Auguste Rodin – Antoine Bourdelle

Rodin / Bourdelle. Corps à corps. Du 2 octobre 2024 au 2 février 2025. Musée Bourdelle 18, rue Antoine-Bourdelle. 75015 Paris.

Le musée Bourdelle est situé à Montparnasse dans l’ancien atelier du sculpteur. Il a été sauvé de la destruction au début des années 1930. Il a connu deux extensions en 1961 (architecte : Henri Gautruche) et en 1992 (architecte : Christian de Portzamparc). Le musée a été rénové au début des années 2020 et a rouvert en mars 2023.

L’exposition Rodin / Bourdelle. Corps à corps réunit 96 sculptures, 38 dessins, 3 peintures et 26 photographies. Elle éclaire la relation entre les deux artistes qu’une génération sépare. Elle met bien en valeur leurs concordances et leurs divergences, leurs fraternités et leurs antagonismes. Antoine Bourdelle (1861-1929) admirait beaucoup Auguste Rodin (1840-1917). Il a travaillé pour lui pendant quinze ans comme praticien, chargé de tailler des marbres. Il travaillait lentement et le maître était impatient ce qui créa parfois entre eux quelques frictions. Rodin percevait néanmoins en Bourdelle un « éclaireur de l’avenir ».

Dernière de l’exposition Rodin / Bourdelle/ Corps à corps.

La dernière salle est extraordinaire. Elle permet une véritable réflexion sur l’évolution de la sculpture et de la modernité. En effet, l’exposition se termine sur l’exploration de la figure debout dans la lignée de l’Homme qui marche de Rodin. L’Autoportrait sans bras de Bourdelle, Le Serf d’Henri Matisse (1869-1954), L’Homme qui marche de Germaine Richier (1902-1959) et l’Homme traversant une place d’Alberto Giacometti (1901-1966) mettent en évidence la postérité de la voie expressionniste de Rodin ainsi que celle de la synthèse de Bourdelle. Les deux maîtres sont à la source des avant-gardes. On le voit aussi dans l’exposition avec des œuvres de Constantin Brancusi (1876-1957), Raymond Duchamp-Villon (1876-1918), Ossip Zadkine (1888-1967) et Chana Orloff (1888-1968).

https://www.lesvraisvoyageurs.com/2023/03/21/auguste-rodin-alberto-giacometti-germaine-richier/

L’Homme qui marche (Auguste Rodin). Bronze. Fonte Rudier. Paris, Musée Rodin.
Autoportrait sans bras (Antoine Bourdelle). 1908. Bronze. Fonte Rudier. Paris, Musée Bourdelle.
Le Serf (Henri Matisse). 1900-1903. Bronze. Nice, Musée Matisse.
L’Homme qui marche (Germaine Richier). 1945. Bronze. Paris, Centre Pompidou.
Homme traversant une place (Alberto Giacometti). 1949. Bronze. Zürich Alberto Giacometti Stiftung.

Harriet Backer – Francisco de Goya

Nous avons vu récemment au Musée d’Orsay l’exposition Harriet Backer La musique des couleurs. Elle est visible du 24 septembre 2024 au 12 janvier 2025.

Méconnue en dehors de son pays, Harriet Backer (1845-1932) a été la peintre la plus célèbre en Norvège à la fin du XIXe siècle. À une époque où les femmes n’étaient pas considérées là-bas comme des citoyennes à part entière, elle est devenue une figure importante de la scène artistique de son époque. Pour parfaire sa formation, elle s’est rendue à Munich et à Paris.

L’exposition présente aussi d’autres artistes femmes scandinaves, également formées à travers l’Europe et qui partageaient ses engagements féministes.

Les grands thèmes cette artiste sont les suivants : les intérieurs rustiques, les peintures d’églises traditionnelles norvégiennes, les paysages et les natures mortes. Une large place est laissée aux représentations de scènes musicales. Nombre de ses proches étaient en effet des musiciens reconnus.

Le travail du Musée d’Orsay est remarquable car il propose, en plus de grandes expositions de peintres célèbres (par exemple du 08 octobre 2024 au 19 janvier 2025 Caillebotte Peindre les hommes), des découvertes d’ artistes moins connus mais importants pour comprendre les grandes évolutions de l’art de la seconde moitié du XIXe siècle.

Relevailles, sacristie de l’église de Tatum. 1892. Bergen, KODE Bergen Art Museum.

Un tableau a attiré particulièrement mon attention. Il s’agit de Relevailles, sacristie de l’église de Tatum. 1892. Bergen, KODE Bergen Art Museum.

Les relevailles étaient une cérémonie de l’Église catholique qui avait pour but de réintégrer une jeune mère ayant accouché, n’ayant pu se rendre à l’église pendant sa période de quarantaine, dans le cercle des fidèles et auprès de Dieu. La première mention de ce rituel se trouve dans l’Ancien Testament. Il y est dit qu’à partir de la naissance de son enfant, la mère doit s’éloigner des lieux de culte et ne peut assister aux cérémonies religieuses à cause de son impureté. Dans de nombreuses régions de France, entre interdits et regards peu complaisants, l’accouchement et la messe des relevailles étaient attendus avec hâte. En effet, si la quarantaine était facilement respectée par les plus riches, elle ne l’était pas pour les plus pauvres, notamment dans les milieux ruraux où il y avait un grand besoin de main-d’œuvre. La cérémonie des relevailles a été officiellement abolie en Norvège dès le XVIIIe siècle, mais elle était encore souvent pratiquée à la fin du XIXe siècle, certainement en raison des inquiétudes liées à la mortalité encore très élevée chez les nourrissons et les jeunes mères.

Francisco de Goya a peint aussi entre 1808 et 1812 La misa de parida (La Messe des relevailles). Ce tableau est conservé au Musée des Beaux-Arts d’Agen depuis 1900. Il représente l’intérieur d’une église pendant la messe. Une jeune mère en train d’être purifiée se trouve à genoux près d’un grand cierge derrière le prêtre, lequel est tourné vers l’autel et un crucifix.

La misa de parida (Francisco de Goya). Entre 1808 et 1812.Musée des Beaux-Arts d’Agen.

Paul Éluard – Louis Aragon

D’août 1922 à juillet 1924, Paul Éluard, Gala et Max Ernst vivent ensemble à Saint-Brice, puis à Eaubonne (Val d’Oise). Aragon est un témoin privilégié de l’hiver 1923-1924 pendant lequel Éluard est désespéré et fuit souvent le domicile conjugal.

Nudité de la vérité (Paul Eluard)

” Je le sais bien. “

Le désespoir n’a pas d’ailes,
L’amour non plus,
Pas de visage,
Ne parlent pas,
Je ne bouge pas,
Je ne les regarde pas,
Je ne leur parle pas
Mais je suis bien aussi vivant que mon amour et que mon désespoir.

Avril 1924.

Capitale de la douleur. Mourir de ne pas mourir. Gallimard, 1926.

« Paul Éluard quitta Paris brutalement le 24 mars 1924, avec l’idée de tout quitter et de faire le tour du monde. Il rentrera des mers du Sud en octobre de la même année. L’auteur de Roman inachevé avait évoqué cet épisode deux ans plus tôt, non sans erreurs de dates, dans le numéro des Lettres françaises du 20 novembre 1952, paru en hommage à Eluard après sa mort : « En 1926, est-ce que c’était bien en 1926 ? Il était déjà parti une fois. Ce petit univers de clameurs lui était devenu insupportable. Il m’avait pris pour confident, moi, de tous ses amis. Le dernier soir, la dernière nuit, nous les avions passées ensemble. Ce qu’il m’a dit alors, au juste, je ne l’ai jamais répété, je ne le répéterai jamais. C’était au temps où régnait le romantisme des départs. Il allait partir, il savait qu’on dirait, qu’on interpréterait… cela lui faisait horreur. Il m’avait laissé cette mission : casser les pattes à l’idéalisation de ce départ, ne pas permettre qu’on en fît un plat… Il disait ces mots avec rage. Tous simplement, il allait voyager, voyager. Ici, il ne voyait plus devant lui. » (repris dans L’Homme communiste II. Gallimard, 1953) » (Aragon, Oeuvres poétiques complètes II. Bibliothèque de la Pléiade, 2007).

« …Éluard a fini par choisir les mers du Sud. Il part pour Nice, ne s’embarque à Marseille, à bord de l’Antinoüs (!) que le 15 avril à destination de Tahiti où il débarquera le 30 mai. » (Olivier Barbarant, Victor Laby. Paul Eluard comme un enfant devant le feu. Editions Seghers, 2024.

Puis ce sera les îles Cook, la Nouvelle Zélande, Java, Sumatra, Ceylan. Max Ernst et Gala le rejoignent à Singapour. Paul Eluard et Gala débarquent seuls à Marseille le 27 septembre 1924. Un voyage peu glorieux , mais qui aura mis fin à une pente suicidaire pour le poète.

Monumento a Gala. La Punta de Torremolinos. Costa del Sol.

Le Mot « vie » (Aragon)

Nous avions parlé notre nuit Je l’ai mené jusqu’à la gare
Paul Éluard quittait Paris et sa vie un matin hagard
On ne connaîtra jamais du film que la scène des adieux

Adieu tu ne retourneras jamais à Sarcelles-Saint-Brice 
Paul une maison peinte dans Ithaque attendait-elle Ulysse
Tandis qu’autour de son esquif la mer se faisait mélopée

À toi de t’en aller par les atolls hantés de la Sirène
Tu ne monteras plus ici dans les balançoires foraines
Tu ne reverras plus les Gertrud Hoffman Girls croisant l’épée

L’aurore tous les jours se lèvera sans toi rue des Martyrs
Ne te retourne pas sur cette ville en feu Tu peux partir
Comme un faucheur derrière lui qui laisse les foins et la faux

Tu m’as dit en dernier je ne veux pour rien au monde qu’on brode
Sur les raisons de mon départ Va-t’en tranquille aux antipodes
C’est juré Je rirai de tout Je t’injurierai s’il le faut

Le Roman inachevé. Gallimard, 1956.

René Char

Nous avons vu samedi 30 novembre 2024 au Musée d’Art Moderne de Paris la très riche exposition L’Âge atomique. Les artistes à l’épreuve de l’histoire. (du 11 octobre 2024 au 09 février 2025).

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/les-midis-de-culture-la-critique-emission-du-jeudi-17-octobre-2024-4106516

Malgré son refus de toute forme de littérature engagée, en 1965-1966, René Char participe activement au mouvement contre l’installation de missiles à tête nucléaire sur le plateau d’Albion, non loin d’Apt et de Céreste, où depuis les années de résistance le poète garde de fortes attaches.

La Provence Point Oméga. 1965. Livre. Imprimerie Union. Paris, Centre Pompidou. Bibliothèque Kandinsky.

En novembre 1965, il manifeste son refus de cette implantation en Haute-Provence. Il n’hésite pas à organiser rapidement des manifestations contre le projet et fait éditer à 2 000 exemplaires une petite brochure (avec 60 exemplaires tirés à part et signés) dans laquelle il dénonce violemment le danger atomique. L’affiche homonyme est imprimée en février 1966 avec un texte remanié et une illustration de Pablo Picasso.

La Provence point Oméga (Pablo Picasso). 19 février 1966.


Un tirage réimposé à 45 exemplaires, sur papier Auvergne, est réalisé, imprimé par l’imprimerie Union. Elle est publiée le 7 mai 1966 dans Le Provençal et le 1er juin 1966 dans La Marseillaise, journal communiste. Avec le rassemblement organisé à Fontaine-de-Vaucluse le 5 juin 1966 autour du poète, cette affiche est restée un symbole. Les partisans de la militarisation sont des adeptes déclarés d’une certaine forme de modernisation économique, technique et militaire, leurs adversaires ont d’autres discours. C’est notamment le cas de René Char, qui, en s’élevant contre la « ruine d’Albion », s’érige aussi en critique de ces croyances. « La science ne peut fournir à l’homme dévasté qu’un phare aveugle, une arme de détresse, des outils sans légende. Au plus dément : le sifflet de manœuvres » La Provence point oméga sera distribué sous forme de tracts et paraîtra en quatrième de couverture, en avril 1966, dans la revue Partisans, édité par François Maspéro.

La Provence point oméga (René Char)

Que les perceurs de la noble écorce terrestre d’Albion

mesurent bien ceci : nous ne nous battons pour un site où la

neige n’est pas seulement la louve de l’hiver mais aussi

l’aulne du printemps. Le soleil s’y lève sur notre sang

exigeant et l’homme n’est jamais en prison chez son

semblable. À nos yeux ce site vaut mieux que notre pain, car

il ne peut être, lui, remplacé.

La Provence Point Oméga, d’après un dessin original de Pablo Picasso. Texte de René Char. 1966. Affiche. Paris BnF.