Idea Vilariño 1920-2009

9 poèmes d’Idea Vilariño, traduits en français par Eric Sarner. Ultime anthologie. La Barque, 2017.

Adiós

Adiós.
Salgo como de un traje
estrecho y delicado
difícilmente
un pie
después despacio
el otro,
Salgo como de bajo
un derrumbe
arrastrándome
sorda al dolor
deshecha la piel
y sin ayuda.
Salgo penosamente
al fin
de ese pasado
de ese arduo aprendizaje
de esa agónica vida.

Adieu

Adieu.
Je sors comme d’un costume
étroit et délicat
difficilement
un pied
puis doucement
l’autre.
Je sors comme du dessous
d’un éboulement
en rampant
sourde à la douleur
la peau défaite
et sans personne.
Je sors avec peine
finalement
de ce passé
de ce pénible apprentissage
de cette vie déchirée.

Comparación

Como en la playa virgen
dobla el viento
el leve junco verde
que dibuja
un delicado círculo en la arena
así en mí
tu recuerdo.

Comparaison

Comme sur la plage vierge
le vent plie
le mince roseau vert
qui dessine
dans le sable un cercle délicat
ainsi en moi
le souvenir de toi.

Eso

Mi cansancio
mi angustia
mi alegría
mi pavor
mi humildad
mis noches todas
mi nostalgia del año
mil novecientos treinta
mi sentido común
mi rebeldía.
Mi desdén
mi crueldad y mi congoja
mi abandono
mi llanto
mi agonía
mi herencia irrenunciable y dolorosa
mi sufrimiento
en fin
mi pobre vida.

Voilà

Ma fatigue
mon angoisse
ma joie
ma frayeur
mon humilité
mes nuits toutes
ma nostalgie de l’année
mille neuf cent trente
mon bon sens
ma révolte.
Mon mépris
ma cruauté et ma peine
mon abandon
mes larmes
mon tourment
mon héritage inaliénable et douloureux
ma souffrance
enfin
ma pauvre vie.

La metamorfosis

Entonces soy los pinos
soy la arena caliente
soy una brisa suave
un pájaro liviano delirando en el aire
o soy la mar golpeando de noche
soy la noche.
Entonces no soy nadie.

La métamorphose

Donc je suis les pins
je suis le sable chaud
je suis une brise douce
un oiseau léger délirant dans l’air
ou bien je suis la mer qui cogne la nuit
je suis la nuit.
Donc je ne suis personne.

La noche

La noche no era el sueño
Era su boca
Era su hermoso cuerpo despojado
De sus gestos inútiles
Era su cara pálida mirándome en la sombra
La noche era su boca
Su fuerza y su pasión
Era sus ojos serios
Esas piedras de sombras cayéndose en mis ojos
Y era su amor en mí
Invadiendo tan lenta
Tan misteriosamente.

La nuit

La nuit ce n’était pas le rêve
c’était sa bouche
c’était son beau corps dépouillé
de ses gestes inutiles
c’était son visage pâle me regardant dans l’ombre.
La nuit c’était sa bouche
sa force et sa passion
c’était ses yeux graves
ces pierres d’ombre
qui roulaient dans mes yeux
c’était son amour en moi
une invasion si lente
si mystérieuse

La piel

Tu contacto
Tu piel
Suave fuerte tendida
Dando dicha
Apegada
Al amor a lo tibio
Pálida por la frente
Sobre los huesos fina
Triste en las sienes
Fuerte en las piernas
Blanda en las mejillas
Y vibrante
Caliente
Llena de fuegos
Viva
Con una vida ávida de traspasarse
Tierna
Rendidamente íntima
Así era tu piel
Lo que tomé
Que diste.

La peau

Ton toucher
Ta peau
douce forte tendue
donnant du bonheur
collée
à l’amour au tiède
pâle sur le front
fine sur les eaux
triste sur les tempes
forte dans les jambes
molle dans les joues
et vibrante
chaude
pleine de feux
vive
avec une vie avide de se transpercer
tendre
en soumission intime.
Ainsi était ta peau
ce que j’ai pris
c’est ce que tu as donné.

Puede ser

Puede ser que si vieras Hiroshima
digo Hiroshima mon amour
si vieras
si sufrieras dos horas como un perro
si vieras
cómo puede doler doler quemar
y retorcer como ese hierro el alma
desprender para siempre la alegría
como piel calcinada
y vieras que no obstante
es posible seguir vivir estar
sin que se noten llagas
quiero decir
entonces
puede ser que creyeras
puede ser que sufrieras
comprendieras.

Peut-être

Peut-être que si tu avais vu Hiroshima
je veux dire Hiroshima mon amour
si tu avais vu
si tu avais souffert deux heures comme un chien
si tu avais vu
comment peut souffrir souffrir brûler
et se tordre comme ce bout de fer l’âme
arracher pour toujours le bonheur
comme peau calcinée
et tu aurais vu que pourtant
on peut continuer à vivre à être
sans que les plaies se voient
je veux dire
voilà
peut-être tu aurais cru
peut-être tu aurais souffert
compris.

Sabés

Sabés
dijiste
nunca
nunca fui tan feliz como esta noche.
Nunca. Y me lo dijiste
en el mismo momento
en que yo decidía no decirte
sabés
seguramente me engaño
pero creo
pero ésta me parece
la noche más hermosa de mi vida.

Tu sais

Tu sais
tu as dit
jamais
jamais je n’ai été heureux comme cette nuit.
Jamais. Et tu me l’as dit
à l’instant même
où je décidais moi de ne pas te dire
tu sais
je me trompe sûrement
mais je crois
mais il me semble que c’est
la plus belle nuit de ma vie.

Uno siempre está solo

Uno siempre está solo
pero
a veces
está más solo.

On est toujours seul

On est toujours seul
mais
parfois
encore plus seul.

Antonio Muñoz Molina habla de Idea Vilariño (El País, 8 de marzo de 2008)

https://elpais.com/diario/2008/03/08/babelia/1204936757_850215.html

Idea Vilariño, Poesía completa. Editorial Lumen, Barcelona, 2007.

César Vallejo

Sculpture de César Vallejo réalisée par un artisan de Santiago de Chuco, village natal du poète.

Le 9 octobre 1937, César Vallejo écrit “Alfonso: estás mirándome, lo veo”, poème dédié à son ami Alfonso de Silva Santisteban, compositeur et pianiste de talent qui est mort à Lima le 7 mai 1937 à 34 ans. De 1925 à 1929, ce musicien vit à Paris et fréquente la bohème parisienne des années 20, mais aussi des écrivains péruviens comme César Moro (1903-1956), César Miró (1907-1999), César Vallejo (1892-1938) ou des musiciens comme Theodoro Valcarcel (1902-1942).

Alfonso de Silva dédie à César Miró son dernier poème en 1937: “Me perdono a mí mismo el haber sido solo un intento de Eternidad… Tú eres casi tan bueno como el intento mío de haber sido” (Revue Caretas, 19 décembre 2002).

Alfonso: estás mirándome, lo veo

Alfonso: estás mirándome, lo veo,
desde el plano implacable donde moran
lineales los siempres, lineales los jamases
(Esa noche, dormiste, entre tu sueño
y mi sueño, en la rue de Ribouté)
Palpablemente,
tu inolvidable cholo te oye andar
en París, te siente en el teléfono callar
y toca en el alambre a tu último acto
tomar peso, brindar
por la profundidad, por mí, por ti.

Yo todavía
compro «du vin, du lait, comptant les sous»
bajo mi abrigo, para que no me vea mi alma,
bajo mi abrigo, aquel, querido Alfonso,
y bajo el rayo simple de la sien compuesta;
yo todavía sufro, y tú, ya no, jamás, hermano!
(Me han dicho que en tus siglos de dolor,
amado sér,
amado estar,
hacías ceros de madera. ¿Es cierto?)

En la «boîte de nuit», donde tocabas tangos,
tocando tu indignada criatura su corazón,
escoltado de ti mismo, llorando
por ti mismo y por tu enorme parecido con tu sombra,
monsieur Fourgat, el patrón, ha envejecido.
¿Decírselo? ¿Contárselo? No más,
Alfonso; eso, ya nó!

El hôtel des Ecoles funciona siempre
y todavía compran mandarinas;
pero yo sufro, como te digo,
dulcemente, recordando
lo que hubimos sufrido ambos, a la muerte de ambos,
en la apertura de la doble tumba,
en esa otra tumba con tu sér,
y de ésta de caoba con tu estar,
sufro, bebiendo un vaso de ti, Silva,
un vaso para ponerse bien, como decíamos,
y después, ya veremos lo que pasa…

Es éste el otro brindis, entre tres,
taciturno, diverso
en vino, en mundo, en vidrio, al que brindábamos
más de una vez al cuerpo
y, menos de una vez, al pensamiento.
Hoy es más diferente todavía;
hoy sufro dulce, amargamente,
bebo tu sangre en cuanto a Cristo el duro,
como tu hueso en cuanto a Cristo el suave,
porque te quiero, dos a dos, Alfonso,
y casi lo podría decir, eternamente.

Poemas humanos, 1939.

Alfonso: tu me regardes, je le vois

Alfonso: tu me regardes, je le vois,
depuis le plan implacable où se tiennent
linéaires les toujours, linéaires les jamais.
(Cette nuit, tu as dormi, entre ton songe
et mon songe, rue Ribouté.)
Manifestement,
ton inoubliable métis t’écoute marcher
dans Paris, t’entend garder silence au téléphone
et touche sur le fil ton dernier acte,
devenir dense, porter un toast
à la profondeur, à toi, à moi.

Moi encore
j’achète «du vin, du lait, comptant les sous»
sous mon manteau, pour que mon âme ne me voie pas,
sous ce manteau, cher Alfonso,
et sous le rayon simple de la tempe parée;
moi je souffre encore, et toi, c’est fini, plus jamais, mon frère!
(On m’a dit qu’au cours de tes siècles de souffrance,
être aimé,
être là aimé,
tu faisais des zéros de bois. Est-ce vrai?)

Dans la «boîte de nuit», où tu jouais des tangos,
ta créature indignée faisant sonner son coeur,
escorté de toi-même, pleurant
à cause de toi et de ton énorme ressemblance avec ton ombre,
monsieur Fourgeat, le patron, a vieilli.
Le lui dire? Le lui conter? C’est tout,
Alfonso; cela, c’est fini!
L’hôtel des Écoles est toujours ouvert
et on achète encore des mandarines;
mais moi je souffre, comme je te dis,
doucement, à me rappeler
ce que nous avons souffert tous deux, à notre mort à tous deux,
à l’ouverture de la double tombe,
dans cet autre tombe avec ton être,
et dans celle d’acajou avec ton être-là;
je souffre, en buvant un verre de toi, Silva,
un verre histoire de se sentir bien, comme nous disions,
et après, on verra bien…

Des trois toasts, voici l’autre,
taciturne, différent
en vin, en monde, en verre, que nous portions
plus d’une fois au corps
et, moins d’une fois, à la pensée.
Aujourd’hui, c’est encore plus différent;
aujourd’hui je souffre doucement, amèrement,
je bois ton sang en référence au Christ le dur,
je mange ton os en référence au Christ le doux, Alfonso,
parce que je t’aime deux par deux, Alfonso,
et je pourrais presque le dire, éternellement.

9 octobre 1937

(Traduction: Nicole Réda-Euvremer)

Idea Vilariño – Alfredo Zitarrosa

Je relis les poèmes d’Idea Vilariño publiés dans Vuelo ciego (Colección Visor de Poesía) 2004.

Cette poétesse triste, désespérée a bien vécu 88 ans. Elle a été professeure, traductrice, poétesse, une intellectuelle du XX ème siècle en somme. Militante de gauche, ses textes ont été chantés par Los Olimareños (Los orientales et Ya me voy pa’ la guerrillas), Alfredo Zitarrosa (1936-1989) (La canción y el poema), Daniel Viglietti (1939-2017) (A una paloma).

Je me souviens de la fin des années 70, de l’arrivée de jeunes chiliens, argentins, uruguayens fuyant les dictatures sanglantes du Cône sud et trouvant refuge en Europe. Idea Vilariño, elle, ne pouvait plus enseigner dans son pays.

La canción y el poema (o La canción) (Idea Vilariño-Alfredo Zitarrosa)

Hoy que el tiempo ya pasó,
hoy que ya pasó la vida,
hoy que me río si pienso,
hoy que olvidé aquellos días,
no sé por qué me despierto
algunas noches vacías
oyendo una voz que canta
y que, tal vez, es la mía.

Quisiera morir –ahora– de amor,
para que supieras
cómo y cuánto te quería,
quisiera morir, quisiera… de amor,
para que supieras…

Algunas noches de paz,
–si es que las hay todavía–
pasando como sin mí
por esas calles vacías,
entre la sombra acechante
y un triste olor de glicinas,
escucho una voz que canta
y que, tal vez, es la mía.

Quisiera morir –ahora– de amor,
para que supieras
cómo y cuánto te quería;
quisiera morir, quisiera… de amor,
para que supieras…

1972.

https://www.youtube.com/watch?v=zGDpyWovAmA

Alfredo Zitarrosa, 1994.

Idea Vilariño 1920 – 2009

Idea Vilariño. 1954.

Ya no

Ya no será
ya no
no viviré contigo
no criaré a tu hijo
no coseré tu ropa
no te tendré de noche
no te besaré al irme
nunca sabrás quién fui
por qué me amaron otros.
No llegaré a saber
por qué ni cómo nunca
ni si era de verdad
lo que dijiste que era
ni quién fuiste
ni qué fui para ti
ni cómo hubiera sido
vivir juntos
querernos
esperarnos
estar.
Ya no soy más que yo
para siempre y tú
ya
no serás para mí
más que tú. Ya no estás
en un día futuro
no sabré dónde vives
con quién
ni si te acuerdas.
No me abrazarás nunca
como esa noche
nunca.
No volveré a tocarte.
No te veré morir.

Poemas de amor, 1957.

Idea Vilariño est une poétesse uruguayenne, née à Montevideo (Uruguay) le 18 août 1920. Elle est éduquée dans une famille de classe moyenne. La musique et la littérature y étaient très présentes. Son père, Leandro Vilariño (1892-1944), était un poète anarchiste. Comme ses frères Azul et Numen et ses soeurs Alma et Poema, elle étudie la musique et pratique le piano et le violon. Sa mère, Josefina Romani, était une grande lectrice de littérature européenne. À 16 ans, une maladie la sépare de sa famille et la rend plus sensible et fragile.

Très jeune, elle commence à écrire et publie sa première œuvre, La Suplicante en 1945. Elle enseigne la littérature dans l’enseignement secondaire de 1952 au Coup d’État de 1973. En 1985, elle reprend l’enseignement à la Faculté des Sciences humaines et de l’éducation.

Dans son pays, elle appartient à la Génération de 45 (ou Génération critique) avec Juan Carlos Onetti, Mario Benedetti, Sarandy Cabrera, Carlos Martínez Moreno, Ángel Rama, Carlos Real de Azúa, Carlos Maggi, Alfredo Gravina notamment. Elle écrit dans des revues littéraires comme Clinamen, Número, Marcha, La Opinión, Brecha, Asir et Texto Crítico.

Plusieurs de ses livres parlent de son intense amour pour Juan Carlos Onetti qu’elle rencontre en 1950 dans un café du centre de Montevideo lors d’une réunion des écrivains qui participaient à la revue Número. Leur relation est longue et tumultueuse. Onetti dédie Los adioses en 1954 “A Idea Vilariño”. En 1957, Idea Vilariño fait de même avec Poemas de amor qui évoque l’indécision d’Onetti et leur séparation. Le romancier se marie alors avec sa quatrième épouse, la violoniste Dorothea Muhr. Leur correspondance ne cesse qu’avec le décès de Juan Carlos Onetti à Madrid le 30 mai 1994.
Idea Vilariño, elle, meurt à Montevideo le 28 avril 2009 à 88 ans.

Poésie

  • La suplicante (1945)
  • Cielo, Cielo (1947)
  • Paraíso perdido (1949)
  • Por aire sucio (1950)
  • Nocturnos (1955)
  • Poemas de amor (1957)
  • Pobre Mundo (1966)
  • Poesía (1970)
  • No (1980)
  • Canciones (1993)
  • Poesía 1945 – 1990 (1994)
  • Poesía completa (2002). Barcelone, Éd. Lumen, 2008. https://www.youtube.com/watch?v=x8zvOFERF4w

Ginger Baker

Cream: Ginger Baker, Jack Bruce et Eric Clapton.

Ginger Baker, le batteur du groupe de rock britannique Cream vient de mourir à North Hollywood (Californie) le 6 octobre 2019 à l’âge de 80 ans. RIP.

Cream était un groupe composé du guitariste Eric Clapton (1945-), du bassiste chanteur Jack Bruce (1943-2014) et du batteur Ginger Baker ( 1939-2019). Actif de 1966 à novembre 1968, c’était un des premiers supergroupes de l’histoire du rock. Il représentait l’énergie de toute une époque. Nous l’écoutions religieusement en 1968, 1969, 1970. Nous étions jeunes.

À la demande d’Eric Clapton, Cream avait organisé quatre concerts les 2, 3, 5, et 6 mai 2005 au Royal Albert Hall de Londres. Le concert d’adieu du groupe, avant sa dissolution, avait été donné le 26 novembre 1968 au même endroit.

Toad. 1966. Album: Fresh Cream.

https://www.youtube.com/watch?v=4Gze0PxDKgQ

Fresh Cream, 1966.

Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud (Manuel Luque de Soria dit « Luque »). Revue Les Hommes d’aujourd’hui, janvier 1888.

(Gracias a David Rey Fernández)

Paul Verlaine publie ce sonnet, dans le numéro du 5 au 12 octobre 1883 de la revue Lutèce.

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombres; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges;
– O l’Oméga, rayon violet de Ses yeux!

Poésies.

Manuscrit autographe du poème Voyelles. 1871-72. Charleville-Mézières, Musée Rimbaud.

Juan Carlos Onetti

Juan Carlos Onetti.

Decálogo más uno, para escritores principiantes:

  • No busquen ser originales. El ser distinto es inevitable cuando uno no se preocupa de serlo.
  • No intenten deslumbrar al burgués. Ya no resulta. Éste sólo se asusta cuando le amenazan el bolsillo.
  • No traten de complicar al lector, ni buscar ni reclamar su ayuda.
  • No escriban jamás pensando en la crítica, en los amigos o parientes, en la dulce novia o esposa. Ni siquiera en el lector hipotético.
  • No sacrifiquen la sinceridad literaria a nada. Ni a la política ni al triunfo. Escriban siempre para ese otro, silencioso e implacable, que llevamos dentro y no es posible engañar.
  • No sigan modas, abjuren del maestro sagrado antes del tercer canto del gallo.
  • No se limiten a leer los libros ya consagrados. Proust y Joyce fueron despreciados cuando asomaron la nariz, hoy son genios.
  • No olviden la frase, justamente famosa: dos más dos son cuatro; pero ¿y si fueran cinco?
  • No desdeñen temas con extraña narrativa, cualquiera sea su origen. Roben si es necesario.
  • Mientan siempre.
  • No olviden que Hemingway escribió: «Incluso di lecturas de los trozos ya listos de mi novela, que viene a ser lo más bajo en que un escritor puede caer.»

Juan Carlos Onetti, Prix Cervantès 1980, parlait ainsi de Juan Rulfo: «Yo quiero mucho a Juan Rulfo. Nos apreciamos mucho mutuamente. Pues, cuando me encuentro con él, nos decimos: «¿Qué tal estás tú, Juan?» y él me dice, «¿Qué tal estás tú, Juan?», y él se sienta con su coca-cola y yo con mi whisky, y nos pasamos horas sin decirnos nada.

Oeuvres:
1939 El pozo. Le Puits. Traduction de Louis Jolicœur, Paris, Christian Bourgois, 1985.

1941 Tierra de nadie. Terre de personne. Traduction de Denise Laboutis, Paris, Christian Bourgois, 1989.

1943 Para esta noche. Une nuit de chien. Traduction de Louis Jolicœur, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1987; réédition, Paris, Christian Bourgois éditeur,«Titres» n°151, 2012.

1950 La vida breve. La Vie brève. Traduction de Alice Gascar, Paris, Stock, 1971; nouvelle édition, Traduction de Claude Couffon et Alice Gascar, Paris, Gallimard, 1987.

1954 Los adioses. Les Adieux. Traduction de Louis Jolicœur, Paris, Christian Bourgois, 1985.

1959 Para una tumba sin nombre (1959). Publié en français, en un seul volume avec le recueil de nouvelles Tan triste como ella y otros cuentos sous le titre Les Bas-Fonds du rêve, Traduction de Laure Guille-Bataillon, Abel Gerschenfeld et Claude Couffon, Paris, Gallimard, 1981; réédition, Paris, Gallimard,«L’Imaginaire» n°630, 2012.

1960 El astillero. Le Chantier. Traduction de Laure Guille-Bataillon, Paris, Stock, 1967; nouvelle édition revue et corrigée, Paris, Gallimard, 1984; réédition, Paris, Gallimard,«L’Imaginaire» n°615, 2011.

1962 El infierno tan temido y otros cuentos.

1964 Juntacadáveres. Ramasse-Vioques.Traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1986.

1968 La novia robada y otros cuentos. La Fiancée volée. Traduction d’ Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1987.

1979 Dejemos hablar al viento. Laissons parler le vent. Traduction de Claude Couffon, Paris, Gallimard, 1997.

1986 Presencia y otros relatos. Demain sera un autre jour. Traduction d’André Gabastou, Paris, Le Serpent à Plumes, 1994; nouvelle version augmentée, Paris, Le Serpent à Plumes,«Motifs» n° 142, 2002.

1987 Cuando entonces. C’est alors que. Traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1989.

1993 Cuando ya no importe. Quand plus rien n’aura d’importance. Traduction d’André Gabastou, Paris, Christian Bourgois, 1994; réédition, Paris, Christian Bourgois éditeur, «Titres» n°152, 2012.

Mario Vargas Llosa: «Ce qu’il y a dans le monde d’Onetti d’amertume et de pessimisme, de frustration et de souffrance, change de signe quand, séduits par la subtilité et l’astuce de sa prose, nous entrons dans son monde, le vivons en jouissant de ce qui s’y passe tout en souffrant en même temps et en nous déchirant au spectacle des misères humaines qu’il exhibe. C’est le mystère de l’œuvre littéraire et artistique réussie : délecter par la souffrance, séduire et enchanter tout en nous immergeant dans le mal et l’horreur. Mais cette métamorphose paradoxale est le privilège des authentiques créateurs dont les œuvres réussissent à transcender le temps et les circonstances de leur naissance. Onetti était l’un d’eux.»

 
 

Georg Christoph Lichtenberg 1742 – 1799

Georg Christoph Lichtenberg. Statue à Göttingen.

Le miroir de âme. Traduit de l’allemand par Charles Leblanc. 2012. Editions José Corti.

«Un couteau sans lame, auquel manque le manche.»

«Potence avec paratonnerre.»

«Le rêve est une vie»

«Efforce-toi de ne pas être de ton temps.»

«L’homme aime la société, quand même ce ne serait que celle d’une chandelle allumée.»

«Il avait donné des noms à ses deux pantoufles.»

«Cet homme avait tant d’intelligence qu’il n’était presque plus bon à rien dans le monde.»

«Si vous faites peindre une cible sur la porte de votre jardin, vous pouvez être certain que l’on tirera dessus.»

«Que l’homme soit la plus noble des créatures, voilà qui se laisse aussi prouver par le fait qu’aucune autre ne lui a contesté cette affirmation.»

«Parmi les plus grandes découvertes qu’ait faites la raison humaine ces derniers temps il y a, selon moi, l’art de juger les livres sans les avoir lus.»

«Un livre est comme un miroir; si un singe s’y mire, d’évidence il n’y verra point un apôtre. Nous n’avons nulle parole pour parler de sagesse à l’abruti. Il est déjà sage celui qui comprend cela.»

«La plus divertissante des surfaces de cette terre est, pour nous, le visage humain»

«Si un livre et une tête se heurtent et que cela sonne creux, le son provient-il toujours du livre?»

«Le chien est l’animal le plus vigilant, pourtant il dort toute la journée!»

«L’homme vivrait heureux s’il s’occupait aussi peu des affaires d’autrui que des siennes!»

«Il y a vraiment bien des hommes qui ne lisent que pour ne point penser.»

«Les sabliers ne nous rappellent point seulement le rapide cours du temps, mais à la fois la poussière où nous tomberons un jour.»

Présentation de l’auteur sur le site des Editions Corti.

«Né en 1742, passa, depuis l’âge de 21 ans, toute sa vie à l’université de Göttingen, d’abord comme étudiant, puis comme professeur de sciences mathématiques et physiques, chargé plus spécialement de la physique expérimentale.

Il fit deux voyages en Angleterre qui l’influencèrent durablement. Il mourut en 1799. Esprit éclairé, novateur dans le domaine de l’électricité, Lichtenberg ne doit pas sa renommée posthume aux “figures” qui, en physique, portent son nom, mais à ses carnets intimes, dans lesquels il jetait, pêle-mêle, ses idées et ses observations sans intention de les publier jamais : “Éveiller la méfiance envers les oracles : tel est mon but”.

Ce bossu magnifique, dont le corps était ainsi conformé que même un piètre artiste, dans la noirceur, l’aurait mieux dessiné, vit si clairement dans son âme que l’on peut se servir de ses maximes comme d’autant de lanternes magiques pour mieux lire en soi-même.

Esprit anticlérical, il croyait que l’homme recherche la liberté là où elle le rendrait malheureux et qu’il la répudie là où elle ferait sa félicité, en adhérant aveuglément aux opinions d’autrui. Pour lui, le despotisme religieux et de système était le plus effroyable de tous.

Universitaire ironisant contre l’université — “aujourd’hui, disait-il, on cherche partout à répandre le savoir, qui sait si dans quelques siècles, il n’y aura pas des universités pour rétablir l’ancienne ignorance?”, il savait que l’académie réduit l’intellect à écrire des livres sur d’autres livres. D’un collègue, il nota: “Il était encore pendu à l’université du lieu comme un lustre magnifique qui, cependant, n’aurait plus donné de lumière depuis vingt ans”. Mais avant tout, Lichtenberg, admiré de Goethe, de Kant, de Kierkegaard, de Nietzsche, de Tolstoï, fut un humaniste, l’un de ces hommes qui savent qu’une pièce de trois sous vaut et vaudra toujours mieux qu’une larme.»

Fernando Pessoa

Fernando Pessoa.

Livro do Desassossego por Bernardo Soares, 1982.
«Aquilo que, creio, produz em mim o sentimento profundo, em que vivo, de incongruência com os outros, e que a maioria pensa com a sensibilidade, e eu sinto com o pensamento.
Para o homem vulgar, sentir é viver e pensar é saber viver. Para mim, pensar é viver e sentir não é mais que o alimento de pensar.
É curioso que, sendo escassa a minha capacidade de entusiasmo, ela é naturalmente mais solicitada pelos que se me opõem em temperamento do que pelos que são da minha espécie espiritual. A ninguém admiro, na literatura, mais que aos clássicos, que são a quem menos me assemelho. A ter que escolher, para leitura única, entre Chateaubriand e Vieira, escolheria Vieira sem necessidade de meditar.
Quanto mais diferente de mim alguém é, mais real me parece, porque menos depende da minha subjectividade. E é por isso que o meu estudo atento e constante é essa mesma humanidade vulgar que repugno e de quem disto. Amo-a porque a odeio. Gosto de vê-la porque detesto senti-la. A paisagem, tão admirável como quadro, é em geral incómoda como leito.»
13-4-1930

Le livre de l’intranquillité de Bernardo Soares. Première partie. L’indifférent. 73. Traduction de Françoise Laye. Christian Bourgois éditeur. 1988.
« Ce qui produit en moi, me semble-t-il, ce sentiment profond dans lequel je vis, de discordance avec les autres, c’est que la plupart des gens pensent avec leur sensibilité, et que moi je sens avec ma pensée.
Pour l’homme ordinaire, sentir c’est vivre, et penser, c’est savoir vivre. Pour moi, c’est penser qui est vivre, et sentir n’est rien d’autre que l’aliment de la pensée.
Il est curieux de constater que, ma capacité d’enthousiasme étant assez limitée, elle est, spontanément, plus sollicitée par ceux qui sont de tempérament opposé au mien, que par ceux qui appartiennent à mon espèce spirituelle. Je n’admire personne en littérature, davantage que les classiques, qui sont certes ceux à qui je ressemble le moins. Si j’avais à choisir, pour unique lecture, entre Vieira et Chateaubriand, c’est Vieira que je choisirais sans avoir à réfléchir longuement.
Plus un homme est différent de moi, plus il me paraît réel, précisément parce qu’il dépend moins de ma subjectivité. Et c’est pourquoi mon étude attentive, constante, porte sur cette même humanité banale qui me répugne et dont je me sens si éloigné. Je l’aime parce que je la hais. J’aime à la voir parce que je déteste la sentir. Les paysages, si admirables en tant que tableaux, font en général des lits détestables.»

Libro del desasosiego.
“ Aquello que creo produce en mí el sentimiento profundo, en el que vivo, de incongruencia con los otros, es que la mayoría piensa con la sensibilidad y yo siento con el pensamiento.
Para el hombre vulgar, sentir es vivir y pensar es saber vivir. Para mí, pensar es vivir y sentir no es más que el alimento del pensar.
Es de notar que siendo escasa en mí la capacidad de entusiasmo, ésta es más solicitada por quienes se me oponen en temperamento que por los que son de mi misma especie espiritual. A nadie admiro más en literatura que a los clásicos, que son a quienes menos me parezco. Si tuviera que escoger, entre Chateaubriand o Vieira, escogería a Vieira sin pensarlo dos veces.
Cuanto más diferente es alguien de mí, más real me parece, porque depende menos de mi subjetividad. De ello se deriva que mi estudio constante y atento sea esa humanidad habitual que me repugna y de la que me alejo. La amo porque la odio. Me gusta verla porque detesto sentirla. El paisaje, tan admirable como cuadro, no puede ser más incómodo como lecho.»

La malle de l’écrivain devant sa bibliothèque anglaise.

Juan Rulfo 1917 – 1986

Autoportait de Juan Rulfo. Tepoztlán (Morelos). Mai 1955

Je viens de terminer la lecture de Juan Rulfo. Biografía no autorizada (Ediciones Fórcola, 2017) de Reina Roffé. C’est une biographie bien documentée. On comprend mieux la personnalité de cet auteur mexicain et pourquoi il a cessé quasiment de publier après la publication de Pedro Páramo en 1954. Néanmoins, on peut s’étonner du fait que l’auteure ne fasse preuve d’aucune empathie envers l’écrivain.

Juan Rulfo est né le 16 mai 1917 à Apulco, dans l’état de Jalisco.
Son père Juan Nepomuceno Pérez Rulfo est assassiné en juin 1923. Sa mère meurt fin 1927. Il se retrouve orphelin à 10 ans. Sa grand-mère maternelle s’occupe de lui, de ses frères Severiano et Francisco et de sa sœur Eva. Il épouse Clara Aparicio Reyes le 24 avril 1948. Ils auront une fille et trois fils. Il publiera essentiellement un livre de nouvelles El Llano en llamas en 1953 et Pedro Páramo en 1954. il meurt le 7 janvier 1986 à México.

Il s’agit d’un auteur essentiel pour comprendre l’évolution de la littérature hispano-américaine au XX ème siècle. Álvaro Mutis recommanda la lecture de Pedro Páramo à son ami Gabriel García Márquez qui se trouvait dans une période créatrice difficile: «En eso estaba cuando Álvaro Mutis subió a grandes zancadas los siete pisos de mi casa con un paquete de libros, separó del montón el más pequeño y corto, y me dijo muerto de risa: «¡Lea esa vaina, carajo, para que aprenda!» Era Pedro Páramo.» (Breves nostalgias sobre Juan Rulfo en Juan Rulfo. Toda la obra. Archivos, CSIC, Madrid, 1992.)

Pedro Páramo.

“ Vine a Comala porque me dijeron que acá vivía mi padre, un tal Pedro Páramo. Mi madre me lo dijo. Y yo le prometí que vendría a verlo en cuanto ella muriera. Le apreté sus manos en señal de que lo haría; pues ella estaba por morirse y yo en plan de prometerlo todo. «No dejes de ir a visitarlo -me recomendó-. Se llama de otro modo y de este otro. Estoy segura de que le dará gusto conocerte.» Entonces no pude hacer otra cosa sino decirle que así lo haría, y de tanto decírselo se lo seguí diciendo aun después que a mis manos les costó trabajo zafarse de sus manos muertas.
Todavía antes me había dicho: – No vayas a pedirle nada. Exígele lo nuestro. Lo que estuvo obligado a darme y nunca me dio… El olvido en que nos tuvo, mi hijo, cóbraselo caro. – Así lo haré, madre.
Pero no pensé cumplir mi promesa. Hasta que ahora pronto comencé a llenarme de sueños, a darle vuelo a las ilusiones. Y de este modo se me fue formando un mundo alrededor de la esperanza que era aquel señor llamado Pedro Páramo, el marido de mi madre. Por eso vine a Comala.»

«Je suis venu à Comala parce que j’ai appris que mon père, un certain Pedro Paramo, y vivait. C’est ma mère qui me l’a dit. Et je lui ai promis d’aller le voir quand elle serait morte. J’ai pressé ses mains pour lui assurer que je le ferais; elle se mourait et j’étais prêt à lui promettre n’importe quoi. «Ne manque pas d’aller le trouver, m’a-t-elle recommandé. Il porte tel prénom et tel nom. Je suis sûre qu’il sera content de te connaître.» Dans ces conditions, il a bien fallu lui dire que je n’y manquerais pas, et, à force de le lui répéter, j’y étais encore après avoir, non sans peine, détaché mes mains de ses mains mortes.
Auparavant, elle m’avait encore dit: «Surtout, ne lui réclame rien. N’exige que notre dû. Ce qu’il me devait et ne m’a jamais donné… L’oubli dans lequel il nous a laissés, fais-le-lui payer cher, mon enfant. – Je le ferai, maman.»
Mais je ne comptais pas tenir ma promesse. Du moins jusqu’à ces derniers temps, quand j’ai commencé à me remplir de rêves, à laisser les illusions grandir. C’est ainsi que je me suis bâti tout un monde autour de l’espoir qu’était pour moi ce monsieur appelé Pedro Paramo, le mari de ma mère. Voilà pourquoi je suis venu à Comala.»

Gallimard, Première parution en 1959 Traduction de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli. Nouvelle traduction en 2005.


Présentation de ce roman sur le site des éditions Gallimard:
«On l’a lu d’abord comme un roman «rural» et «paysan», voire comme un exemple de la meilleure littérature «indigéniste». Dans les années soixante et soixante-dix, il est devenu un grand roman «mexicain», puis «latino-américain». Aujourd’hui, on dit que Pedro Páramo est, tout simplement, l’une des plus grandes œuvres du XXe siècle, un classique contemporain que la critique compare souvent au Château de Kafka et au Bruit et la fureur de Faulkner.

Et pour cause : personne ne sort indemne de la lecture de Pedro Páramo. Tout comme Kafka et Faulkner, Rulfo a su mettre en scène une histoire fascinante, sans âge et d’une beauté rare : la quête du père qui mène Juan Preciado à Comala et à la rencontre de son destin, un voyage vertigineux raconté par un chœur de personnages insolites qui nous donnent à entendre la voix profonde du Mexique, au-delà des frontières entre la mémoire et l’oubli, le passé et le présent, les morts et les vivants.»

Dernier détail: Rulfo admirait beaucoup les écrivains nordiques et particulièrement l’islandais Halldór Laxness, Prix Nobel de littérature 1955. Un lien curieux entre mes deux derniers grands voyages: le Mexique et l’Islande.