Marceline Loridan-Ivens est née Rozenberg à Epinal (Vosges) le 19 mars 1928. Elle est morte le 18 septembre 2018 à 90 ans, à l’hôpital Saint-Antoine. Elle est décédée le soir de Kippour, le jour du grand pardon dans le judaïsme.
29 février 1944 Arrêtée parce que juive. Emprisonnée à Avignon et Marseille.
1 avril 1944 Conduite en train au camp de Drancy.
13 avril 1944 Déportée avec Simone Veil (née Jacob) au camp d’Auschwitz-Birkenau dans le convoi 71. Matricule 78 750. 1500 personnes dans le convoi dont 148 enfants de moins de 12 ans . 1100 personnes de ce convoi sont «sélectionnées» pour être assassinées dans les heures qui suivent leur arrivée. Marceline Loridan-Ivens passe sept mois à Auschwitz-Birkenau.
Novembre 1944 Evacuée vers le camp de Bergen-Belsen.
Février 1945 Elle se retouve au Kommando de Raguhn, dépendant du camp de Buchenwald.
Avril 1944 Déplacée vers le camp-ghetto de Theresienstadt (aujourd’hui Terezín en République tchèque). Le 3 mai 1945, le contrôle du camp est donné par les Allemands à la Croix-Rouge. Il est ensuite remis aux Soviétiques le 9 mai 1945.
1955 Brève aventure avec l’écrivain Georges Perec (1936-1982). Adhère au PCF qu’elle quitte un an plus tard.
1961 Long monologue dans Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin.
1963 Épouse le documentariste néerlandais Joris Ivens (1898-1989).
1968 Coréalise avec Joris Ivens au Vietnam Le 17e parallèle.
De 1972 à 1976, pendant la révolution culturelle déclenchée par le président Mao Zedong, Joris Ivens et Marceline Loridan travaillent en Chine et réalisent Comment Yukong déplaça les montagnes composé d’une série de 12 films.
2003 Sortie du film La Petite Prairie aux bouleaux (traduction française du mot allemand Birkenau) qu’elle a réalisé avec Anouk Aimée dans son rôle.
2008 Publie Ma vie balagan (Robert Laffont), récit écrit avec la journaliste Élisabeth D. Inandiak.
Janvier 2015 Publie Et tu n’es pas revenu (Grasset) avec la collaboration de la journaliste Judith Perrignon, longue lettre à son père Salomon (Shloïme) Rozenberg né le 7 mars 1901 à Nowa Slupia (Pologne), près de Kielce, mort en déportation.
2018 Publie L’amour après (Grasset), récit sur l’amour après les camps.
Près de 76 000 juifs ont été déportés de France. Environ 3 500 d’entre eux ont survécu.
Voir le dossier inédit d’Annette Wievorka, publié dans la version de poche de Et tu n’es pas revenu en 2018.
Vu à la Ferme du Buisson (Noisiel) le mercredi 12 septembre: Thunder Road (2018) 91 min. Réal. Sc. et mus.: Jim Cummings (né en 1986 à La Nouvelle Orléans). Dir. Photo: Lowell A.Meyer. Int: Jim Cummings, Kendall Farr, Nican Robinson, Jocelyn DeBoer, Chelsea Edmunson.
Thunder Road fut présenté au dernier Festival de Cannes dans la sélection de l’A.C.I.D (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion). Il a aussi obtenu le Grand Prix du Festival de Deauville en septembre 2018.
Le policier Jimmy Arnaud enterre sa mère, ancienne directrice d’une académie de danse. Il essaie de faire son éloge funèbre, raconte tout ce ce qu’elle a fait pour lui et veut faire écouter aux proches qui sont présents la chanson de Bruce Springsteen qu’elle aimait: Thunder Road de 1975. Le magnétophone qu’il a emprunté à sa fille ne veut pas fonctionner. Il essaie de la chanter, n’y arrive pas. Il finit par décrire les paroles. C’est assez pathétique. Le malaise est général. Ce premier plan – séquence dure 10 minutes (!). Dans la petite ville du Texas où il vit, il essaie avec difficulté d’élever sa fille dont il partage la garde avec son ex-femme. Après l’enterrement, les catastrophes s’enchainent pour lui. Il trouve pourtant dans les paroles de la chanson la possibilité de s’échapper.
«But when you get to the porch they’re gone
On the wind so Mary climb in
It’s a town full of losers
And I’m pulling out of here to win.»
«Mais quand tu arrives sur le perron ils sont partis
Avec le vent, alors Mary grimpe
C’est une ville pleine de perdants
Et je pars d’ici pour gagner.»
Ce film est une extension d’un court-métrage et cela se voit. Le scénario est indigent. Les personnages ne sont que des pantins. Rien de comique, encore moins d’hilarant. Les femmes sont particulièrement gatées par le scénario. Elles sont toutes insupportables: la femme, la fille, la sœur…Si c’est cela le cinéma indépendant américain, nous pouvons nous en passer.
Vu à la Ferme du Buisson (Noisiel) le dimanche 2 septembre: Under the Silver Lake (2018). 139 min. Réal. et Sc: David Robert Mitchell (né en 1974 à Clawson – Michigan). Dir. Photo: Mike Gioulakis. Int: Andrew Garfield, Riley Keough, Topher Grace.
En compétition officielle au Festival de Cannes 2018 (Pourquoi?).
Sam, un jeune désoeuvré de 33 ans qui n’a ni travail ni argent, mais une maman qui lui téléphone régulièrement, passe ses journées à observer ses voisines à la jumelle. Il tombe amoureux de l’une d’elles, Sarah, jeune et énigmatique. Le lendemain, elle a disparu sans laisser de traces et son appartement a été vidé. Sam se lance à sa recherche et entreprend une enquête qui le mène dans les profondeurs de Los Angeles. L’enquête est étrange: disparitions, meurtres mystérieux, fond de scandales, conspirations. Il y aurait des codes mystérieux dans les figures de la culture populaire américaine qu’il essaie de déchiffrer. Les clins d’oeil du metteur en scène – cinéphile sont très nombreux: Fenêtre sur Cour (1954) d’Alfred Hitchcock, Le Privé (1973) de Robert Altman, Mulholland Drive (2001) de David Lynch.
Le film est artificiel et chichiteux. C’est un film qui se veut à la mode. Il veut parler de paranoia, de complots, de sectes. Mais l’humour est totalement absent. Pas les scènes gores, totalement inutiles. L’acteur Andrew Garfield, vu particulièrement dans Silence de Martin Scorsese, est ici très mauvais. Il est bien difficile à supporter pendant 139 minutes. Cette quête, pleine d’incohérences, est totalement vaine.
Filmographie
2002 Virgin (CM).
2010 The Myth of the American Sleepover.
2014 It Follows. Film d’horreur. Semaine de la critique du Festival de Cannes. Grand prix et prix de la critique au Festival international du film fantastique de Gérardmer en 2015.
2018 Under the Silver Lake.
Thomas Bernhard (1931-1989) est un écrivain autrichien qui m’intéresse même si son nihilisme total est souvent déroutant. «Il incarne la figure la plus aboutie du dénigreur et, en même temps, il n’est jamais dupe de ses sarcasmes.» dit de lui Roland Jaccard. Cet écrivain était très à la mode dans les années 80 et 90. Il avait obtenu le Prix Médicis étranger en 1988 pour son roman, Maîtres anciens. On parle un peu moins de lui aujourd’hui.
Je me suis replongé dans son œuvre et j’ai lu justement Maîtres anciens (1985, publié chez Gallimard en 1988. Folio n°2276, 1991) pour rechercher d’abord ce qu’il disait de Gustav Klimt.
Le roman est sous-titré comédie. L’ apparence est compacte. C’est un monologue. Pas de chapitre, pas de retour à la ligne. Tous est rédigé en style indirect. Les phrases sont répétitives, ponctuées de dit-il. L’écriture est obsessionnelle, bourrée de tics de langage.
Trois personnages apparaissent: Atzbacher, un écrivain qui ne publie pas, joue plus ou moins le rôle du narrateur; Reger, un vieux critique musical, qui depuis une trentaine d’années se rend au Musée des Arts Anciens de Vienne (Kunsthistorisches Museum) et s’asseoit face au tableau L’Homme à la barbe blanche du Tintoret et Irrsigler, gardien du musée.
Reger a plus de 80 ans. Devenu veuf récemment, il soliloque, parle d’art et de philosophie et déverse sa haine de la société et de l’état autrichiens. Comme Thomas Bernhard, il dénonce l’hypocrisie de la petite bourgeoise catholique et les restes de l’idéologie nazie qu’a embrassée avec enthousiasme la population dans les années 30.
Comme Thomas Bernhard, Reger ne ménage personne. Tous les artistes ont un «défaut rédhibitoire.»
“Les soi-disant maîtres anciens n’ont jamais fait que servir l’Etat ou servir l’Eglise, ce qui revient au même, ne cesse de dire Reger, un empereur ou un pape, un duc ou un archevêque. Tout comme le soi-disant homme libre est une utopie, le soi-disant artiste libre a toujours été une utopie, une folie, c’est ce que dit souvent Reger.”
“Hé oui, a dit Reger, même si nous le maudissons et même si, parfois, il nous paraît complètement superflu et si nous sommes obligés de dire qu’il ne vaut tout de même rien, l’art, lorsque nous regardons ici les tableaux de ces soi-disant maîtres anciens, qui très souvent et naturellement avec les années nous paraissent de plus en plus profondément inutiles et vains, et de plus, rien d’autre que des tentatives impuissantes pour s’établir habilement sur la terre entière, tout de même rien d’autre ne sauve les gens comme nous que justement cet art maudit et satané et souvent répugnant à vomir et fatal, voilà ce qu’a dit Reger.”
Ses propos sur Klimt n’apparaissent qu’ à la fin du roman:
« Avec Mahler, la musique autrichienne a vraiment atteint son point le plus bas, a dit Reger. Le plus pur kitsch provoquant l’hystérie de la masse, tout comme Klimt, a-t-il dit. Schiele est le peintre le plus important. Aujourd’hui même un tableau médiocre de Klimt kitsch coûte plusieurs millions de livres, a dit Reger, c’est dégoûtant.»
Reger vit à dans un grand appartement situé Singerstrasse à Vienne qu’il a hérité de sa femme: «Rempli de meubles de la famille de sa femme, l’appartement régérien de Singerstrasse est le type même de ce qu’on appelle un appartement Jugendstil où il y a effectivement, accrochés aux murs, tout un tas de Klimt et de Schiele et de Gerstl et de Kokoschka, rien que des tableaux que ma femme tenait en haute estime, voilà ce qu’a dit un jour Reger, mais qui m’ont toujours inspiré à moi-même une profonde répulsion.»
«La peinture du tournant du siècle n’est que du kitsch et ce n’es pas mon genre (…) tandis que ma femme a toujours été attirée par elle, sinon positivement fascinée.»
« Vous savez, a dit Reger à cette occasion, je suis toujours dégoûté de ces choses qui justement sont modernes.(…) Et Schiele et Klimt, ces kitschistes, sont tout de même aujourd’hui les plus modernes de tous, c’est pourquoi, au fond, Klimt et Schiele me dégoûtent tellement.»
Ce roman est caractéristique de l’oeuvre de Thomas Bernhard, si contradictoire: celle d’un misanthrope passionné par le genre humain, celle d’un artiste que l’art dégoûte, mais qui ne peut s’en passer.
Deux expositions exceptionnelles cet automne à Paris:
1) Picasso. Chefs-d’oeuvre! du 4 septembre au 13 janvier au Musée national Picasso.
2) Picasso. Bleu et rose du 18 septembre au 6 janvier au Musée d’Orsay.
1) Quel sens a la notion de chef-d’œuvre pour Pablo Picasso (1881-1973)? L’exposition «Picasso. Chefs-d’œuvre!» répond à cette question en réunissant des œuvres maîtresses, pour certaines présentées à Paris pour la première fois.
L’ensemble propose une nouvelle lecture de la création du peintre, grâce à une attention particulière portée à la réception critique. Le parcours revient ainsi sur les expositions, les revues et les ouvrages qui ont accompagné chaque œuvre et qui ont contribué, au fil des années, à forger leur statut de chefs-d’œuvre. Les archives du Musée national Picasso-Paris occupent une place essentielle dans ce récit.
2) Le musée d’Orsay et le musée Picasso organisent une exposition consacrée aux périodes bleue et rose de Pablo Picasso.
Elle permet un rassemblement inédit de chefs-d’oeuvre, pour certains présentés pour la première fois en France comme La Vie (1903, Cleveland Museum of Art) et propose une lecture renouvelée des années 1900-1906, période essentielle de la carrière de l’artiste qui n’a à ce jour jamais été traitée dans son ensemble par un musée français.
Les différentes productions du peintre sont ainsi remises en regard des travaux de ses contemporains ou prédécesseurs, espagnols ou français (Ramón Casas 1866-1932, Isidre Nonell 1872-1911, Carlos Casagemas 1880-1901, Théophile Alexandre Steinlen 1859-1923, Edgar Degas 1834-1917, Henri de Toulouse-Lautrec 1864-1901, Paul Gauguin 1848-1903) qu’il a pu observer directement, dans les salons ou galeries, ou indirectement, grâce à des reproductions.
L’exposition rassemble un ensemble important de peintures et de dessins et ambitionne de présenter de manière exhaustive la production sculptée et gravée de l’artiste entre 1900 et 1906.
Laurent Le Bon, président du Musée Picasso, insiste sur le fait que nous ne verrons plus jamais de notre vivant un tel ensemble de chefs d’oeuvre.
Cette exposition est coproduite par le musée d’Orsay et le musée national Picasso-Paris. Elle sera également présentée à la Fondation Beyeler à Bâle du 3 février au 26 mai 2019.
Picasso traverse l’histoire de la peinture du XX ème siècle avec une œuvre immense (de 70 000 à 120 000 œuvres sont recensées). N’oublions pas que Picasso est arrivé en France à la Gare d’Orsay en 1900 et est mort à Mougins en 1973 à 91 ans.
L’exposition du Musée Picasso, que nous avons pu voir samedi 8 septembre, présente des œuvres de Picasso de façon chronologique. La deuxième salle montre Science et charité (1896), peint lorsqu’il avait 16 ans. Il s’agit d’un tableau réaliste, quasiment naturaliste. Il surprend pas sa maîtrise et par le fait qu’il donne au médecin les traits de son père, José Ruiz Blasco (1838-1913). Le peintre, marqué par le décès de sa sœur Conchita de diphtérie en janvier 1895, représente une malade couchée sur un lit, assistée d’un docteur et d’une religieuse. Il est fortement influencé par le modernisme catalan à cette époque.
La troisième salle présente Les Demoiselles d’Avignon, 1907. Il ne s’agit pas de l’oeuvre du peintre, que le Moma de New York a acheté en 1939, mais d’une tapisserie de 1957 de Jacqueline de la Baume-Dürrbach (1920-1989; Madrid Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el arte) que Picasso appréciait. Cette oeuvre-clé du cubisme est considérée comme un des tableaux les plus importants de l’histoire de la peinture en raison de la rupture stylistique et conceptuelle qu’elle propose. C’est la fin de la perspective classique, réaliste. C’est le début d’une nouvelle vision de la figure humaine. André Breton en avait conseillé l’achat au mécène et couturier Jacques Doucet en décembre 1924 pour la somme de 25 000 francs. «Cette peinture est l’événement capital du XX ème siècle. Voilà le tableau qu’on promenait comme autrefois la Vierge de Cimabue à travers les rues de notre capitale, si le scepticisme ne l’emportait pas sur les grandes vertus particulières par lesquelles notre temps accepte d’être, malgré tout. Il me paraît impossible d’en parler autrement que d’une façon mystique…c’est un symbole pur, comme le tableau chaldéen, une projection intense de cet idéal moderne que nous n’arrivons à saisir que par bribes.» (André Breton, Lettres à Jacques Doucet. Décembre 1924).
Une salle met magnifiquement en valeur trois Arlequins: «Arlequin assis »1923. Bâle, Kunstmuseum. «Arlequin au miroir» 1923. Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza. «Le peintre Salvado en Arlequin» 1923. Paris, Centre Georges Pompidou. Picasso était dur, égocentrique le plus souvent, mais pouvait se montrer parfois généreux: avec les républicains espagnols exilés par exemple ou avec les habitants de Bâle. Ces derniers lancèrent, en 1967, une souscription pour garder dans leur Kunstmuseum deux œuvres du peintre espagnol (Les deux frères 1906 et Arlequin assis 1923) que Peter G. Staechelin , propriétaire de la compagnie aérienne charter Globe Air, pour faire face à des difficultés financières, après les avoir été prêtées durant des années, voulait vendre. Cette souscription fut un grand succès. Un référendum sera même organisé dans la ville pour approuver l’utilisation de ce crédit. En remerciement, Picasso offrira quatre tableaux au musée et dira: «Ces peintures, je ne les donne pas au fonctionnaire de l’État. Je les offre à la jeunesse bâloise»
Face au grand escalier de l’Hôtel Salé, on peut admirer le principal tableau surréaliste de Picasso: La Danse. 1925. Londres, Tate Gallery.
A l’étage, se trouvent les sculptures, les jouets qu’il faisait pour ses enfants et petits-enfants, des esquisses. Le peintre gardait tout, accumulait.
Une salle offre au regard du visiteur sur un grand mur les tableaux de Picasso exposés au palais des Papes en Avignon en 1970. Les critiques avaient alors boudé le monstre sacré vieillissant, perdu selon eux dans des portraits de mousquetaires, de nus et des visages bâclés. Aujourd’hui, la critique ne pense plus de la même façon. Picasso ne s’est jamais caricaturé, il s’est toujours renouvelé.
La dernière salle met en parallèle les autoportraits de Rembrandt et de Picasso (Portrait de l’artiste au chevalet. 1660. Paris Louvre. / Tête. 2 juillet 1972. Collection particulière).
Certains se plaignent ces derniers temps de la multiplication des expositions Picasso qui pourraient engendrer un sentiment de lassitude. Pourtant, Picasso réserve toujours des surprises.
Miguel Torga est un grand écrivain portugais qui n’est pas vraiment reconnu en France à sa juste valeur. Né le 12 août 1907 dans le Nord-Est du Portugal, dans la région de Trás-os-Montes, il s’appelait en réalité Adolfo Correia da Rocha. Il partit à 13 ans pour le Brésil et travailla alors dans une plantation de café. Il revint ensuite dans son pays et devint médecin à Coimbra. Il sera victime de la censure de dictature de Salazar (1932-1968) et préférera donc longtemps publier à compte d’auteur. Il sera même emprisonné pendant deux mois de décembre 1939 à février 1940. Son pseudonyme, Torga, veut dire bruyère sauvage. Il est mort à Coimbra le 17 janvier 1995.
En 1994, les éditions José Corti permirent de découvrir l’excellente version française de ses contes, due à Claire Cayron. Elle est reprise aujourd’hui par les éditions Chandeigne.
Miguel Torga, Contes de la Montagne. Édition intégrale traduite du portugais par Claire Cayron. Chandeigne, 379 p., 22 €.
Principaux autres recueils en français:
Lapidaires, Paris, Éditions de l’Équinoxe, 1982 ; réédition, Paris, J. Corti, 1990.
En franchise intérieure : journal 1933-1977, Paris, Aubier Montaigne, 1982.
La Création du monde, Paris, Aubier, 1984 ; réédition, Paris, Garnier-Flammarion no 1042, 1999.
Portugal, Paris, Arléa, 1988 ; réédition, Paris, J. Corti, 1996.
Senhor Ventura, Paris, J. Corti, 1991 ; réédition, Paris, J. Corti, Les Massicotés no 15, 2005.
Contes et nouveaux contes de la Montagne, Paris, J. Corti, 1994 ; réédition, Paris, J. Corti, Les Massicotés no 5, 2004.
En chair vive : journal 1977-1993, Paris, J. Corti, 1997.
Vendange, Paris, J. Corti, 1999.
Conseil de Miguel Torga au Président de la République (de 1976 à 1986), le général Ramalho Eanes: “Seja sério, mas não se leve a sério.” «Soyez sérieux, mais ne vous prenez jamais au sérieux.»
Journal (En Franchise intérieure (1933-1977) et En Chair vive (1977-1993):
«Tant de journaux, tant de radios, tant d’agences de presse, et jamais l’humanité n’a autant marché à tâtons. Chaque heure qui passe est une énigme camouflée sous un millier d’explications. La vérité, de nos jours, est comme l’ombre du mensonge» (26 février 1947).
Lors d’une conférence au Brésil 1954: «L’universel, c’est le local moins les murs. C’est l’authentique qui peut être vu sous tous les angles et qui sous tous les angles est convaincant, comme la vérité.»
«Pas plus que le saint, l’artiste n’est un opposant au pouvoir. Il est l’opposé du pouvoir, même sans atteindre à la sainteté. Plus qu’un révolutionnaire, c’est un révolté; et plus encore qu’un révolté, un rebelle. Un champion de la liberté, tellement libre qu’il vit en lutte permanente avec ses propres démons»
«L’homme ne se découvre qu’en découvrant.»
Aujourd’hui, à Coimbra où le nom de Torga est partout, on peut lire sur un mur ce graffiti : « O único tirano que admitimos é a voz da nossa consciência » (« Le seul tyran que nous acceptons est la voix de notre conscience »).
Elisa Serna, une des figures emblématiques de la chanson engagée espagnole dans la lutte contre le franquisme est morte d’un infarctus à l’hôpital de Collado Villaba dans les environs de Madrid. Elle avait 75 ans. Je me souviens de ses interprétations passionnées de A desalambrar de Daniele Viglietti et de ¡A galopar! de Paco Ibáñez (poème de Rafael Alberti) dans les années 70. Je me souviens aussi de son premier disque édité grâce à Paco Ibáñez, Quejido.
Elle a été enterrée en musique aujourd’hui au cimetière San Isidro de Madrid. “Sit tibi terra levis”
J’ai fini de lire Klimt de Serge Sanchez, publié dans la collection Folio biographies. J’y ai appris certaines détails sur la vie du peintre autrichien, figure centrale de la Sécession viennoise, tout en restant un peu sur ma faim. Cela m’arrive assez souvent avec les livres publiés dans cette collection.
J’ai découvert Gustav Klimt en 1981, grâce à un petit livre d’Alessandra Comini publié au Seuil en 1975. Dans les années 80, Vienne était à la mode à Paris. Je me souviens entre autres, de la grande l’exposition organisée à Beaubourg du 13 février au 15 mai 1986: Vienne, Naissance d’un siècle, 1880 – 1938. J’ai visité Vienne et ses musées bien plus tard.
Son tableau le plus célèbre reste encore aujourd’hui Le Baiser (1907), apogée de sa période dorée. On le retrouve imprimé sur des tasses, des tee-shirts ou des panneaux publicitaires. Thomas Bernhardt n’est pas tendre avec lui dans Maîtres anciens (1985).
Klimt connaissait la sculpture de Rodin, intitulée aussi Le Baiser (vers 1882) et le tableau d’Edvard Munch (1897). Constantin Brancusi réalisa une oeuvre sur le même thème appelée aussi ainsi à la même époque.
Brancusi réalisa 40 versions du couple d’amoureux face à face.
Gustav Klimt est une personnalité attachante. Il n’hésita pas à s’opposer souvent aux autorités politiques et artistiques de son temps. Il disait: «Le goût, c’est bon pour les amateurs de vin et les cuisiniers. L’art n’a rien à voir avec le goût.» (G.K)
Il fit un voyage en Espagne du 26 au 31 octobre 1909 avec le peintre et directeur de galerie, Carl Moll (1861-1945).
“Etrange pays que l’Espagne! Misérable – désolé – monotone – monochrome – isolé – isolé! – Et pourtant, intéressant – dur – aride dans sa beauté! […] Vélasquez très décevant! ” ( Lettre à Emilie Flöge, sa compagne)
A Tolède, il trouva le Gréco magnifique. La ville était “la véritable Espagne telle qu’on se l’imagine.”
Il aida de nombreux jeunes peintres, particulièrement Egon Schiele et Oskar Kokoschka.
14 tableaux du maître viennois, issus de la collection du collectionneur d’art juif August Lederer, ont brûlé dans l’incendie du château d’Immendorf le 8 mai 1945.
J’ai un peu écouté hier en voiture Répliques sur France Culture, l’émission d’Alain Finkielkraut, puis tranquillement dans l’après-midi en podcast. “La mort de la grand-mère dans la recherche du temps perdu.”
Un peu déçu. Manque de dialogue réel entre Philippe Lançon et Antoine Compagnon. Deux mondes différents? Une certain rancoeur semblait couver encore à cause d’ un article peu amène publié par le critique de Libération il y a peu: Nathalie Quintane à la recherche du sens perdu. (20 avril 2018)
J’ai retrouvé dans ma bibliothèque un livre de souvenirs de Philippe Soupault (1897-1990) que j’avais bien aimé (Folio n°3165). L’évocation de Marcel Proust est assez belle et plutôt tendre.
Philippe Soupault, Profils perdus, Mercure de France, 1963.
Marcel Proust
«J’ai toujours aimé les gens que l’on qualifie d’extravagants. Dès mon enfance quand j’avais le plaisir de rencontrer des femmes et des hommes qu’on traite d’individus bizarres, je ne pouvais m’empêcher de leur adresser la parole alors que mes contemporains les évitent et les fuient.(…)
C’est à la même époque que je rencontrai pendant mes vacances à Cabourg un homme dont l’étrangeté m’attira et je voulus, selon ma coutume, faire sa connaissance. Un de mes amis, plus âgé que moi, me présenta à cet homme qui se promenait parfois le soir dans les salles du casino. Il se nommait Marcel Proust. J’éprouvais la même stupéfaction et la même sympathie que pour mon étrange amie du VIII ème arrondissement.
Marcel Proust réussit toujours à m’étonner. Vers six heures du soir, au coucher du soleil, on apportait sur la terrasse du grand hôtel de Cabourg un fauteuil de rotin. Pendant quelques minutes, ce fauteuil restait vide.Le «personnel» attendait. Puis Marcel Proust s’approchait lentement, une ombrelle à la main. Il guettait sur le seuil de la porte vitrée la tombée de la nuit. Lorsqu’ils passaient près de son fauteuil, les grooms se parlaient par signes comme les sourds-muets. Puis les amis de Proust s’approchaient. Ils parlaient d’abord du temps et de la température. A cette époque – c’était en 1913 – Marcel Proust craignait ou semblait craindre le soleil. Mais c’est le bruit surtout qui lui faisait horreur.
Tous les habitants de l’hôtel racontaient que M.Proust avait loué cinq chambres au prix fort. L’une pour y habiter, les quatre autres pour y «enfermer» le silence.
Quand, fasciné, je m’approchais de lui pour le regarder, il m’adressait la parole parce qu’il avait appris que j’étais le fils d’une de ses jeunes filles en fleurs. Il me parlait souvent d’un cours de danse qui se donnait dans un appartement de la rue de Ville-l’Evêque.
– C’est là que j’ai rencontré votre mère, votre tante, elle s’appelait Louise, n’est-ce pas? Je vois ses yeux, les seuls dont on pouvait dire qu’ils étaient violets.
Il parlait beaucoup de sa jeunesse, des coïncidences, des rencontres, des regrets. Son sourire était jeune, ses yeux profonds, son regard las, ses gestes lents. Bien sûr, j’ignorais qu’il écrivait. Il ne parlait jamais de son œuvre. C’est pourtant à cette époque qu’il écrivait A la recherche du temps perdu. Personne d’ailleurs ne semblait s’en douter. Il posait cependant beaucoup de questions. Je ne me souviens malheureusement que de quelques-unes. Elles me paraissaient puériles. Ainsi: A quelle époque exactement, demandait-il, à un garçon de café, fleurissent les cerisiers dans les vergers de Cabourg, pas les pommiers, les cerisiers?
Un autre jour il fit venir un des cuisiniers de l’hôtel pour lui demander la recette des sôles à la Mornay. Le cuisinier la récita. Marcel Proust lui glissa un billet de banque. Et le cuisinier empochant le pourboire partit en murmurant: «C’est trop, c’est trop!» Un autre jour il demanda quelle marque de cigares fumait le Prince de Galles qui était devenu Edouard VII. Qu’appelle-t-on un chapeau Cronstadt?
Je n’en revenais pas. Je l’écoutais bouche bée.
Parfois on le retrouvait assis devant une grande table. Il offrait à ceux qui l’approchaient une coupe de champagne. Quand il réclamait des cigares pour ses amis, on savait que c’était le signal de son départ.
– Excusez-moi, disait-il, la fumée du cigare me fait tousser…
Et il se levait. Il semblait avoir hâte de retrouver sa chambre et le silence.
Je ne le revis que quelques années plus tard, après la guerre. Je savais qu’il était un écrivain puisqu’il avait eu la gentillesse de m’envoyer Du côté de chez Swann. On commençait à parler de lui. Mais il sortait de moins en moins. Je l’aperçus une nuit au Boeuf sur le Toit. Il avait terriblement changé. J’allai le saluer et m’assis en face de lui. Il était fiévreux, anxieux même. Il parlait à voix basse. Il me demanda si j’étais retourné à Cabourg. Petite tirade sur Cabourg. Mais il avait l’air si fatigué que je n’insistai pas. Il se retira sur la pointe des pieds.
Quelques mois plus tard, je lui envoyai les Champs magnétiques qui venaient de paraître. J’habitais à cette époque dans l’île Saint-Louis, quai Bourbon, tout près de ses amis Bibesco. Un soir, à huit heures, on sonna à ma porte. Un chauffeur me demanda si j’accepterais de venir parler à M. Marcel Proust qui attendait dans sa voiture devant ma porte. J’acceptai, bien sûr. Pourtant, j’habitais à l’entresol. Qu’importe.
Marcel Proust, emmitouflé, était assis dans le fond d’un taxi. On voyait briller ses yeux, comme ceux d’un hibou. Il me remercia longuement, trop longuement à mon gré, d’avoir bien voulu me déranger.
– Je viens de chez les Bibesco qui sont vos voisins.
Il n’aurait pas voulu passer devant ma porte, me précisa-t-il, sans me remercier pour l’envoi d’un livre «capital» (Marcel Proust n’hésitait pas à employer les superlatifs).
– Je suis si fatigué que je ne puis vous remercier très longuement comme je le devrais et comme je n’étais pas sûr de vous trouver je vous ai écrit une lettre. La voici.
Il ferma soudain les yeux. Il paraissait épuisé. Jouait-il la comédie? Je ne le crois pas. Je le remerciai et pris congé. Il avait, une fois de plus, réussi à m’étonner. Son extrême politesse, excessive, était peut-être de l’insolence.
Je voulus à mon tour le remercier de l’envoi d’un de ses livres mais il me fit dire par son chauffeur qu’il était trop fatigué pour recevoir mais qu’il me ferait signe un soir si je ne craignais pas de sortir après minuit.
Je crus, et ne fus pas le seul, qu’il se cachait et qu’il refusait de revoir ceux qu’il auraient pu lui rappeler des souvenirs dont il n’avait plus l’usage. En vérité, et je le compris aisément, il avait hâte de finir son œuvre qui d’ailleurs ne fut jamais finie bien qu’il ait cru nécessaire d’écrire le mot fin au bas d’une des feuilles de son manuscrit.