina, silba, humea, acarrea tu ejército de vagones, ajetrea maletas y corazones. Soledad, sequedad. Tan pobre me estoy quedando que ya ni siquiera estoy conmigo, ni sé si voy conmigo a solas viajando.
Campos de Castilla, 1912.
CXXVII Autre voyage
Sur les campagnes de Jaén, voici que le soleil se lève. Le train sur ses rails brillants s’élance, dévorant des buissons, des champs d’orge, des terre-pleins, des pierres, des oliveraies et des fermes, des prés et des chardons, des monts et de sombres vallons. Par-delà la trouble fenêtre passe l’écheveau de la campagne du printemps. La lumière brille au plafond de mon wagon de troisième. Entre de gros nuages blancs, l’or et la pourpre ; le brouillard du matin fuyant dans les ravins. Oh ! sommeil d’insomnie, oh ! le froid du matin, dans l’éveil !… Résonnant, haletant, va le train. La campagne vole. En face de moi, un monsieur sur sa couverture endormi ; un moine et un chasseur – son chien étendu à ses pieds. – Moi, je contemple mon bagage, mon vieux sac de cuir ; et je me souviens d’un autre voyage vers les terres du Douro. Un autre voyage d’hier en terre de Castille – oh ! Les pins de l’aurore entre Almazán et Quintana ! – Et la joie de voyager en compagnie ! Et l’union que la mort un jour a brisée ! Oh ! main froide qui serre mon coeur ! Chemine, train, siffle, fume, transporte, ton armée de wagons, bourlinguant valises et coeurs. Oh ! Solitude, sécheresse. Me voici pauvre, si pauvre, que je ne suis même plus avec moi, ni ne sais si je suis avec moi tout seul voyageant.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.
Soria. A un olmo seco (Á un orme desséché). Poème écrit à Soria en 1912.
Lima. Distrito de San Borja. Biblioteca Nacional del Perú. 2006 ( Arquitectos : Guillermo Claux Alfaro, Franco Vella Zardín, Walter Morales Llanos y Augusta Estremadoyro de Vella)
La Bibliothèque Nationale du Pérou vient d’inaugurer officiellement le 29 septembre 2022 l’exposition Contra todas las contras: 100 años de Trilce ( Sala de Exposiciones Francisco Laso, Avenida de la Poesía, 160, distrito de San Borja, Lima). L’exposition est ouverte au public du 4 octobre 2022 au 22 décembre 2022.
Le premier livre de César Vallejo (1892-1938), Los heraldos negros, date de 1919. Dans ces poèmes, rédigés entre 1915 et 1918, on remarque encore l’influence du modernisme.
Le deuxième recueil de César Vallejo, Trilce, paraît en octobre 1922, il y a tout juste cent ans, à compte d’auteur (Talleres Tipográficos de la Penitenciaria). Tiré à deux cents exemplaires avec un prologue d’Antenor Orrego (1892-1960), ami du poète, il comporte 77 poèmes sans titre, numérotés de I à LXXVII. Ils furent écrits pendant une période particulièrement dramatique de la vie du poète. Sa mère meurt en août 1918. Il connaît une rupture amoureuse douloureuse (avec la très jeune Otilia Villanueva) en mai 1919. Son ami, l’écrivain Abraham Valdelomar, (1888-1919) meurt le 3 novembre 1919 après une chute accidentelle. Il perd son poste d’enseignant à la fin de 1919. Il est emprisonné à Trujillo pendant 112 jours (du 6 novembre 1920 au 26 février 1921), sous l’accusation infondée d’être un agitateur et d’avoir incendié une maison à Santiago de Chuco, sa ville natale, lors d’un conflit social. Il avait 28 ans. Cette expérience carcérale fut particulièrement marquante comme pour Cervantes ou Dostoïevski, Il s’exilera en France le 17 juin 1923 et arrivera à Paris le 13 juillet.
César et Georgette Vallejo. Versailles, été 1929.
Le mot Trilce est un mot inconnu. On demanda un jour à Vallejo ce qu’il signifiait. Il répondit : « Ah, mais ça ne veut rien dire. Je ne trouvais aucun mot qui ait la dignité d’un titre, alors je l’ai inventé : Trilce. Ce n’est pas un joli mot ? » («Ah, pues Trilce no quiere decir nada. No encontraba, en mi afán, ninguna palabra con dignidad de título, y entonces la inventé : Trilce. ¿No es una palabra hermosa ? ») D’autres explications ont été données. En espagnol, on entend d’abord deux états : Triste, Dulce. Triste et Doux.
Ce livre, publié la même année que l’Ulysse de James Joyce et La Terre vaine de T.S Eliot, est le sommet de l’oeuvre du poète péruvien et l’un des plus importants de la poésie en langue espagnole du XX ème siècle. Il est en avance sur toutes les avant-gardes. Beaucoup de ses poèmes sont difficiles et en apparence hermétiques. Ils relatent la dure expérience du malheur et de l’emprisonnement. On remarque une rupture avec Los heraldos negros. Les poèmes sont toujours marqués par le pessimisme, mais l’angoisse et la désolation apparaissent avec un nouveau langage, loin de toute influence. La langue se désarticule. La syntaxe disparaît parfois. Ce livre donne l’impression d’un monde chaotique et angoissant.
«El libro ha nacido en el mayor vacío. Soy responsable de él. Asumo toda la responsabilidad de su estética. Hoy, y más que nunca quizás, siento gravitar sobre mí una hasta ahora desconocida obligación sacratísima, de hombre y de artista: ¡la de ser libre! Si no he de ser hoy libre, no lo seré jamás. Siento que gana el arco de mi frente con su más imperativa curva de heroicidad. Me doy en la forma más libre que puedo y ésta es mi mayor cosecha artística. ¡Dios sabe hasta dónde es cierta y verdadera mi libertad! ¡Dios sabe cuánto he sufrido para que el ritmo no traspasara esa libertad y cayera en libertinaje! ¡Dios sabe hasta qué bordes espeluznantes me he asomado, colmado de miedo, temeroso de que todo se vaya a morir a fondo para que mi pobre ánima viva!» (Carta enviada a Antenor Orrego y citada por su amigo José Carlos Mariátegui. Siete ensayos de interpretación de la realidad peruana. En El proceso de la literatura. Lima, 1928.)
Il fut publié en Espagne en 1930 (Compañia Ibero-Americana de Publicaciones) avec un prologue de José Bergamín et un poème de Gerardo Diego.
Première édition en Espagne, 1930.
XLI
La Muerte de rodillas mana su sangre blanca que no es sangre. Se huele a garantía. Pero ya me quiero reír.
Murmúrase algo por allí. Callan. Alguien silba valor de lado, y hasta se contaría en par veintitrés costillas que se echan de menos entre sí, a ambos costados; se contaría en par también, toda la fila de trapecios escoltas.
En tanto, el redoblante policial (otra vez me quiero reír) se desquita y nos tunde a palos, dale y dale de membrana a membrana tas con tas.
Trilce, 1922.
XLI
La mort à genoux laisse sourdre son sang blanc qui n’est pas du sang. Ça sent la garantie. Mais je veux en rire.
On murmure quelque chose par là. On se tait. Quelqu’un siffle courage de côté, et même on compterait par paires vingt-trois côtes qui se font défaut entre elles, de chaque côté ; on compterait par paires aussi tout le rang de trapèzes escortes.
Entre-temps le tambour policier (à nouveau je veux en rire) se venge et nous roue de coups, cogne et cogne de membrane à membrane, vlan et vlan.
Nous rentrons d’un voyage de douze jours en Grèce. Marie Paule Farina a publié hier sur Facebook une citation de El héroe discreto de Mario Vargas Llosa (Alfaguara, 2013). Je recherche dans ma bibliothèque l’original en espagnol. Je me rends compte que l’écrivain péruvien a placé en épigraphe une citation de El hilo de la fábula (Los conjurados. Alianza editorial, 1985) : ” Nuestro hermoso deber es imaginar que hay un laberinto y un hilo. ” ” Notre beau devoir à nous est d’imaginer qu’il y a un labyrinthe et un fil. ” Je remercie Marie Paule et Raymond Farina de me permettre de revenir à Vargas Llosa et à Borges.
El hilo de la fábula
El hilo que la mano de Ariadne dejó en la mano de Teseo (en la otra estaba la espada) para que éste se ahondara en el laberinto y descubriera el centro, el hombre con cabeza de toro o, como quiere Dante, el toro con cabeza de hombre, y le diera muerte y pudiera, ya ejecutada la proeza, destejer las redes de piedra y volver a ella, a su amor.
Las cosas ocurrieron así. Teseo no podía saber que del otro lado del laberinto estaba el otro laberinto, el del tiempo, y que en algún lugar prefijado estaba Medea.
El hilo se ha perdido; el laberinto se ha perdido también. Ahora ni siquiera sabemos si nos rodea un laberinto, un secreto cosmos, o un caos azaroso. Nuestro hermoso deber es imaginar que hay un laberinto y un hilo. Nunca daremos con el hilo; acaso lo encontramos y lo perdemos en un acto de fe, en una cadencia, en el sueño, en las palabras que se llaman filosofía o en la mera y sencilla felicidad.
Cnossos, 1984.
Thésée combat le Minotaure, assisté par Athéna. Médaillon d’un kylix d’Aison, v. 430 av. J.-C. Musée archéologique national de Madrid.
Le fil de la fable
Le fil que la main d’Ariane glissa dans la main de Thésée (son autre main tenait l’épée) pour que celui-ci s’enfonce dans le labyrinthe et qu’il en découvre le centre, l’homme à la tête de taureau ou, comme le veut Dante, le taureau à la tête d’homme, et qu’il lui donne la mort et qu’il puisse enfin, sa prouesse accomplie, défaire les mailles de pierre et revenir vers elle, son amour.
Les choses se passèrent ainsi. Thésée ne pouvait savoir que de l’autre côté du labyrinthe s’ouvrait l’autre labyrinthe, celui du temps, et que dans quelque lieu déjà établi se trouvait Médée.
Le fil s’est perdu. Le labyrinthe s’est perdu, lui aussi. Nous ne savons même plus, maintenant, si c’est un labyrinthe qui nous entoure, un cosmos secret ou un chaos hasardeux. Notre beau devoir à nous est d’imaginer qu’il y a un labyrinthe et un fil. Jamais nous ne tiendrons le fil. Il se peut que nous le rencontrions et que nous le perdions dans un acte de foi, une cadence, un rêve, dans les mots que l’on nomme philosophique ou dans le simple bonheur.
Cnossos, 1984.
Les Conjurés précédé de Le Chiffre. Gallimard. 1988. Traduction de Claude Esteban.
Le livre regroupe les quarante-quatre derniers poèmes et proses poétiques de Jorge Luis Borges. Le livre a été publié en 1985. L’écrivain argentin est décédé à Genève le 14 juin 1986. il avait 86 ans. La traduction de Claude Esteban, mon ancien professeur, est excellente comme toujours.
Le journal El País a publié la dernière chronique de Javier Marías, El más verdadero amor al arte, le jour de son décès le dimanche 11 septembre 2022. Comme promis, j’en propose une traduction.
El País, 11/09/2021
L’amour de l’art le plus authentique (Javier Marías)
S’il est une activité qui me manque, c’est bien la traduction. Je l’ai abandonnée il y a des décennies, à quelques petites exceptions près (un poème, une nouvelle, les citations d’auteurs anglais et français qui apparaissent dans mes romans), et rien ne m’aurait empêché de revenir à elle sans l’existence de mes propres livres et le fait que cette tâche essentielle est si mal rétribuée. C’est sans doute une des plus importantes au monde, et pas seulement pour la littérature, mais aussi pour les informations qui arrivent jusqu’à nous, les sous-titres approximatifs des films et des séries, l’horrible doublage actuel, les progrès médicaux, la recherche scientifique, les conversations entre dirigeants… Mais celle qui me manque le plus c’est la traduction littéraire, à laquelle j’ai consacré autrefois presque tous mes efforts. J’ai toujours affirmé qu’elle ressemble tant à l’écriture qu’il est épuisant de les concilier. La seule différence c’est la présence d’un texte original auquel on doit être fidèle – mais non esclave -. L’ original offre des inconvénients et des avantages. Parmi les premiers, le fait qu’on n’est jamais très libre – mais néanmoins assez – car on doit reproduire le mieux possible dans sa langue ce que Conrad ou James, Proust ou Flaubert, Bernhard ou Rilke ont écrit dans la leur ; c’est à dire que l’on ne peut pas inventer. Au contraire du roman, où l’on invente de la première à la dernière ligne, à tel point que parfois on ne sait comment continuer, et c’est alors qu’on souhaiterait pouvoir disposer d’un original qui guiderait ou dicterait toujours ce que l’on doit écrire. Le texte original comme la partition musicale est là. Il est inamovible, même si le traducteur et le pianiste ont une grande possibilité de choix. La diction, la préférence pour un vocable ou son rejet, le tempo, le rythme, les pauses sont de leur responsabilité. Et ils peuvent tout autant détruire un chef d’oeuvre.
Je me souviens souvent, avec des sueurs froides et un énorme plaisir en même temps des mois et des années que j’ai passés à traduire les trois textes les plus difficiles de ma vie : Le Miroir de la mer, écrit dans l’anglais fantastique, mais étrange d’un polonais ; Tristram Shandy, cette oeuvre monumentale du XVIII ème siècle, pas moins labyrinthique que l’Ulysse de Joyce, si rebattu ; La Religion d’un médecin et Hydriotaphia ou discours sur Les Urnes funéraires récemment découvertes dans le Norfolk de Sir Thomas Browne à la prose majestueuse, sublime, mais aussi alambiquée qui a suscité l’admiration inconditionnelle de Borges et de Bioy Casares. Face à elle, j’ai baissé les bras : Je ne me sentais pas capable de continuer. Au bout de quelques mois, j’ai pensé que c’était dommage que les lecteurs de langue espagnole ne puissent pas la connaître et avec un entrain renouvelé, j’ai repris et conclu cette tâche. Pour quelle raison la connaissance de ces lecteurs m’importait-elle autant ? En aucun cas ils n’allaient être nombreux. Je n’en sais rien. J’ai estimé simplement que cette merveille méritait d’exister dans ma langue même si ce n’était que pour le plaisir et le profit de quelques esprits curieux.
Certains traducteurs ne vivent pas de la traduction – les autres, les pauvres, se voient dans l’obligation d’enchaîner les travaux de toutes sortes et à les traduire à toute allure -. Les premiers ont un sens du devoir superflu et désintéressé envers leurs compatriotes. Si nous pensons à la première traduction du Don Quichotte du Dublinois Thomas Shelton qui date de 1612, sept ans seulement après sa publication en espagnol, qu’est-ce qui a bien pu pousser cet homme à s’embarquer dans ce roman espagnol, long et pas facile, écrit par un parfait inconnu ? Je l’ignore, mais on peut imaginer que Shelton fut assez généreux pour ne pas vouloir priver les autres irlandais, et même les anglais, du plaisir qu’il avait éprouvé à le lire en castillan. Si jamais l’expression « travailler pour l’amour de l’art » a été appropriée, c’est pour le travail de ces traducteurs. En fin de compte, un écrivain nourrit l’espoir, aussi faible soit-il, de vendre beaucoup et de réussir. Le traducteur, lui, ne s’attend jamais à de tels triomphes, et encore aujourd’hui de nombreuses maisons d’édition se permettent de ne pas faire figurer son nom en couverture, comme si Ali Smith ou Zadie Smith n’avaient eu besoin d’aucune aide. Et pour ce qui est des émoluments, c’est à en pleurer. Comment peut-t-on payer pareillement une version de Dickens et celle du énième gugusse américain actuel ? Et cependant c’est ce qui se passe. Il y a des éditeurs qui ont fait fortune grâce au travail d’un traducteur. Ils l’ont rétribué à la page, à un tarif ridicule, un point c’est tout, pendant que l’oeuvre en question se vendait à des milliers d’exemplaires en espagnol.
Je ne sais pas. Mais pourtant, une fille aussi peut s’occuper de sa mère pour l’amour qu’elle lui porte, et cela n’empêche pas que son intense dévouement soit rémunéré, au moins pour qu’elle ne meure pas de faim alors qu’elle renonce à travailler pour gagner sa vie. De ce point de vue je ne peux pas avoir la nostalgie de mes années de traducteur. J’ai mieux réussi avec mes romans. J’ai eu beaucoup de chance, ce qui n’a rien à voir avec le mérite et le talent. Et même ainsi, même ainsi… Je me souviens de ma satisfaction et de mon émotion lorsque je réécrivais dans ma langue un texte meilleur que ceux que j’aurais pu créer, comme ce fut la cas pour les trois traductions que j’ai mentionnées plus haut. Lire, corriger et relire chaque page et penser ( l’erreur étant toujours possible, car on est mauvais juge de ce que l’on fait ) : Oui, oui, c’est ainsi qu’auraient écrit Conrad, Sterne ou Browne s’ils s’étaient exprimés en espagnol ».
( Je remercie J. de son aide.)
Javier Marías dans la collection Folio de Gallimard.
Le roman d’Oxford ( Todas las almas ) 1989. Folio n°4401. 2006.
Le romancier, chroniqueur et traducteur espagnol Javier Marías est mort hier dimanche 11 septembre à Madrid des suites d’une pneumonie provoquée par la covid. Il était né le 20 septembre 1951 à Madrid. Il aurait eu 71 ans le 20 septembre. Son père, le philosophe et sociologue Julián Marías (1914-2005), était républicain et disciple du philosophe José Ortega y Gasset (1883-1955) ; sa mère, Dolores Franco Manera (1912-1977), enseignante. Après la Guerre Civile, Julián Marías est dénoncé par son meilleur ami et accusé d’être un agent de Moscou. Il est emprisonné trois mois et libéré en août 1939. Le régime franquiste lui interdit d’enseigner dans les universités espagnoles. Il le fera dans les universités américaines.
Javier Marías écrit son premier roman, Los dominios del lobo, très jeune en 1970. Il est publié en 1971. Le romancier Juan Benet ( 1927-1993 ) est son mentor et ami. Javier Marías a traduit en espagnol de nombreux auteurs anglophones (Roger Louis Stevenson, Thomas Hardy, Joseph Conrad, Laurence Sterne…). Il a enseigné à Oxford et Madrid jusqu’en 1992. il devient un auteur consacré internationalement en 1992 avec Corazón tan blanco (Un cœur si blanc. Collection Folio n° 4720. Gallimard, 2008 ). Le célèbre critique allemand Marcel Reich-Ranicki (1920-2013) contribue à son grand succès en Allemagne. Depuis 2006, il était membre de la Real Academia Española. Il avait accepté pour rendre hommage à son père, mais refusait tous les prix officiels.
Il habitait Plaza de la Villa à Madrid. El Madrid de los Austrias. Je levais les yeux chaque fois que je me promenais dans ce beau quartier. Je n’ai pas lu tous ses romans loin de là, mais je lisais avec intérêt ses articles dans El País Semanal tous les dimanches. Souvent je n’étais pas d’accord avec lui. Le dernier a été publié le 29 juillet. Il y en a eu 939 depuis février 2003 dans une section intitulée La Zona fantasma. On disait de lui qu’il n’était pas toujours commode. Ses relations avec les éditeurs ont parfois été conflictuelles. Certains le traitaient même de “Pitufo Gruñón” ( Schtroumpf grognon ). Qu’importe ? Il avait aussi de nombreux amis écrivains qui l’admiraient. Il suffit de lire aujourd’hui leurs articles dans la presse espagnole. Hier, El País a publié sa dernière chronique, un hommage aux traducteurs. J’essaierai de la traduire dans les jours qui viennent.
El más verdadero amor al arte
Sin duda una de las más importantes labores del mundo es la de la traducción
Si hay una actividad que echo de menos, esa es la traducción. La abandoné hace ya décadas, con pequeñas excepciones (un poema, un cuento, las citas de autores ingleses y franceses que aparecen en mis novelas), y nada me impediría regresar a ella, salvo mis propios libros y lo mal pagada que sigue estando esa labor esencial, sin duda una de las más importantes del mundo, no sólo para la literatura; también para las noticias que llegan, los descuidados subtítulos de películas y series, el bastardo doblaje de hoy, los avances médicos, las investigaciones científicas, las conversaciones entre los gobernantes… Pero la que yo añoro es la literaria, a la que dediqué casi todos mis esfuerzos. Siempre he sostenido que se parece tantísimo a la escritura que es agotador compaginarlas. La “única” diferencia es la presencia de un texto original al que uno ha de ser fiel —pero no esclavo de él—. Ese original ofrece inconvenientes y ventajas. Entre los primeros, que uno nunca es muy libre —pero sí bastante— porque debe reproducir lo mejor posible, en su lengua, lo que en las suyas escribieron Conrad o James, Proust o Flaubert, Bernhard o Rilke; es decir, uno no puede inventar. En una novela sí, de la primera a la última línea, hasta el punto de que a veces uno no sabe cómo continuar, y es entonces cuando desearía disponer de un original que lo guiara y le dictara siempre lo que le toca poner. El texto original, como la partitura musical, está ahí y es inamovible, aunque tanto el traductor como el pianista tengan amplio margen de elección. La dicción, la preferencia por un vocablo o su descarte, el tempo, el ritmo, las pausas, son responsabilidad de ellos. Y pueden destrozar una obra maestra, eso también.
A menudo recuerdo, a la vez con sudores fríos y enorme placer, mis meses o años empleados en traducir los tres textos más difíciles de mi vida: El espejo del mar, escrito en el fantástico pero extraño inglés de un polaco; Tristram Shandy, obra monumental del siglo XVIII no menos laberíntica que el sobadísimo Ulysses de Joyce; La religión de un médico y El enterramiento en urnas, de Sir Thomas Browne, sabio inglés del XVII con una prosa tan majestuosa como sublime como alambicada, que suscitó la admiración incondicional de Borges y Bioy. Ante ella me rendí: no me sentía capaz de proseguir. Al cabo de unos meses, pensé que era una lástima que los lectores de lengua española se quedaran sin conocerla y, con renovado brío, reanudé y concluí la tarea. ¿Por qué me importaba tanto el conocimiento de esos lectores, que en ningún caso iban a ser cuantiosos? Ni yo lo sé. Sencillamente juzgué que esa maravilla merecía existir en mi idioma, aunque fuera para disfrute y provecho de unos pocos curiosos.
Algunos traductores no viven de la traducción —los que sí, pobres, se ven obligados a empalmar trabajos malos, regulares y buenos, y a acabarlos todos a gran velocidad—. Los primeros poseen un superfluo y desinteresado sentido del deber para con sus compatriotas. Si pensamos en la primera traducción del Quijote, del dublinés Thomas Shelton y de 1612, sólo siete años después de su publicación en español, ¿qué tuvo que impulsar a aquel hombre para embarcarse en una novela española, larga y nada fácil, de un completo desconocido? Lo ignoro, pero cabe imaginar que Shelton fue tan generoso como para no querer privar a los demás irlandeses ni a los ingleses del placer que él habría experimentado durante su lectura en castellano. Si alguna vez fue adecuada la expresión “trabajar por amor al arte”, es para la labor de esos traductores. Al fin y al cabo, un escritor alberga la esperanza, por remota que sea, de vender mucho y triunfar. Al traductor nunca lo aguardan tales glorias, y aún hoy bastantes editoriales se permiten no poner su nombre en la cubierta, como si Ali Smith o Zadie Smith no hubieran necesitado de un concurso. Y si hablamos de emolumentos, es para echarse a llorar. ¿Cómo va a pagarse igual una versión de Dickens que una del enésimo chisgarabís americano actual? Y sin embargo así sucede. Hay editores que se han hecho de oro merced al trabajo de un traductor, al que retribuyeron con una rácana tarifa por página y se acabó, mientras el título en cuestión vendía cientos de miles de ejemplares en español. No sé, sí: también una hija puede cuidar a su madre por el amor que le profesa, pero eso no obsta para que su ímproba dedicación se vea remunerada, sólo sea para que no se muera de hambre mientras renuncia a ganarse el sustento con un empleo. Desde ese punto de vista no puedo sentir nostalgia de mis años de traductor. Me ha ido mucho mejor con mis novelas. He gozado de una inmensa suerte que poco tiene que ver con el mérito ni con el talento. Y aun así, aun así… Recuerdo cómo me satisfacía y emocionaba “reescribir” en mi lengua un texto mejor que ninguno que yo pudiera alumbrar, como fue el caso de mis tres traducciones mencionadas. Leer, corregir y releer cada página y pensar (siempre sujeto a equivocación, uno es mal juez de lo que hace): “Sí, sí, así lo habrían escrito Conrad, Sterne o Browne de haberse expresado en español”.
Casa de Isla Negra. Tombe de Matilde Urrutia (1912-1985) et de Pablo Neruda (1904-1973).
Je continue de publier des poèmes d’auteurs chiliens. Aujourd’hui c’est le tour de Pablo Neruda, très présent dans mon blog. Los versos del capitán paraît pour la première fois de manière anonyme en Italie en 1952, imprimé par son ami Paolo Ricci. Il n’est publié sous le nom de Neruda au Chili qu’en 1963.
Los versos del capitán. Naples, 8 Juillet 1952.
8 de septiembre
Hoy, este día fue una copa plena, hoy, este día fue la inmensa ola, hoy, fue toda la tierra.
Hoy el mar tempestuoso nos levantó en un beso tan alto que temblamos a la luz de un relámpago y, atados, descendimos a sumergirnos sin desenlazarnos.
Hoy nuestros cuerpos se hicieron extensos, crecieron hasta el límite del mundo y rodaron fundiéndose en una sola gota de cera o meteoro.
Entre tú y yo se abrió una nueva puerta y alguien, sin rostro aún, allí nos esperaba.
Los versos del capitán, 1952.
8 septembre
Aujourd’hui, notre temps a été coupe pleine, aujourd’hui, notre temps a été vague immense, aujourd’hui, terre entière.
Aujourd’hui la mer, houle furieuse, nous a portés si haut dans un baiser que nous avons tremblé sous l’éclair fulgurant et l’un à l’autre liés, nous sommes descendus au fond des eaux sans desserrer l’étreinte.
Aujourd’hui nos corps ont grandi, grandi, ils sont arrivés jusqu’au bout du monde et ils ont roulé, fusionné : goutte unique de cire ou météore.
Entre nous – toi et moi – une porte nouvelle s’est ouverte où quelqu’un, encore sans visage, nous attendait.
Les Vers du capitaine. Publié en français sous le titre Les Vers du capitaine, suivi de La Centaine d’amour, traduits par Claude Couffon, André Bonhomme et Jean Marcenac, Paris, Gallimard, « Du monde entier», 1984.
Le poète et journaliste chilien Carlos Pezoa Veliz (1879-1908), anarchiste et autodidacte, de son vrai nom Carlos Enrique Moyano Jaña, est né à Santiago le 21 juillet 1879. Il est très gravement blessé aux jambes lors du terrible tremblement de terre qui secoue Valparaíso le 16 août 1906 et cause 3000 morts et 20 000 blessés. Les murs de la pension où il habite à Viña del Mar s’écroulent sur lui. Il fait de longs séjours dans les hôpitaux de Santiago et meurt, à 28 ans, le 21 avril 1908 de tuberculose. Son œuvre complète est éditée en 1927 sous le titre de Poesías y prosas completas (Editorial Renacimiento). Sa poésie est le miroir fidèle du pathétisme de la vie des indigents, de l’angoisse économique, des douleurs physiques, c’est-à-dire de sa propre existence qui fut errante et torturée mais sans renoncement ni mélancolie. On retrouve un peu l’influence de sa poésie rebelle, ironique et populaire chez Nicanor Parra et Roberto Bolaño (1953-2003). Ce dernier s’est toujours senti profondément poète, mais sa réputation repose essentiellement sur ses romans et ses nouvelles.
Roberto Bolaño. Paris, mars 2003. (Raphaël Gaillarde).
Carlos Pezoa Véliz escritor chileno (Roberto Bolaño)
Yo he traído ahora el caso porque lo oí a un viejo cuque (Carlos Pezoa Véliz)
Cómo estás. Tanto tiempo sin vernos. Qué es de tu muerte Bien gracias hermano hermano
Invitado al banquete de la vida. Maniquí de hierba. Carlitos tomando pisco e imaginando perfectos círculos de mariguana de cáñamo cordillerano virgen improbable: Invitado al banquete de la vida o sea al de los ferrocarriles, las ocho horas (en ese tiempo eran más de once) las calles, los árboles frutales, la poesía: invitado a todo pero en pedacitos uno por uno conchetumare violento el rostro lleno de sémola
Carlitos estremecido naonato te ame Spleen vete de aquí vete. Si esto es una fiesta no me eche señor garzón y deme pisco por favor para que Nick Guzmán diga después que a mi alrededor hip sonaron los tambores magistrales de Rubén y la adjetivación llena de onomatopeyas de Pedro Antonio Gonzales
Para que diga que me engañaron que me metieron a la fuerza en un brindis byroniano (Cositas como Invitado al banquete de la vida, vengo a brindar, de vuestro gozo en medio, al levantar la copa del suicida, llena hasta el borde de espantoso tedio me colman el espíritu clasemediero bajo)
Mejor me voy a Valparaíso a trabajar A mirar el mar en la tarde Me voy precedido de palomas Esta actitud se nos puso sospechosa Esta vida esta hora Evoluciona mi poesía.
Bueno, en la autopista del subdesarrollo, puaj, ve cómo pasan deportivos a 90 por hora, la gente risueña como en una película como si fuera la dorada California y no Chile húmedo y gris
Entonces mochilero errante necesitas inscribirte en el partido porque los tiempos son duros para andar sin espalda. Necesitas una compañera, una casa, una máquina de escribir, un trabajo. Ayúdanos a hacer la Revolución: No puedo, voy a Valparaíso, voy a ser víctima del terremoto de Valparaíso. Entienda. Voy a quedar inválido. Voy a morir. Y Nicanor Parra será el antipoeta, no yo. 1907: masacraron en el norte a los obreros del salitre: no me estoy disculpando.
Deme un pisco por favor. Deme un pisco negro. Mi niña es una golondrina, una golondrina no hace verano, cuántas mitades de genios chilenos se nos quedaron en las manos, ah patria de amargos pajeros. Deme un pisco por favor.
Pasa un auto blanco. De adentro miran rápidamente a Pezoa Véliz que está afuera.
Carlitos piensa en los peces de los muelles de Valparaíso Va a temblar —¿Cómo vivirán esos diablos pescados? Carlitos en todos los idiomas ¿Cómo son esos pescados negros?
Poemas dispersos, en Poesía Reunida 2018.
Carlos Pezoa Véliz écrivain chilien (Roberto Bolaño)
J’ai présenté maintenant l’affaire Parce que j’en ai entendu parler par un vieux cuistot (Carlos Pezoa Véliz)
Comment vas-tu. Si longtemps qu’on ne s’est vus. Comment se passe ta mort Bien merci mon frère mon frère
Invité au banquet de la vie. Mannequin d’herbe. Carlitos buvant du pisco et imaginant des cercles parfaits de marijuana de chanvre de la cordillère vierge improbable : Invité au banquet de la vie c’est à dire à celui des chemins de fer, les huit heures (à l’époque c’était plus de onze) les rues, les arbres fruitiers, la poésie : invité à tout mais par petits morceaux un par un putain-de-mère violent le visage couvert de semoule
Carlitos frissonnant né en mer Spleen Va-t en va-t en d’ici Si c’est une fête ne me chassez pas monsieur le serveur et donnez-moi du pisco s’il vous plaît Pour que Nick Guzman dise ensuite qu’autour de moi hip ont résonné les tambours magistraux de Rubén et l’adjectivation pleine d’onomatopées de Pedro Antonio Gonzales
Pour qu’il dise qu’on m’a trompé qu’on m’a entraîné de force dans un toast byronien (de petites choses comme Invité au banquet de la vie, je viens porter un toast, au milieu de votre allégresse, quand se lève le verre du suicidaire, plein à ras-bord d’un épouvantable ennui, comblent mon esprit classe moyenne inférieure)
Je ferais mieux d’aller à Valparaíso travailler Regarder la mer l’après-midi Je pars précédé de colombes Cette attitude nous a paru suspecte Cette vie cette heure Ma poésie évolue.
Bon sur l’autoroute du sous-développement, pouah, regarder passer des voitures de sport à 90 à l’heure, les gens souriants comme dans un film comme si c’était la Californie dorée et non le Chili humide et gris
Alors routard errant il te faut t’inscrire au parti parce que les temps sont durs pour vivre sans échine. Il te faut une compagne, une maison, une machine à écrire, un travail. Aide-nous à faire la révolution : Je ne peux pas Je vais à Valparaíso, Je vais être victime du tremblement de terre de Valparaíso. Comprenez. Je resterai invalide. Je mourrai Et Nicanor Parra sera l’antipoète, pas moi. 1907 : on a massacré dans le Nord les ouvriers du salpêtre : Je ne suis pas en train de me disculper.
Donnez-moi un pisco s’il vous plaît. Donnez-moi un pisco noir Ma petite est une hirondelle, une hirondelle ne fait pas le printemps, combien de moitiés de génies chiliens nous sont restés entre les mains, ah patrie d’amers branleurs. Donnez-moi un pisco s’il vous plaît.
Une auto blanche passe. Ses occupants regardent rapidement Pezoa Véliz qui est dehors.
Carlitos pense aux poissons des quais de Valparaíso Il va trembler – comment peuvent bien vivre ces diables de poissons ? Carlitos dans toutes les langues Á quoi ressemblent ces poissons noirs ?
Œuvres complètes, vol. 1. Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio et Jean-Marie Saint-Lu. L’Olivier, 1 248 p., 29 €.
Après Gonzalo Rojas, je relis Nicanor Parra qui est né le 5 septembre 1914 et a obtenu le Prix Cervantès 2011. Il est mort le 23 janvier 2018 à La Reina, près de Santiago de Chile, à l’âge tout à fait respectable de 103 ans. Nous étions alors au Chili. Les relations de Nicanor Parra avec Pablo Neruda et Gonzalo Rojas n’ont jamais été simples.
Epitafio
De estatura mediana, Con una voz ni delgada ni gruesa, Hijo mayor de un profesor primario Y de una modista de trastienda; Flaco de nacimiento Aunque devoto de la buena mesa; De mejillas escuálidas Y de más bien abundantes orejas; Con un rostro cuadrado En que los ojos se abren apenas Y una nariz de boxeador mulato Baja a la boca de ídolo azteca -Todo esto bañado Por una luz entre irónica y pérfida- Ni muy listo ni tonto de remate Fui lo que fui: una mezcla De vinagre y de aceite de comer ¡Un embutido de ángel y de bestia!
Épitaphe
De taille moyenne, La voix ni mince ni grosse, Fils aîné d’un instituteur Et d’une couturière d’arrière-boutique ; Maigre de naissance Et pourtant dévot de la bonne table ; Les joues creuses Et les oreilles plutôt abondantes ; Un visage carré Où les yeux s’ouvrent à peine Où un nez de boxeur mulâtre Surmonte une bouche d’idole aztèque – Tout cela baigné D’une lumière entre ironique et perfide – Ni très malin ni complètement idiot Je fus ce que je fus : un mélange De vinaigre et d’huile de table, Une charcutaille d’ange et de bête !
Poèmes et antipoèmes – Anthologie (Le Seuil, 2017) Traduit de l’espagnol (Chili) par Bernard Pautrat et Felipe Tupper.
La montaña rusa
Durante medio siglo La poesía fue El paraíso del tonto solemne. Hasta que vine yo Y me instalé con mi montaña rusa.
Suban, si les parece. Claro que yo no respondo si bajan Echando sangre por boca y narices.
Versos de salón, 1962.
La montagne russe
Pendant un demi-siècle La poésie fut Le paradis de l’idiot solennel. Jusqu’à ce que j’arrive Et m’installe avec ma montagne russe.
Montez, si ça vous dit. Évidemment je ne réponds de rien si vous en descendez En saignant de la bouche et du nez.
Poèmes et antipoèmes – Anthologie (Le Seuil, 2017) Traduit de l’espagnol (Chili) par Bernard Pautrat et Felipe Tupper.