Fernando Pessoa (1888 – 1935)

Fernando Pessoa (sculpture de Lagoa Henriques 1923-2009), Café A Brasileira, Chiado, Lisbonne.

Tabacaria (Fernando Pessoa – Álvaro de Campos )

Não sou nada.
Nunca serei nada.
Não posso querer ser nada.
À parte isso, tenho em mim todos os sonhos do mundo…

Bureau de tabac (Fernando Pessoa – Álvaro de Campos)

Je ne suis rien.
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde…

15 janvier 1928.

Albert Camus (1913 – 1960)

Albert Camus, Pourquoi l’Espagne ? (Combat, 1948).

“C’est cela, justement, que je ne puis pardonner à la société politique contemporaine: qu’elle soit une machine à désespérer les hommes”.

Albert Camus (Henri Cartier-Bresson, 1944).

Denis Diderot (1713 – 1784)

Denis Diderot (Louis-Michel Van Loo). 1767. Paris, Musée du Louvre.

Denis Diderot, né le 5 octobre 1713, termine son livre athée et matérialiste Eléments de physiologie par cette triple recommandation:

” Il n’y a qu’une vertu, la justice; qu’un seul devoir celui de se rendre heureux ; qu’un corollaire, de ne pas se surfaire la vie et de ne pas craindre la mort “.

Emil Cioran (1911 – 1995)

Emil Cioran.

«La lucidité et la fatigue ont eu raison de moi – j’entends une fatigue philosophique autant que biologique – quelque chose en moi s’est détraqué. On écrit par nécessité et la lassitude fait disparaître cette nécessité. Il vient un temps où cela ne nous intéresse plus. En outre, j’ai fréquenté trop de gens qui ont écrit plus qu’il n’aurait fallu, qui se sont obstinés à produire, stimulés par le spectacle de la vie littéraire parisienne. Mais il me semble que moi aussi j’ai trop écrit. Un seul livre aurait suffi. Je n’ai pas eu la sagesse de laisser inexploitées mes virtualités, comme les vrais sages que j’admire, ceux qui, délibérément, n’ont rien fait de leur vie.»

Entretien avec Sylvie Jaudeau, José Corti, 1990.

 

Charles Baudelaire

Charles Baudelaire. Autoportrait. Dessin a la plume. 1845.

Paysage

Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l’atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d’éternité.

II est doux, à travers les brumes, de voir naître
L’étoile dans l’azur, la lampe à la fenêtre
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes;
Et quand viendra l’hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l’Idylle a de plus enfantin.
L’Emeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D’évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

Les Fleurs du Mal, 1857.

Frontispice de la première édition des Fleurs du mal annotée par Charles Baudelaire.

César Vallejo (1892-1938)

César Vallejo.

C’est un poème que nous avons souvent étudié avec nos élèves de Terminale. J. insistait, insistait. Elle voulait que je publie dans le blog ce poème. J’hésitais. Trop connu. Trop lu. Trop étudié. Elle avait raison. On ne peut pas le relire sans un pincement au coeur.

A mi hermano Miguel 

                                                                               In memoriam

Hermano, hoy estoy en el poyo de la casa,
¡donde nos haces una falta sin fondo!
Me acuerdo que jugábamos esta hora, y que mamá
nos acariciaba: “Pero, hijos …”.

Ahora yo me escondo,
como antes, todas estas oraciones
vespertinas, y espero que tú no des conmigo.
Por la sala, el zaguán, los corredores,
después, te ocultas tú, y yo no doy contigo.
Me acuerdo que nos hacíamos llorar,
hermano, en aquel juego.

Miguel, tú te escondiste
una noche de agosto, al alborear;
pero, en vez de ocultarte riendo, estabas triste.
Y tu gemelo corazón de esas tardes
extintas se ha aburrido de no encontrarte. Y ya
cae sombra en el alma.

Oye, hermano, no tardes en salir.
Bueno… Puede inquietarse mamá.

Los heraldos negros, 1918-19

A mon frère Miguel

                                                                                  In memoriam

Petit frère, je suis là assis sur le banc de notre maison,
où tu nous manques infiniment!
Je me rappelle, c’est l’heure où nous jouions, et maman
nous câlinait: «Vraiment, les enfants…»

Maintenant je me cache,
comme avant, toutes ces prières
vespérales, et j’espère que tu ne me trouveras pas.
Dans la grande salle, le vestibule, les couloirs.
Ensuite, c’est à toi de te cacher et moi, je ne te trouve pas.
Je me rappelle que nous nous faisions pleurer,
petit frère, à ce jeu-là.

Miguel, tu t’es caché
une nuit d’août, au lever du jour;
mais au lieu de te cacher en riant, tu étais triste…
Et ton coeur jumeau de ces après-midi
consumées, s’est lassé de ne pas te trouver. Et voilà
l’ombre qui tombe sur mon âme.

Dis, petit frère, ne tarde pas
à sortir. Allons? Maman pourrait s’inquiéter.

Los Hérauts noirs, 1918-19.

Traduction: Nicole Réda-Euvremer.

A mon frère Miguel

                                                                                                In memoriam

Mon frère, je suis assis aujourd’hui sur le banc de la maison,
où tu nous manques jusqu’au fond du fond!
Je m’en souviens c’est l’heure où nous jouions, et maman
nous caressait: «Allez, mes enfants…»

Je me cache maintenant;
comme auparavant, toutes ces prières
vespérales, et l’espoir que tu ne me trouves pas.
Le salon, le vestibule, les couloirs.
Et puis tu disparais, je ne te trouve pas.
je me souviens, nous en pleurions
de ce jeu-là, mon frère.

Miguel, tu t’es caché
une nuit d’août, à l’aube;
mais au lieu de disparaître en riant, tu étais triste.
Le coeur jumeau de ces après-midi
éteints s’est fatigué de ne pas te trouver. Depuis
il tombe de l’ombre sur l’âme.

Allons, mon frère, ne tarde pas
à sortir. Tu entends? Maman peut s’inquiéter.

Los Hérauts noirs, 1918-19.

Traduction: Laurence Bresse-Chanet.

Canta Mercedes Sosa. Disco: “Traigo un pueblo en mi voz” de 1973.

Paul Teitgen (1919-1991)

Paul Teitgen.

Paul Teitgen , résistant dès 1940, torturé par la Gestapo à Nancy, déporté au Struthof puis à Dachau, issu de la première promotion de l’ENA – « France combattante »-, est nommé secrétaire général de la préfecture d’Alger chargé de la police générale à la mi-août 1956, soit quelques mois avant le début de la « bataille d’Alger ». Il est connu pour son attachement aux droits humains et sa foi chrétienne intransigeante : la présence de ce brillant haut-fonctionnaire, frère cadet de l’ancien ministre MRP Pierre- Henri Teitgen, dans l’administration de Robert Lacoste sert à ce dernier à tenter de corriger, notamment au sein de son parti, la SFIO, son image par trop répressive.
Après le 7 janvier 1957, date du début de la Grande répression d’Alger, c’est à Teitgen qu’est confié le seul contrôle civil – théorique – sur la répression : l’officialisation des assignations à résidence qui lui sont demandées par les militaires pour les « suspects » qu’ils ont arrêtés. Cette fonction en fait le civil le mieux informé à Alger des pratiques de ces derniers. Il constate les arrestations arbitraires en masse, la torture, les « disparitions », sans pouvoir s’y opposer autrement qu’à la marge, ses supérieurs, Lacoste et le préfet Serge Baret soutenant systématiquement les parachutistes. Fin mars 1957, après deux mois et demi de terreur parachutiste et alors qu’a éclaté en métropole le scandale de la torture en Algérie, dans une lettre amère et solennelle à Lacoste, il demande à être relevé de ses fonctions. Cette démission est refusée par le ministre, qui utilisera Teitgen jusqu’au 12 septembre 1957, date à laquelle, usé et écœuré, il est autorisé à quitter ses fonctions à la préfecture, après avoir tenté de lutter de l’intérieur contre les pratiques criminelles des militaires. Il dira avoir alors signé 24 000 assignations à résidence et dénombré 3024 disparitions forcées. Le 13 mai 1958, il échappe aux parachutistes qui haïssent ce « traître » – certains l’ont menacé de mort – et tentent de l’arrêter. Il est finalement expulsé d’Algérie avec sa famille par le général Raoul Salan qui l’échange avec le gouvernement Pfimlin contre son bras droit, le général Dulac. Teitgen est ensuite mis au ban de la préfectorale – deux années sans poste et sans traitement – par Michel Debré, éloigné six mois au Brésil, puis nommé finalement au Conseil d’Etat pour l’obliger à se taire. Malgré cela, Teitgen accepte de témoigner en décembre 1960 pour la défense des « porteurs de valises » au procès du réseau Jeanson et rend publique sa lettre à Lacoste. Il alimente dès 1958 les travaux de Pierre Vidal-Naquet, dont il devient un ami très cher, en documents et informations de première main. C’est lui qui apporte notamment à l’historien la certitude de l’assassinat de Maurice Audin par les militaires.

Source : Fabrice Riceputi, « Une trahison républicaine : Paul Teitgen et la terreur coloniale », à paraître au 1er semestre 2019 dans Vingtième siècle. Revue d’histoire.

Lettre de Paul Teitgen à Robert Lacoste, 24 mars 1957.

« Le 20 août 1956, vous m’avez fait l’honneur d’agréer ma nomination au poste de secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé plus spécialement de la police générale.
Depuis cette date, je me suis efforcé avec conviction, et à mon poste, de vous servir — et quelquefois de vous défendre — c’est-à-dire de servir, avec la République, l’avenir de l’Algérie française.
Depuis trois mois, avec la même conviction, et sans m’être jamais offert la liberté, vis-à-vis de qui que ce soit d’irresponsable, de faire connaître mes appréhensions ou mes indignations, je me suis efforcé dans la limite de mes fonctions, et par-delà l’action policière nouvelle menée par l’armée, de conserver — chaque fois que cela a été possible — ce que je crois être encore et malgré tout indispensable et seul efficace à long terme : le respect de la personne humaine.
J’ai aujourd’hui la ferme conviction d’avoir échoué et j’ai acquis l’intime certitude que depuis trois mois nous sommes engagés non pas dans l’illégalité — ce qui, dans le combat mené actuellement, est sans importance —mais dans l’anonymat et l’irresponsabilité qui ne peuvent conduire qu’aux crimes de guerre.
Je ne me permettrais jamais une telle affirmation si, au cours de visites récentes effectuées aux centres d’hébergement de Paul-Cazelles et de Beni-Messous, je n’avais reconnu sur certains assignés les traces profondes des sévices ou des tortures qu’il y a quatorze ans je subissais personnellement dans les caves de la Gestapo de Nancy.
Or ces deux centres d’hébergement, installés, à sa demande, par l’autorité militaire d’Alger, sont essentiellement pourvus par elle. Les assignés qui y sont conduits ont d’abord été interrogés dans les quartiers militaires après une arrestation dont l’autorité civile, qui est celle de l’Etat, n’est jamais informée. C’est ensuite, et souvent après quelques semaines de détention et d’interrogatoires sans contrôle, que les individus sont dirigés par l’autorité militaire au centre de Beni-Messous et de là, sans assignation préalable et par convoi de cent cin­quante à deux cents, au centre de Paul-Cazelles.
J’ai, pour mon compte personnel et sans chercher à échapper à cette responsabilité, accepté de signer et de revêtir de mon nom jusqu’à ce jour près de deux mille arrêtés d’assignation à résidence dans ces centres, arrêtés qui ne faisaient que régulariser une situation de fait. Je ne pouvais croire, ce faisant, que je régulariserais indirectement des interrogatoires indignes dont, au préalable, certains assignés avaient été les victimes.
Si je n’ignorais pas qu’au cours de certains interrogatoires des individus étaient morts sous la torture, j’ignorais cependant qu’à la villa Sesini, par exemple, ces interrogatoires scandaleux étaient menés, au nom de mon pays et de son armée, par le soldat de Ire classe F…, sujet allemand engagé dans le 1er R.E.P., et que celui-ci osait avouer aux détenus qu’il se vengeait ainsi de la victoire de la France en 1945.
Rien de tout cela, bien sûr, ne condamne l’armée française, non plus que la lutte impitoyable qui doit être menée par elle dans ce pays, et qui devait l’être à Alger plus spécialement contre la rébellion, l’assassinat, le terrorisme et leurs complices de tout ordre.
Mais tout cela condamne la confusion des pouvoirs et l’arbitraire qui en découle. Ce n’est plus tel ou tel responsable connu qui mène les interrogatoires, ce sont des unités militaires. Les suspects ne sont plus retenus dans les enceintes de la justice civile ou militaire, ni même dans les lieux connus de l’autorité administrative. Ils sont partout et nulle part. Dans ce système, la justice —même la plus expéditive — perd ne serait-ce que l’exemplarité de ses décisions. Par ces méthodes improvisées et incontrôlées, l’arbitraire trouve toutes les justifications. La France risque, au surplus, de perdre son âme dans l’équivoque.
Je n’ai jamais eu le cynisme et je n’ai plus la force d’admettre ce qu’il est convenu d’appeler des « bavures », surtout lorsque ces bavures ne sont que le résultat d’un système dans lequel l’anonymat est seul responsable.
C’est parce que je crois encore que dans sa lutte la France peut être violente sans être injuste ou arbitrairement homicide, c’est parce que je crois encore aux lois de la guerre et à l’honneur de l’armée française que je ne crois pas au bénéfice à attendre de la torture ou simplement de témoins humiliés dans l’ombre.
Sur quelque 257 000 déportés, nous ne sommes plus que 11 000 vivants. Vous ne pouvez pas, monsieur le ministre, me demander de ne pas me souvenir de ce pour quoi tant ne sont pas revenus et de ce pour quoi les survivants, dont mon père et moi-même, doivent encore porter témoignage.
Vous ne pouvez pas me le demander parce que telle est votre conviction et celle du gouvernement de mon pays.
C’est bien, au demeurant, ce qui m’autorise à vous adresser personnellement cette lettre, dont il va sans dire qu’il n’est pas dans mes intentions de me servir d’une quelconque manière. Dans l’affirmation de ma conviction comme de ma tristesse, je conserve le souci de ne pas indirectement justifier les partisans de l’abandon et les lâches qui ne se complaisent que dans la découverte de nos erreurs pour se sauver eux-mêmes de la peur. J’aimerais, en revanche, être assuré que vous voudrez bien, à titre personnel, prendre en considération le témoignage d’un des fonctionnaires installés en Algérie par votre confiance et qui trahirait cette confiance, s’il ne vous disait pas ce qu’il a vu et ce que personne n’est en droit de contester, s’il n’est allé lui-même vérifier.
J’ai, en tout état de cause, monsieur le ministre, perdu la confiance dans les moyens qui me sont actuellement impartis pour occuper honnêtement le poste que vous m’aviez assigné. Je vous demande, en conséquence, de bien vouloir prier M. le ministre de l’Intérieur de m’appeler rapidement à d’autres fonctions.
Je vous demande enfin, monsieur le ministre, d’agréer cette lettre comme l’hommage le plus sincère de mon très profond et fidèle respect.
Paul Teitgen »

Source : Charlotte Delbo, Les Belles Lettres, Paris, Minuit, 1961, p. 80.

 Destin : Général Jacques de Bollardière. 1974 (André Gazut). Boycotté par toutes les télévisions de l’hexagone.

http://www.4acg.org/Films-d-Andre-Gazut

Pablo Neruda (1904 – 1973)

Pablo Neruda (Ricardo Eliécer Neftalí Reyes Basoalto) nació en Parral (Chile) el 12 de julio de 1904. Murió en la clínica Santa María de Santiago de Chile el 23 de septiembre de 1973, 12 días después del golpe militar. Sus casas fueron saqueadas por los militares.

Isla Negra. Casa Museo Pablo Neruda (arquitecto Germán Rodríguez Arias 1943-1945 + Sergio Soza 1965). Mascarón de proa.

Oda al presente (Pablo Neruda)

Este
presente
liso
como una tabla,
fresco,
esta hora,
este día
limpio
como una copa nueva
—del pasado
no hay una
telaraña—,
tocamos
con los dedos
el presente,
cortamos
su medida,
dirigimos
su brote,
está viviente,
vivo,
nada tiene
de ayer irremediable,
de pasado perdido,
es nuestra
criatura,
está creciendo
en este
momento, está llevando
arena, está comiendo
en nuestras manos,
cógelo,
que no resbale,
que no se pierda en sueños
ni palabras,
agárralo,
sujétalo
y ordénalo
hasta que te obedezca,
hazlo camino,
campana,
máquina,
beso, libro,
caricia,
corta su deliciosa
fragancia de madera
y de ella
hazte una silla,
trenza
su respaldo,
pruébala,
o bien
escalera!
Si,
escalera,
sube
en el presente,
peldaño
tras peldaño,
firmes
los pies en la madera
del presente,
hacia arriba,
hacia arriba,
no muy alto,
tan sólo
hasta que puedas
reparar
las goteras
del techo,
no muy alto,
no te vayas al cielo,
alcanza
las manzanas,
no las nubes,
ésas
déjalas
ir por el cielo, irse
hacia el pasado.

eres
tu presente,
tu manzana:
tómala
de tu árbol,
levántala
en tu
mano,
brilla
como una estrella,
tócala,
híncale el diente y ándate
silbando en el camino.

Nuevas odas elementales (1955)

Isla Negra (Chile). Casa Museo Pablo Neruda. Campanas.

Luis Cernuda

Luis Cernuda.

Luis Cernuda est né le 21 septembre 1902 à Séville. Exilé en 1938 au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et enfin au Mexique, il est mort sans revoir son pays le 5 novembre 1963 à Mexico. Il avait 61 ans.

Peregrino ( Luis Cernuda )

¿Volver? Vuelva el que tenga,
Tras largos años, tras un largo viaje,
Cansancio del camino y la codicia
De su tierra, su casa, sus amigos,
Del amor que al regreso fiel le espere.

Mas, ¿tú? ¿Volver? Regresar no piensas,
Sino seguir libre adelante,
Disponible por siempre, mozo o viejo,
Sin hijo que te busque, como a Ulises,
Sin Ítaca que aguarde y sin Penélope.

Sigue, sigue adelante y no regreses,
Fiel hasta el fin del camino y tu vida,
No eches de menos un destino más fácil,
Tus pies sobre la tierra antes no hollada,
Tus ojos frente a lo antes nunca visto.

Desolación de la quimera (1962)

Pélerin

Revenir? Que revienne celui qui
Après de longues années, après un long voyage,
Est fatigué de la route et désire revoir
Son pays, sa maison, ses amis,
l’amour qui fidèlement attend qu’il revienne.

Mais, toi, Revenir? Tu ne penses pas revenir
Mais poursuivre en liberté,
Toujours disponible, jeune ou vieux,
sans enfant qui te cherche, comme Ulysse,
Sans Ithaque qui t’attend et sans Pénélope.

Continue, continue encore et ne reviens pas,
fidèle jusqu’à la fin du chemin et de la vie,
Ne regrette pas un destin plus facile,
Tes pieds sur la terre qui n’a pas été encore foulée,
Tes yeux face à ce qui n’a jamais été vu auparavant.

Desolation de la chimère (1962)

Simone Weil

« Si l’on examine cette fiction de près, il n’apparaît même pas qu’elle vaille un regret. Il suffit de tenir compte de la faiblesse humaine pour comprendre qu’une vie d’où la notion même du travail aurait à peu près disparu serait livrée aux passions et peut-être à la folie ; il n’y a pas de maîtrise de soi sans discipline, et il n’y a pas d’autre source de discipline pour l’homme que l’effort demandé par les obstacles extérieurs. Un peuple d’oisifs pourrait bien s’amuser à se donner des obstacles, s’exercer aux sciences, aux arts, aux jeux ; mais les efforts qui procèdent de la seule fantaisie ne constituent pas pour l’homme un moyen de dominer ses propres fantaisies. Ce sont les obstacles auxquels on se heurte et qu’il faut surmonter qui fournissent l’occasion de se vaincre soi-même. Même les activités en apparence les plus libres, science, art, sport, n’ont de valeur qu’autant qu’elles imitent l’exactitude, la rigueur, le scrupule propre aux travaux, et même les exagèrent. Sans le modèle que leur fournissent sans le savoir le laboureur, le forgeron, le marin qui travaillent comme il faut, pour employer cette expression d’une ambiguïté admirable, elles sombreraient dans le pur arbitraire. »

 Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, 1934