La nièce de Federico García Lorca, Vicenta Fernández-Montesinos García-Lorca (Tica) vient de mourir le 12 septembre 2023 dans une résidence pour personnes âgées d’Aravaca (Madrid). Elle était née le 9 décembre 1930.
Son père, Manuel Fernández-Montesinos (1901-1936), médecin, fut le maire socialiste de Grenade à partir du 1 juillet 1936. Sa mère, Concha García Lorca (1903-1962) était la soeur du poète. Le couple eut trois enfants : Vicenta (1930-2023), Manuel (1932-2013) et Concha (1936-2015). Cette dernière n’a connu ni son père ni son oncle.
Manuel Fernández-Montesinos fut fusillé le 16 août 1936 contre les murs du cimetière de la ville et enterré là. Son oncle, Federico fut assassiné à Víznar à l’aube du 18 août 1936. Son corps n’a jamais été retrouvé.
Tica Fernández-Montesinos avait 5 ans à la mort de son père et son oncle. C’était la dernière personne vivante qui ait connu le grand poète andalou. Elle se souvenait de son rire, de sa voix, de ses gestes.
« Mi tío me sentaba en sus rodillas y me cantaba, me recitaba, se reía con la o y me estiraba de las trenzas. » «De la voz de Tío Federico recuerdo las “eses”: tenían una forma parecida a como la dicen en Granada y Málaga». Malgré les efforts de nombreux chercheurs, on n’ a retrouvé aucun enregistrement de la voix du poète.
La nièce de Federico s’appelait Vicenta Pilar Concepción. Le poète était son parrain et avait choisi de lui donner le prénom de sa propre mère, Vicenta Lorca Romero (1870-1959).
Tica avait grandi dans la résidence d’été de la famille García Lorca, la Huerta de SanVicente, achetée en 1925, un vrai paradis pour les enfants. Toute la famille s’exila à New York en 1940.
C’était une femme intelligente, cultivée, féministe et antifranquiste.
Elle a publié deux livres de souvenirs : Notas deshilvanadas de una niña que perdió la guerra (Editorial Comares, Granada 2007) et El sonido del agua en las acequias (La familia de Federico García Lorca en América) (Dauro Ediciones, 2017). Ils évoquent sa vie à Grenade enfant, puis à New York, en exil.
L’historien anglais Paul Preston estime que 5000 personnes furent exécutées pendant la Guerre Civile à Grenade. (El holocausto español: odio y exterminio en la guerra civil y después. Debate, 2011. Traduction française : Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945, Belin, 2016).
Paris commémore le 50 ème anniversaire du coup d’État au Chili. Exposition « 11 septembre 1973 : coup d’État contre la démocratie » sur le parvis de l’Hôtel de Ville, en partenariat avec le Musée de la mémoire de Santiago, du 8 septembre au 8 octobre.
Quelques minutes avant la prise de la Moneda, Allende s’adresse à la nation chilienne sur les ondes de Radio Magellanes. C’est un discours d’adieu. Le président a refusé de fuir le pays, comme le lui proposait les putschistes.
“Esta será seguramente la última oportunidad en que me pueda dirigir a ustedes. La Fuerza Aérea ha bombardeado las torres de Radio Portales y Radio Corporación.
Mis palabras no tienen amargura, sino decepción, y serán ellas el castigo moral para los que han traicionado el juramento que hicieron… soldados de Chile, comandantes en jefe titulares, el almirante Merino que se ha autodesignado, más el señor Mendoza, general rastrero… que sólo ayer manifestara su fidelidad y lealtad al gobierno, también se ha nominado director general de Carabineros.
Ante estos hechos, sólo me cabe decirle a los trabajadores: ¡Yo no voy a renunciar! Colocado en un tránsito histórico, pagaré con mi vida la lealtad del pueblo. Y les digo que tengo la certeza de que la semilla que entregáramos a la conciencia digna de miles y miles de chilenos, no podrá ser segada definitivamente.
Tienen la fuerza, podrán avasallarnos, pero no se detienen los procesos sociales ni con el crimen… ni con la fuerza. La historia es nuestra y la hacen los pueblos.
Trabajadores de mi patria: Quiero agradecerles la lealtad que siempre tuvieron, la confianza que depositaron en un hombre que sólo fue intérprete de grandes anhelos de justicia, que empeñó su palabra en que respetaría la Constitución y la ley y así lo hizo. En este momento definitivo, el último en que yo pueda dirigirme a ustedes,. quiero que aprovechen la lección. El capital foráneo, el imperialismo, unido a la reacción, creó el clima para que las Fuerzas Armadas rompieran su tradición, la que les enseñara Schneider y que reafirmara el comandante Araya, víctimas del mismo sector social que hoy estará en sus casas, esperando con mano ajena reconquistar el poder para seguir defendiendo sus granjerías y sus privilegios.
Me dirijo, sobre todo, a la modesta mujer de nuestra tierra, a la campesina que creyó en nosotros; a la obrera que trabajó más, a la madre que supo de nuestra preocupación por los niños. Me dirijo a los profesionales de la patria, a los profesionales patriotas, a los que hace días estuvieron trabajando contra la sedición auspiciada por los Colegios profesionales, colegios de clase para defender también las ventajas que una sociedad capitalista da a unos pocos. Me dirijo a la juventud, a aquellos que cantaron, entregaron su alegría y su espíritu de lucha. Me dirijo al hombre de Chile, al obrero, al campesino, al intelectual, a aquellos que serán perseguidos… porque en nuestro país el fascismo ya estuvo hace muchas horas presente en los atentados terroristas, volando los puentes, cortando la línea férrea, destruyendo los oleoductos y los gaseoductos, frente al silencio de los que tenían la obligación de proceder: estaban comprometidos. La historia los juzgará.
Seguramente Radio Magallanes será callada y el metal tranquilo de mi voz no llegará a ustedes. No importa, lo seguirán oyendo. Siempre estaré junto a ustedes. Por lo menos, mi recuerdo será el de un hombre digno que fue leal a la lealtad de los trabajadores.
El pueblo debe defenderse, pero no sacrificarse. El pueblo no debe dejarse arrasar ni acribillar, pero tampoco puede humillarse.
Trabajadores de mi patria: tengo fe en Chile y su destino. Superarán otros hombres este momento gris y amargo, donde la traición pretende imponerse. Sigan ustedes sabiendo que, mucho más temprano que tarde, de nuevo abrirán las grandes alamedas por donde pase el hombre libre para construir una sociedad mejor.
¡Viva Chile! ¡Viva el pueblo! ¡Vivan los trabajadores! Éstas son mis últimas palabras y tengo la certeza de que mi sacrificio no será en vano. Tengo la certeza de que, por lo menos, habrá una lección moral que castigará la felonía, la cobardía y la traición”.
« Cela sera certainement la dernière occasion que j’ai de vous parler. Les forces aériennes ont bombardé les tours de Radio Portales et de Radio Corporación. Il n’y a pas d’amertume dans mes paroles mais de la déception et elles seront la punition morale pour ceux qui ont trahi le serment qu’ils ont prêté : soldats du Chili, Commandants en chef titulaires, l’Amiral Merino qui s’est autodésigné , et le général Mendoza, général rampant qui hier encore avait manifesté sa fidélité et sa loyauté au gouvernement, et qui lui aussi s’est nommé directeur Général des Carabiniers. Face à ces faits, voici ce que je veux dire aux travailleurs : je ne renoncerai pas! Engagé dans un dramatique moment historique, je paierai de ma vie la loyauté au Peuple. Je vous dis que j’ai la certitude que la semence que nous avons enfouie dans la conscience digne de milliers et de milliers de chiliens ne pourra pas être arrachée définitivement . Ils ont la force, ils pourront nous asservir, mais on n’arrête pas les avancées sociales, ni par le crime, ni par la force. L’Histoire est à nous et ce sont les peuples qui la font. Travailleurs de ma patrie, je vous suis reconnaissant pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, pour la confiance que vous avez accordée à un homme qui ne fut que l’interprète de grandes aspirations à la justice, qui s’engagea à respecter la constitution et la loi, et qui le fit. En ce moment crucial, le dernier où je peux m’adresser à vous… je veux que que vous reteniez cette leçon. Le capital étranger, l’impérialisme, uni à la réaction, ont créé le climat pour que les forces armées rompent leur tradition, celle que leur a enseigné Schneider et qu’a réaffirmé le commandant Araya, tous deux victimes du même secteur social qui aujourd’hui attend à la maison et qui s’apprête à réconquérir le pouvoir avec l’aide étrangère, afin de continuer à protéger ses propriétés et ses privilèges. Je m’adresse, avant tout, à la femme modeste de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous ; à l’ouvrière qui a travaillé dur et à la mère qui a su combien nous nous sommes engagés pour les enfants. Je m’adresse aux personnels fonctionnaires de la Patrie, aux personnels patriotes, à ceux qui depuis des jours ont continué à travailler contre la sédition patronnée par les collèges professionnels, collèges de classe prêts à défendre les avantages qu’une société capitaliste offre à quelques-uns. Je m’adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur esprit de lutte. Je m’adresse à l’homme du Chili, à l’ouvrier, au paysan, à l’intellectuel, à tous ceux qui seront persécutés… Parce que dans notre pays, le fascisme est présent depuis un moment déjà, impliqué dans les attentats terroristes, faisant sauter des ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et les gazoducs. Et face à cela, le silence de ceux qui avaient l’obligation d’intervenir : ils étaient complices. L’Histoire les jugera. Ils vont sûrement faire taire radio Magallanes et dans les ondes, le son de ma voix pausée ne vous parviendra plus. Peu importe, vous continuerez à l’entendre. Je serai toujours près de vous. Vous garderez au moins le souvenir d’un homme digne qui fut loyal à la loyauté des travailleurs. Le Peuple doit se défendre et non pas se sacrifier. Le Peuple ne doit pas se laisser écraser ni mitrailler, mais ne doit pas non plus se laisser humilier. Travailleurs : j’ai confiance dans le Chili et dans son destin. D’autres hommes surmonteront ce moment sombre et amer où la trahison prétend s’imposer. Sachez que, plus tôt qu’on ne croit, les grandes voies par où l’homme libre passera pour construire une société meilleure seront à nouveau dégagées. Vive le Chili! Vive le Peuple! Vive les travailleurs ! Ce sont là mes dernières paroles et j’ai la certitude que mon sacrifice ne sera pas vain. J’ai la certitude qu’au moins, on en tirera une leçon morale qui servira à châtier la félonie, la lâcheté et la trahison. »
Paul Éluard (Eugène Grindel) est né le 14 décembre 1895 à Saint-Denis. Il est mort d’une crise cardiaque à Charenton-le-Pont le 18 novembre 1952 à 56 ans. Les oeuvres littéraires tombent en général dans le domaine public 70 ans après la mort de leur auteur. C’est aussi le cas du poète surréaliste à partir du 1 janvier 2023. On constate donc un nombre important de publications et de rééditions de cet écrivain. Les Éditions Seghers ont republié tout leur fonds Éluard avec une nouvelle maquette qui rappelle ” Poètes d’aujourd’hui “. Il avait été le premier poète publié en mai 1944 dans cette collection.
Le Temps des Cerises a édité deux anthologies en avril 2023.
La mémoire des nuits – Tome 1. Poèmes choisis et présentés par Olivier Barbarant et Victor Laby. La mémoire des nuits – Tome 2. Ecrits sur l’art. Textes choisis et présentés par Olivier Barbarant et Victor Laby. Ces deux tomes regroupent plus de quarante recueils de poèmes, des discours, des préfaces et des articles. Ils soulignent les liens entretenus par Paul Éluard avec les grands artistes de son temps. Ils ne favorisent pas l’une des époques de l’écrivain au regard d’une autre.
C’est le tome II qui m’a particulièrement intéressé. On y trouve trois textes sur Charles Baudelaire. Voici le premier.
Paul Éluard. Préface au Choix de Textes de Charles Baudelaire. Éditions GLM, 1939. Avec un portrait par Marcoussis.
« Baudelaire aux bras tendus aux mains ouvertes, juste entre les hommes, homme entre les justes et Baudelaire malheureux, oublié, exilé, absurde. Baudelaire blanc, Baudelaire noir, jour et nuit le même diamant, dégagé des poussières de la mort.
Comment un tel homme, que ses contemporains traitent d’idole orientale, monstrueuse et difforme, de héros de cour d’assises, de pensionnaire de Bicêtre, de guillotiné, comment un tel homme, fait comme pas un autre pour réfléchir le doute, la haine, le mépris, le dégoût, la tristesse pouvait-il manifester si hautement ses passions et vider le monde de son contenu pour en accuser les beautés défaites, les vérités souillées, mais si soumises, si commodes ? Pourquoi s’était-il donné pour tâche de lutter, avec une rigueur inflexible, contre la saine réalité, contre cette morale d’esclaves qui assure le bonheur et la tranquillité des prétendus hommes libres ? Pourquoi opposait-il le mal à faire au bien tout fait, le diable à Dieu, l’intelligence à la bêtise, les nuages au ciel immobile et pur ? Écoutez-le dire, avec quelle violence désespérée, qu’il mentirait en n’avouant pas que tout lui-même est dans son livre. Il fait profession de foi de « franchise absolue, moyen d’originalité ». Malgré la solitude, malgré la pauvreté, malgré la maladie, malgré les lois, il avoue, il combat. Toutes les puissances du malheur se sont rangées de son côté. Peut-être y a-t-il quelque chance de gagner ? Le noir, le blanc triompheront-ils du gris, de la saleté ? La main vengeresse achèvera-t-elle d’écrire, sur les murs de l’immense prison, la phrase maudite qui les fera crouler ? Mais la lumière faiblit. La phrase était interminable. Baudelaire ne voit plus les mots précieux, mortels. Ses armes le blessent. Une fois de plus, il découvre sa propre fin. Où des juges avaient été impuissants, la maladie réussit. Baudelaire est muet. De l’autre côté des murs, la nuit recommence à gémir.
« Je ne conçois guère (mon cerveau serait-il un miroir ensorcelé ?) un type de Beauté où il n’y ait du Malheur. » Ce goût du malheur fait de Baudelaire un poète éminemment moderne, au même titre que Lautréamont ou Rimbaud. Á une époque où le sens du mot bonheur se dégrade de jour en jour, jusqu’à devenir synonyme d’inconscience, ce goût fatal est la vertu surnaturelle de Baudelaire. Ce miroir ensorcelé ne s’embue pas. Sa profondeur préfère les ténèbres tissées de larmes et de peurs, de rêves et d’étoiles aux lamentables cortèges des nains du jour, des satisfaits noyés dans leur sourire béat. Tout ce qui s’y reflète profite de l’étrange lumière que les ombres d’une vie infiniment soucieuse d’elle-même créent et fortifient, avec amour. »
Ángel González Muñiz est né le 6 septembre 1925 à Oviedo (Asturies).
Son enfance est marquée par la mort de son père, professeur de sciences et de pédagogie à l’école normale d’Oviedo en 1927 alors qu’il n’a que dix-huit mois. Sa situation familiale s’aggrave encore lorsque, pendant la Guerre civile espagnole, son frère Manuel est fusillé par les franquistes en novembre 1936. Son autre frère, Pedro, républicain aussi, doit s’exiler. Sa soeur Maruja ne peut plus exercer son métier d’institutrice.
La tuberculose l’empêche de terminer ses études de droit. Il devient ensuite fonctionnaire, puis professeur de littérature espagnole contemporaine aux États-Unis.
il fait partie du groupe de poètes appelé «Génération de 50» ou «Génération du milieu du siècle» qui compte aussi José Ángel Valente, Jaime Gil de Biedma, Carlos Barral, José Agustín Goytisolo, José Manuel Caballero Bonald, Claudio Rodríguez, Francisco Brines…
En 1985, il reçoit le prix Prince des Asturies de littérature. En janvier 1996, il est élu membre de l’Académie royale espagnole. La même année, il obtient le Prix Reina Sofía de Poésie ibéroaméricaine.
Il meurt le 12 janvier 2008 d’une insuffisance respiratoire à l’âge de 82 ans.
Esto no es nada
Si tuviésemos la fuerza suficiente para apretar como es debido un trozo de madera, sólo nos quedaría entre las manos un poco de tierra. Y si tuviésemos más fuerza todavía para presionar con toda la dureza esa tierra, sólo nos quedaría entre las manos un poco de agua. Y si fuese posible aún oprimir el agua, ya no nos quedaría entre las manos nada.
Áspero mundo. Adonais, Madrid, 1956.
Tout cela n’est rien
Si nous avions suffisamment de force pour bien serrer un morceau de bois, il ne resterait entre nos mains qu’un peu de terre. Et si nous avions plus de force encore pour écraser avec toute notre énergie cette terre, il ne nous resterait entre les mains qu’un peu d’eau. Et s’il était possible aussi de comprimer l’eau, il ne resterait alors entre nos mains rien du tout.
Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995. Traduction : Claude de Frayssinet. Points-Poésie, 2007.
Soneto
Donde pongo la vida pongo el fuego de mi pasión volcada y sin salida. Donde tengo el amor, toco la herida. Donde dejo la fe, me pongo en juego.
Pongo en juego mi vida, y pierdo, y luego vuelvo a empezar, sin vida, otra partida. Perdida la de ayer, la de hoy perdida, no me doy por vencido, y sigo, y juego.
lo que me queda : un resto de esperanza. Al siempre va. Mantengo mi postura. Si sale nunca, la esperanza es muerte.
Si sale amor, la primavera avanza. Pero nunca o amor, mi fe segura: jamás o llanto, pero mi fe fuerte.
Sin esperanza, con convencimiento. Colliure, Barcelona, 1961.
Sonnet
Là où j’apporte la vie j’apporte aussi le feu de ma passion entière et sans issue. Si l’amour a surgi, j’en ressens la blessure. Et si je montre ma foi, je joue avec ma vie.
Je mets ma vie en jeu, je perds et je recommence, sans ma vie, la nouvelle partie. Déjà je l’ai perdue, je la reperds encore aujourd’hui, je ne m’avoue pas vaincu, je m’obstine
et je joue ce qui me reste : un lambeau d’espérance. Je joue à « toujours va ». Je maintiens mon enjeu. Si le sort dit « jamais », mon espérance est morte.
Si le sort dit « amour », le printemps s’avance. « Jamais » ou « amour », ma foi est grande ; « jamais» ou « larmes », ma foi demeure forte.
Anthologie bilingue de la poésie espagnole contemporaine. Marabout Université, Verviers (Belgique), 1969. Traduction : Jacinto Luis Guereña.
Porvenir Te llaman porvenir porque no vienes nunca. Te llaman: porvenir, y esperan que tú llegues como un animal manso a comer en su mano. Pero tú permaneces más allá de las horas, agazapado no se sabe dónde. … Mañana! Y mañana será otro día tranquilo un día como hoy, jueves o martes, cualquier cosa y no eso que esperamos aún, todavía, siempre.
Sin esperanza, con convencimiento. Colliure, Barcelona, 1961.
Avenir
On t’appelle avenir parce que tu ne viens jamais. On t’appelle : avenir, et on attend que tu arrives comme un animal docile manger dans leur main. Mais tu restes au-delà des heures, caché on ne sait où. … Demain ! Et demain sera un jour tranquille un jour comme aujourd’hui, jeudi ou mardi, n’importe quel jour et non ce que nous attendons encore et encore, toujours.
En 1859, Baudelaire qui séjourne chez sa mère, Madame Aupick, à Honfleur rencontre le peintre Eugène Boudin. Celui-ci montre au poète ses études de ciels au pastel. Baudelaire reste ébloui. Il ajoute à son compte-rendu du Salon de 1859 ces lignes :
” Oui, l’imagination fait le paysage. Je comprends qu’un esprit appliqué à prendre des notes ne puisse pas s’abandonner aux prodigieuses rêveries contenues dans les spectacles de la nature présente ; mais pourquoi l’imagination fuit-elle l’atelier du paysagiste ? Peut-être les artistes qui cultivent ce genre se défient-ils beaucoup trop de leur mémoire et adoptent-ils une méthode de copie immédiate qui s’accommode parfaitement à la paresse de leur esprit. S’ils avaient vu comme j’ai vu récemment, chez M. Boudin qui, soit dit en passant, a exposé un fort bon et fort sage tableau (le Pardon de sainte Anne Palud), plusieurs centaines d’études au pastel improvisées en face de la mer et du ciel, ils comprendraient ce qu’ils n’ont pas l’air de comprendre, c’est-à-dire la différence qui sépare une étude d’un tableau. Mais M. Boudin, qui pourrait s’enorgueillir de son dévouement à son art, montre très-modestement sa curieuse collection. Il sait bien qu’il faut que tout cela devienne tableau par le moyen de l’impression poétique rappelée à volonté ; et il n’a pas la prétention de donner ses notes pour des tableaux. Plus tard, sans aucun doute, il nous étalera, dans des peintures achevées, les prodigieuses magies de l’air et de l’eau. Ces études, si rapidement et si fidèlement croquées d’après ce qu’il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans sa force et sa couleur, d’après des vagues et des nuages, portent toujours, écrits en marge, la date, l’heure et le vent ; ainsi par exemple : 8 octobre, midi, vent de Nord-Ouest. Si vous avez eu quelquefois le loisir de faire connaissance avec ces beautés météorologiques, vous pourriez vérifier par mémoire l’exactitude des observations de M. Boudin. La légende cachée avec la main, vous devineriez la saison, l’heure et le vent. Je n’exagère rien. J’ai vu. À la fin, tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium. Chose assez curieuse, il ne m’arriva pas une seule fois, devant ces magies liquides ou aériennes, de me plaindre de l’absence de l’homme. Mais je me garde bien de tirer de la plénitude de ma jouissance un conseil pour qui que ce soit, non plus que pour M. Boudin. Le conseil serait trop dangereux. Qu’il se rappelle que l’homme, comme dit Robespierre qui avait soigneusement fait ses humanités, ne voit jamais l’homme sans plaisir ; et, s’il veut gagner un peu de popularité, qu’il se garde bien de croire que le public soit arrivé à un égal enthousiasme pour la solitude. ” (Salon de 1859. Lettres à M. le directeur de la Revue française. VII Le paysage. Baudelaire, Oeuvres complètes II. Bibliothèque de la Pléiade NRF Gallimard. Pages 665-666)
Honfleur. Musée Eugène Boudin. Études de ciels (Eugène Boudin), vers 1854-59. Pastel sur papier. L’ancienne chapelle des sœurs Augustines fait partie depuis 1924 du musée municipal de Honfleur et a été transformée en 1960 en musée Eugène-Boudin. Madame Aupick, la mère du poète, se rendait à la messe dans cette chapelle qui se trouvait très près de son domicile.
Nous avons passé une journée à Honfleur le 24 août dernier. 1982-2023. 41 ans. C’est l’âge de P. J’ai lu l’ouvrage de Catherine Delons, Baudelaire et Honfleur ( Éditions Charles Corlet, 2023), acheté à L’Office de Tourisme qui se trouve dans le même bâtiment que la Bibliothèque/Médiathèque.
« Mon installation à Honfleur a toujours été le plus cher de mes rêves ». Cette citation du poète apparaît sur la verrière. Elle figure dans une lettre qu’il adresse à sa mère de Bruxelles le lundi 5 mars 1866, 3 semaines avant l’attaque qui le laissera hémiplégique et aphasique et 18 mois avant sa mort le 31 août 1867.
Le général Aupick, beau-père haï par Charles, achète une petite maison à Honfleur sur la côte de Grâce, rue de Neubourg (aujourd’hui Rue Alphonse Allais) pour en faire sa résidence secondaire. Il acquiert un an plus tard une parcelle de terrain supplémentaire. Il fait quelques aménagements. Il ajoute des vérandas dont une surnommée Mirador sur le côté est de la maison, une serre pour ses plantes exotiques et un kiosque dans le jardin. Il meurt à Paris le 27 avril 1857. Mme Aupick, la mère du poète, s’installe à Honfleur en juin 1857, peu de temps avant la publication des Fleurs du mal. Baudelaire fait un premier et bref voyage là-bas le 20 octobre 1958. Il y séjournera deux fois en 1859 (fin janvier- fin février; mi-avril-mi-juin). Il surnomme cette maison en forme de chalet avec un étage mansardé la “Maison joujou”. Il y reviendra du 15 au 20 octobre 1860. Après son départ à Bruxelles le 24 avril 1864, il voyage à Paris et Honfleur le 4 et 5 juillet pour obtenir de l’argent de Mme Aupick. Baudelaire meurt le 31 août 1867 et sa mère le 16 août 1871. De 1899 à 1900, Alphonse Allais en est le locataire. En 1901, l’hospice civil de Honfleur rachète la maison. Elle est détruite pour agrandir l’hôpital et construire une morgue. La Ville a donné le nom du poète à une rue en 1930 et une plaque a été posée à l’endroit où la maison était érigée. L’hôpital a fermé en 1977.
Relecture de deux poèmes des Fleurs du mal.
LXXXLe goût du néant
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte, L’Espoir, dont l’éperon attisait ton ardeur, Ne veut plus t’enfourcher ! Couche-toi sans pudeur, Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.
Résigne-toi, mon cœur; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur, L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ; Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte ! Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur !
Le Printemps adorable a perdu son odeur !
Et le Temps m’engloutit minute par minute, Comme la neige immense un corps pris de roideur ; Je contemple d’en haut le globe en sa rondeur Et je n’y cherche plus l’abri d’une cahute.
Avalanche, veux-tu m’emporter dans ta chute ?
Les Fleurs du mal, Édition de 1861.
C
La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse, Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse, Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs. Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs, Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres, Son vent mélancolique à l’entour de leurs marbres, Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats, À dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps, Tandis que, dévorés de noires songeries, Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries, Vieux squelettes gelés travaillés par le ver, Ils sentent s’égoutter les neiges de l’hiver Et le siècle couler, sans qu’amis ni famille Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.
Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir, Calme, dans le fauteuil je la voyais s’asseoir, Si, par une nuit bleue et froide de décembre, Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre, Grave, et venant du fond de son lit éternel Couver l’enfant grandi de son oeil maternel, Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse, Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?
Antonio Gamoneda est né dans les Asturies à Oviedo en 1931. Il vit à León depuis 1934. Son père meurt en 1932. Sa mère l’élève dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Il doit abandonner ses études en 1943 et travailler comme coursier dès 1945. Il a une formation d’autodidacte et a connu l’extrême pauvreté de l’après-guerre et la répression franquiste. Il a obtenu de nombreux prix dont le Prix Cervantès en 2006.
Malos recuerdos
La vergüenza es un sentimiento revolucionario
Karl Marx
Llevo colgados de mi corazón los ojos de una perra y, más abajo, una carta de madre campesina.
Cuando yo tenía doce años, algunos días, al anochecer, llevábamos al sótano a una perra sucia y pequeña.
Con un cable le dábamos y luego con las astillas y los hierros. (Era así. Era así. Ella gemía, se arrastraba pidiendo, se orinaba, y nosotros la colgábamos para pegar mejor).
Aquella perra iba con nosotros a las praderas y los cuestos. Era veloz y nos amaba.
Cuando yo tenía quince años, un día, no sé cómo, llegó a mí un sobre con la carta de un soldado.
Le escribía su madre. No recuerdo: «¿Cuándo vienes? Tu hermana no me habla. No te puedo mandar ningún dinero…»
Y, en el sobre, doblados, cinco sellos y papel de fumar para su hijo. «Tu madre que te quiere.» No recuerdo el nombre de la madre del soldado.
Aquella carta no llegó a su destino: yo robé al soldado su papel de fumar y rompí las palabras que decían el nombre de su madre.
Mi vergüenza es tan grande como mi cuerpo, pero aunque tuviese el tamaño de la tierra no podría volver y despegar el cable de aquel vientre ni enviar la carta del soldado.
Blues castellano, Gijón, Noega, 1982.
Mauvais souvenirs
La honte est un sentiment révolutionnaire Karl Marx
Je porte à mon coeur pendus les yeux d’une chienne et, plus bas, une lettre de mère paysanne.
Quand j’avais douze ans, un jour, à la tombée de la nuit, nous emmenâmes à la cave une chienne sale et petite.
Avec un câble nous la maltraitâmes et aussi avec des échardes et des fers. (C’était ainsi. C’était ainsi. Elle gémissait, elle se traînait suppliante, elle urinait, et nous la pendions pour mieux la maltraiter).
Cette chienne venait avec nous aux pâturages et sur les coteaux. Elle courait vite et nous aimait.
Quand j’avais quinze ans, un jour, je ne sais pas comment, parvint à moi une enveloppe avec une lettre pour un soldat.
Sa mère lui écrivait. Je ne sais plus: “Quand reviens-tu ? Ta soeur ne me parle pas. Je ne puis t’envoyer d’argent… “
Et, dans l’enveloppe, il y avait, cinq timbres pliés et du papier à cigarettes pour son fils. “Ta mère qui t’aime.” Je ne me souviens pas du nom de la mère du soldat.
Cette lettre n’est pas arrivée à sa destination : j’ai volé au soldat son papier à cigarettes et j’ai déchiré les mots qui disaient le nom de la mère.
Ma honte est aussi grande que mon corps, mais serait-elle aussi vaste que la terre je ne pourrais pas retourner pour détacher le câble de ce ventre ni envoyer la lettre au soldat.
Blues castillan. José Corti, 2004. Traduction Jacques Ancet.
Existían tus manos
Existían tus manos
Un día el mundo se quedó en silencio; los árboles, arriba, eran hondos y majestuosos, y nosotros sentíamos bajo nuestra piel el movimiento de la tierra.
Tus manos fueron suaves en las mías y yo sentí la gravedad y la luz y que vivías en mi corazón.
Todo era verdad bajo los árboles, todo era verdad. Yo comprendía todas las cosas como se comprende un fruto con la boca, una luz con los ojos.
Exentos I in Edad (Poesia 1947-1986). Cátedra, Madrid. 1987.
Il existait tes mains…
Il existait tes mains.
Un jour le monde devint silencieux ; les arbres, là-haut, étaient profonds et majestueux, et nous sentions sous notre peau le mouvement de la terre.
Tes mains furent douces dans les miennes et j’ai senti en même temps la gravité et la lumière, et que tu vivais dans mon cœur.
Tout était vérité sous les arbres, tout était vérité. Je comprenais toutes choses comme on comprend un fruit avec la bouche, une lumière avec les yeux.
Poésie espagnole, Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud /Editions Unesco, 1995. Traduction Claude de Frayssinet.
Han hecho desaparecer las palabras vieja y viejo. Me gustan esas palabras, me nombro vieja y no por ello inservible, todo lo contrario; como decía mi abuela, se aprende a vivir cuando estamos a las puertas de morir. Mientras llega la despedida de la vida, animo a toda persona a seguir viva, a disfrutar de todos y cada uno de los días que nos amanece, para que la muerte no la tengamos en vida, sino que nos pille viviendo. Verdad es que el bienestar social es imprescindible para estar viva; exijamos por tanto el reparto de ese bienestar. No se fíen de las estadísticas; están hechas por y para el poder, y el poder, cuando llegamos a la vejez, nos echa de la vida si no tenemos recursos propios para seguir viviendo dignamente. Si no hemos tenido una niñez, una adolescencia, una juventud y una madurez dignas, tampoco tendremos una vejez digna.
Sur Twitter, on peut lire trois publications du journaliste culturel du quotidien La Razón, Víctor Fernández :
” Un día como hoy de 1936, el personaje de esta foto, Ramón Ruiz Alonso, se enteraba del lugar en el que Lorca estaba escondido. Por la tarde, redactaba la denuncia contra él y al día siguiente, con el visto bueno del Gobierno Civil de Granada, detenía al poeta. “
“Le 15 août 1936, ce personnage, Ramón Ruiz Alonso, apprenait où était caché Lorca. L’après-midi, il rédigeait une lettre de dénonciation et le lendemain, avec l’accord de la Préfecture de Grenade, il arrêtait le poète.”
« Un día como hoy de 1936, Lorca fue detenido por los fascistas de Granada. Fue llevado al Gobierno Civil donde lo torturaron. Pocas horas después fue llevado a un paraje entre Víznar y Alfacar donde fue asesinado con otras tres víctimas. »
« Le 16 août 1936, Federico García Lorca fut arrêté par les fascistes de Grenade et emmené à la préfecture où il fut torturé. Peu de temps après il fut transféré dans un endroit entre Víznar et Alfacar où il fut assassiné avec trois autres victimes. »
« Éste es José Valdés Guzmán, el hombre que ordenó el asesinato de Lorca y de centenares de granadinos. Una urbanización lleva hoy su nombre en Granada. »
« Voici José Valdés Guzmán, l’homme qui a ordonné l’assassinat de Lorca et de centaines d’habitants de Grenade. Une zone résidentielle porte aujourd’hui son nom à Grenade. »
Federico García Lorca fut probablement fusillé le 18 août 1936 vers 4h 45 du matin. Son corps n’a jamais été retrouvé. Il fut exécuté et enterré dans une fosse commune avec un instituteur, Dióscoro Galindo, et deux banderilleros anarchistes, Francisco Galadí et Joaquín Arcollas. José Valdés Guzmán demanda son avis à Gonzalo Queipo de Llano, général putchiste surnommé le vice-roi d’Andalousie. De Séville, celui-ci lui aurait répondu : «Dale café, mucho café». “El crimen fue en Granada”, il y a 87 ans. Le poète fait partie des 130.000 républicains disparus pendant la Guerre Civile et la répression qui suivit la fin du conflit.
Manuel Machado, poète et dramaturge, est né le 29 août 1874 à Séville. Le frère aîné d’Antonio Machado – né lui le 26 juillet 1875 – est un des représentants du modernisme en Espagne. Sa poésie est influencée par Verlaine et Rubén Darío, mais aussi par le folklore de sa région natale. Les deux frères ont écrit de concert plusieurs pièces de théâtre d’ambiance andalouse. En 1910, Manuel a épousé sa cousine, Eulalia Cáceres, femme profondément religieuse et conservatrice. Il est directeur de la bibliothèque municipale (actuelle bibliothèque historique municipale) et du musée d’histoire de Madrid de 1924 à 1944. Au début de la Guerre Civile, le couple se trouve à Burgos, ville contrôlée par les franquistes. Le conflit le sépare du reste de sa famille. En 1938, il est désigné pour occuper un fauteuil à l’Académie royale espagnole. Son appui au général Franco lui a valu la reconnaissance du régime, mais aussi le mépris de nombreux critiques et poètes postérieurs. Manuel Machado est mort le 19 janvier 1947 à Madrid. Il avait 72 ans.
Certains de ses poèmes méritent d’être relus. On peut se reporter à Poesías completas. Editorial Renacimiento. Ediciones Espuela de plata. 2019.
Ocaso
Era un suspiro lánguido y sonoro la voz del mar aquella tarde… El día, no queriendo morir, con garras de oro de los acantilados se prendía.
Pero su seno el mar alzó potente, y el sol, al fin, como en soberbio lecho, hundió en las olas la dorada frente, en una brasa cárdena deshecho.
Para mi pobre cuerpo dolorido, para mi triste alma lacerada, para mi yerto corazón herido,
para mi amarga vida fatigada… ¡el mar amado, el mar apetecido, el mar, el mar, y no pensar nada…!