Andrés Sánchez Robayna

Andrés Sánchez Robayna.

Le poète canarien Andrés Sánchez Robayna vient de mourir à Tenerife le 11 mars 2025. Né le 17 décembre 1952 à Santa Brígida (Grande Canarie), ce professeur de littérature espagnole à l’Université de La Laguna (Tenerife) (de 1995 à 2020) était un spécialiste de la littérature du Siècle d’Or espagnol. Il avait publié aussi des essais et son journal. Il avait traduit des poètes de langue anglaise (Wallace Stevens, William Wordsworth) française (Paul Valéry), portugaise (Haroldo de Campos, Oswald de Andrade) et catalane (Joan Brossa, Salvador Espriu, Ramón Xirau, Josep Palau i Fabre).

En la tumba de Stéphane Mallarmé (Andrés Sánchez Robayna)

El bosque se alza bajo el frío,
gobierna altivo nuestros pasos.
Desolación. Tu nombre y, luego,
los de los tuyos, a tu lado.

La losa oscura. Una columna,
Únicamente. Encima, un ánfora.
Anulación de todo signo.
El gris celaje sobre el ánfora.

Tu nombre escrito que el azar
no abolirá. Y un cuervo tardo
sobre la hierba. Pasa un tren
en el silencio conjurado.

¿Somos tan sólo vanas formas
de la materia? Tú, en tu barca,
en el otoño rojo y húmedo,
bogas sereno hacia tu nada.

La Sombra y la apariencia. Tusquets, 2010.

Sur le tombeau de Stéphane Mallarmé

Sous le froid se dresse la forêt,
altière, elle règle nos enjambées.
Désolation. Ton nom et, ensuite,
ceux des tiens, à tes côtés.

La dalle sombre. Une colonne,
seulement. Au-dessus, une amphore.
Annulation de tout signe.
La nuée grise sous l’amphore.

Ton nom écrit que le hasard
ne peut abolir. Et un corbeau sautille
dans l’herbe. Un train passe
dans un silence complice.

Sommes-nous seulement des formes
vaines de la matière? Toi, sur ta barque,
dans l’automne rouge et humide,
calme vers ton néant tu suis la vague.

Traduction Claude Le Bigot.

Il est mort 21 ans jour pour jour après les attentats islamistes de Madrid.

Madrid, para una elegía (Andrés Sánchez Robayna)

Ogne lingua per certo verria meno… Inferno, XXVIII, 4

Pasan trenes en marzo atestados de lágrimas,
palabras o susurros bajo un cielo dormido,
mejillas presurosas que de pronto se tornan
amasijo de hierros en el alba.
Claridad de la sangre. En el crepúsculo
se juntaron los rostros silenciosos.
En todos los paraguas del dolor repicaba
la piedad de la lluvia.

Sobre una confidencia del mar griego precedido de Correspondencias. 2005. Signos.

Madrid, pour une élégie

Ogne lingua per certo verria meno… Inferno, XXVIII, 4

Passent des trains en mars plein à craquer de larmes,
des mots, des murmures sous le sommeil du ciel,
des joues précipitées qui brusquement deviennent
un amas de métal à l’aube.
Le sang et sa clarté. Au crépuscule
se sont serrés, silencieux, les visages,
Sur les parapluies de la douleur crépitait
la pitié de la pluie.

Sur une confidence de la mer grecque. Gallimard, 2008. Traduction : Jacques Ancet.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/08/12/andres-sanchez-robayna-jacques-ancet-i/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2019/08/12/andres-sanchez-robayna-jacques-ancet-ii/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/08/06/andres-sanchez-robayna-jacques-ancet-iii/

Le livre derrière la dune. Éditions du Murmure, 2012. Traduction : Claude Le Bigot.

Federico García Lorca

Au début du mois d’avril 1918, Federico García Lorca publiait à compte d’auteur à Grenade son premier livre, Impresiones y paisajes. Son père, Federico García Rodríguez (1859-1945), riche propriétaire de la Vega de Granada, prit en charge le coût de cette édition après avoir demandé l’avis de certaines personnalités la ville.

Il s’agit d’une œuvre en prose qui devait s’appeler à l’origine Caminatas románticas por la vieja España. Le professeur d’art et de littérature de l’université de Grenade, Martín Domínguez Berrueta (1869-1920), proche de la Institución Libre de Enseñanza, organisait des voyages d’études pour ses étudiants. Celui auquel participa García Lorca eut lieu entre le 15 octobre et le 8 novembre 1916. Le professeur et ses étudiants visitèrent Madrid, El Escorial, Ávila, Medina del Campo, Salamanca (où ils rencontrèrent Miguel de Unamuno), Zamora, Santiago de Compostela, La Coruña, Lugo, León, Segovia.

Lors d’un voyage précédent, à Baeza, en juin 1916, Federico García Lorca avait rencontré Antonio Machado qui y enseignait.

On trouve déjà dans ces textes de jeunesse toute la sensibilité du poète et son sentiment de révolte face aux inégalités sociales.

Impressions et paysages (Impresiones y paisajes). Traduction : Claude Couffon. Gallimard, Collection L’Imaginaire (n°665). Première publication, 1958.

Aube d’été et autres impressions et paysages. Traduction : Claude Couffon. Collection Folio 2 euros (n°7026), 2022. Extrait du recueil Impressions et paysages.

Un hospicio en Galicia (Federico García Lorca)

” Es el otoño gallego, y la lluvia cae silenciosa y lenta sobre el verde dulce de la tierra. A veces entre las nubes vagas y soñolientas se ven los montes llenos de pinares. La ciudad está callada. Frente a una iglesia de piedra negriverdosa, donde los jaramagos quieren prender sus florones, está el hospicio humilde y pobre… Da impresión de abandono el portalón húmedo que tiene… Ya dentro, se huele a comida mal condimentada y pobreza extrema. El patio es románico… En el centro de él juegan los asilados, niños raquíticos y enclenques, de ojos borrosos y pelos tiesos. Muchos son rubitos, pero el tinte de la enfermedad les fue dando tonalidades raras en las cabezas… Pálidos, con los pechos hundidos, con los labios marchitos, con las manos huesudas pasean o juegan unos con otros en medio de la llovizna eterna de Galicia… Algunos, más enfermos, no juegan y sentados en recachas están inmóviles, con los ojos quietos y las cabecitas amagadas. Otro hay cojito, que se empeña en dar saltos sobre unos pedruscos del suelo… Las monjas van y vienen presurosas al son de los rosarios. Hay un rosal mustio en un rincón. 
Todas las caras son dolorosamente tristes…; se diría que tienen presentimientos de muerte cercana… Esta puerta achatada y enorme de la entrada, ha visto pasar interminables procesiones de espectros humanos que pasando con inquietud han dejado allí a los niños abandonados… Me dio gran compasión esta puerta por donde han pasado tantos infelices…, y es preciso que sepa la misión que tiene y quiere morirse de pena, porque está carcomida, sucia, desvencijada… Quizá algún día, teniendo lástima de los niños hambrientos y de las graves injusticias sociales, se derrumbe con fuerza sobre alguna comisión de beneficencia municipal donde abundan tanto los bandidos de levita y aplastándolos haga una hermosa tortilla de las que tanta falta hacen en España… Es horrible un hospicio con aires de deshabitado, y con esta infancia raquítica y dolorosa. Pone en el corazón un deseo inmenso de llorar y un ansia formidable de igualdad… 
Por una galería blanca y seguido de monjas avanza un señor muy bien vestido, mirando a derecha e izquierda con indiferencia… Los niños se descubren respetuosos y llenos de miedo. Es el visitador… Una campana suena… La puerta se abre chillando estrepitosamente, llena de coraje… Al cerrarse, suena lentamente como si llorara… No cesa de llover. »

Santiago de Compostela. Convento de San Domingos de Bonaval. Fin du XVII ème -début du XVIII ème siècle. Ancien Hospice. Aujourd’hui Museo do Pobo Galego.

Un hospice en Galice

” C’est l’automne en Galice, et la pluie tombe, lente et muette, sur la terre d’un vert tendre. Parfois, parmi les nuages errants et somnolents, on aperçoit les montagnes couvertes de pinèdes. La ville est silencieuse. Devant une église, d’un noir verdâtre, où les sisymbres cherchent à accrocher leurs fleurons, s’élève l’hospice humble et pauvre… Son grand portail humide donne l’impression d’abandon… Sitôt entré, c’est une odeur de fade gargote, de dénuement extrême que l’on respire. La cour est romane… Au centre de la cour, jouent les pensionnaires de l’asile, des enfants rachitiques et maladifs, aux regards flous, aux cheveux raides. Beaucoup sont blonds, mais le teint de la maladie a donné à leur visage d’étranges colorations… Pâles, avec leurs poitrines plates, leurs lèvres flétries, leurs mains osseuses, ils se promènent ou s’ébattent sous l’éternelle bruine de Galice… Quelques-uns, plus gravement malades, ne jouent pas, et assis en files, se tiennent immobiles, le regard paisible, la tête maigre et condamnée. Plus loin, un petit boiteux s’efforce de sauter à cloche-pied les pierres du sol… Les religieuses vont et viennent, pressées, au son des rosaires. Dans un coin on voit un rosier fané.

Tous les visages sont douloureusement tristes, comme s’ils pressentaient la mort prochaine… Cette énorme porte basse de l’entrée a vu passer d’interminables processions de spectres humains qui, s’avançant avec inquiétude, ont abandonné ici ces enfants… Cette porte qu’ont franchie tant de malheureux fait naître en moi une immense pitié… car il faut qu’elle sache quelle est sa mission, et qu’elle veuille mourir de chagrin, pour être aussi vermoulue, aussi sale, aussi délabrée… Peut-être un jour, ayant pitié de ces enfants affamés et de ces graves injustices sociales, s’écroulera-t-elle avec force sur quelques commission de bienfaisance municipale où abondent les bandits en habit et, les écrasant, en fera-t-elle une de ces bouillies qui font tant défaut en Espagne… Un hospice est une chose terrible avec son air inhabité, et cette enfance rachitique et douloureuse. Une chose qui bouleverse le coeur et lui communique un puissant air d’égalité…

Dans une galerie blanche un monsieur très bien vêtu, qui regarde à droite et à gauche avec indifférence, s’avance, accompagné de religieuses… Les enfants se découvrent respectueux et terrifiés… C’est l’inspecteur… Une cloche sonne… La porte s’ouvre avec un grincement violent, plein de courage… En se refermant, elle sonne lentement, comme si elle pleurait… La pluie ne cesse de tomber… “

Les étudiants de Martín Domínguez Berrueta visitent l’Alhambra. Federico García Lorca est assis à droite.

María Zambrano 1904 – 1991

María Zambrano. 1984. (Raúl Cancio).

“María Zambrano no sólo es una estación de tren.”

Une demande de Manuel sur les textes de María Zambrano et l’exil m’a obligé à me replonger dans certains de ses articles. J’ai aimé El saber de experiencia.

Maria Zambrano à son arrivée à l’aéroport de Madrid-Barajas, le 20 novembre 1984, après quarante ans d’exil. A ses côtés, Jaime Salinas, Directeur du Livre, et fils du grand poète Pedro Salinas.

El saber de experiencia, (Notas inconexas)

Lo grave del saber de experiencia es que, si es verdadero, llega después, no sirve y es intransferible. Viendo la pureza de los racimos de uvas, he visto la tersura, la transparencia, la perfección que habría de tener el saber de experiencia y que raramente aparece y que, cuando aparece, sirve tal vez para muchos siglos después, como hace la tierra para dar, con la experiencia y el cultivo, esa perfección de los racimos.

*** 

El hombre es el ser en el cual ser y realidad no coinciden. Y si no coinciden ante él ni para él es porque no coinciden en él, no se da al ser y a la realidad coetáneamente, al mismo tiempo, sino en rarísimos momentos, extraordinarios, creadores, fecundamente inacabables, eso sí. Como realidad, el hombre. al igual que todo ser viviente, necesita alimentarse, como ese ser al que no puede renunciar le es dado, impuesto, el alimentar, o séase, el darse, el darse cuando todavía no es. ¿Cómo, pues, lograrse el ser humano si, de ese saber de experiencia, no logra trasmitir a alguien la experiencia, dejársela a alguien? No hace falta ser padre ni maestro, ni discípulo ni hijo, para querer dejar algo así como la expresión concentrada, como una bebida de la propia vida, de aquello que nos ha sido dado como obligación sagrada a reverenciar y a querer, aquello que nos ha movido, aquello por lo que nos movimos. ¿Cómo puede troncarse este afán, este afán y esta imposición de ser y de realidad coetáneamente sin acortar siquiera un poco la distancia entre las dos caras o aspectos de la vida de una sola criatura cuando se sabe? Y, si no se supiera, ¿qué se seria?. Se sería propiamente un «ser» humano o se dejaría de ser humano. ¿Habrá la posibilidad, Señor, de dejar de ser humano para que coincidan, como en un racimo de uvas, puro, blando, duro, cándido, perfecto, ser y realidad? ¿Cuál es el camino?

*** 

Ha de haber muchos caminos. Ha de haber varios para cada persona, pues que varios son los tiempos, y no me refiero solamente a las circunstancias, sino al modo de vivir el tiempo y al modo de sufrirlo.

*** 

Todo este exordio, un tanto impertinente, precede a algo más impertinente todavía, que es – no tengo más remedio que decirlo – hablar de mí misma, de algo que le ha ocurrido no sé si a mí misma o a quién, quizá a alguien que está en trance de nacer, de renacer, para no volver a nacer más, en un ser ya cumplido o bien en un ser prometido y castigado a tener que seguir.
Quiero referirme a mi llegada a España que fue por Madrid.
Durante el inmenso exilio, al cual yo no veía el fin, cada vez que me asaltaba el pensamiento de volver a España, lo aplazaba. ¿Es que había encontrado mi lugar en el exilio? No. No era mi patria el exilio. Pero, cada vez que pensaba volver, lo difería. No era entonces. No podía ser. Ahora, cuando he vuelto, ha sido casi sin sentirlo. Y cuando he visto las fotografías de los casi siempre calumniados fotógrafos y hasta leído las impresiones de los casi siempre tergiversados periodistas – que están ahí para cargar con todas las culpas ajenas -, he recordado el ayer.
Al salir de España, en 1939, prevaleció en mí la imagen y la realidad, la realidad que después se hizo imagen, pero una imagen real. Tuvimos que pasar la frontera de Francia uno a uno, para enseñar los más la ausencia de pasaporte, que yo sí tenia, por haberlo sacado con mucha anterioridad, cuando tuve que ir a Chile. Y el hombre que me precedia llevaba a la espalda un cordero, un cordero del que me llegaba su aliento y que por un instante, de esos indelebles, de esos que valen para siempre, por toda una eternidad, me miró. Y yo le miré. Nos miramos el cordero y yo. Y el hombre siguió, y se perdió por aquella muchedumbre, por aquella inmensidad que nos esperaba del lado de la libertad.
¿Qué hacer ahora? Yo no volví a ver aquel cordero, pero ese cordero me ha seguido mirando. Y yo me decía y hasta creo que llegué a decírselo a media voz a algún amigo o a algún enemigo, o a nadie, o al Señor, o a los oliyos, que yo no volvería a España sino detrás de aquel cordero.
Y luego he vuelto. Y el cordero no estaba esperándome al pie del avión. Ahora bien, procuré, cuando ya puse el pie en tierra, quedarme completarnente sola y pisar la tierra española sola, sin apoyo. Pero el hombre del cordero no estaba. ¿Cuándo he venido a darme cuenta? Pues ahora, cuando, tal vez por misericordia, tal vez por veracidad, me han dicho algunas personas, que estimo, que he llegado a la hora precisa, que he llegado cuando debía de llegar y como debía de llegar. Y, cuando he visto las imágenes que sacaron los fotógrafos que me aguardaban, tan conmovedoras, tan blancas,tan puras, entonces vi que el cordero era yo. El hombre no aparecía sosteniéndome en su espalda porque yo me había asimilado al cordero.

*** 

El hombre, para ser, tiene que asimilarse, así como para pervivir en la realidad tiene que asimilarla. Al asimilarse, se asimila a alguien. Un cierto temblor me da de recurrir, hablando de mí (pero, Señor, yo soy una criatura humana y no tengo la culpa) al libro más sagrado de nuestra tradición occidental, donde se habla de Aquel asimilado al Verbo por toda la etemidad, superior al Dios de Abraham, Dios no de sacrificio, sino el que ofreció el pan y el vino, la eucaristía. Entonces, esto quiere decir que para que la criatura humana sea tiene que asimilarse, por muy indignamente que esto aparezca si esto se mira desde el punto de vista nada grato y nada fecundo de la jerarquía. Se puede ir en la misma procesión siendo el primero, que en el orden litúrgico el último es el que cuenta. Se puede ser de una filiación, de una filialidad: la del cordero.
Así, los largos años de exilio me han servido, sin que yo me lo propusiera, pues que de habérmelo propuesto sería una alegoría o una caricatura, o una locura de manicomio simplemente, para irme asimilando al cordero y a aquella mirada indecible, a aquella mirada que no intento transcribir en palabras, a aquel silencio del cordero, un aliento que sentí como vida, como vida de alguien que sabe que está destinado a morir y lo acepta. De alguien que transciende la muerte misma y que a veces, eso sí, en los paseos que he dado en los campos del Jura – de donde salió el librito Claros del bosque -, permitía que yo viese a lo lejos un cordero, una criatura que también podía ser una paloma (más adecuada a mi alma femenina, más adecuada a la imagen de la libertad y del amor, más adecuada inclusive a la tercera persona de la Santa Trinidad), pero no, lo que se me aparecía en lontananza era el cordero. Y yo iba hacia el cordero; y claro está que no llegaba nunca, que no podía llegar por mucho que yo anduviese – Y no he sido tan mala andarina -, pues cuando llegaba al lugar no estaba, porque no era ése su lugar, no era sobre la tierra, sino entre cielo y tierra, o quién sabe entre qué cielo y qué tierra prometida.
Pero yo andaba hacia aquello que se llama lontananza. Digo esta palabra porque en una de las huidas del Ejército vencido, el mío, alguien les preguntó: «¿A dónde vais?» «¡A lontananza!», respondieron. Iban huyendo, como fui huyendo yo, a lontananza. Porque en la lontananza ha de estar desde siempre, desde el fondo de las edades, ese cordero que da su aliento al Universo, que, siendo él tan blanco, su aliento es fuego, pero no un fuego abrasador, sino un fuego mesurado, un fuego que se reparte y un aliento que se da para los otros también, un aliento para todos, que puede ser nacido del aliento primero que, según cierta sabiduría venerable, dio nacimiento a todo el Universo.

Artículo publicado en Diario 16, año X, Madrid, 15 de septiembre de 1985 (suplemento Culturas, n°23, págs III).

Las palabras del regreso, Ediciones Cátedra. Letras hispánicas, 2009.

Le savoir d’expérience (notes sans lien).

Ce qu’il y a de grave dans le savoir d’expérience, c’est que, s’il est authentique, il n’arrive qu’après coup, ne sert à rien et s’avère intransférable. En voyant la pureté des grappes de raisins, j’ai vu le poli, la transparence, la perfection que devrait avoir le savoir d’expérience, qui n’apparaît que rarement et qui, lorsqu’il apparaît, ne sert peut-être que des siècles après, ainsi que le fait la terre pour donner, avec l’expérience et la culture, cette perfection des grappes.

                                                                          ***

L’homme est l’être en lequel l’être et la réalité ne coïncident pas. Et s’ils ne coïncident ni pour lui ni à ses yeux, c’est parce qu’ils ne coïncident pas en lui, parce que lui-même ne se donne pas à l’être et à la réalité simultanément, dans le même temps, si ce n’est en de très rares moments, extraordinaires, créateurs, et d’une fécondité réellement inépuisable. En tant que réalité, l’homme, au même titre que tout être vivant, a besoin de s’alimenter, comme est donné, imposé à cet être auquel il ne peut renoncer l’acte d’alimenter, autrement dit de se donner, se donner alors qu’ il n’est pas encore. Comment donc l’être humain s’accomplit-il, si, de ce savoir d’expérience, il ne parvient pas à transmettre à quelqu’un l’expérience, à la laisser à quelqu’un ? Il n’est pas nécessaire d’être père ni maître, ni disciple ni fils, pour désirer transmettre, comme l’expression concentrée, comme une boisson extraite de sa propre vie, de cela qui nous a été donné comme une obligation sacrée à révérer et à aimer, cela qui nous a mis en mouvement, pour quoi nous nous mettons en mouvement. Comment cet effort, cet effort et cette obligation à la fois d’être et de réalité peuvent-ils être interrompus sans réduire un tant soit peu la distance entre ces deux visages ou ces deux aspects de la vie d’une seule créature quand on sait ? Et si l’on ne savait pas, que serait-on ? On deviendrait un être humain à proprement parler ou alors l’on cesserait d’être humain. La possibilité existerait-elle, Seigneur, de cesser d’être humain pour que coïncident, comme dans une grappe de raisins, pure, tendre, dure, candide, parfaite, être et réalité ? Quel est le chemin ?
***
Les chemins doivent être nombreux. Il doit y en avoir de différents pour chaque personne car les temps sont différents ; et je ne pense pas seulement aux circonstances mais aussi à la façon qu’on a de vivre le temps et qu’on a de le supporter.

Tout ce préambule, légèrement impertinent, pour quelque chose qui l’est plus encore : le fait – je ne peux éviter de le dire – de parler de moi-même, de quelque chose qui est arrivé – je ne saurais dire si c’est à moi ou à qui ? ; peut-être à quelqu’un qui est en train de naître, de renaître pour ne plus recommencer à naître, en un être totalement accompli ou bien en un être promis et condamné à devoir continuer à naître.

Je veux parler de mon arrivée en Espagne, laquelle se fit par Madrid.
Pendant l’immense exil, dont je ne voyais pas la fin, chaque fois que m’assaillait la pensée du retour en Espagne, je la remettais à plus tard. Était-ce parce que j’avais trouvé mon lieu dans l’exil ? Non. L’exil n’était pas ma patrie. Mais pourtant, à chaque fois que je pensais à rentrer, je différais. Ce n’était pas le moment. Cela ne pouvait se faire. Cependant, lorsque je suis revenue, cela s’est fait pour moi d’une manière quasi insensible. Et quand j’ai vu les photographies de ces photographes que l’on calomnie presque toujours et même quand j’ai lu les impressions de ces journalistes dont on prend presque toujours en mauvaise part les propos – qui sont là pour qu’ils prennent sur eux toutes les fautes des autres – je me suis souvenue d’hier.

Lorsque j’ai quitté l’Espagne, en 1939, ce qui a prévalu en moi, c’était l’image et la réalité, la réalité qui par la suite s’est faite image, mais une image réelle. Nous avons dû passer la frontière française à la file indienne, pour montrer pour la plupart notre absence de passeport – passeport que moi j’avais pour l’avoir retiré longtemps auparavant au moment où j’ai dû partir pour le Chili. L’homme qui me précédait portait sur ses épaules un agneau, un agneau dont me parvenait l’haleine et qui un instant, l’un de ces instants indélébiles, qui valent pour toujours, l’espace d’une éternité, m’a regardée. Et moi je le regardai. Nous nous sommes regardés l’agneau et moi. Et l’homme a continué sa route et s’est perdu dans toute cette multitude, dans cette immensité qui nous attendait du côté de la liberté.

Que faire dès lors ? Je n’ai pas revu cet agneau, mais cet agneau a continué à me regarder. Je me disais – et je crois même que je suis parvenue à le dire à mi-voix à un ami ou à un ennemi, ou à personne ou au Seigneur, ou aux oliviers, que je ne retournerai en Espagne que derrière cet agneau.
Et puis je suis rentrée. Et l’agneau ne m’attendait pas au pied de l’avion. Néanmoins je me suis efforcée, quand j’ai posé le pied sur le sol, de rester complètement seule et de fouler toute seule la terre d’Espagne, sans aide. Mais l’homme à l’agneau n’était pas là. A quel moment en suis-je venue à m’en rendre compte ? Eh bien lorsque, peut-être par miséricorde, peut-être par véracité, des personnes que j’estime m’ont affirmé que je suis arrivée à l’heure où je devais arriver et de la façon dont je devais arriver. Et lorsque j’ai vu les images qu’avaient prises les photographes qui m’attendaient, si émouvantes, si blanches, si pures, alors j’ai vu que l’agneau, c’était moi. L’homme n’apparaissait pas, qui me soutenait sur ses épaules, parce que je m’étais assimilée à l’agneau.
***
L’homme, pour être, doit s’assimiler, de la même façon que pour survivre dans la réalité il lui faut assimiler celle-ci. En s’assimilant, il s’assimile à quelqu’un. J’éprouve un certain tremblement de devoir recourir, en parlant de moi, (mais, Seigneur, je suis une créature humaine et je n’en suis pas responsable) au livre le plus sacré de notre tradition occidentale, où l’on parle de Celui qui s’est assimilé au Verbe pour toute l’éternité, supérieur au Dieu d’Abraham, Dieu non du sacrifice, mais celui qui a offert le pain et le vin, l’eucharistie. Ce qui veut dire que pour que la créature humaine soit, il faut qu’elle s’assimile, aussi indignement que cela puisse paraître si on le considère de ce point de vue qui n’a rien d’agréable ni de fécond, qui est celui de la hiérarchie. On peut être le premier dans la même procession : dans l’ordre liturgique, c’est le dernier qui compte… On peut être d’une filiation, d’ une « filialité » : celle de l’agneau.

Ainsi, les longues années d’exil m’ont servi sans que je ne me le propose, puisque me le proposer aurait été une allégorie ou une caricature, ou simplement un délire d’un hôpital de fous, à m’assimiler progressivement à l’agneau et à ce regard indicible, à ce regard que je n’essaierai pas de traduire en mots, à cette haleine de l’agneau, une haleine que j’ai ressentie comme la vie, comme la vie de quelqu’un qui sait qu’il est destiné à mourir et qui l’accepte. De quelqu’un qui transcende la mort elle-même et qui, parfois, je l’atteste, dans les promenades que j’ai faites dans les hauteurs du Jura – d’où est sorti ce petit livre, Les Clairières du bois – permettait que je voie au loin un agneau, une créature qui aurait pu tout aussi bien être une colombe (plus en adéquation avec mon âme féminine, avec l’image de la liberté et de l’amour, et même avec la troisième personne de la sainte Trinité), mais non, ce qui m’apparaissait dans les lointains était bien un agneau. Et moi, j’allais vers l’agneau ; et il est clair que je n’arrivais jamais, que j’avais beau marcher, je ne pouvais pas arriver – et je n’ai pas été si mauvaise marcheuse – car quand j’arrivais quelque part, il n’y était pas, ce n’était pas son lieu, il n’était pas sur la terre mais là-bas entre le ciel et la terre ; qui saurait dire entre quel ciel et quelle terre promise ?

Mais j’allais vers cela qu’on appelle les lointains. C’est ce mot que je donne parce que lors d’une des déroutes de l’Armée vaincue, la mienne, quelqu’un leur a demandé : mais où allez vous ? et ils ont répondu : vers les lointains. Ils fuyaient comme j’ai fui, moi aussi, vers les lointains. Parce que dans les lointains, c’est là que doit être depuis toujours, depuis le fond des âges, cet agneau qui donne son souffle à l’univers, parce que, lui étant si blanc, son souffle est le feu, mais non pas un feu dévastateur, un feu mesuré, un feu qui se distribue et un souffle qui se donne également pour les autres, un souffle pour tous, qui a pu naître du souffle primordial, lequel, selon certaines sagesses vénérables, a donné naissance à l’Univers tout entier.

María Zambrano, Diario 16, Madrid, 15 septembre 1985 (supplément culturel N°23, p.III).

Traduit par Jean Marc Sourdillon, Jean-Maurice Teurlay, Jean Croizat-Viallet. (Jean-Marc Sourdillon. María Zambrano Le choix de naître. Éditions de Corlevour. 2024. Une première version a été publiée dans le numéro 25 de la revue Conférence à l’automne 2007 )

Arthur Rimbaud – Pablo Neruda

Portrait d’Arthur Rimbaud (Pablo Picasso). 13 décembre 1960.

Arthur Rimbaud, l’adolescent génial et révolté, est très tôt devenu un mythe en France et dans le monde.

Ses identités multiples et contradictoires ont permis tant aux catholiques (Paterne Berrichon, Isabelle Rimbaud, Paul Claudel) qu’aux progressistes de s’approprier sa figure (Paul Éluard, Louis Aragon, Pablo Neruda)

Je crois que son influence a été plus grande dans le monde anglo-saxon (Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Bob Dylan, Patti Smith) que dans le monde hispanique.

Pourtant, elle est évidente chez Pablo Neruda, particulièrement dans Residencia en la tierra (1935).

Le poète chilien cite une phrase d’Adieu (Une saison en enfer 1873-75) lors son discours de réception du Prix Nobel de Littérature le 13 décembre 1971.

Discurso pronunciado con ocasión de la entrega del Premio Nobel de Literatura.

« Voici exactement cent ans, un poète pauvre et splendide, le plus atroce des désespérés, écrivait cette prophétie : « À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. » « Je crois en cette prophétie de Rimbaud, le voyant. Je viens d’une obscure province, d’un pays séparé des autres par un coup de ciseaux de la géographie. J’ai été le plus abandonné des poètes et ma poésie a été régionale, faite de douleur et de pluie. Mais j’ai toujours eu confiance en l’homme. Je n’ai jamais perdu l’espérance. Voilà pourquoi je suis ici avec ma poésie et mon drapeau. En conclusion, je veux dire aux hommes de bonne volonté, aux travailleurs, aux poètes, que l’avenir tout entier a été exprimé dans cette phrase de Rimbaud ; ce ne sera qu’avec une ardente patience que nous conquerrons la ville splendide qui donnera lumière, justice et dignité à tous les hommes. Et ainsi la poésie n’aura pas chanté en vain. » .

“Hace hoy cien años exactos, un pobre y espléndido poeta, el más atroz de los desesperados, escribió esta profecía: « A l’aurore, armés dune ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. » (Al amanecer, armados de una ardiente paciencia entraremos en las espléndidas ciudades.) Yo creo en esa profecía de Rimbaud, el vidente. Yo vengo de una oscura provincia, de un país separado de todos los otros por la tajante geografía. Fui el más abandonado de los poetas y mi poesía fue regional, dolorosa y lluviosa. Pero tuve siempre confianza en el hombre. No perdí jamás la esperanza. Por eso tal vez he llegado hasta aquí con mi poesía, y también con mi bandera. En conclusión, debo decir a los hombres de buena voluntad, a los trabajadores, a los poetas, que el entero porvenir fue expresado en esa frase de Rimbaud: solo con una ardiente paciencia conquistaremos la espléndida ciudad que dará luz, justicia y dignidad a todos los hombres. Así la poesía no habrá cantado en vano.”

Casa de Pablo Neruda de Isla Negra (Chile).

Dans sa maison d’Isla Negra, au bord du Pacifique, on peut remarquer en bonne place les photos de Walt Whitman, de Charles Baudelaire, mais aussi celle d’Arthur Rimbaud.

Pablo Neruda a écrit dans les années 50, pour le centenaire de la naissance du poète de Charleville, une bien curieuse ode à ” l’homme aux semelles de vent. “

Oda a Jean Arthur Rimbaud (Pablo Neruda)

Ahora
en este octubre
cumplirás
cien años,
desgarrador amigo.
¿Me permites
hablarte?
Estoy solo,
en mi ventana
el Pacífico rompe
su eterno trueno oscuro.
Es de noche.

La leña que arde arroja
sobre el óvalo
de tu antiguo retrato
un rayo fugitivo.
Eres un niño
de mechones torcidos,
ojos semicerrados,
boca amarga.
Perdóname
que te hable
como soy, como creo
que serías ahora,
te hable de agua marina
y de leña que arde,
de simples cosas y sencillos seres.

Te torturaron
y quemaron tu alma,
te encerraron
en los muros de Europa
y golpeabas
frenético
las puertas.
Y cuando
ya pudiste
partir
ibas herido,
herido y mudo,
muerto.

Muy bien, otros poetas
dejaron
un cuervo, un cisne,
un sauce,
un pétalo en la lira,
tú dejaste un fantasma
desgarrado
que maldice
y escupe
y andas
aún
sin rumbo,
sin domicilio fijo,
sin número,
por las calles de Europa,
regresando a Marsella,
con arena africana
en los zapatos,
urgente
como un escalofrío,
sediento,
ensangrentado,
con los bolsillos rotos,
desafiante,
perdido,
desdichado.

No es verdad
que te robaste el fuego,
que corrías
con la furia celeste
y con la pedrería
ultravioleta
del infierno,
no es así,
no lo creo,
te negaban
la sencillez, la casa,
la madera,
te rechazaban,
te cerraban puertas,
y volabas entonces,
arcángel iracundo,
a las moradas
de la lejanía,
y moneda a moneda,
sudando y desangrando
tu estatura
querías
acumular el oro
necesario
para la sencillez, para la llave,
para la quieta esposa,
para el hijo,
para la silla tuya,
el pan y la cerveza.

En tu tiempo
sobre las telarañas
ancho
como un paraguas
se cerraba el crepúsculo
y el gas parpadeaba
soñoliento.
Por la Commune pasaste
niño rojo,
y dio tu poesía
llamaradas
que aún suben castigando
las paredes
de los fusilamientos.
Con ojos
de puñal
taladraste
la sombra
carcomida,
la guerra, la errabunda
cruz de Europa.
Por eso hoy, a cien años
de distancia,
te invito
a la sencilla
verdad que no alcanzó
tu frente huracanada,
a América te invito,
a nuestros ríos,
al vapor de la luna
sobre las cordilleras,
a la emancipación
de los obreros,
a la extendida patria
de los pueblos,
al Volga
electrizado,
de los racimos y de las espigas,
a cuanto el hombre
conquistó sin misterio,
con la fuerza
y la sangre,
con una mano y otra,
con millones de manos.

A ti te enloquecieron,
Rimbaud, te condenaron
y te precipitaron
al infierno.
Desertaste la causa
del germen, descubridor
del fuego, sepultaste
la llama
y en la desierta soledad
cumpliste tu condena.
Hoy es más simple, somos
países, somos
pueblos,
los que garantizamos
el crecimiento de la poesía,
el reparto del pan, el patrimonio
del olvidado. Ahora
no estarías
solitario.

Poema escrito en el centenario del nacimiento de Rimbaud, 1954.

Nuevas odas elementales. Buenos Aires, Editorial Losada, 1955.

Emilio Prados

Emilio Prados (1899-1962) écrit ce poème après la guerre civile, au tout début de son exil au Mexique. Il le publie à Mexico dans la revue Litoral qu’il a fondée en 1926 à Malaga avec Manuel Altolaguirre. José Moreno Villa, Juan Rejano et Francisco Giner de los Ríos se joignent à eux pour la faire revivre. La nostalgie de l’Espagne devient un des thèmes centraux des poètes républicains espagnols en exil. La détresse et la douleur apparaissent clairement dans ce poème. Emilio Prados se souvient d’un passé idyllique. Il le recrée à partir d’images successives (la mer, la plage, le parfum des jasmins, les cerisiers en fleur, la paix, les rêves d’amour). Le printemps en Espagne est idéalisé. La fin exprime pourtant la dure réalité vécue par les exilés. Elle est soulignée par le ¡ay!, si profondément andalou.

Cuando era primavera

Cuando era primavera en España:
Frente al mar, los espejos
Rompían sus barandillas
Y el jazmín agrandaba
su diminuta estrella
hasta cumplir el límite
de su aroma en la noche.
Cuando era primavera.

Cuando era primavera en España:
junto a la orilla de los ríos,
las grandes mariposas de la luna
fecundaban los cuerpos desnudos
de las muchachas,
y los nardos crecían silenciosos
dentro del corazón
hasta tapamos la garganta…
Cuando era primavera.

Cuando era primavera en España:
todas las playas convergían en un anillo
y el mar soñaba entonces,
como el ojo de un pez sobre la arena,
frente a un cielo más limpio
que la paz de una nave, sin viento, en su pupila.
Cuando era primavera.

Cuando era primavera en España:
los olivos temblaban
adormecidos bajo la sangre azul del día,
mientras que el sol rodaba
desde la pie! tan limpia de los toros
al terrón en barbecho
recién movido por la lengua caliente de la azada.
Cuando era primavera.

Cuando era primavera en España:
los cerezos en flor
se clavaban de un golpe contra el sueño
y los labios crecían,
como la espuma en celo de una aurora,
hasta dejamos nuestro cuerpo a su espalda,
igual que el agua humilde
de un arroyo que empieza.
Cuando era primavera.

Cuando era primavera en España:
todos los hombres olvidaban su muerte
y se tendían confiados, juntos, sobre la tierra,
hasta olvidarse el tiempo
y el corazón tan débil por el que ardían.
Cuando era primavera.

Cuando era primavera en España:
yo buscaba en el cielo,
yo buscaba
las huellas tan antiguas
de mis primeras lágrimas,
y todas las estrellas levantaban mi cuerpo,
siempre tendido en una misma arena.
al igual que el perfume, tan lento,
nocturno, de las magnolias.
Cuando era primavera.

Pero, ¡ay!, tan sólo
cuando era primavera en España.
Solamente en España
antes, cuando era Primavera!

Penumbras I, 1939-1941.
Número 2 de la etapa mexicana de la revista Litoral. 1944.

Punta de Torremolinos. Monumento a la Generación del 27 : Gala Dalí, Manuel Altolaguirre, Salvador Dalí, Emilio Prados. (CFA).

Lorsque que c’était le printemps

Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Les miroirs, devant la mer,
Brisaient leurs balustrades
Et le jasmin épanouissait
Son étoile minuscule
Pour que son parfum, dans la nuit,
S’exhale jusqu’à ses limites…
Oui, lorsque c’était le printemps !

Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Près de la berge des rivières,
Les grands papillons de la lune
Fécondaient les corps
Des filles nues
Et les nards croissaient en silence
Dans nos coeurs
Jusqu’à nous obstruer la gorge…
Oui, lorsque c’était le printemps !

Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Les oliviers tremblaient
Ensommeillés sous le sang bleu du jour,
Tandis que le soleil roulait
Du pelage si luisant des taureaux
Vers la parcelle de jachère
Fraîche remuée par la langue brûlante de la houe.
Oui, lorsque c’était le printemps !
Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Les cerisiers en fleur
Se clouaient d’un seul coup contre la terre
Et les lèvres grandissaient,
Comme l’écume en quête avide d’une aurore,
jusqu’à laisser notre corps dans leur dos,
Pareil à l’eau modeste
D’un ruisseau à sa naissance.
Oui, lorsque c’était le printemps !

Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Tous les hommes se dépouillaient de leur mort
Et sûrs d’eus-mêmes, s’étendaient, ensemble, sur la terre,
Jusqu’à en oublier le temps
Et le si faible coeur par lequel ils brûlaient…
Oui, lorsque c’était le printemps !

Lorsque que c’était le printemps en Espagne :
Je cherchais dans le ciel,
Je cherchais
Les traces si anciennes
De mes premières larmes
Et toutes les étoiles soulevaient mon corps
Toujours allongé sur le même sable,
Comme elles soulevaient le parfum nocturne
Et si lent des magnolias…
Oui, lorsque c’était le printemps !

Mais, hélas ! Seulement
Lorsque c’était le printemps en Espagne.
Rien qu’en Espagne,
Avant, et lorsque c’était le printemps !

Traduction Claude Couffon. Le Romancero de la résistance espagnole. Dario Puccini. Tome II. Paris, Petite collection Maspero, 1967. Traduction reprise dans l’ Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade, NRF. Gallimard. 1995.

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/03/20/rincon-de-la-sangre-emilio-prados/

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2021/11/05/emilio-prados-1899-1962/

Torremolinos, Mirador de Sansueña. (CFA)

Antonio Machado

Antonio Machado (José Machado) 1931.

(Para Manuel … y Pablo)

II

¿Para qué llamar caminos
a los surcos del azar?…
Todo el que camina anda,
como Jesús, sobre el mar.

II

A quoi bon appeler chemins
les sillons du hasard ?…
Qui chemine marche toujours
comme Jésus sur la mer.

XXIX

Caminante, son tus huellas
el camino y nada más;
Caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Al andar se hace el camino,
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
Caminante no hay camino
sino estelas en la mar.

XXIX

Voyageur, le chemin
sont les traces de tes pas
c’est tout ; voyageur,
il n’y a pas de chemin,
le chemin se fait en marchant.
Le chemin se fait en marchant
et quand on tourne les yeux en arrière
on voit le sentier que jamais
on ne doit à nouveau fouler
Voyageur, il n’est pas de chemin
rien que des sillages sur la mer.

XLIV

Todo pasa y todo queda,
pero lo nuestro es pasar,
pasar haciendo caminos,
caminos sobre la mar.

XLIV

Tout passe et tout demeure,
mais notre affaire est de passer,
de passer en traçant des chemins
des chemins sur la mer.

Campos de Castilla. 1912. CXXXVI. Proverbios y cantares.

Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 1981. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.

Soria. Plaza del Vergel. Statue d’Antonio Machado près du lycée où il a enseigné le français de 1907 à 1912. (Ricardo González). 2010.

Paco Ibáñez

Paco Ibáñez.

Paco Ibáñez vient d ‘avoir 90 ans le 20 novembre dernier. Cela ne l’empêche pas de commencer bientôt une mini-tournée : Barcelone le 16 janvier ( Palau de la Música ), Madrid le 27 janvier ( Teatro Coliseum ), Bilbao le 15 février ( Teatro Campos Elíseos) ainsi qu’un recital à Paris dont la date et le lieu restent à préciser.

Voir l’article de Borja Hermoso dans El País du 10/01/2024. “Paco Ibáñez, el juglar rojo: “Ya no hay indignación, ya no hay opinión, todo es yo, el ‘yoismo’!”

La más bella niña (Luis de Góngora). 1580. ” Dejadme llorar/orillas del mar “

” La poesía es como el mar, pregúntale al mar qué piensa de la crisis económica, social, cultural o moral…El mar está ahí y si quieres acercarte te recibirá con los brazos abiertos, y la poesía es igual. Si tú te alejas de la poesía, ella seguirá viviendo y siempre estará esperando.” (Paco Ibáñez. El País, 16 novembre 2024)

Luis de Góngora (Diego Velázquez). 1622. Boston, Musée des Beaux-Arts.

Vicente Aleixandre

Prix Nobel de littérature 1977

Subida a la alcazaba

Subir por esa escala, callando, hacia arriba, hacia la luz.

Alcazaba mía malagueña!

Subir por la sombra, presintiendo arriba todavía el agua antigua de la fuente que fluye.

Subir con el corazón que ahora sufre, solo, creído.

Quién encontrara, niño que fui y que, acodado, veías

el vasto paisaje de Málaga, leve en las luces!

Quién supiera que arriba estabas, solo asomado!

La mejilla en la mano, sobre la piedra, el pecho en la piedra.

Y unos ojos serenos, todavía nacientes, puros, mirando.

Subir por esta escala muda, sin ruido en la sombra.

Subir apresurándose, casi como un sueño dichoso, con el corazón oprimido pero esperando.

Y saber que arriba está el niño que fuera, que fue, que dura y contempla.

Masa de tiempo dulce, sí, suspendido.

sobre una Málaga que volaba, blanda en las luces.

Y asomar y un instante verle, quieto, concreto,

con su rostro en su mano niña, y el aire, y oír el agua.

Y cerrar poco a poco los ojos – Málaga, quién te mira! –

y abrirlos luego despacio, leve – y otra vez el agua…-,

ahora niño claro que aquí acodado, puro, contempla.

(poème publié dans la revue de poésie de Málaga Caracola n•10. Août 1953.)

Málaga. Port. Alcazaba.

Federico García Lorca – Ángel González

Federico García Lorca. La Barraca.

De otro modo (Federico García Lorca)

La hoguera pone al campo de la tarde,

unas astas de ciervo enfurecido.

Todo el valle se tiende. Por sus lomos,

caracolea el vientecillo.

El aire cristaliza bajo el humo.

Ojo de gato triste y amarillo?

Yo en mis ojos, paseo por las ramas.

Las ramas se pasean por el río.

Llegan mis cosas esenciales.

Son estribillos de estribillos.

Entre los juncos y la baja tarde,

qué raro que me llame Federico!

Canciones, 1921-1924.

La traduction d’Andre Belamich ne me convainc pas du tout.

D’une autre façon

À la plaine du soir le feu de joie

met des ramures de cerf en furie.

Tout le vallon repose. Sur son dos

caracole un léger zéphyr.

L’air s’affine en cristal sous la fumée

comme un œil de chat jaune et triste.

Moi dans mes yeux je me promène

par le feuillage qui s’en va le long des rives.

Il atteint mille choses essentielles

– ritournelles de ritournelles-

Parmi l’arrière-soir peuplé de joncs

” Federico “, curieux que j’aie ce nom.

Àngel González se souvient de Federico…

De otro modo (Ángel González)

Cuando escribo mi nombre,

lo siento cada día más extraño.

Quién será ése?

me pregunto.

Y no sé qué pensar.

Ángel.

Qué raro.

Deixis en fantasma, 1992.

Angel Gonzalez.

César Vallejo

Balzac (Auguste Rodin). Variante de l’étude finale. 1897. Plâtre. Paris, Musée Rodin. (CFA. Photo prise au Musée Bourdelle à Paris. Exposition Rodin / Bourdelle. Corps à corps)

Nathalie de Courson a publié le 27 décembre 2024 sur son blog (Patte de mouette) un texte qu’elle a intitulé Robes de chambre. J’ai relu peu de temps après le poème de Vallejo Dos niños anhelantes.

https://patte-de-mouette.fr/2024/12/27/robes-de-chambre/

” Es la vida no más, de bata y yugo. ” Les traductions de François Maspero et de Gérard de Cortanze sont assez décevantes. La bata a disparu. Elle devient chemise et corsage. Je ne leur jette pas la pierre. César Vallejo est très difficile, sinon impossible à traduire. La meilleure version est, selon moi, celle de Nicole Réda-Euvremer. (Poésie complète 1919-1937. Flammarion, 2009). Je ne l’ai pas sous la main en ce moment et je ne sais pas ce qu’elle propose.

Dos niños anhelantes (César Vallejo)

No. No tienen tamaño sus tobillos; no es su espuela
suavísima, que da en las dos mejillas.
Es la vida no más, de bata y yugo.

No. No tiene plural su carcajada,
ni por haber salido de un molusco perpetuo, aglutinante,
ni por haber entrado al mar descalza,
es la que piensa y marcha, es la finita.
Es la vida no más; sólo la vida.

Lo sé, lo intuyo cartesiano, autómata,
moribundo, cordial, en fin, espléndido.
Nada hay
sobre la ceja cruel del esqueleto;
nada, entre lo que dio y tomó con guante
la paloma, y con guante,
la eminente lombriz aristotélica;
nada delante ni detrás del yugo;
nada de mar en el océano
y nada
en el orgullo grave de la célula.
Sólo la vida; así: cosa bravísima.

Plenitud inextensa,
alcance abstracto, venturoso, de hecho,
glacial y arrebatado, de la llama;
freno del fondo, rabo de la forma.
Pero aquello
para lo cual nací ventilándome
y crecí con afecto y drama propios,
mi trabajo rehúsalo,
mi sensación y mi arma lo involucran.
Es la vida y no más, fundada, escénica.

Y por este rumbo,
su serie de órganos extingue mi alma
y por este indecible, endemoniado cielo,
mi maquinaria da silbidos técnicos,
paso la tarde en la mañana triste
y me esfuerzo, palpito, tengo frío.

2 de noviembre de 1937.

Poemas humanos, 1939.

Ardents désirs de deux enfants

Non. Leurs chevilles n’ont pas d’épaisseur ; ce n’est pas leur éperon
très doux, qui frappe les deux joues.
C’est la vie, rien de plus, avec joug et chemise.

Non. Leur rire n’a pas de pluriel,
même sorti d’un perpétuel, agglutinant mollusque,
même entré dans la mer pieds nus,
C’est un rire qui pense et qui marche, un rire fini.
C’est la vie, rien de plus ; seulement la vie.

Cela je le sais, je le sens ; cartésien, automatique,
moribond, cordial, splendide enfin.
Il n’y a rien
sur le cil cruel du squelette,
rien entre ce qu’a donné et pris,
avec un gant, la colombe,
et un gant, encore,
l’éminent lombric aristotélicien ;
rien devant ni derrière le joug ;
rien, ni mer ni océan,
rien dans la fierté sévère de la cellule.
Seulement la vie, telle qu’elle est ; âpre et belle.

Plénitude bornée,
portée abstraite, bénéfique, en fait,
glaciale et impétueuse, de la flamme ;
mots du fond, queue de la forme.
Mais ce pour quoi
je suis né, emplissant mes poumons,
et j’ai grandi entouré de tendresse et de drame,
mon travail le refuse,
mes sens et mon arme le figent.
C’est la vie, rien de plus, solide, scénique.

Et sur ce chemin
mon âme éteint sa série d’organes
et sous ce ciel indicible possédé du démon,
ma machinerie lance des sifflements techniques,
je passe la soirée dans la matinée triste
et je me débats, je palpite, j’ai froid.

2 novembre 1937.

Poèmes humains. Éditions du Seuil, 2011. Traduction François Maspero.

Deux enfants haletants

Non. Ses chevilles n’ont pas d’épaisseur ; ce n’est pas son éperon
si doux, qui touche ses deux joues.
C’est la vie, c’est tout, avec joug et corsage.

Non. Son éclat de rire n’a plus de pluriel,
ni pour être sorti d’un mollusque perpétuel, agglutinant,
ni pour être entré dans la mer déchaussée,
elle est qui pense et qui marche, elle est finie.
Elle est la vie, c’est tout ; rien que la vie.

Je le devine, par intuition, cartésien, automate,
moribond, cordial, splendide enfin.
Il n’y a rien
sur le sourcil cruel du squelette ;
rien, entre ce que donna et prit avec un gant
la colombe, et avec un gant,
l’éminent lombric aristotélicien ;
rien devant ni derrière le joug ;
rien de la mer dans l’océan
et rien
dans l’orgueil grave de la cellule.
Rien que la vie ; ainsi : très dure.

Plénitude inétendue
portée abstraite, heureuse, en fait,
glaciale et emportée, de la flamme ;
frein du fond, queue de la forme.
Mais même cela
Pourquoi je suis né en me ventilant
et pourquoi je grandis avec mon affection et mon drame propres,
mon travail le refuse,
ma sensibilité et mon arme l’involucrent.
C’est la vie, c’est tout, fondée et théâtrale.

Et en suivant cette direction
mon âme éteint sa série d’organes
et en suivant cet indicible, ciel démoniaque,
ma machinerie lance des sifflements techniques,
j’ai vu l’après-midi dans le matin triste
et je m’évertue, je palpite, je grelotte.

2 novembre 1937.

Poésie complète. Traduction Gérard de Constanze. Flammarion, 1983.

Buste de César Vallejo Busto (Miguel Baca Rossi). Madrid. Parque del Oeste. Paseo del Pintor Rosales. (CFA)